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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > TR 4 : Mise en place d'une organisation: les systèmes de gestion >  Synthèse de la table ronde 4

Synthèse de la table ronde 4

Président: Jacques Berthelot, Conseiller Régional de Bretagne
Coordinateur: Lucie Degail, ingénieur de recherche INSERM
Intervenants: Catherine Labrusse-Riou, juriste Paris I; Corinne Lepage, ancien ministre; Pascal Nouvel, biologiste et philosophe; Guy Paillotin, président de l'INRA; Willi Rothley, député européen Allemagne; Georges Santini, Directeur département éthique, environnement et communication, Rhône-Poulenc Agro SA; Dominique Tricard, ingénieur de génie sanitaire, chargé de mission auprès du Directeur général de la santé, Ministère de l'emploi et de la solidarité

Biographies :

LABRUSSE-RIOU Catherine, NOUVEL Pascal , PAILLOTIN Guy , ROTHLEY William , TRICARD Dominique

Compte rendu :

Transcription :


24 octobre 1998 TR4


Synthèse de la table ronde 4 :



Première oratrice de cette table ronde, Corinne Lepage, ancien ministre, donne son point de vue sur le principe de précaution, principe de droit international transcrit en droit interne dans la loi Barnier. Guy Paillotin évoque ses responsabilités de directeur de deux grands organismes de recherche publics, Georges Santini et Dominique Tricard la gestion du risque, respectivement à Rhône-Poulenc et au Ministère de la Santé. Enfin, Catherine Labrusse-Riou réfléchit au passage du risque sanitaire au risque symbolique et à la remontée progressive de l’intégration juridique des sciences depuis les applications en aval vers les projets de recherche en amont.

Corinne Lepage estime que, plus qu’une obligation légale, le principe de précaution est une réponse à un droit des citoyens. Les principes démocratiques dont on dispose pour le moment sont insuffisamment fondés. Les OGM, qui impliquent des choix de société dans un domaine à risque, annonce la démocratie du XXIème siècle. Pour discuter du principe de précaution dans ce domaine, il faut commencer par prendre en compte le contexte. Or, le fait est que les Etats-Unis exercent des pressions gigantesques sur l’UE. Il en résulte des problèmes d’équilibre international, de rapports entre l’UE et l’OMC (cf. le cas de la viande aux hormones) et d’ordre politique (éventualité du monopole, par une ou deux firmes, de brevets et de gènes alimentaires répandus). Le principe de précaution requiert la connaissance. La recherche publique offre une contre-expertise à la recherche privée. Elle est nécessaire pour pouvoir refuser le monopole de l’expertise, cultiver la diversité des sources et valoriser les opinions minoritaires, parfois anticipatrices. Sur la base de cette connaissance, la décision est ensuite prise à l’interface du monde économique et du public. Ici, il faut se demander comment organiser le monde de la consommation, aux niveaux français et communautaire, pour qu’il puisse constituer un réel contre-pouvoir au monde économique. Des débats ouverts doivent être organisés en amont de la décision, pour révéler les incertitudes. Finalement, il faut trancher en fonction d’un principe de proportionnalité. Un risque peut mériter d’être couru si la société en tire un avantage (par exemple, dans le domaine médical et pharmaceutique). En revanche, un principe de précaution plus sévère s’impose si la société n’en tire pas un avantage. Mais parfois, le décideur en est réduit à tenter de trouver la solution la moins pire. Dans l’affaire de la vache folle, fallait-il incinérer les farines contaminées ? Fallait-il les stocker ? La voie de l’intérêt général est parfois étroite.

