logo entretiens Energies de la mer bandeau entretiens Science et Ethique

Veilles internationales
Informations du 28/03/2024

Energies de la mer
www.energiesdelamer.eu

energiesdelamer.eu vous souhaite un bon week-end de 15 août


B R È V E S


Une photo de mer tous les lundis ?
Retrouvez chaque lundi la photo de mer, pour bien commencer la semaine avec
image Science et Ethique


2009 : L'Heure bleue : Changement climatique, énergies de la mer et biodiversité > Table Ronde 5 – Economie et financement des énergies renouvelables de la mer >  Débat

Débat

Discussion avec la salle
Brigitte Bornemann-Blanc, délégué générale
Christian Bucher, Les Verts
Alain Clément, Ecole Centrale de Nantes
Blanche Magarinos-Rey, Avocate
Jean-Michel Gauthier, Deloitte
Jean-Marc Daniel, Sociétal
Armel Kerrest, UBO


Compte rendu :

Regardez la vidéo du débat sur canalc2.tv : cliquez ici.

Transcription :

16 octobre 2009 Table ronde 5


Débat :

Brigitte Bornemann-Blanc : Interviewer un Premier Ministre n’est pas facile. Je tiens donc à remercier quatre personnes. La première c’est Laurent Mayet, conseiller auprès de Michel Rocard en tant qu’Ambassadeur des Pôles, qui n’est pas là aujourd’hui. C’est lui qui organise le Festival Polaire à Saint-Brieuc dans quinze jours, c’est un des membre fondateurs du cercle polaire et il est directement concerné par le réchauffement climatique puisqu’il fait partie de la Mission Rocard au Ministère des Affaires Etrangères. Les trois autres personnes sont dans la salle. Il y a tout d’abord Jean-Michel Gauthier, auprès de qui, avec Hubert Coudurier et Sylvie Andreu, nous avons pris conseil pour le cadre général. Le troisième c’est Jean-Michel Maingain qui très rapidement a donné un cadre et a passé la parole à Morgan Carval qui est présent dans la salle. Je vous remercie tous les quatre, particulièrement les financiers et les économistes, de nous avoir permis de poser les bonnes questions.

Christian Bucher : Je fais partie des Verts de Brest. Je suis toujours étonné quand j’entends parler du nucléaire comme d’une énergie propre. On l’a entendu dans ce débat, on l’entend dans la bouche de Monsieur Rocard. Sans parler de la question des déchets, qui est quand même un point épineux, il y a aussi les émissions de gaz à effet de serre et de CO2. Quand on prend l’ensemble de la chaîne c’est-à-dire lorsqu’on va chercher l’uranium au Niger, au Canada ou en Australie et lorsqu’on emporte nos déchets en Russie comme on vient de l’apprendre dans une récente émission de télévision, je pense qu’il y a des calculs qui mériteraient d’être fait. Sans parler après du démantèlement de la centrale… Sur la taxe carbone, je pense que les Suédois ne sont pas idiots ; ils ont un niveau de vie tout à fait convenable et l’introduction d’une taxe carbone à un niveau élevé ne les empêche pas de vivre correctement. Je pense que si la taxe carbone pose problème en France c’est parce qu’elle n’est pas forcément bien adaptée en exemptant par exemple l’énergie électrique. Mais c’est quand même une solution pour permettre de changer les attitudes. C’est bien ça le but, ce n’est peut-être pas une solution parfaite, mais si on ne change pas nous-même nos habitudes, nos façons de consommer et de produire, on n’a aucune chance de s’en sortir.

Alain Clément : La taxe carbone telle qu’elle nous est présentée aujourd’hui n’est ciblée que sur un seul type de produit. On parle de taxe mais la restitution, n’est pas encore bien définie. La façon de faire me semble assez maladroite. J’imagine un équivalent qui ne s’appellerait pas taxe, mais s’appuierait sur le principe du bonus – malus. Imaginons que tous les produits aient une indication de leur coût carbone. On pourrait analyser une autre famille de produits donnés, pas seulement les carburants, par exemple les produits textiles. Certains ont un coût carbone élevé : ils sont fabriqués en Chine, on les fait venir en bateau sur des porte-containers et d’autres auront un coût carbone plus faible : ce seront peut-être des articles en lin fabriqués dans la ville d’à-côté… A partir de là, dans une famille de produits donnée, on doit pouvoir rendre plus chers les produits « sales » et transférer ce surcoût pour rendre moins cher le produit propre. C’est un bonus malus mais par catégorie de produits. C’est ce qu’on fait déjà pour les voitures, on doit pouvoir équilibrer ou en tout cas mettre un curseur de telle façon que le consommateur ait un rôle d’arbitre. Une fois qu’il aura ce choix, on aura un outil pour travailler sur le comportement. Je suis peut-être naïf, je ne suis pas économiste, mais ça doit être faisable, on a commencé à le faire pour l’automobile pourquoi ne pas l’étendre ? Indexer sur le coût carbone de tous les produits, ça me semble, de mon point de vue, plus pertinent. Ça ne s’appelle pas une taxe, le consommateur n’a pas l’impression de payer quelque chose avec une incertitude sur le retour, son rôle est simplement de choisir.

