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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > TR 5 : Energie nucléaire : quelles orientations depuis 1997 en Europe ? >  Synthèse de la table ronde 5

Synthèse de la table ronde 5

Dominique Auverlot, Directeur général adjoint de l'ANDRA; Yannick Barthe, Ecole des Mines de Paris; Jacky Bonnemains, Président de l'Association Robin des Bois; Jean-Pierre Chaussade, conseiller technique chargé de la communication sur l'environnement et le nucléaire EDF; Hans Gutbrod, Directeur du laboratoire Subatech de Nantes; Jean-Paul Schapira, directeur de recherche au CNRS/IN2P3

Biographies :

BONNEMAINS Jacky , BARTHE Yannick , GUTBROD Hans Herbert

Compte rendu :

Transcription :


24 octobre 1998 TR5


Synthèse de la table ronde 5 :



Les premiers entretiens de Brest, en 1997, ont longuement évoqué l’épineuse question des déchets radioactifs à haute activité à durée longue. Un an plus tard, cette table ronde esquisse un état des lieux. Dominique Auverlot aborde la question en tant que représentant de l’ANDRA, Yannick Barthe, le renouvellement des rapports science – société que cette controverse engendre, Hans Gutbrod, la prise en compte de l’environnement dans l’évaluation du nucléaire, Jean-Paul Schapira, le contexte économique dans lequel se trouve l’industrie nucléaire, Jean-Pierre Chaussade l’énergie dans le monde et Jacky Bonnemains porte son regard sur l’ensemble du débat.

Pour Dominique Auverlot, « la loi de 1991 relative à la gestion des déchets radioactifs de haute activité et à vie longue semble doublement exemplaire dans son traitement d’un problème environnemental :
- au lieu de décider, dès 1991, d’une solution à une problématique environnementale, elle fixe au Parlement un rendez-vous en 2006 et impose des recherches jusque-là ;
- elle associe le politique, le scientifique et le citoyen pour résoudre au mieux cette question.
Que faire aujourd’hui ? Permettre à la recherche d’effectuer un saut de connaissance en autorisant la construction de laboratoires souterrains pour mieux comprendre les propriétés des couches géologiques envisagées ; c’est d’ailleurs le sens de l’Agenda 21 qui recommande aux gouvernements « d’encourager toute recherche scientifique susceptible d’améliorer notre compréhension de l’environnement.
Il lui paraît enfin souhaitable d’évoquer, à l’international, le traitement de cette question par les Canadiens.
Une commission environnementale, qui a travaillé de 1991 à 1998, vient en effet de rendre ses conclusions ; elle souhaite :
- une décision de politique générale sur ce sujet,
- la création d’une agence nationale pour traiter ce problème,
- l’examen de plusieurs pistes de recherche,
- la consultation des populations locales,
- la création d’une commission d’experts scientifiques pour contrôler le processus.
Tous ces principes, déjà appliqués en France dans le cadre de la loi de 1991, en montrent la formidable modernité.

Yannick Barthe place l’enjeu de la gestion des déchets radioactifs dans l’univers de la controverse. Le choix du stockage des déchets en couches géologiques profondes a provoqué en France une crise des rapports traditionnels entre « experts » et « profanes » et des modes d’action publique privilégiés dans ces domaines. Cette crise émerge à la fin des années 1980 au moment des tentatives d’implantation de laboratoires souterrains. Si les conflits dans le domaine nucléaire ne sont pas nouveaux, les controverses locales qui font rage au sujet de l’enfouissement présentent des particularités. Dans les années 1970, les affrontements étaient idéologiques. La contestation se focalisait sur la société industrielle, sur l’idéologie du progrès. Avec des déchets radioactifs à haute activité, les arguments sont aussi économiques (par exemple, la détérioration de l’image de marque des produits agricoles sur les sites de stockage), éthiques (invocation de la responsabilité à l’égard des générations futures), procéduraux (critique du manque de consultation lors de la prise de décision). Cette pluralité des registres argumentaires a pour corollaire une prolifération des portes-parole qui interviennent dans la controverse. Ces conflits rendent visibles les incertitudes liées au stockage et mettent en crise un modèle traditionnel de traitement politique de ces questions.
Ce modèle – (1) décision centrale ; (2) adaptation locale – ne fonctionne plus.
La loi de 1991 apparaît dès lors comme une tentative de gestion de cette situation. Elle comprend une diversification des options de recherche, un processus de consultation et un décloisonnement des arènes de débats.

Hans Gutbrod travaille sur la production d’une énergie nucléaire propre. Il estime criminel de brûler, comme c’est le cas actuellement, les réserves d’énergie fossile, en particulier de pétrole et de charbon. L’Inde et la Chine ont les mêmes droits et obligations liés à l’utilisation de ces ressources. Le nucléaire fournit une alternative. Il fait l’objet d’une recherche dans tous les domaines. Au contraire de l’Allemagne, qui rejette le nucléaire, le programme Gédéon, en France, a pour but la maîtrise de cette technologie. Une partie de la recherche vise à casser les isotopes radioactifs en couplant un accélérateur de particule à un réacteur nucléaire. Ce système, « sous-critique », ne peut pas s’emballer comme le réacteur de Tchernobyl. Les physiciens savent simuler ce système. Il est aussi techniquement possible de le transférer. Sur ce projet, nous collaborons avec le CERN, à Genève, ainsi qu’avec des équipes en Espagne et en Italie. La Chine et la Russie développent des idées similaires.

