logo entretiens Energies de la mer bandeau entretiens Science et Ethique
M E N U

Année :



Veilles internationales
Informations du 28/03/2024

Energies de la mer
www.energiesdelamer.eu

energiesdelamer.eu vous souhaite un bon week-end de 15 août


1997 : L’industrie nucléaire civile, les OGM > Débat France Culture : L'osédante question des déchets nuclaires >  Discours de Hervé Kempf : L'entreposage, provisoirement définitif? Faute de stockage profond, l'entreposage permet d'attendre et de voir venir

Discours de Hervé Kempf : L'entreposage, provisoirement définitif? Faute de stockage profond, l'entreposage permet d'attendre et de voir venir

Journaliste à La Recherche, Membre du Conseil Supérieur de la Sûreté et de l'Information Nucléaire (CSSIN)

Biographie :

KEMPF Hervé

Compte rendu :

Transcription :


17 octobre 1997 Débat public France Culture : L'obsédante question des déchets nucléaires


Discours de Hervé Kempf :


Avertissement : Ce texte a été publié dans le numéro spécial de La Recherche de septembre 1997, consacré aux déchets nucléaires.


Le moins souvent évoqué des modes de gestion des déchets nucléaires est bizarrement celui auquel on recourt le plus : l'entreposage en surface. Il ne s'agit bien sûr que d'une solution en attente d'une issue définitive. Mais comme ni le stockage profond ni la transmutation ne semblent en passe de s'imposer dans un avenir prévisible, il est raisonnable de s'intéresser à ce provisoire qui risque de durer. La loi française de 1991 ne s'y est pas trompée, qui a intégré l'entreposage de longue durée comme l'un des axes de recherche à poursuivre.

Les techniques d'entreposage suscitent un intérêt croissant chez les producteurs d'électricité nucléaire et les chercheurs, qui se demandent comment prolonger cette solution provisoire au-delà des quelques décennies de tranquillité qu'elle offre actuellement. Selon la définition proposée par la Convention sur la sûreté de la gestion des combustibles usés et des déchets radioactifs, en cours de négociation, l'entreposage désigne le "placement de déchets dans une installation avec l'intention de les reprendre", par opposition au "stockage" qui n'intègre pas, du moins le plus souvent, d'intention de reprise. En pratique, alors que le stockage est supposé rester stable pendant au moins dix mille ans, l'entreposage vise le demi-siècle ou le siècle.

Les procédés d'entreposage doivent satisfaire trois contraintes : confiner la matière radioactive, évacuer sa chaleur, protéger les employés et le public. Plusieurs approches remplissent ces objectifs : on peut mettre les matériaux nucléaires en piscine, en remplir des conteneurs placés dans des puits de béton ou les loger dans des emballages.renforcés rangés dans des hangars d'architecture simple. Avant de définir les principales caractéristiques de ces méthodes, il faut noter qu'elles concernent différents types de déchets.

Il y a d'abord les combustibles usés, qui constituent sur le plan mondial la plus grande quantité de déchets. Ils se présentent sous forme de "crayons", sortes de tiges entourées d'une gaine de zirconium. Leur dimension est variable selon les filières. Ce sont les seuls à pouvoir baigner sous l'eau, dans laquelle ils sont maintenus par des râteliers d'acier inoxydable. Dans les pays qui ont choisi l'option du retraitement, les produits de fission forment une deuxième catégorie de déchets. Comme le combustible usé, ils dégagent beaucoup de chaleur et sont très irradiants ; ils sont vitrifiés dans des cylindres de 20 à 25 cm de diamètre sur un mètre de long, en acier inoxydable réfractaire contenant 150 litres de verre et bouchés par un couvercle soudé. Troisième catégorie de déchets à entreposer : les coques et embouts séparés au cours du retraitement. Enfin, l'uranium issu du retraitement, qui représente en France des milliers de tonnes, est entreposé dans des fûts d'acier assez peu sophistiqués abrités dans des hangars.