Question de la salle : Je suis Blanche Magarinos-Rey, je suis avocate spécialisée dans les questions d’environnement et élue municipale et communautaire à Morlaix. Il y a autre chose qui me dérange dans la taxe carbone c’est qu’on n’a pas véritablement d’engagement du gouvernement sur l’affectation des sommes qui seront récoltées. Je rappelle qu’on a déjà une taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, qui s’applique aux installations classées et qui vient combler chaque année les déficits creusés par la sécurité sociale. La seconde chose qui me dérange, c’est que je trouve cette taxe extrêmement injuste parce qu’elle contribue à faire passer une taxation depuis les entreprises vers les ménages. C’est un courant, une tendance que l’on constate depuis plusieurs années et qui consiste à alléger toujours plus les entreprises pour alourdir toujours plus la fiscalité sur les ménages. On revient évidemment à ce que vous n’avez pas encore évoqué qui est le lien entre la taxe carbone et la taxe professionnelle. Quand Nicolas Sarkozy a annoncé a suppression de la taxe professionnelle, juste après il a parlé de la taxe carbone pour compenser cette suppression ; mais la taxe carbone vient encore grever très lourdement le budget des ménages.

Jean-Michel Gauthier : Les émissions de CO2 du nucléaire découlent de toute la chaîne du nucléaire, comme vous l’avez évoqué, depuis l’extraction de l’uranium jusqu’au stockage non pas ultime puisqu’il n’y a pas encore de loi votée par la Parlement sur les stockages des déchets à long terme. Les émissions du CO2 du nucléaire sont de 6kg de CO2 rejetés dans l’atmosphère par MW/h produit. Ce chiffre de 6kg se compare aux 900kg qui est celui du MW/h produit à partir de charbon ou de gasoil. Il se compare aussi à un peu plus de 500kg pour la production d’un même MW/h à partir du gaz. Alors c’est vrai, il y a un peu d’émission de CO2 et cette émission découle de l’extrême amont de la chaîne nucléaire qui est l’extraction du minerai. Je rappelle qu’il y a la même valeur calorifique dans 1kg d’uranium 238 que dans 10 tonnes de pétrole ou 18 à 20 tonnes de charbon. On est sur des ratios extrêmement grands.

Jean-Marc Daniel : Je voudrais rajouter 2 choses. L’instauration du bonus-malus me paraîtrait la solution la plus astucieuse par rapport aux chèques verts. Revenons sur l’historique des taxes. Avant, il y avait une taxe carbone en France qui s’appelait la TIPP. A la première séance de la commission Rocard avec les experts, où j’étais en observateur, la première question posée a été « comment faire pour que la TIPP devienne une taxe carbone ? » . L’assiette de la TIPP a été conçue en 1922 pour faire payer aux automobilistes, l’équivalent de ce que payaient les chemins de fer. Les chemins de fer, qui étaient alors privés, payaient l’entretien des voies alors que les transports routiers ne payaient pas l’entretien des routes. Donc il fallait rétablir l’égalité de la concurrence. La TIPP est une taxe sur le transport routier. Il suffit de changer d’assiette et de la basculer vers les personnes qui utilisent de l’essence et qui ne sont pas les utilisateurs principaux du transport routier. Ce sont les pêcheurs et les agriculteurs. Un des vrais problèmes est de savoir ce que ça signifie de modifier la fiscalité en la déportant vers des secteurs dont tout le monde considère déjà qu’ils sont sinistrés. Dans ce genre d’outil, vous pouvez afficher des objectifs de comportements avec des problèmes d’élasticité des gens au comportement. Pour la traçabilité, il y a un exemple historique qu’on prend assez souvent celui du « Made in Germany ». Le « Made in Germany » a été créé en 1912 en Angleterre. Les Britanniques se refusaient à faire du protectionnisme par principe, la seule façon qu’ils avaient trouvée pour inciter les gens à ne pas acheter les biens allemands était d’indiquer que c’était fabriqué en Allemagne. En 1913, la consommation de biens « Made in Germany » avait augmenté de 18% en Angleterre et s’il n’y avait pas eu la guerre, je pense que ça aurait continué à ce rythme-là. Donc le comportement des gens est extrêmement difficile à cerner a priori. C’est un des charmes et des mystères de l’économie empirique c’est-à-dire d’aller voir ce qui se passe sur le terrain une fois qu’on a pris une décision. Le cas Suédois est un cas qui est assez abondamment illustré et qui nous montre que le résultat n’est pas très différent des autres pays parce que dans les autres pays, il y a déjà des taxes sur les carburants. Dernier exemple en la Suède. Il y a deux compagnies de construction automobile en Suède : Volvo et Saab. Les voitures que fournissent Volvo et Saab sont parmi les plus polluantes du système automobile mondial. Le Premier Ministre suédois a fait une conférence de presse à l’OCDE quand il a pris la présidence de l’Union Européenne et il a dit, en réponse à une question sur ce sujet, que l’une est la propriété de Ford et l’autre de General Motors donc ils vont être en faillite tout de suite. Mais non, le Premier Ministre a dit qu’ils allaient intervenir pour éviter la faillite, mais ils ne sont pas intervenus pour éviter les émissions de gaz à effet de serre. Donc, sur le modèle Suédois, je me permets d’avoir un bémol. Ils sauveront l’entreprise parce que c’est des emplois, sur les émissions de gaz à effet de serre, ils étaient déjà moins allants quand le problème s’est posé en face de Ford et de General Motors.

