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1997 : L’industrie nucléaire civile, les OGM > Débat France Culture : Le citoyen et la science >  Discours de Véronique Le Roy : OGM et transparence

Discours de Véronique Le Roy : OGM et transparence

Juriste, membre du Centre de Droit des obligations, Université Paris I

Biographie :

LE ROY Véronique

Compte rendu :

Transcription :


18 octobre 1997 Débat France Culture : Le citoyen et la science


Discours de Véronique Le Roy :



L'encadrement juridique du génie génétique mis en place en Europe en 1990 a ceci de particulier qu'il commande, en théorie, une nouvelle attitude des pouvoirs publics face aux risques potentiels d'une technologie nouvelle. Dans la majorité des situations, les risques associés à une technologie nouvelle n'étaient pris en considération et révélés au public que lorsque le danger qu'ils représentaient s'était matérialisé par la survenance d'un dommage : les pouvoirs publics imposaient alors des mesures de prévention pour éviter qu'à l'avenir un tel dommage ne se reproduise. Il s'agissait là d'une culture du risque a posteriori considérant que l'absence de preuve de l'existence d'un danger équivalait à une absence de risque. Tant que l'incertitude relative aux effets d'une technologie nouvelle perdurait, le procédé qu'elle mettait en oeuvre pouvait se développer selon les règles classiques de la compétitivité, les contraintes n'apparaissant que très en aval lors de la mise sur le marché des produits. Par ailleurs, ce développement des procédés s'effectuait largement dans la confidentialité, sans qu'il soit jugé utile d'y associer le public.

L'apparition du génie génétique a conduit à prendre quelques distances par rapport à cette attitude classique. Alors même que le génie génétique n'était encore qu'un outil de laboratoires, les scientifiques eux-mêmes ont décidé d'alerter l'opinion publique sur les risques potentiels inhérents à leurs recherches et adopté une attitude prudente dans la conduite de ces dernières sans attendre l'apparition d'un dommage. Le terme de "manipulations génétiques" alors employé et les incertitudes entourant les effets de cette capacité à intervenir directement sur le vivant suscitèrent l'émoi et l’inquiétude de l'opinion publique, souvent sous-informée, de certains pays. On a alors craint qu'à l'instar de ce qui était en train de se produire en matière d'énergie nucléaire, ces peurs – qualifiées d'irraisonnées par les promoteurs du génie génétique - n'entraînent une réaction négative des populations face au développement industriel d'une technologie sur l'utilisation de laquelle elles n'avaient pas été consultées. Aussi fallait-il, selon certains, ''démystifier" le génie génétique en mettant en oeuvre le principe de précaution par le biais notamment d'une procédure d'évaluation préalable des risques d'une part, en instaurant la transparence dans le développement et le contrôle du génie génétique, gage de l'acceptabilité sociale de cette technologie, d'autre part.

Mais si la mise en oeuvre du principe de précaution a été imposée par les directives européennes du 23 avril 1990, force est de constater que la volonté affichée de transparence à l'égard du public ne s'est pas traduite dons les textes, par des dispositions concrètes et efficaces. L'information du public, pour ne prendre que cet aspect de la transparence, reste parcellaire comme en témoignent l'exemple de la dissémination expérimentale d'O.G.M. dans l'environnement et celui de la mise sur le marché d'aliments nouveaux, deux domaines particulièrement sensibles.

En ce qui concerne la dissémination volontaire d'O.G.M. dans l'environnement à titre expérimental, précisons d'emblée que la directive européenne 90/220, ne prévoit pas de dispositions relatives à la consultation et à l'information du public, laissant ce soin aux Etats membres s'ils l'estiment approprié. En France, les décrets d'application de la loi de 1992 relative au génie génétique privilégient l'information et la consultation a posteriori du public plutôt qu'une réelle association de ce dernier à la prise de décision. En effet, l'information du public intervient après que l'autorisation de dissémination a été donnée et ce, par deux biais différents. D'une part, la Commission de Génie Biomoléculaire est tenue d'établir chaque année un rapport relatif aux avis qu'elle a rendu, rapport qui est public. D'autre part, l'autorité qui a octroyé l'autorisation de dissémination assure l'information du public selon des modalités qui varient en fonction des textes. Soit elle envoie une fiche d'information destinée au public accompagnée, le cas échéant, d'un extrait de la décision, aux préfets des départements et aux maires des communes dans lesquels se déroulera la dissémination, le dépôt de la fiche étant annoncé par voie d'affichage en mairie. Soit, dans le cas notamment des médicaments, elle fait publier au Journal Officiel un avis mentionnant l'autorisation de dissémination, une fiche d'information étant tenue à la disposition du public au secrétariat de la C.G.B.. Quant au contenu de la fiche d'information, il est déterminé largement par le demandeur de l'autorisation qui a la possibilité d'exclure un certain nombre d'informations pour des raisons de confidentialité.

Même si toute personne ainsi informée a le droit de présenter ses observations à l'autorité compétente, le caractère succinct des éléments fournis et l'octroi préalable de l'autorisation ôtent en pratique toute possibilité, pour le public, d'influer sur le sens de la décision ministérielle. Il est en quelque sorte mis devant le fait accompli, ce qui peut conduire à des réactions négatives de rejet ou à des actions en justice, ce que l'on souhaite justement éviter. Cette réticence à établir des règles qui garantiraient au public un véritable droit à l'information se manifeste aussi dans le cadre de la réglementation applicable aux aliments nouveaux obtenus par génie génétique, fixée par le règlement européen du 27 janvier 1997.

