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2006 : La biodiversité du littoral > TR1 : La biodiversité des habitats littoraux, histoire et évolution >  Quel est le rôle ou les fonctions de la biodiversité dans les écosystèmes littoraux aquatiques ?

Quel est le rôle ou les fonctions de la biodiversité dans les écosystèmes littoraux aquatiques ?

Laurent Chauvaud, Biologiste marin et écologiste, chargé de recherches au CNRS depuis janvier 2000 (LEMAR-IUEM-UBO)

Biographie :

CHAUVAUD Laurent

Compte rendu :

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Transcription :

13 octobre 2006 TR1


Discours de Laurent Chauvaud


J’ai une question qui peut paraître assez simple au premier abord pour quelqu’un s’intéressant à l’écologie et qui, en fait, m’a posé pas mal de problèmes. Quel est le rôle ou les fonctions de la biodiversité dans les écosystèmes littoraux aquatiques ? Je vais essayer de vous présenter le résultat de cette réflexion.

Je travaille au CNRS, au laboratoire des Sciences de l’environnement marin qui appartient à l’UBO. Avant de parler de considérations scientifiques, j’évoquerai des considérations d’ordre philosophique ou économique. J’ai eu des difficultés sur la définition, comme tout le monde je crois, lorsqu’on se pose la question « qu’est-ce que la biodiversité ? », des difficultés également sur les fonctions de la biodiversité. En effet, on peut attribuer, selon les progrès faits en écologie, des fonctions assez différentes à la biodiversité.
En prenant l’exemple de la Rade de Brest et il apparaît que notre façon d’entrevoir le fonctionnement de cet écosystème et le rôle de sa biodiversité a changé dans les dix dernières années. A mon avis, il est difficile de parler de biodiversité sans lui associer le mot « conservation » : que doit-on faire pour la protéger ? Ces trois notions associées (fonctionnement, rôle et conservation) ne peuvent être que confuses dans notre réflexion.

Intéressons-nous d’abord aux considérations scientifiques. Pour reprendre ce schéma qu’a montré Lucien Laubier, il nous indique, au moins d’un point de vue purement théorique, que plus un écosystème est biodiversifié, plus les vitesses de transfert de carbone au sein de cet écosystème ont tendance à se ralentir, à se pérenniser et on assiste, au moins théoriquement, à une stabilité, à une résilience accrue, même s’il y a de nombreux contre-exemples dans la nature. Chaque catastrophe écologique doit pouvoir être encaissée par cet écosystème de mieux en mieux biodiversifié. Plus il est biodiversifié, plus il va résister. Evidemment, il est entendu et sous-entendu qu’on parle d’interactions, d’interdépendances et toute la clé est dans les mots utilisés par Lucien Laubier tout à l’heure, il ne s’agit pas de faire comme dans un zoo, de juxtaposer les animaux. Un zoo est extrêmement biodiversifié mais si vous ouvrez toutes les cages du zoo, il devient extrêmement instable, puisque très rapidement, il ne reste que le lion.

Pour la Rade de Brest, sans entrer dans tous les détails, on a démontré assez facilement que face à un enrichissement croissant en sels nutritifs, un problème récurrent de la Bretagne, on a une très bonne résistance de l’écosystème Rade de Brest face à l’eutrophisation. Il y a de nombreux facteurs qui permettent d’expliquer cette résistance à l’eutrophisation. Parmi ces facteurs, on trouve bien évidemment la biodiversité, notamment au sein d’un groupe qui est capable de filtrer l’eau, ce sont des animaux suspensivores, qui se nourrissent des particules en suspension dans l’eau. C’est la forte diversité, via le cycle du silicium dans cet écosystème, et notamment celle des animaux filtreurs qui participent à la résistance de l’écosystème Rade de Brest.
Autres fonctions de la biodiversité, et il y a là un peu moins d’éléments dans la littérature, elle induit un rôle de protection ou de frein à l’invasion, une des maladies récurrentes de notre planète. L’introduction d’espèces et leur invasion sont des problèmes aussi graves que des pollutions chroniques qu’on peut décrire dans l’océan et quelques papiers prouvent que les écosystèmes très divers, très biodiversifiés à forte richesse spécifique, ont tendance à moins se laisser envahir la biodiversité a donc une fonction de protection face à l’invasion.

