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1997 : L’industrie nucléaire civile, les OGM > Débat France Culture : Le citoyen et la science >  Synthèse du débat public

Synthèse du débat public

Débat public animé par Patrice Gélinet (France Culture) et Catherine Vincent (La Recherche)
Jean-Yves Le Déault, député de Meurthe et Moselle, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, rapporteur de l'étude en cours au sein de l'Office "De la connaissance des gènes à leur utilisation"
Arnaud Apoteker, scientifique, Greenpeace
Francine Casse, professeur d'Université, membre de la Commission du génie biomoléculaire INRA ENSAM Montpellier
Etienne Klein, physicien, CEA auteur de livres de vulgarisation scientifique
Véronique Le Roy, juriste, membre du Centre de Droit des obligations, Université Paris I
Alain Pompidou, professeur de médecine (INSERM), député européen, membre du Comité d'Ethique de Human Genome Organization (HUGO)

Compte rendu :

Transcription :


18 octobre 1997 Débat France Culture : Le citoyen et la science


Synthèse :



Du maïs produisant son propre insecticide, du colza résistant aux herbicides, des tomates capables de mûrir moins vite : dix ans après leur naissance annoncée, les plantes génétiquement manipulées quittent les laboratoires. Aux Etats-Unis, ces variétés transgéniques sont déjà cultivées sur des millions d’hectares. En Europe, les premières autorisations de mise sur le marché sont imminentes.

Qu’apporteront à l’agriculture ces plantes "high tech" ? Faut-il croire les écologistes, pour qui ces manipulations menacent l’environnement et l’avenir des biopesticides ? les consommateurs peuvent-ils sans danger absorber des produits contenant tout ou partie de ces "organismes génétiquement modifiés" ? En pleine crise de la "vache folle" et sur fond de guerre commerciale avec les Etats-Unis, le dossier des plantes transgéniques pose un redoutable casse-tête aux responsables européens.

Jean-Yves Le Déault remarque qu’il y a eu ces dernières années un divorce entre citoyens et scientifiques. Les conséquences de la maladie de la "vache folle", du nucléaire, font peur et amènent le public à douter de plus en plus de la parole du scientifique. Pourtant la science connaît actuellement, grâce à la génétique, le "logiciel" du vivant. Quel usage doit être fait de ce savoir ? L’idéal serait de construire une autre science basée sur le scientifique et le citoyen. Actuellement, la science communique un peu tout azimut. Certaines associations reprennent ces sujets pour leurs idéologies, le débat n’a pas lieu, le citoyen n’est pas correctement informé et rien n’avance.

Etienne Klein constate que les sciences occupent une place très importante dans des prises de décision qui ont des retombées directes sur notre société. D’où l’idée commune que les sciences sont ce qui permet de trancher, de résoudre les questions compliquées d’une façon fiable et objective. Or les sciences ne permettent pas toujours de trancher. Le plus souvent, elles ajoutent de la perplexité et compliquent les questions. D’où un certain malentendu à propos du rôle des experts. Un des axiomes implicites de la démocratie est que plus le débat est public, et plus on a de garanties que le partage a bien lieu (qu’il s’agisse de partage du pouvoir, du savoir, de l’information, des responsabilités). Les savoirs scientifiques doivent donc être partagés, ce qui implique une vulgarisation de qualité. Le problème est que la relation entre savoir et société est devenue beaucoup plus compliquée que ce que l’on entend habituellement par vulgarisation. L’explication pédagogique des résultats n’épuise pas l’ensemble des situations où les savoirs, le rôle des spécialistes, le statut d’expert sont tour à tour sollicités, controversés ou plébiscités de façon ambigüe. Prenons l’exemple de Superphénix : son arrêt n’a pas été précédé de plus de débats que la décision de le construire. En vingt ans, la situation n’a donc guère évolué. Les scientifiques sont au centre d’un paradoxe : lorsqu’ils mettent en avant les applications de leurs recherches, on leur reproche de jouer aux apprentis sorciers ; lorsqu’ils disent ne faire que de la recherche "fondamentale", on leur demande à quoi ils servent.

