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2009 : L'Heure bleue : Changement climatique, énergies de la mer et biodiversité > Table Ronde 5 – Economie et financement des énergies renouvelables de la mer >  Modérateur et intervenant : Jean-Marc Daniel

Modérateur et intervenant : Jean-Marc Daniel

Economiste, Directeur de la revue « Sociétal ».

Biographie :

DANIEL Jean-Marc

Compte rendu :

Regardez la vidéo de l'intervention sur canalc2.tv : cliquez ici.

Transcription :

16 octobre 2009 Table ronde 5


Discours de Jean-Marc Daniel :

Jean-Marc Daniel :
En ce qui concerne la taxe carbone, je ferai juste 2 ou 3 petites remarques.
Les externalités, je crois que tout le monde à compris, ce sont les conséquences d’une activité économique qui ne sont pas immédiatement répercutées dans le prix. C’est-à-dire par exemple : quand une entreprise pollue, elle facture les coûts de fabrication mais pas la pollution. C’est la prise en compte de l’externalité. On démontre sur le plan économique que c’est le rôle de l’Etat de gérer les externalités. Donc le rôle de la taxe carbone sera de gérer cela.
La deuxième remarque porte sur les chiffres qui ont été avancés, sur le thème de financement. Je pense qu’il faut préciser qu’il y a les finances publiques et les finances privées. Spontanément lorsqu’on parle de dette, les gens pensent à dette publique et puis en général, ils confondent dette et déficit public. Le déficit c’est l’accroissement de la dette en une année. Par exemple le déficit des Etats-Unis, cette année, est de 12% de leur production, la dette est plus importante. Le déficit de la France est de 8,5% de sa production, sa dette est maintenant pas loin de 70% de sa production. Donc il ne faut pas confondre les deux. Dans la technique financière moderne au niveau macro-économique, il n’y a pas de limite au financement. On a vécu pendant des siècles avec le fait que l’homme avait une limite ultime à son financement qui était sa capacité à extraire de l’or. L’or n’existe plus dans le système monétaire depuis 1971 et on a un système monétaire où le crédit est potentiellement infini. On a dit que les fonds de pensions ont de l’argent, que les Chinois ont de l’argent. Ceux qui ont de l’argent ce sont les banques américaines parce qu’elles sont capables de créer une infinité de dollars et les banques françaises parce qu’elles sont capables de créer une infinité d’euros. Il n’y a plus aucune limite à l’émission de monnaie, la planche à billet est totalement ouverte. Monsieur Trichet est le régulateur ultime de ça. Ce n’est pas la banque de Chine, ce ne sont pas les fonds de pensions, c’est un système dans lequel il n’y a pas de limite autre que les règles établies. Cela veut dire concrètement que le financier n’est pas limité par la quantité d’or qu’il a, comme autre fois – et c’est une mutation colossale dans le fonctionnement de l’économie – le financier n’a pas de référence par rapport à du travail passé, parce que la quantité d’or c’était du travail passé, il a une référence par rapport à du travail futur. Ceux qu’il finance doivent générer de la richesse par le travail. On en arrive à ce que disait Monsieur Clément, le financier va financer des gens qui sont microscopiques à l’aune des potentialités de financement de l’économie mondiale. Ce qui est important c’est qu’il ait en face de lui de l’innovation, des projets rentables. Le véritable enjeu, à mon sens, de l’avenir de l’humanité, c’est l’innovation, c’est la recherche et le développement, c’est la capacité de transformer les travaux de Monsieur Clément en activité économique réelle. Dans les années 1970-1980 beaucoup de nouveaux domaines se sont ouverts : les nanotechnologies, les travaux sur les énergies propres, les biotechnologies. Les capacités de croissance sont énormes et les capacités de financement sont là.
Troisième élément, pour mettre tout ça en cohérence, il faut que les externalités soient prises en compte, donc il faut qu’il y ait une politique économique. L’Etat permet à Monsieur Clément de travailler pour qu’ensuite les entreprises récupèrent ses travaux. Le problème c’est le financement même de l’Etat. L’Etat est limité dans ses financements et dans sa dette par une seule chose : il ne la rembourse jamais. On lit dans la presse qu’on consacre tant d’argent à rembourser la dette de l’Etat alors que l’Etat ne rembourse jamais. Dans les écritures de l’Etat, il n’y a pas le remboursement de la dette, il y a le versement des intérêts sur la dette. Dans le budget que Monsieur Fillon a déposé devant le bureau du Parlement la semaine dernière, il y a 55 millions d’euros qui sont consacrés à financer les intérêts de la dette. C’est-à-dire que les impôts sur le revenu rentrent dans les caisses de l’Etat et en sortent le lendemain. Là est le vrai problème : l’argent que l’Etat devrait donner à Monsieur Clément pour faire des recherches, est immédiatement utilisé pour la dette publique. C’est le problème auquel sont confrontés les Etats.