Pour Jean-Paul Schapira, la question du nucléaire ne se résume pas à celle des déchets : il s’agit d’une stratégie industrielle qui intéresse les compagnies d’électricité. Or, la libéralisation et la mondialisation des échanges changent le contexte du marché de l’électricité. Face au gaz, qui offre une forte compétition, la stratégie du nucléaire s’inscrit dans la guerre économique que se livrent les producteurs. L’industrie nucléaire doit affronter trois enjeux. Tout d’abord, le parc : alors qu’investir dans de nouvelles centrales représente un coût considérable, la vie des centrales existantes peut être prolongée au-delà des 25 ans prévus, en sorte de produire un kWh au coût marginal. Ensuite, l’industrie nucléaire doit diversifier la recherche sur les combustibles irradiés. L’entreprise britannique BNFL effectue une recherche à long terme. En France, le plutonium est recyclé sous forme du composé MOX, qui ne peut pas être recyclé une seconde fois. Il ne s’agit donc pas d’une réponse satisfaisante. Quant à l’entreposage, il soulève la question de la réversibilité, au cas où des percées technologiques apparaissent : Gédéon travaille sur la transmutation des déchets. Enfin, troisième enjeu, le contexte général : comment répondre aux engagements de Kyoto ? Le nucléaire offre-t-il un élément de réponse ? L’Allemagne fait-elle le bon choix ? Et, bien entendu, tout cela doit être pris en compte dans le contexte de la situation générale des ressources énergétiques disponibles.

Pour Jean-Pierre Chaussade, la question de l’énergie est un enjeu mondial qui doit faire l’objet d’une réflexion mondiale. Il affirme que le paysage mondial de l’énergie changera totalement d’ici 2020. La Chine, en particulier, consomme des quantités considérables d’énergie. Environ 1,5 milliards de chinois, consomment, en moyenne, une tonne de charbon par an. Or, les réserves sont localisées dans le nord-ouest de la Chine, alors que la consommation se concentre au sud-est du pays. Conséquence : la moitié du charbon consommé sert à transporter la seconde moitié. Cette situation est intenable avec une augmentation annuelle de la consommation de l’ordre de 5 à 8%. Il est impératif d’améliorer l’efficacité de la consommation énergétique. Au plan mondial, l’accord principal est le suivant : pour faire face à l’augmentation des besoins et à la pollution planétaire qui provoque l’effet de serre, il faut développer toutes les énergies. A l’heure actuelle, le nucléaire représente 4% de la consommation mondiale totale et les énergies renouvelables 18%. Conclusion : il faut développer l’industrie nucléaire, seule à même de concilier développement et environnement.

Jacky Bonnemains précise que l’Association qu’il préside, Robin des Bois, n’a strictement rien à voir avec le parti politique de Dominique Voynet qui, la veille, annonçait, dans le quotidien Libération, envisager, dans le contexte de la sortie du Gouvernement Allemand du nucléaire, la même éventualité, à terme, pour la France. Dès le début de notre implication à Greenpeace, à La Hague, à Robin des Bois, nous soutenions que les sarcasmes des écologistes sont insuffisants et qu’il faut diversifier les sources d’énergie. Mais il n’y avait pas et il n’y a toujours pas de débat à l’Assemblée Nationale sur cette question. Toutes les sources d’énergie sont polluantes. L’exploitation du gaz, de 1850 à 1960, a pollué 800 sites en France, qui ne sont toujours pas réhabilités. En 1947, un bateau a explosé à Brest près d’une usine à gaz. La pollution engendrée par cette explosion n’a toujours pas été nettoyée. Le gaz, le pétrole, le nucléaire : tout pollue. Sur le site de Brennilis, par exemple, rien n’est clair. Il y a sur ce site des millions de tonnes de déchets radioactifs, dont des déchets à très haute activité. Il faut régler cette situation rapidement, le stockage de ces déchets qui présente des risques majeurs : ils sont en contact avec l’humanité. Il peut donc y avoir des intrusions, des actes de malveillance, des pertes de confinements, etc.


DISCUSSION

Pour ouvrir le débat, Jean Rosmorduc demande de ne pas enfermer le débat dans l’alternative entre énergie nucléaire et énergie fossile : il y a d’autres façons de poser le problème.

Jacky Bonnemains est d’accord. Mais un intervenant, dans la salle, de Bretagne Eolienne, rappelle que si on ne diversifie pas, c’est à cause des barrières tarifaires. Il s’adresse à Jean-Pierre Chaussade et lui demande : EDF va-t-il encourager une diminution des coûts des éoliennes ? Les propositions, dans ce domaine, sont de plus en plus intéressantes, même si la qualité du vent est primordiale.

Pour un représentant de l’ADEME régionale, les réalisations ne suivent pas les propositions à cause du principe de l’appel d’offre.

Le modérateur rappelle que le débat porte sur le nucléaire, qui a fait l’objet des six présentations. Hans Gutbrod affirme que la transmutation des déchets préserve les générations futures. Yannick Barthe répond que les générations futures sont d’ores et déjà engagées par le stockage en profondeur. Jacky Bonnemains indique qu’il a participé aux auditions de 1991 : Robin des Bois est très favorable à la recherche d’autres solutions.

Jean-Paul Schapira informe que, face à la libéralisation du marché, il est possible de mettre un label vert sur l’électricité, en fonction de la manière dont l’énergie est produite. Au Royaume-Uni, en Hollande, on appelle cela « Green pricing ».

Enfin, Pierre Lascoumes intervient pour signifier que le point principalement en débat est la question de l’acceptabilité, sociale d’une part, temporelle d’autre part : quand sera-t-on capable de trancher ? A entendre les différents intervenants, il est impossible de décider. Que fera-t-on en 2006 ?





Mis à jour le 26 février 2008 à 14:55