C’est l’occasion de vous dire qu’à ce niveau là, des problèmes très affectifs apparaissent quand on commence à décrire les invasions – je glisse ici cette idée de la génération de mes parents qui aurait vu l’écosystème Rade de Brest comme sur cette photo – si vous plongez aujourd’hui en Rade de Brest, vous observez exactement cela. Sur les fonds des chenaux, il est possible de voir cette prolifération de crépidules alors qu’une génération avant la mienne, on en observait beaucoup moins. L’écologiste qui travaille sur la biodiversité et ses fonctions ou la biodiversité en général, est confronté à quelque chose de très affectif. On se dit que finalement, à l’échelle d’une génération, l’homme est capable de changer complètement la biodiversité, ici de façon complètement fortuite en essayant d’élever des huîtres dans cet écosystème.

Ici, on est en Terre Adélie en milieu polaire entre 5 et 10 m de fond et la première chose que vous voyez sur cette photo, même si vous êtes scientifique au CNRS, c’est la beauté. Vous êtes sous l’eau, vous avez réglé le problème de la glace en surface, celui du froid : vous imaginez que vous n’avez pas froid et qu’il n’y a pas de glace en surface. Le premier sentiment que vous avez, ce n’est pas « c’est biodiversifié et sa fonction est à découvrir », c’est « beau ! ». Cette notion d’esthétique vient troubler finalement ce que pense le scientifique en terme de fonction ou de ce qu’il doit étudier là-dedans. Quelle est la priorité ? Quelle est la hiérarchie de nos problèmes ? Le premier sentiment est un sentiment d’esthétique.
On aurait pu prendre cette photo à Madagascar, à côté de Nosy-Bé où on a des choses très similaires. Quand on regarde un écosystème comme celui-là, il est assez difficile d’aller parler de fonction et de dire finalement « avec une seule espèce de coraux au fin fond de la Nouvelle-Calédonie, les mêmes fonctions sont peut-être aussi bien remplies que si j’en ai 100 espèces ». Il y a quand même tout le temps cette notion d’esthétique – et je dirais même plus – de confort qui vient troubler la réflexion.

Revenons un peu à la science. Ce qu’il faut à nouveau bien considérer, c’est que dans le cas de ces crépidules en rade de Brest, une invasion et la prolifération d’une espèce a un effet positif sur l’aptitude qu’a l’écosystème à limiter le nombre d’efflorescences toxiques, le nombre de blooms toxiques, à limiter la toxicité de l’eau. En contre-partie, la même invasion participe, du fait de sa fonction de filtration, à l’exclusion d’une espèce à intérêt commercial. C’est ainsi que l’espèce emblématique de la Rade de Brest trouve d’un côté un bénéfice lié à la prolifération d’une espèce imposée à l’écosystème, et de l’autre côté, elle se voit gênée de façon récurrente au plus jeune stade : les bébés coquilles Saint-Jacques n’arrivent pas à s’installer et la biodiversité a changé, les fonds ont changé. Il existe ainsi des raisons assez contradictoires pour étudier et préserver la biodiversité d’un écosystème comme celui de la Rade de Brest.
C’est ce que nous ont exposé les professeurs Glémarec et Laubier tout à l’heure. Il y a une publication de Constanza qui a fait date et qu’il faut lire impérativement. Cette publication réunit à peu près 17 géographes, biologistes, économistes et mathématiciens pour décrire qu’elle était, en termes de biens et services, la valeur des écosystèmes de la planète. Cela a eu un effet évident car les écologistes ont commencé à dire : vous voyez, nous étudions des écosystèmes qui ont une vraie valeur pour l’humanité. On a investi des dollars sur la biodiversité, sur des choses assez nouvelles pour le grand public : le recyclage des nutriments. Nos déchets d’azote et de phosphore introduits dans les écosystèmes côtiers sont « traités » par les estuaires et cela a une vraie valeur, une valeur assez incroyable même exprimée en franc à l’ha par an. Evidemment, il sort de ce tableau la nécessité de protéger et de considérer la nature et la biodiversité comme une valeur, exprimée en dollars par exemple. C’est ce qu’ont dit les professeurs Glémarec et Laubier tout à l’heure. Cela a un impact évident et avec un tel tableau, il est assez facile de convertir ou de prouver à des décideurs qu’il nous faut travailler à ces valeurs de la biodiversité. Mais cela a des limites.