Je reviens au sujet initial, la taxe carbone est sensée gérer les externalités. Je réponds non pour deux raisons. Je vais vous expliquer à quoi, selon moi, va servir la taxe carbone et puis vous allez avoir le point de vue de Monsieur Rocard qui a présidé la commission sur la taxe carbone. Le premier argument c’est que, comme tout le monde l’a dit, il faut inciter les gens à changer de comportement. Qui va payer la taxe carbone ? C’est vous et moi. Moi je vais la payer deux fois : je suis locataire, je vais la payer une première fois et puis mon loyer est indexé sur les prix et comme elle va être incorporée dans la liste des prix, je la repaierai. Tout ça pour une chaudière installée par mon propriétaire. Je peux dire à mon propriétaire de faire un effort mais ça ne diminuera pas ma taxe carbone et le propriétaire n’est pas du tout impliqué. Celui qui va payer n’est pas celui qui prend la décision de modification d’émission de gaz à effet de serre. Quel va être le premier contributeur de la taxe carbone ? C’est la sécurité sociale parce que les retraites sont indexées sur les prix. Cela a été décidé en 1993, tout le monde trouvait ça génial à l’époque. Donc, si vous augmentez la taxe carbone, vous augmentez les prix et ipso facto la sécurité sociale débourse. Est-ce que la sécurité sociale peut réduire les émissions de gaz à effet de serre ? Qui va payer ? Les entreprises de main d’œuvre, les petites PME qui arrivent difficilement à faire survivre une main d’œuvre en la payant au SMIC. Et dans la foulée, indexation ! On a déjà calculé qu’il y aurait 100 000 emplois qui allaient disparaître si on met la taxe carbone au niveau de la commission Rocard c’est-à-dire 30 € la tonne parce que les entreprises ne peuvent pas suivre. Donc ceux qui vont payer ne sont pas ceux qui peuvent faire quelque chose. Deuxième considération, comment faire pour faire payer ceux qui peuvent faire quelque chose ? Ceux qui peuvent faire quelque chose ce sont les entreprises, les gens à qui Monsieur Clément fournit des solutions. Il y a un outil, c’est de les faire payer directement. Ça s’appelle le marché des ETS, le marché des droits à polluer, le marché des quotas. C’est assez compliqué à manier parce que c’est un marché de symbole. C’est un marché dans lequel vous achetez des droits et les théories économiques montrent que, quand vous avez un marché de droits, il faut qu’il y ait un régulateur. Il faut donc qu’il y ait une banque centrale. Il faut que quelqu’un régule le marché. Que s’est-il passé ? On a créé ce marché et tout le monde a fait son travail, notamment Monsieur Mittal qui a fait fortune sur ce marché. Il a acheté toutes les sidérurgies en mauvais état de la planète et il y en avait beaucoup dans les pays d’Europe de l’Est. La sidérurgie des plans quinquennaux émettait beaucoup de CO2. Les Polonais se sont aperçu qu’il avait fait fortune grâce à ça et ils veulent demander à Monsieur Mittal de rembourser. La même chose s’est produite avec les hauts-fourneaux extrêmement polluants d’Algérie. Monsieur Mittal a pu faire fortune parce qu’il n’y a pas vraiment de régulateur. Il a effectivement rationalisé la sidérurgie, l’évolution des émissions de gaz à effet de serre de la sidérurgie ont considérablement diminué. En partie, Jean-Michel Gauthier l’a dit, parce que la crise a affaibli la production d’acier. Par exemple, il s’est vendu en 2009, 50 millions d’automobiles et il s’en est produit 90 millions. Les automobiles restent sur les parkings. Donc l’année prochaine, on ne va pas acheter beaucoup d’acier parce qu’il y a encore 40 millions d’automobiles à écouler. Monsieur Mittal a fait fortune, mais il a aussi réduit considérablement les émissions de gaz à effet de serre dans toute la sidérurgie polonaise et ukrainienne parce qu’il avait un intérêt objectif à faire ça. En ce qui me concerne, on me fait payer la taxe carbone, mais quel que soit mon intérêt et quelle que soit ma conscientisation à baisser la quantité de charbon, de gaz à effet de serre que je consomme dans mon appartement, ça ne donne aucun résultat. Vous pouvez dire que ça va m’inciter à être plus prudent. Je ne peux pas vivre dans le froid. Donc c’est idiot. Et je vais conclure là-dessus. On a dit qu’on allait rendre l’argent. On vous prend de l’argent et on vous le rend. Même Monsieur Rocard, un ancien Premier Ministre que j’aime beaucoup, a dit que ça allait être une « sacrée usine à gaz », je trouve que l’expression est géniale pour lutter contre les gaz à effet de serre ! Donc vous allez avoir les chèques verts. J’ai été auditionné par la Commission Rocard, je connais bien l’économiste qui y était, Mathilde Lemoine. J’ai dit qu’avec le chèque vert, il faudra qu’on interdise d’acheter du pétrole et des gros 4x4. Monsieur Rocard était d’accord. Mais vous avez entendu parler de l’effet d’aubaine : avec mon chèque vert, je fais des économies en m’achetant par exemple de la nourriture. Les économies qui restent, je vais pouvoir m’acheter un gros 4x4. Monsieur Rocard m’a répondu que le chèque vert ne sera pas de cette importance. Mais avec beaucoup de chèques verts, j’arriverai à m’acheter un 4x4 ! Deuxième élément inquiétant : ce n’est plus une « taxe », c’est une « contribution ». C’est courant dans l’histoire des impôts. Cela a commencé à la Révolution, on a convoqué les Etats généraux en disant « Vous n’allez pas payer des impôts pour réduire les déficits des finances publiques, vous allez, de façon citoyenne, apporter une contribution au redressement et à l’effort national ». La première année, c’était une contribution volontaire : la Place des Vosges à Paris s’appelle comme ça parce que c’était le département qui avait le plus apporté à la contribution volontaire. Ça s’appelle toujours des contributions, nous sommes toujours des « contribuables ». Je vous signale qu’en français « contribuable », ça veut dire que spontanément nous apportons notre obole au maintien de l’activité de cet Etat.

