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2006 : La biodiversité du littoral > TR 4 : Place du citoyen et des élus dans les prises de décision >  L'approche écosystémique, vers une responsable, coordonnée et démocratique sur la biodiversité

L'approche écosystémique, vers une responsable, coordonnée et démocratique sur la biodiversité

Betty Queffelec, Chercheur au CEDEM-UBO, Centre de Droit et d’Economie de la Mer.

Biographie :

QUEFFELEC Betty

Compte rendu :

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Transcription :

14 octobre 2006 TR4


Discours de Betty Queffelec


Bonjour,
Je vais vous présenter une approche récemment développée au niveau international : l’approche écosystémique. Au niveau international, c’est-à-dire dans le cadre de forums de discussion entre Etats, qui peuvent être des instruments de suivi de convention internationale, comme la convention sur la diversité biologique adoptée en 1992 lors de la conférence de Rio ou des conférences réunissant les Etats sur des questions particulières comme la pêche. L’approche écosystémique a été développée à ce moment-là. Cette approche n’est pas exclusivement juridique, elle intéresse d’une manière générale la protection de l’environnement, mais le juriste va pouvoir y retrouver différents éléments particulièrement importants parce qu’elle permet d’avoir une vision globale des différentes évolutions au niveau du droit de l’environnement développé depuis les années 90.
Je vais commencer par une définition développée dans le cadre de la conférence des parties à la convention sur la diversité biologique. Il s’agit d’une stratégie de gestion intégrée des terres, des eaux et des ressources vivantes, qui favorise la conservation, l’utilisation durable d’une manière équitable. Dans cette première définition, qui est une approche très scientifique, on retrouve des notions de stratégie, c’est-à-dire qu’il va y avoir une nécessité de planification, de projection dans l’avenir, une gestion intégrée (pour ce qui est de la biodiversité littorale, on va retrouver des notions très proches de la GIZC ).. La nature y apparaît sous différents angles, c’est-à-dire qu’on n’est pas dans un système qui vise exclusivement la protection de l’environnement au sens conservateur du terme. C’est à la fois la nature à exploiter et la nature à protéger. On a donc un objet qui est la biodiversité développée dans ses multiples facettes.
Cette définition scientifique n’est pas l’intégralité de l’approche écosystémique parce qu’elle correspond à un certain consensus avec les Etats et ils ont développé cette notion au travers de différents principes et lignes directrices, dans laquelle, par la suite, on voit conforter l’idée que l’approche écosystémique est une approche fondamentalement orientée sur le développement durable. En effet, on a une prise en compte d’éléments écologiques, économiques, sociaux, culturels et non pas exclusivement naturels. C’est un élément qui développe également l’idée d’une gestion qui va être intégrée. Il y a également dans cette approche un élément fondamental : la question des échelles. L’échelle va se situer au niveau à la fois géographique et temporel. Au niveau temporel, on retrouve l’idée de la stratégie que l’on a dans la définition initiale, l’idée de planification. Au niveau spatial, il va y avoir une réflexion sur le niveau de décision adéquat. Au niveau local, il va y avoir un élément de prise de décision pour l’environnement, c’est-à-dire une première définition de ce qu’est un écosystème au niveau local. On pourrait penser d’un point de vue très concret que la simple application de l’approche écosystémique suffit, qu’on définit quel est l’écosystème de la Rade de Brest et ensuite on utilise les différents outils à disposition au niveau juridique pour réglementer cet écosystème et permettre une protection de l’environnement, le tout dans un cadre de développement durable. Or, on s’aperçoit que par rapport aux différents outils que l’on a, on a systématiquement une définition différente de l’écosystème. Certains outils, comme Natura 2000, vont utiliser la zone marine, d’autres, liés plus à des questions d’eaux douces, vont utiliser également les bassins versants. On se rend compte que la définition de l’écosystème va varier en fonction de l’objectif que l’outil juridique se donne. On aboutit donc, d’une part à ce que l’on appelle classiquement le mille-feuille juridique, c’est-à-dire une multiplication des réglementations mais aussi une multiplication des zonages, pour chaque réglementation, on a un nouveau zonage particulier. Ces zonages viendront pour une part de réglementation nationale et locale mais également au niveau européen. Celui-ci va amener des normes qui vont devoir être appliquées au niveau local, comme la DCE avec une certaine délimitation (un mille au delà des lignes de base droite). On va avoir d’autres limitations quand on va prendre d’autres réglementations comme la Directive Habitat et la Directive Oiseau qui vont fonder la base de Natura 2000. Donc, même si théoriquement l’approche écosystémique est quelque chose de relativement simple, en réalité, dans l’application, on se retrouve avec une conception de l’écosystème qui varie en fonction des objectifs.