Pour Alain Pompidou il existe deux mondes : celui du scientifique pour qui le doute est mobilisateur et celui du citoyen où le doute fait peur. Le rôle du politique est d’écouter les deux mondes et de réaliser un arbitrage. Il faut arriver à une implication de tous dans la décision avec des débats qui reflètent les objections afin d’éviter un consensus mou. L’implication des citoyens et du politique est indispensable, les découvertes scientifiques concernent directement leur futur par ses applications. La science avance par elle même, il faut donc que les scientifiques sortent de leurs laboratoires pour expliquer. Il importe également de développer une perception des risques. Il est donc nécessaire d’appliquer le principe de précaution sans pour autant interdire les expériences, mais en demandant beaucoup de vigilance.

Francine Casse rappelle qu’il est souvent difficile pour les scientifiques de se faire comprendre. S’il est indispensable que ceux-ci se mettent au niveau du citoyen, il faudrait également que l’inverse soit vrai et que le public intéressé fasse l’effort de comprendre les arguments des scientifiques, avant de les accepter ou de les rejeter. La Commission du Génie Biomoléculaire se prononce sur les risques des O.G.M. L’avis se fait au consensus, ce qui veut dire qu’il y a eu de longues discussions avant d’arriver à une solution qui reflète un compromis entre toutes les idées. Il n’y a pas de vote, c’est une adhésion de tous.

Pour Véronique Le Roy le principe de la Commission du Génie Biomoléculaire est bon, mais le fonctionnement de certaines de ses commissions se fait un peu trop dans le secret : il n’y a pas assez de transparence.

Arnaud Apoteker surenchérit et à son avis les onze scientifiques de la Commission du Génie Biomoléculaire sont très spécialisés dans leur domaine : la biologie moléculaire. Il y a peu de spécialistes des mauvaises herbes ou de l’écologie de l’environnement. De plus, comment la population peut-elle juger quand les scientifiques ne sont pas d’accord ? La science avance dans un contexte de lois et de marchés. Pour la recherche en génétique, les investissements proviennent de grands groupes industriels. Le problème est que trop souvent, l’argent n’est investi que dans le projet (exemples : le nucléaire, les centrales) et rien n’est fait à côté (information du public, traitement des déchets...).

Catherine Vincent pose la question à propos de quelques exemples d’O.G.M. tels que la tomate, le maïs, le soja. Les Etats-Unis en cultivent déjà des millions d’hectares. En Europe, à l’heure où l’on en parle, il y a une autorisation pour la consommation humaine mais pas pour la production. Il existe un réel manque d’informations. Que peut faire le consommateur pour éviter les O.G.M. dans son assiette ?

Francine Casse rappelle que les O.G.M. sont issus de produits de laboratoire. Il y a beaucoup de confusions et de généralisations abusives quant aux risques issus de ces organismes. Le génie génétique fait peur, alors que ce n’est qu’une technique de plus pour l’amélioration du végétal. Les chercheurs ne sont qu’aux débuts des recherches et de l’utilisation de ces techniques qui vont certainement connaître de grands développements. Pour le problème du maïs résistant à la pyrale, la surveillance des essais aux champs a permis de ne déceler aucun problème, et d’utiliser moins d’insecticides. Cette plante ne présente donc aucun risque. Maintenant, pour les O.G.M. présentant un gène de résistance à un herbicide, un principe de biovigilance et une étude sur les risques sont indispensables. Mais si les gens souhaitent pouvoir choisir entre les O.G.M. et les autres produits, l’étiquetage des O.G.M. et des produits qui en contiennent doit être mis en place.

Jean-Yves Le Déault reprend la parole pour préciser qu’auparavant il y avait un "grand amour" entre la science et le citoyen mais maintenant il y a "divorce". Le politique, compte tenu du foisonnement de l’information, doit faire émerger la vérité. Pour cela, il doit favoriser les rencontres entre experts et contre-experts et organiser le débat public. Jean-Yves Le Déault prend comme exemple le nucléaire en expliquant que les gens ne comprennent pas que Greenpeace et Cogema donnent des informations différentes. Greenpeace a une stratégie : bloquer tout le nucléaire en bloquant un maillon. Superphénix a coûté très cher. Il est temps d’avoir un débat démocratique autour des problèmes de l’énergie. Pour les O.G.M. l’avantage des plantes résistantes à un herbicide est que les firmes qui commercialisent ces produits vendent également les désherbants. Il existe actuellement des problèmes de population qui provoqueront à plus ou moins court terme des problèmes de nutrition. C’est une situation qu’il faudra régler : pourquoi pas avec des O.G.M. ? La controverse sur le maïs transgénique provient de la décision contradictoire du gouvernement français, quant à sa culture et à sa commercialisation. La population a donc des craintes pour son alimentation et sa santé. Le rôle de l’éthique est d’évaluer le danger des O.G.M. sur les citoyens.