En ce qui concerne les produits obtenus par génie génétique, l'information du consommateur passe essentiellement par le contenu de leur étiquetage. Or, cette question de l'étiquetage a été et est encore le point et l'enjeu fondamentaux d'une controverse qui oppose d'un côté les partisans d'un étiquetage spécifique systématique des produits issus du génie génétique et de l'autre, les adeptes d'un étiquetage allégé. Cependant, les premiers n'ont pas pu imposer leurs exigences puisque le texte adopté ne prévoit pas une telle obligation générale d'étiquetage alors même que dans son préambule, le règlement se fixe comme objectif de faire en sorte que le consommateur dispose de toute l'information nécessaire.

Ainsi, l'art. 8 du règlement énonce les quatre cas limités dans lesquels un étiquetage spécifique sera requis. Tout d'abord, pour les produits issus d'0.G.M. mais n'en contenant pas, le consommateur ne sera informé de l'utilisation des techniques de génie génétique dans le processus de fabrication que si ces dernières ont permis d'obtenir une caractéristique ou une propriété alimentaire qui distinguerait le nouvel aliment des produits équivalents déjà existants. Dans ce cas l'étiquetage mentionnera la dite caractéristique ou propriété ainsi que la méthode selon laquelle elle a été obtenue. Devra aussi être signalée sur les étiquettes, la présence dans un nouvel aliment de matières qui ne sont pas présentes dans une denrée alimentaire équivalente et qui peuvent soit avoir des incidences sur la santé de certaines personnes (la présence d'un gène de fraise dans une pêche sera signalée afin d'avertir les personnes allergiques aux fraises), soit susciter des réserves d'ordre éthique (ceci vise notamment les groupes religieux ayant des pratiques alimentaires bien précises). Le concept d'équivalence est donc déterminant en matière d'étiquetage spécifique.

Or, le législateur européen précise qu'un nouvel aliment ne sera pas équivalent aux produits traditionnels, si "une évaluation scientifique fondée sur une analyse appropriée des données existantes peut démontrer que les caractéristiques évaluées diffèrent de celles d'un produit classique, compte tenu des limites admises des variations naturelles de ces caractéristiques". Autant dire qu'on n'est pas plus avancé sur le point de savoir qu'est-ce que l'équivalence au sens du règlement puisqu'elle est définie comme une absence de différence sans que l'on puisse savoir à l'avance sur quels critères précis cette différence sera appréciée. Enfin, le consommateur sera également informé de la présence d'un O.G.M. au sens de la directive 90/220, c'est-à-dire d'un O.G.M. "brut" ou "vivant", telle une tomate transgénique entière et non d'un O.G.M. ayant subi une transformation industrielle telle une tomate transgénique cuite et incorporé dans une sauce. Mais, le considérant 9 du règlement édicte une exception à cet étiquetage des O.G.M. bruts. En effet, lorsque des O.G.M., comme par exemple des graines de soja transgénique, seront mélangés à des produits traditionnels de même nature, la seule mention de la présence "éventuelle" d'O.G.M. sera suffisante. Cette dérogation présente un grand avantage pour les importateurs de produits transgéniques.

En effet, si, pour l'heure le pourcentage de produits transgéniques dans les livraisons en vrac est relativement faible, il risque d'augmenter fortement à l'avenir. Or avec cette dérogation, les industriels pourront échapper à l'obligation d'étiquetage spécifique posée par l'article 8 qui implique un important coût financier mais aussi l'opportunité pour le consommateur d'effectuer un choix négatif. Il suffira aux industriels d'ajouter systématiquement un peu de produits non modifiés à leurs produits transgéniques pour contourner en toute légalité les prescriptions de l'article 8. Ceci n'est clairement pas en faveur de la transparence pourtant prônée par le règlement. Seule consolation pour les consommateurs et les distributeurs, le règlement autorise un étiquetage négatif, c'est-à-dire le fait de mentionner qu'un produit ne contient pas ou n'est pas produit à partir d’O.G.M., ce qui pose néanmoins la question non résolue de la traçabilité des produits.

Ces deux exemples montrent que la mise en oeuvre du droit à l'information du public en matière de génie génétique relève plus d'une stratégie de non-communication, que d'une réelle volonté de transparence à l'égard des citoyens.

Or, l'exemple du Danemark ou de la Hollande montre que l'instauration d'un dialogue précoce entre les acteurs du génie génétique et les citoyens, la prise en compte des appréhensions de ces derniers et une information claire ont eu pour effet de rassurer le public et conduisent à une meilleure acceptabilité sociale du génie génétique. Il semble donc que tenir le public à l'écart du développement d'une technologie et lui imposer autoritairement, par l'absence d'information, un mode de production constituent une attitude dépassée à l'heure où le citoyen n'a plus une confiance aveugle en la science, l'industrie et les pouvoirs publics. Au moment où les premiers produits issus du génie génétique arrivent sur le marché, il serait peut-être temps de tenir compte des appréhensions et des réticences du public en général et des consommateurs en particulier, en leur reconnaissant le droit d'effectuer librement leurs propres choix de manière éclairée et raisonnée.






Mis à jour le 14 février 2008 à 11:13