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2006 : La biodiversité du littoral > TR1 : La biodiversité des habitats littoraux, histoire et évolution >  L'approche culturelle de la préservation de la biodiversité selon les pays

L'approche culturelle de la préservation de la biodiversité selon les pays

Aliette Geistdoerfer, Ethnologue, directeur de recherche au CNRS, directeur de la formation CNRS/ Muséum National d’Histoire Naturelle « Techniques et culture-anthropologie maritime », co-fondatrice du CETMA

Biographie :

GEISTDOERFER Aliette

Compte rendu :

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Transcription :

13 octobre 2006 TR1


Discours de Aliette Geistdoerfer


Tout d’abord, je tiens à remercier Brigitte Bornemann-Blanc de nous avoir invité et d’avoir intitulé le titre des quelques propos dont nous allons vous faire part : « une approche culturelle de la préservation de la biodiversité différente selon les pays ».

Nous sommes ethnologues et nous nous trouvons un peu décalé par rapport à tout cet aréopage de scientifiques de sciences dures. Il faut rappeler que les ethnologues travaillent effectivement sur des faits sociaux, qui sont des systèmes très complexes, tout autant, sinon plus, que les ensembles biologiques. En effet, les différents éléments dont les faits sociaux sont constitués ne sont pas apparents et il faut pouvoir les reconnaître, les identifier et surtout les comprendre et les expliquer, ce qui est le but de l’ethnologue.

Ici, nous parlons de la défense de la biodiversité et je m’associe à ceux qui viennent de parler de la défense des chercheurs, mais nous, nous souhaitons parler de la défense de ce que Monsieur Laubier a appelé les usagers, c’est-à-dire tout particulièrement les marins pêcheurs. Il y en a bien d’autres mais les marins pêcheurs sont ceux qui, parmi les usagers, sont mis en cause car ils prélèvent le plus de cette biodiversité littorale et marine. Pour pouvoir pêcher, les hommes sont mis en place des systèmes complexes, composés principalement de connaissances importantes qu’ils vont acquérir du milieu marin pour se les approprier. Les marins pêcheurs connaissent fort bien les milieux marins, que ce soit la mer elle-même, ses différentes composantes et conditions, mais aussi les espèces. Ils connaissent tout particulièrement des éléments dont on parle moins, qui ont été définis par les scientifiques, comme les « écosystèmes ». Cette expression disparaît un peu alors que je pense qu’elle est tout à fait riche, plus que le concept « biodiversité », Michel Glémarec en a parlé tout à l’heure, et je pense qu’il est important de le discuter. L’expression de « chaîne alimentaire » est également importante.

L’exemple dont je viens de vous parler, plutôt l’expérience que j’ai, est principalement celle de l’étude des marins pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon. Le système pêche est avant tout des connaissances, mais aussi la construction de systèmes techniques et économiques pour s’approprier la mer. Il ne faut pas croire que les marins pêcheurs s’approprient la mer et pêchent gratuitement. Ce n’est pas parce que la mer est une Respublica, c’est-à-dire un bien public, que les pêcheurs acquièrent les ressources marines pour en faire des produits. Les études des ethnologues montrent qu’il est important de bien comprendre le rapport qu’il y a entre le vocabulaire utilisé dans les textes et le sens qu’on lui donne. On va dire que les marins pêcheurs prélèvent des ressources qui appartiennent à un bien commun qui est la mer. D’une part, ils ne se l’approprient pas gratuitement. La pêche coûte très cher, vous savez ce que coûtent des bateaux, des engins de pêche … ? Et la ressource est une ressource quand elle est dans la mer et un bien commun car dans le domaine public, mais elle devient quelque chose de tout à fait différent à terre. Quand un maquereau est débarqué sur un quai, ce n’est plus une ressource marine mais bien un produit parce que les pêcheurs ont travaillé. Effectivement, c’est un deuxième élément de ce système pêche qui est fort important et je voudrais mettre l’accent sur ce processus qu’est la pêche, qui est un processus économique, technique et qui est souvent évacué quand aujourd’hui on veut appliquer les nouveaux modèles de pêche puisque c’est bien ça dont il s’agit vers le développement durable, encore une expression complexe.
Le troisième aspect dans ce système pêche – Monsieur l’Ambassadeur en a parlé de façon très élégante, en précisant que le nom de la mer à Madagascar, c’est l’eau sacrée – est le patrimoine maritime. Je ferai juste une évocation ; ceux qui me connaissent savent que je ne suis pas une défenseuse du patrimoine maritime mais de culture maritime vivante et pas dans les musées. Autrefois, les bretons, les celtes, avant la christianisation, avaient un culte de la mer et Paul Sébillot, bien familier des bretons, en parle. Mais si les bretons n’ont plus le culte de la mer, la pratique de la pêche est aussi le fondement de cultures marines très diverses. On parle beaucoup des pêcheurs en bloc, mais il y a aussi une grande diversité des pratiques, des organisations sociales.