La piscine est la solution universelle d'entreposage des combustibles en sortie du réacteur. Ceux-ci émettent en effet énormément de chaleur, et la submersion permet de les refroidir en quelques années jusqu'à un niveau acceptable. Les piscines de déchets nucléaires sont des enceintes sophistiquées. Un circuit de pompes fait circuler l'eau pour évacuer les calories par un échangeur de chaleur. Il faut de plus vérifier la qualité de l'eau, au moyen de résine échangeuse d'ions, afin de détecter les fuites de matière radioactive. Le combustible est généralement étanche, mais l'on estime qu'environ un crayon sur cent mille fuit. II peut aussi arriver que la gaine d'un crayon se rompe et que de l'iode et du césium s'échappe Enfin, des particules de cobalt radioactif, fixées à la surface des crayons lors de leur séjour en réacteur peuvent tomber au fond de la piscine.

Une piscine d'entreposage est donc une installation technique élaborée et coûteuse. On tend à en augmenter la capacité en densifiant les combustibles, grâce à des râteliers constitués d'un acier contenant davantage de bore : ils peuvent ainsi absorber plus de neutrons – le rôle même dévolu à l'eau -, et on peut les rapprocher les uns des autres. Malgré ce progrès, les opérateurs ne s'en tournent pas moins, à mesure que les piscines approchent de la saturation, vers des solutions d'entreposage à sec, plus économiques.

Deux combinaisons sont possibles: conteneur très élaboré et bâtiment simple, ou conteneur simple et bâtiment élaboré.

L'entreposage à sec consiste essentiellement à enfermer le déchet dans un conteneur étanche placé ensuite dans un bâtiment sans dispositif actif, si bien que seule une surveillance minime sera requise. Deux combinaisons sont possibles : conteneur très élaboré et bâtiment simple, ou conteneur simple et bâtiment élaboré. Dans la première combinaison, le conteneur est un "château" solidement bâti pesant quelque cent tonnes. Les premiers châteaux ont été conçu pour le transport du combustible irradié ; on les a ensuite adaptés au transport de produits de fission et, depuis peu, à l'entreposage direct. Un château se présente comme un cylindre de plusieurs enveloppes (acier pour absorber les rayons gamma, résine borée pour absorber les neutrons) contenant un râtelier dans lequel on glisse les barres de combustible. Des couvercles boulonnés ou soudés assurent l'étanchéité. L'emballage est conditionné sous hélium. Des ailettes en cuivre traversent les enveloppes pour accroître la surface d'échange de chaleur avec l'atmosphère et faciliter l'évacuation thermique. Structure et matériaux sont calculés pour optimiser cette évacuation, mais aussi pour satisfaire aux normes de résistance aux chutes et aux incendies, normes définies par l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique. On peut moduler ce concept : par exemple, l'emballage TN 24 de Transnucléaire (une filiale de Cogema) est démuni d'ailettes, parce que ses clients belges y placeront des combustibles très refroidis.

Comme on considère que le château assure à la fois le confinement du matériau et la protection radiologique, on peut l'entreposer dans des bâtiments relativement frustes, comportant un socle de béton, une ventilation naturelle, et où la manutention est aisée puisque la protection assurée par l'emballage limite les risques encourus par les employés. Cette solution a notamment été choisie par l'Allemagne dans son entrepôt de Gorleben. Elle présente l'avantage de faciliter l'éventuel déplacement ultérieur des déchets.

L'autre méthode d'entreposage à sec consiste à placer le conteneur de déchets dans un puits de béton assurant la protection radiologique, la chaleur étant évacuée par une convection facilitée par le dessin des structures des puits et du bâtiment. Un procédé apprécié des électriciens américains, appelé Nuhoms, est développé par la société californienne Vectra Technologies, et proposé dans le reste du monde par une filiale de Framatome, Atea. Le combustible est placé dans un conteneur, lui-même emboîté ans un château qui assure son transport hors de la piscine vers un silo de béton. Là, le conteneur est extrait de l'emballage et inséré horizontalement dans le silo. Celui-ci intègre des ouvertures laissant pénétrer l'air extérieur et la surveillance est réduite au minimum, sous forme d'une visite hebdomadaire mesurant la radioactivité et la chaleur. En France, Cogema, à La Hague, et le C.E.A., à Marcoule, ont bâti des systèmes de puits verticaux selon le même principe, mais à une échelle beaucoup plus grande. A La Hague, un bâtiment compte ainsi deux mille puits, dont chacun accueille treize conteneurs, soit environ vingt-cinq tonnes de matière nucléaire usée ou un an de fonctionnement de réacteur.