Guy Paillotin cherche à faire en sorte que les chercheurs ne se limitent plus à être de bons élèves, et soient aussi des citoyens responsables. Sur les OGM, le devoir du responsable de l’INRA et du CIRAD est d’assurer que les résultats soient publiés, que les financements perdurent et que les chercheurs soient protégés, ce qui n’était pas le cas auparavant. L’INRA a organisé un débat sur les OGM qui a révélé différents points de vue. D’une manière générale, ces recherches soulèvent des difficultés. Exemple : l’INRA est impliqué dans la recherche sur les transferts de transgènes vers des plantes sauvages. Or, dans certaines situations particulières, des transgènes de colza peuvent migrer vers la ravenelle. Dès lors, en attendant d’en savoir plus sur cette question, il semblait impossible à l’INRA de participer à de telles applications industrielles. Une suspension a donc été décidée. L’INRA doit être cohérent. Autre exemple : l’INRA fait des recherches sur le charca, une maladie virale du pêcher. Si un pêcher est contaminé, la seule solution est de le couper. Or, des producteurs attaquent l’INRA parce que des virus risquent de s’échapper de ses laboratoires. Si l’on fait une recherche, il n’y a pas de risque zéro qu’un virus s’échappe. Si l’on ne fait pas recherche, ce risque disparaît, mais on ne trouvera pas de remède à la maladie. Pour affronter ce type de questions, un réseau de chercheurs motivés se constitue, désireux d’alerter et soucieux de trouver des gens qui donnent suite à cette alerte. C’est précisément mon rôle. J’en discute au Conseil externe à l’INRA où les consommateurs sont représentés. D’autre part, un comité d’éthique est aussi en cours de constitution. Il abordera les questions fondées sur l’évaluation économique et sociale. Il regardera notamment le clonage, ainsi que des quantités de choses en rapport avec l’agronomie et les relations science-société.

La mission de Georges Santini est d’offrir des biens et des services aux acteurs de la filière agro-alimentaire, avec en ligne de mire l’innovation et le progrès technique, économique et social, au service de l’agriculture durable. Les risques industriels concernent la nature des produits, leur fabrication et leur utilisation. Ils interviennent aux niveaux des produits, du personnel qui les manipule et de l’environnement. On distingue les risques réels des risques perçus. Les premiers sont liés à la dangerosité et à l’exposition aux produits. Il faut prendre acte des données scientifiques, assurer suivi, vigilance et prévision. Les risques perçus ont trait à l’émotionnel et à l’irrationnel. Les deux types de risque font partie du donné et doivent être pris en compte. Lorsque des informations sont divulguées, les facteurs importants sont la transparence, la crédibilité et la rapidité avec laquelle elles sont transmises. Deux grandes approches permettent d’affronter les risques : le développement de technologies les moins génératrices de risques possibles ; la diminution du facteur d’exposition. Cette deuxième approche implique d’accompagner le produit avec les acteurs impliqués lors de sa fabrication, de son utilisation et de sa destruction. Des recommandations sont formulées pour utiliser ces produits dans les meilleures conditions possibles. Enfin, la production est maintenue en conformité avec l’éventail réglementaire national et international (Ministère de l’environnement américain, UE, OMS, OCDE, etc.) et avec le code de conduite de la FAO. Au niveau des responsabilités, il faut rendre des comptes aux clients, aux employés, aux actionnaires.

Dominique Tricard évoque les systèmes généraux mis en place pour assurer la sécurité sanitaire. Quatre objectifs sont définis :
- la mise en évidence et l’identification du risque par un système de veille et d’alerte le plus amont possible ;
- l’analyse et la gestion de ce risque ;
- l’évaluation de l’efficacité des mesures prises ;
- une communication compréhensible pour la population. Plusieurs points sont importants.
Tout d’abord, le fait que le principe de précaution s’applique en cas d’incertitude. C’est pourquoi, pour gérer un risque, on déploie autant de scénarios possibles. Cela permet d’ouvrir le débat sur leurs avantages et inconvénients respectifs et rend les choix plus opérationnels. Les acteurs impliqués sont multiples. Dans le cadre de la veille sanitaire, le Ministère de la santé fait appel à l’administration centrale et à des services préfectoraux. La loi du 1er juillet 1998 sur le développement de la sécurité sanitaire met en place de nouvelles agences et un Institut de veille sanitaire. Les Ministères disposent également de conseils d’experts. Au niveau de la nécessaire information, cinq ans ont été nécessaires pour mettre en place un réseau d’information sur l’eau. Par exemple, il existe maintenant une carte des nitrates, qui est capable de prendre en compte l’évolution de la situation selon les saisons. En situation réelle, le facteur temps est très important : les phénomènes évoluent, la gestion induit des effets sur le phénomène réel et il faut gérer les inquiétudes du public qui arrivent très tôt, c’est-à-dire lorsque les informations font encore défaut. L’organisation du planning est particulièrement importante.