Au niveau européen, il pourrait également y avoir prise en compte de l’écosystème global de l’Union Européenne, sauf que au niveau international, on se rend compte que l’Union Européenne n’a pas un écosystème marin complètement cohérent. Les réglementations prises au niveau de la Méditerranée ne vont pas être celles prises au niveau de la Baltique. Par conséquent, on a l’élément Union Européenne qu’on ne va pas redécouper pour correspondre aux écosystèmes, c’est la zone de prise de décision. Par contre, la prise de décision va pouvoir participer au niveau international à différentes conventions. Au niveau méditerranéen, le système Barcelone permet aux Etats méditerranéens de prendre des décisions de concert ; au niveau de la Baltique, un système idoine existe également. On voit donc qu’il n’existe pas forcément une adéquation entre le niveau administratif de prise de décision et le niveau écosystémique. Ce n’est pas pour autant une limite parce qu’on a n’a pas besoin d’une adéquation totale, ce dont a besoin, c’est d’une coopération entre les différents acteurs détenteurs de la prise de décision autour d’un même écosystème cohérent. L’UE est donc impliquée dans les différentes conventions régionales qui entourent ses différentes eaux.
Evidemment au niveau global où on retrouve un dernier niveau de prise en compte de l’écosystème, l’écosystème de la biosphère pour lequel on a également des réglementations qui vont être internationales : la convention sur la diversité biologique par exemple, vise l’intégralité de la biosphère. Par contre, généralement ce type de texte possède un niveau de détail moindre parce qu’il doit pouvoir s’adapter à l’intégralité des zones concernées, c’est-à-dire aussi bien en Bretagne qu’au Japon. Il n’est donc pas possible, dans ces textes-là, de prendre des décisions particulièrement fines dans les modalités de mise en œuvre par exemple. Donc, on est dans des documents qui ont souvent un aspect de document cadre, qui vont donner les grandes directives et dans lesquels vont devoir s’insérer par la suite les décisions qui sont prises au niveau régional puis au niveau national. L’organisation entre ces différents niveaux – local, national, européen et mondial – va être organisée par ce que l’on appelle, au niveau européen, le principe de subsidiarité, c’est-à-dire qu’on essaie de trouver pour chaque action quel va être le niveau d’action le plus pertinent. Par exemple, pour la question de la biodiversité, l’un des éléments apportés est que la gestion du partage équitable des ressources génétiques devait se faire au niveau global. Avec les interactions qui existent au niveau global, on ne pouvait pas réglementer ce domaine au niveau simplement régional ou national, parce qu’on aurait eu des effets d’Etats opportunistes qui ont une réglementation beaucoup plus laxiste que d’autres et qui vont faire appel pour que les industriels viennent chez eux. Donc, pour certains éléments, on a une volonté de faire les choses au niveau global et pour d’autres, on descend à d’autres niveaux jusqu’au local.
Au niveau juridique, dans le cadre de cette approche écosystémique, ce qui est important, c’est de définir plusieurs éléments et plusieurs droits pour la question de l’intervention du citoyen dans la prise de décision. Tout d’abord, il faut définir le droit de savoir. Cela peut être d’une part le droit à la formation : pour pouvoir comprendre différents éléments qui vont être donnés, il faut avoir une formation efficace et continue. C’est également un droit à l’information : comment va-t-elle être transmise au niveau de l’environnement, des décisions qui vont être prises pour la protection de l’environnement, quelles seront ses implications ? Quelle est l’étendue de cette information ? C’est également le droit à la construction de la connaissance, c’est-à-dire la reconnaissance du savoir des populations locales et la co-construction de cette connaissance avec les scientifiques et toute la question de savoir comment intégrer cette connaissance. Donc, au niveau juridique, on a différents éléments qui permettent l’intégration de ce droit au savoir. Au niveau global, la convention d’Arrhus a permis de poser le principe. Au niveau national, nous avions déjà plusieurs types d’outils, dont un particulièrement ancien et que l’on connaît bien, l’enquête publique.