Aujourd’hui, effectivement, il va y avoir des applications de nouveaux modes de pêche pour la préservation, la conservation de la biodiversité, c’est-à-dire des espèces biologiques, et on veut imposer ces nouveaux modes de pêche aux marins pêcheurs. Mais un mode de pêche, comme je viens de l’expliquer, est un système fort complexe, avec des aspects économiques, politiques, techniques, sociaux et culturels. Quand on veut appliquer aujourd’hui ces nouveaux modes de pêche, on ne prend souvent en compte – même quand il y a des discussions avec les marins pêcheurs, et Dieu sait s’il y a des formes de collaboration – que les aspects biologiques et non les déterminants économiques.
D’autre part, un aspect important aujourd’hui, qui peut paraître fort simpliste dans cette défense de la biodiversité, et dont on ne parle pas, est l’un des fondements où cette défense de la biodiversité a un aspect idéologique qui, probablement d’ailleurs, dépasse complètement les recherches des biologistes tout particulièrement. Ainsi, du fait de ce développement de cette idéologie, les pêcheurs sont traités comme une masse de gens, on en parle de façon très globale – ce sont effectivement des usagers – et sont accusés dans toute une presse d’être les principaux destructeurs et prédateurs de cette biodiversité marine. Il n’y a souvent, dans cette presse et dans ce mouvement, aucune réflexion sur ce dont je viens de parler, c’est-à-dire la notion de système. On va parler autrement tout simplement du fait qu’ils prélèvent ou qu’ils détruisent sans tenir compte des aspects économiques, culturels et sociaux de la pêche. On va les accuser de détruire, on ne cherche pas toujours à bien comprendre pourquoi il y a eu destruction, c’est-à-dire impossibilité de renouveler certaines espèces.
Alors qu’il faut bien reconstituer l’histoire des pêches pour bien comprendre que dans certains cas, effectivement s’il y a eu destruction d’une espèce, c’est probablement dû à un certain nombre de destructions de facteurs qui constituaient cette espèce. Je prends comme exemple la morue, puisque je parlais de Saint-Pierre-et-Miquelon, où aujourd’hui il y a un moratoire qui a été appliqué par le Canada sur la morue en Atlantique nord-ouest depuis 1994. Nous sommes aujourd’hui en 2006, ce moratoire devait durer un an et il dure déjà depuis 12 ans et ne sera pas levé. Quand je vous disais qu’on ne tenait pas toujours compte de tous les facteurs anciens et de l’histoire même de cette biodiversité, et bien le Canada a laissé pendant plus d’une vingtaine d’années des sociétés et des compagnies de pêche américaines détruire – et là, vraiment détruire – et pêcher dans les frayères de harengs dans l’ensemble du Golfe du Saint-Laurent ; la Gordon Pew a pêché pendant des années et détruit définitivement les populations de harengs. Je vous parlais tout à l’heure de chaîne alimentaire : le hareng sert à nourrir la morue. Il faut donc reconstituer le système pour comprendre puisqu’on veut agir sur le système de pêche, il faut savoir pour qui, pourquoi les pêcheurs pêchent et il y a aussi des éléments en aval de la pêche.
Les pêcheurs sont des acteurs mais comme il y a une pêche artisanale, on considère qu’ils ont l’ensemble de la responsabilité, mais ils n’ont pas la liberté du commerce. Il faut aller à l’amont voir pourquoi ils pêchent : pour commercialiser, pour vendre. Ils ne pêchent pas uniquement pour la godaille.
Autre exemple : pourquoi y a-t-il eu le développement de la pêche aux poissons de grandes profondeurs ? On est en train de nous dire maintenant que les poissons de grandes profondeurs n’existeront plus … Nous avons assisté au développement de cette pêche, par exemple dans le port de Lorient, qui a succéder rapidement à la pêche de grande profondeur du port de Boulogne. Quand ça a été fait, il y a eu des liens entre non pas les pêcheurs, mais les armateurs. Ce sont eux qui ont entraîné des chalutiers, qui n’étaient pas toujours aménagés, pour la pêche de grande profondeur, à 800, 1000 ou 1200 mètres, et à aller, puisqu’il n’y avait plus de merlu, chercher des poissons de grandes profondeurs, c’est-à-dire l’hoplo, le grenadier (déjà pêché car dans des profondeurs moindres) et le siki. La discussion avec les scientifiques avait lieu entre les chercheurs d’Ifremer … Effectivement, on savait très bien que la croissance des poissons de grandes profondeurs étaient très lente, tout particulièrement l’hoplo. Aujourd’hui, on découvre qu’il n’y en aura plus. Mais, à ce moment-là, il y a eu nécessité de la part des armateurs de rentabilité des chalutiers. Les pêcheurs on fait ce qu’on leur a dit, c’est vrai qu’ils veulent gagner leur vie mais qui peut le leur reprocher ?