Pour observer ces limites, je prends le cas du loup parce que, évidemment on n’est pas en milieu littoral, mais introduire le loup et augmenter le nombre d’espèces dans un écosystème rapidement, vous ne pouvez pas le faire uniquement pour des raisons commerciales. L’exemple du loup est excellent puisque cela va coûter à la communauté. Il va falloir payer les brebis, les agneaux dévorés par le prédateur et pour sauver la fonction prédation du loup, cela coûte de l’argent.
Le deuxième exemple est celui de la pollinisation, qui n’existe pas en milieu marin mais dont on peut discuter. C’est le cas d’une abeille au Costa Rica qui est protégée pour sa valeur sur l’action sur la pollinisation. Elle vit dans une forêt à côté des plantations de café. Et surtout, les forêts ont de la valeur parce qu’elles abritent l’abeille qui permet la pollinisation des plantations de café. Si le cours du café s’effondre, cette notion de valeur économique de cette abeille et de la forêt qui l’abrite s’effondre aussi puisque immédiatement, le lendemain les plantations s’arrêtent et la valeur de la forêt devient nulle.
Cette idée d’associer systématiquement la biodiversité ou une fonction biologique à une valeur économique a un petit côté pernicieux. Cette valeur est toujours valable à l’échelle d’une génération mais elle peut disparaître du fait de la mouvance des intérêts économiques. Elle peut également disparaître quand on change d’échelle d’observation – je passe sur les problèmes de la perche du Nil qui est un exemple fabuleux d’erreur économique.

Je finirais sur les difficultés qu’ont les scientifiques à attribuer des fonctions et des valeurs à la biodiversité. Avec l’exemple en Rade de Brest de la coquille Saint-Jacques qui, comme sur les arbres, dépose des stries annuellement, on a fait de cet animal un thermomètre. Vous allez me dire que des thermomètres, il y en a plein sur la planète. Sauf qu’il y a 25 millions d’années, il n’y avait pas de thermomètre. Cet animal était là il y a 25 millions d’années et il nous donne la température de l’eau de mer sur la façade atlantique européenne depuis 25 millions d’années. Il s’avère que le groupe des coquilles Saint-Jacques, et je prends cette carte du professeur Glémarec, est extrêmement divers sur la planète. Le genre Pecten est divers et les pectinidés sont présents dans toutes les zones du globe. Nous avons commencé à étudier la coquille Saint-Jacques ici à Brest, mais également au Chili puis en Nouvelle-Calédonie et en Afrique du Sud pour finir en milieu polaire. Finalement, la diversité de ce groupe, et donc la diversité des thermomètres a une valeur nouvelle qui n’était pas imaginable il n’y a même pas cinq ans. On se dit finalement que le fait que la nature ait rendu le groupe des pectinidés aussi diversifié a une valeur qui est complètement nouvelle et qui n’était pas imaginable il y a dix ans. Donc on peut facilement imaginer trouver des valeurs à la fois scientifiques, économiques ou éthiques à des groupes d’espèces. On leur trouvera des valeurs difficilement imaginables aujourd’hui.

Finalement, et je rejoins une conférence qu’a faite le professeur Glémarec il n’y a pas longtemps sur Mathurin Méheut, on est capable assez facilement de dire qu’un fait historique ou qu’une œuvre d’art a une valeur infinie, inestimable pour l’humanité – par exemple La Joconde. J’invite ainsi tout le monde à réfléchir sur le fait que finalement la biodiversité, pour des raisons purement esthétiques ou philosophiques sur notre perception de l’avenir à dix ou vingt générations, a une valeur par elle-même, par sa beauté, par l’esthétique. Elle amène à des considérations mouvantes qui se déplacent avec le temps, nos progrès de la connaissance ou les intérêts de la planète.





Mis à jour le 18 janvier 2008 à 15:21