A ce droit de savoir doit s’ajouter la question du droit de décider. Il est important de définir qui a le droit de décider et quelle va être l’étendue de ce pouvoir. L’un des éléments fondamentaux va être : qui est l’autorité compétente pour prendre la décision au final ? En effet, dans le cadre de la participation des citoyens, de démocratie participative, on a une volonté de faire en sorte que les citoyens puissent s’exprimer sur les questions de protection de l’environnement. L’un des éléments important, c’est de savoir jusqu’où ce pouvoir s’étend. Est-ce qu’on va jusqu’au référendum local où on décide véritablement en démocratie directe de l’adoption ou non de tel ou tel outil ou bien est-ce qu’il s’agit d’un simple avis. Si c’est un simple avis, est-ce que cet avis va avoir un poids important. Juridiquement, comment peut-on traduire cette orientation ? La procédure va protéger le citoyen dans son droit de participer. Est-ce que si vous n’avez pas été consulté pour telle ou telle procédure, alors que celle-ci le prévoyait, vous pouvez faire annuler la procédure ? C’est une garantie importante pour le citoyen. Ce degré d’intervention dans le droit de décider est à définir clairement.
Ensuite, l’intégration du risque d’erreur est un élément important. En effet, on a beaucoup de connaissances scientifiques, on a une volonté d’action sur les écosystèmes, on n’a pas une capacité totale à prévoir ce qu’il va se passer lorsqu’on mettra en œuvre les outils prévus pour la protection de l’environnement. Par conséquent, l’un des éléments importants va être – dans la même idée que le principe de précaution – de savoir que l’on agit dans une situation où l’on a un certain degré d’incertitude, et donc de mettre en œuvre tous les moyens disponibles pour faire en sorte que la décision prise puisse aller dans le bon sens. Mais également, et c’est là l’idée d’intégration du risque d’erreur, ce n’est pas simplement de prévoir que ça se passe au mieux, il faut prévoir la situation dans laquelle ça ne se passerait pas au mieux. A ce moment-là, il faudrait, dans le cadre d’une volonté d’adaptabilité, pouvoir modifier la norme, retravailler à partir d’un suivi de la mise en œuvre de l’outil et pouvoir contrebalancer des effets potentiellement négatifs. Enfin, l’intégration du risque d’erreur, c’est également la prévision de plans, de mesures d’urgence pour le cas où un accident puisse intervenir et donc prévoir également la possibilité qu’une situation catastrophique existe et savoir comment la gérer au plus tôt pour limiter les effets négatifs. On a donc un élément de précaution qui va être particulièrement important à envisager.
L’intégration du risque d’erreur va conduire au devoir d’assumer : le fait de devoir assumer ses propres responsabilités à chaque niveau du citoyen jusqu’aux Etats, va être également un élément important et qui est moins développé dans la littérature sur l’approche écosystémique, pourtant c’est la condition pour faire fonctionner le système, soit l’ancrage dans le réel. Le devoir d’assumer ses responsabilités face à l’environnement, c’est le devoir d’agir lorsqu’il y a nécessité, c’est également le devoir de réparer lorsqu’un dommage a été créé à l’environnement, de réparer au mieux par un retour au niveau naturel mais également par un dédommagement financier des éléments qui auront subi le dommage.
J’en arrive à une dynamique de cette approche écosystémique entre un niveau de responsabilité, une volonté de coordination et l’élément démocratique qui se trouve au centre. La question de la responsabilité va revenir à l’idée de l’action d’informer, de décider la mise en œuvre du principe de précaution ; le fait de pouvoir répondre de ses actes va également être lié avec l’idée de cohésion entre les actions. Il faut que les actions prises dans le cadre d’une approche écosystémique soient cohérentes entre elles, et qu’il y ait également une coopération entre les différents acteurs et les différents territoires qui les mettent en place.
Au final, je place l’élément démocratique au centre de cette approche parce qu’on peut développer l’intégralité des principes du droit de l’environnement autour de cette approche écosystémique, c’est une approche qui ne fonctionne pas toute seule. Elle fonctionne parce qu’il y aura une volonté politique de la mettre en œuvre. Le cœur du problème est qu’il faut accorder une place importante dans ce système à l’idée de démocratie, elle peut être participative ou représentative et il faut une articulation entre ces deux types d’intervention du citoyen.
Pour conclure, la décision est fondamentalement politique.





Mis à jour le 21 janvier 2008 à 12:21