Les outils de la préservation et de défense de la biodiversité sont donc biologiques sans aucune doute, et je suis bien d’accord avec ce qui a été dit précédemment à condition de développer des recherches et des recherches fondamentales en biologie et zoologie.
Mais c’est aussi des outils économiques, on en connaît un certain nombre. Ces outils ont déjà été mis en place dans certains pays, par exemple en Islande. Ils ne sont pas tous aussi efficaces qu’on le veut parce que cela a entraîné un développement de la pêche côtière, puisque les quotas ont été libres pendant beaucoup plus longtemps. Et la pêche côtière n’est pas une pêche douce avec la pêche à la palangre. Il y a une multiplication du prélèvement des espèces dans certains milieux côtiers.
Il y a aussi des outils politiques et enfin, des outils idéologiques. Pourquoi défendre la biodiversité aujourd’hui ? Bien entendu pour l’esthétisme, comme l’avait écrit l’auteur du journal « Pêche et développement » il y a quelques années pour le forum de la pêche artisanale, « pour que si Dieu revient sur terre, il trouve la nature dans l’état dans lequel il l’a créée » ; enfin je pense, comme beaucoup d’entre vous, que ce n’est pas le but de notre opération, cependant ça a été écrit.
Donc, la défense de la biodiversité, c’est pour défendre un bien commun, les ressources naturelles. Mais en amont, il y a un problème politique important. Pourquoi, depuis quelques années, a-t-on créé cette expression « biodiversité », alors qu’en fait, c’est une expression « diversité des espèces » et les autres expressions comme « écosystème » ou « chaîne alimentaire » en faisaient partie ? Il y a une concentration à propos de cette défense et dont il faut construire l’ensemble du système et du contexte.

La connaissance du milieu et la création d’outils de possibilité de poursuite des activités de pêche développeraient des collaborations entre l’ensemble de ceux qui, sous a priori politique, peuvent contribuer à créer ces outils, c’est-à-dire aussi des biologistes, des économistes, des politiques, des ethnologues ou sociologues, et l’ensemble des acteurs.






Mis à jour le 18 janvier 2008 à 15:26