Les caques et embouts, eux, émettent peu de chaleur, ce qui facilite leur entreposage. On les noie dans du coulis de ciment et on les place dans des alvéoles de béton. Ce procédé va être abandonné au profit d'une technique permettant de gagner de la place, le compactage à haute pression. Après compactage, ils seront dans des conteneurs étanches dont les spécifications ne sont pas encore fixées.

Les spécialistes affirment que la sûreté des entreposages est assurée sur une cinquantaine d'années. Comme la radioactivité décroît, soulignent-ils, on conçoit mal qu'il y ait une dégradation brutale du confinement. Si une fissure apparaissait dans le béton, on pourrait assez facilement l'envelopper de métal. On n'envisage donc pas de problème insoluble, à condition que tout incident soit pris à temps, ce qui suppose une surveillance continue. La recherche, encouragée en France par la loi qui recommande cette étude sur "une longue durée" vise donc essentiellement à prolonger d'un demi-siècle à un siècle et plus la fiabilité des entreposages. Une question qui peut se formuler autrement : jusqu'à quand peut-on reprendre sans difficulté un déchet entreposé en piscine ou en puits ? Cette question ne se pose pas pour les matériaux emballés en château, qui ne sont pas destinés à en être extraits. Ce qui implique, incidemment, qu'il faut concevoir des sites de stockage profond capables d'accueillir des pièces de près de cent tonnes.

Sous eau, les gaines sont fragilisées par ce qu'on appelle l'hydruration : l'irradiation du combustible entraîne une hydrolyse de l'eau, qui génère de l'hydrogène, lequel peut s'immiscer dans les gaines. Autre phénomène étudié : l'oxydation des embouts du combustible. Les chercheurs s'interrogent aussi sur le vieillissement du combustible MOX, sur lequel on a peu d'expérience d'entreposage en piscine, mais qui pourrait se comporter différemment du combustible usé d'uranium (uox), puisqu'il refroidit plus lentement : est-ce que l'état de ses gaines permettrait de le reprendre au bout de 120 ans ? Du fait de cette charge thermique différente, il faut en fait concevoir différemment les installations pour uox et pour MOX.

Le problème se pose autrement dans le cas de l'entreposage à sec, où il faut parer au fluage des gaines de combustible produit par fatigue thermique. La température acceptée en surface des gaines est aujourd'hui de 350°C. Cela convient-il pour une durée d'entreposage de près d'un siècle ? Mais certains évitent la question, en considérant que l'emballage est définitif et que l’on n'a pas à prévoir de retirer le matériau qu'il contient. C'est le choix des Allemands de Gorleben : an peut garantir que l'eau ne pénétrera pas dans le bâtiment surveillé pendant un ou deux siècles. Et le calcul de corrosion indique que l'acier des châteaux, épais d'une trentaine de centimètre,s ne se corrode que d'une dizaine de centimètres par millénaire s'il y a contact avec l'eau.

Cette diversité d'attitudes illustre le choix fondamental impliqué par le mode d'entreposage : soit l'on prévoit des conteneurs qui devraient durer plusieurs siècles, mais à l'intérieur desquels les processus de dégradation radioactive empêcheront toute reprise à l’échéance ; soit l'on conçoit des conteneurs permettant une reprise du matériau à l'échéance d'un siècle afin de lui appliquer les nouvelles techniques qui auraient été mises au point d'ici là : on peut en effet imaginer que l'on saura mieux comment en réduire le volume, voire le transmuter, ce qui est important étant donné le coût très élevé du stockage en profondeur. Cette dernière approche est celle adoptée par les professionnels français.

Un des volets les plus importants de la recherche en entreposage est enfin l’étude de nouvelles matrices de conditionnement des déchets de retraitement. Les chercheurs espèrent parvenir à mettre au point des matrices à base de roches phosphatées qui pourraient confiner les radionuclides isolés au cours du retraitement. On pourrait alors prévoir des conditionnements propres à chacun. Cette voie ouvre une conception différente du conditionnement : si, par exemple, l'apatite se révèle un bon piège pour le césium, on pourrait en faire un matériau de blocage à l'intérieur du conteneur, qui piégera sélectivement ce radionucléide, facilitant d'autant la tenue du stockage dans la durée.





Mis à jour le 08 février 2008 à 14:54