Intervention de Rocard

Question de la salle : Je suis Armel Kerrest, professeur de droit à l’UBO, je travaille aussi en droit spatial. Je voudrais faire une remarque sur de ce que disait Michel Rocard dans sa dernière intervention à propos de son optimisme. Je voudrais simplement attirer l’attention sur un problème dont il ne parle pas, parce qu’il ne rentre pas dans les détails, à propos des Chlorofluorocarbones et du Protocole de Montréal, si je me souviens bien, qui a permis la suppression de ces gaz qui détruisent l’ozone de l’atmosphère. Il y a un détail intéressant c’est de repérer que ces CFC sont des produits anciens, donc plus couverts par le droit des brevets, donc ils ne rapportent plus grand chose aux entreprises qui les fabriquent. Or des entreprises américaines fabriquent des substituts aux CFC qui, eux, sont couverts par les brevets et donc permettent une meilleure rentabilité. Il a raison de noter l’évolution. J’ai fait un cours comparant les protocoles concernant les CFC et ceux concernant les gaz à effet de serre. Il y a beaucoup de difficultés sur les gaz à effet de serre tandis que ça a été très vite en matière de protection de la couche d’ozone. L’un des éléments c’est la pression très forte qui a été faite par les Etats-Unis sur ce point soutenu par les entreprises. Au point qu’il y a un article 4 dans le protocole en question qui fait qu’on va pouvoir agir sur les états qui n’ont pas accepté ce protocole. Les produits qui sont fabriqués avec des machines qui comportent des CFC ne seront pas acceptés sur les territoires des états qui ont accepté ce protocole. Autrement dit, on agit sur les états ne faisant pas partie de ce protocole ce qui est un effet rare en droit international, mais d’une grande efficacité. La différence c’est que dans un cas on a un intérêt économique et dans l’autre cas on n’a pas cet intérêt économique.
Ma deuxième remarque était sur votre intervention Monsieur Daniel à propos de la taxe dite « taxe carbone ». Votre présentation était tout à fait brillante, bien qu’un peu excessive. Bien sûr c’est une taxe qui va être perçue, mais le problème est de savoir ce que l’on va faire de cet argent. Si cet argent sert à financer des études comme celle de notre collègue de Nantes, cela présente tout de même un avantage donc il s’agit de voir ce qui sera fait de cette taxe. Bien sûr on a avancé les arguments des pauvres personnes qui sont obligées d’utiliser leur voiture…, mais il faut savoir ce que l’on veut. Alors nous aurons peut-être la chance que le prix du pétrole augmente. J’ai entendu ce matin qu’il était en train d’augmenter, c’est vrai qu’on a intérêt à ce que le prix augmente et l’un des facteurs pour le faire augmenter c’est justement la taxe carbone.

Jean-Marc Daniel : En tant que professeur de Droit, vous savez qu’un des grands principes de droit budgétaire c’est que normalement il n’y a pas affectation des recettes aux dépenses. La recette est et la dépense est. Je pense qu’effectivement on a besoin d’une dépense en recherche et développement, c’est ce que j’ai dit, mais il n’y a pas de raison pour générer une taxe carbone, il faut générer un impôt. Il faut analyser l’impôt indépendamment de la dépense. Il faut analyser l’impôt avec son objectif et la dépense avec son objectif. Vous avez un livre assez célèbre en économie, Fiscal Policy, écrit par Walter Heller, le conseiller en économie de Kennedy. Ce livre montre qu’il faut totalement déconnecter la logique économique de la dépense, de la logique économique de la recette. Si vous voulez vraiment savoir comment les économistes au niveau international ont interprété et analysé les mécanismes du réchauffement climatique, le document de référence c’est le rapport de Nicolas Stern. Sir Nicolas Stern était responsable des études économiques à la banque mondiale, il est maintenant professeur d’économie en Angleterre et à l’Ecole Polytechnique à Paris. Il a fait un travail assez important et surtout il est intéressant de voir les hypothèses. Comme toujours, comme c’est beaucoup de mécanisme d’accumulation dans le temps, ce sont des mécanismes exponentiels. Le point de départ a tout de suite une amplification très importante. Monsieur Rocard a cité le rapport CINE, c’est le rapport fait par le Comité d’Analyse Stratégique qui est le successeur du commissariat au plan. Vous le trouvez aussi à la documentation française. Vous avez des modèles mathématiques à la fin pour voir qu’elle est la logique mathématique et économique des problèmes d’externalité : quel est le bon coût du carbone, quelle est la différence économique entre un marché de quotas et une taxe et quels sont les modèles mathématiques d’optimisation d’un outil fiscal.





Mis à jour le 17 décembre 2009 à 10:43