Véronique Le Roy retrace la chronologie des autorisations de commercialisation du maïs. Celles-ci sont arrivées après le problème de la maladie de la "vache folle". Les autorisations prises antérieurement sont passées inaperçues. La réglementation sur les O.G.M. n’est peut-être pas insuffisante, mais insuffisamment mise en oeuvre. La population est prête à prendre des risques pour se soigner à l’aide d’O.G.M., mais pas pour se nourrir. Il faut donc dissocier le domaine de la santé du domaine alimentaire. Actuellement, le citoyen ne voit pas l’intérêt d’avoir des O.G.M. dans son assiette. Si les grandes firmes, pour répondre aux problèmes de la faim dans le monde, avaient commencé par des aliments résistants à la sécheresse, elles auraient été plus crédibles et les O.G.M. mieux acceptés.

Arnaud Apoteker indique que les campagnes de Greenpeace commencent par des coups de colère, mais que Greenpeace propose aussi des solutions. Il compare les attitudes des industriels pour le nucléaire et les O.G.M. La science obéit aux lois du marché, par le biais du financement des recherches par les industriels. Tous les crédits ont été mis dans le nucléaire et il n’est resté que des miettes pour l’éolien et le solaire. "Au-delà du scientifique, il y a des choix de société". A son avis, en ce qui concerne les plantes transgéniques cultivées actuellement, l’attitude des industriels montrent bien que ceux-ci ne cherchent pas à résoudre le problème de la faim dans le monde. Pour Arnaud Apoteker la mise au point d’O.G.M. à valeur "écologique" (par exemple une plante résistant à la sécheresse), n’est pas encore envisageable. "On est loin (au moins une dizaine d’années) de savoir les faire et les commercialisations actuelles sont inutiles dans cette perspective. Je ne dis pas que les O.G.M. soient systématiquement dangereux pour notre santé. Mais, la décision de M. Alain Juppé est paradoxale. Pour éliminer la peur des consommateurs, il faut les informer mais nous observons que le niveau d’opposition aux plantes transgéniques augmente proportionnellement à la connaissance du public sur le sujet. Il ne s’agit donc pas simplement d’un déficit de connaissances pour expliquer l’opposition aux O.G.M.".

Reprenant la parole, Alain Pompidou tente de mettre en évidence la position du chercheur. Pour lui l’incertitude est mobilisatrice pour les scientifiques mais elle est source d’inquiétude pour le public. Il faut distinguer la science de ses applications. La science avance toute seule, elle est très difficilement contrôlable ; le citoyen et le politique doivent s’impliquer en ce qui concerne les applications. Il donne l’exemple de Superphénix qui a été créé initialement dans un but expérimental, mais qui de son avis a été utilisé trop tôt à des fins commerciales. Pour la biotechnologie, il existe une spécificité de terrains et de modalité d’agriculture. Il y a près d’un an que le maïs transgénique est interdit en France et il n’existe pas d’études sur sa culture et ses modalités de cultures. En matière de protection d’inventions et de brevetabilité du vivant, les lois ont été rejetées à cause de Greenpeace qui a présenté l’accès aux gènes humains et leur utilisation comme une tentative de "dépeçage". Ceci a permis de revoir le projet de directive européenne, ce qui est bien sur le plan de l’éthique, mais le problème est que les gros capitaux sont partis aux U.S.A. menaçant ainsi l’emploi en Europe.

Une personne du public fait part de ses interrogations : "comment croire les experts puisqu’ils ne peuvent pas voir à long terme ? Une expertise doit être pluridisciplinaire, contradictoire... Ce n’est pas le cas. Il faut de la vigilance, de la transparence dans tout ce que font les experts, en ce qui concerne ce que le public sait, mais surtout ce qu’il ignore". Véronique Le Roy répond que si les experts savaient à quoi s’attendre avec les O.G.M., il n’y aurait pas de problème. Il convient donc de mettre en oeuvre le principe de précaution, ce qui ne veut pas dire immobilité : il faut au contraire agir dès maintenant et améliorer le pluralisme dans l’expertise par une plus grande représentation de tous les acteurs.






Mis à jour le 14 février 2008 à 11:08