Catherine Labrusse-Riou évoque la notion de risque symbolique. La société fonctionne sur la ase d’une rationalité différente de celle du totalitarisme de la preuve expérimentale. Comment le droit peut-il identifier, organiser, gérer et intégrer ce risque venant des sciences ? le terme « symbolique » lui-même n’est pas claire. « Dans un sens symbolique, [le génome] est patrimoine de l’humanité », lit-on dans la déclaration sur le génome humain. Autant ne rien dire ! Par une fausse distinction classique, on dit qu’il n’y a rien de contraire à l’éthique dans le brevet, les problèmes se situant au niveau des applications. Jusqu’à présent, le système juridique intègre et contrôle donc en aval les services et produits qui émanent des innovations dites scientifiques. Dès les années 1950, la Cour de Cassation résout le problème du sang contaminé. On sait que le sang est un bien, objet de la responsabilité du fabriquant pour les vices cachés qu’il peut présenter. L’obligation de sécurité est attachée à l’obligation du vendeur, même si le produit fait l’objet d’une réglementation spéciale de son commerce. Conséquence de l’image d’une science posée en idole, reliquat de la théologie du progrès, le droit réagit à l’image de toute la puissance sacralisée de la science : il considère que l’incertitude scientifique n’est pas, pour les produits issus du corps humain, une cause de décharge de responsabilité. Les problèmes sont toutefois nombreux. Par exemple : un médecin a commis une erreur dans le conseil génétique d’un couple, qui met au monde un enfant portant le handicap héréditaire de son père. Ce dernier agit en responsabilité. L’enfant lui-même est alors indemnisé de son handicap, ce qui renvoie à une sorte de droit de ne pas naître ou de naître sain dès lors que le risque est prévisible. Sur ce cas, les juristes ont débattu de la logique linéaire de la responsabilité et de l’image de l’humain que renvoie une vie humaine institutionnellement considérée comme un préjudice. D’autre part, à moins d’instituer des contradictions majeures, on perturbe gravement le système juridique lorsque, d’un côté, on valorise à l’extrême la preuve biologique de la filiation par le diagnostic génétique et, de l’autre, on développe des systèmes de procréation non biologique via le don de gamètes. Autre danger grave, un document récent, émanant du Comité Consultatif National d’Ethique, recommande de revoir régulièrement la loi, mettant en cause la fonction stabilisatrice même de la loi, qui fixe des cadres qui permettent d’absorber le changement social, assurant par là son rôle structurant et pacifiant de la société. Cette assimilation du mouvement législatif au mouvement technologique pose problème. En réaction à tous ces problèmes, on voit, par exemple dans la déclaration de l’UNESCO et la convention sur la bioéthique et les droits de l’homme, s’opérer une remontée du droit vers l’amont qui remet en cause la liberté de la recherche à raison de ses retombées symboliques. Ce domaine, qui n’est pas encore mis en forme au plan juridique, vise à introduire un cadre éthique au financement de la recherche en mettant en cause cette distinction entre une recherche pure (pure de quoi ?) et des applications qui seules seraient susceptibles de faire l’objet du contrôle social.





Mis à jour le 07 février 2008 à 16:11