Dernière et ultime remarque. Je crois que le vrai enjeu ce sont les 55 milliards d’euros qui entrent et qui sortent immédiatement. Les finances publiques ne sont pas en bonne santé. Il existe deux techniques fiscales : la bonne qui consiste à prendre un impôt sur une très large assiette avec un faible taux. L’assiette c’est la base imposable, l’assiette de l’impôt sur le revenu c’est le revenu. Et il existe, ce que les économistes appellent les impôts moraux. Par exemple sous le Directoire on avait créé des impôts moraux : il y avait un impôt sur les jeux de cartes… Donc petite assiette mais taux élevés pour modifier les comportements des gens. Ça ne marche jamais. Ce qui est sûr c’est qu’il va falloir qu’on augmente les impôts. On a parlé tout à l’heure des Etats-unis, je ne suis pas d’accord que ce qui a été dit sur la situation de l’économie américaine qui est dans un état de délabrement avancé. L’économie qui est en train de mieux s’en sortir, d’après tous les indicateurs de l’OCDE…, c’est l’Italie. On a une vision un peu biaisée de l’Italie, on a un indicateur un peu biaisé sur l’Italie. Pourquoi l’économie italienne s’en sort bien ? Parce qu’il y a ce qu’on appelle « l’Italian Touch » c’est-à-dire la capacité en permanence d’être sur un marché avec un produit inégalable. Les Italiens ne vendent plus des automobiles, ils vendent des Fiat 500. C’est la même Fiat qu’il y a 40 ans sauf qu’elle est 2 fois plus chère et c’est la seule voiture qui se vende en ce moment. Cela s’appelle « l’Italian Touch ». Donc l’économie s’en sort et elle s’en sortira dans l’innovation et la qualité.

Je pense, pour conclure, que l’avenir de l’économie c’est la qualité. Et pour moi, la qualité, c’est Monsieur Clément. Donc il faut faire en sorte que des chercheurs aient la capacité de mettre en permanence sur le marché les résultats de leurs recherches. Cela suppose en particulier, que l’Etat puisse faire vivre leurs laboratoires. Le bilan c’est qu’il va falloir qu’on paie des impôts pour que Monsieur Clément puisse travailler et c’est plus simple de faire payer en disant que grâce à la taxe carbone on sauve la planète plutôt que de faire payer des impôts.





Mis à jour le 21 octobre 2009 à 18:23