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Le littoral vu par les jeunes
Les webtrotteurs des lycées Vauban et Kerichen sont allés à la rencontre des jeunes des écoles de Ouessant et du Conquet et leur ont posé une question simple : Pour toi, qu'est-ce que le littoral ?

Visionnez les réponses des jeunes :
- Ecole Sainte Anne à Ouessant
- Ecole Saint Joseph au Conquet



2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 1 : Un littoral, des approches diversifiées >  La montée des eaux : la dépoldérisation

La montée des eaux : la dépoldérisation

Fernand Verger, Professeur Emérite de l’Ecole Nationale Supérieure, Directeur d'études à l'école Pratique des Hautes études où il a dirigé le laboratoire de géomorphologie de 1966 à 1998. Vient de publier Verger F., Marais et estuaires du littoral français, ed. Belin

Biographie :

VERGER Fernand

Compte rendu :

Voir la vidéo de Fernand Verger


Transcription :

7 octobre 2005 TR1


Discours de Fernand Verger

Faut-il dépoldériser ?

Pendant des millénaires l’homme a cherché à conquérir des terres sur la mer et à drainer les terres humides, à domestiquer les estuaires. Il faut rappeler, comme en témoignent les textes de Pline l’ancien, qu’il y a plus d’un millier d’années, même avant les endiguements, des buttes insubmersibles avaient été édifiées le long de la mer du Nord.
C’est au Moyen Age, à l’époque des grands défrichements des XIe et XIIe siècles, que la plupart des conquêtes sur la mer, notamment en France se sont faites au moyen d’endiguements : dans la baie du Mont Saint-Michel, dans le marais Poitevin, dans le marais Breton...
Puis on a assisté à une phase de rémission qui, comme l’a souligné notre collègue historien, André Lespagnol (historien, Conseiller régional de Bretagne), s’est achevée avec l’apparition de l’intervention de l’Etat, et c’est au XVIIIe siècle en 1762, à l’époque des physiocrates, que Henri Bertin a accordé des exemptions pour les endiguements. Il s’en est suivi une grande phase de développement des endiguements sur toutes les côtes françaises. Dans la baie du Mont Saint-Michel, c’est un armateur granvillais, Quinette de la Hogue qui obtient des concessions et c’est le marquis de Civrac qui endigue le domaine de Certes sur les rives du bassin d’Arcachon. Ce mouvement a connu un renouveau sous le Second empire - qui est aussi la grande période des défrichements - ainsi qu’après la Libération. Dans cette dernière période, on a endigué de nombreux polders et de grands travaux ont été entrepris comme l’aménagement du canal Bas-Rhône-Languedoc ainsi que les grands travaux du marais de l’Ouest.

La frontière entre la terre et la mer a ainsi été repoussée, les échanges entre terre et mer - le mélange estuarien - ont aussi diminué et des barrages ont été créés. La comparaison entre la Flandre au Moyen Age et la Flandre aujourd’hui met en évidence la disparition de ces échanges entre terre et mer. Il y a bien un cordon dunaire consolidé et des écluses, mais elles ne permettent plus d’échanges, seulement l’écoulement d’eaux quelquefois polluées. De même dans la Somme, le barrage d’Arzal établi sur la Vilaine en 1969, le barrage de la Caserne sur Couesnon près du mont Saint-Michel en 1969, les barrages sur le Lay dans le marais Poitevin interdisent les échanges entre terre et mer.

Quelle était l’idée derrière l’édification de ces barrages ? C’était gagner de nouvelles terres et créer des réserves d’eau douce pour l’agriculture. A l’époque l’agriculture était dominante et pendant longtemps il a fallu - à juste titre - accroître la production agricole, notamment les céréales. Or, notamment à l’époque du Moyen Age, pour accroître la production on ne savait qu’accroître les superficies, mais aujourd’hui on sait accroître les rendements et on cherche à diminuer la superficie. L’objet de la politique agricole commune est de réduire les superficies cultivée et de contraindre les agriculteurs à mettre des terres en jachères et il est possible d’affirmer qu’aujourd’hui, la conquête de nouvelles terres n’est plus une nécessité. On s’est aperçu aussi que cette conquête de nouvelles terres avait des conséquences fâcheuses. Fâcheuses face à la disparition des prés isolés que les géographes appellent des schorres, lieux de très haute productivité sur lesquels il n’y a que des végétaux halophiles qui sont submergés lors des hautes marées. Dès 1960 les phytogéographes John et Mildred Teal ont mis en évidence la grande productivité des prés salés, ces prés salés qui ont disparu des Flandres et beaucoup diminué dans la baie de Somme, dans l’estuaire de la Vilaine, dans l’Anse de l’Aiguillon et dans bien d’autres endroits encore. Les Néerlandais et les Belges ont mené des études quantitatives très poussées à l’occasion des travaux du Plan Sigma dans l’estuaire de L’Escaut occidental. Ils ont constaté qu’en vingt ans la superficie des prés salés avait diminué de moitié, or ces lieux de très grande productivité alimentent et nourrissent les poissons, ainsi que la vie littorale. La disparition de ces prés salés pâturés par les oies cendrées et par l’avifaune a entraîné la disparition de beaucoup de lieux de gagnage. La conquête de nouvelles terres n’offre donc plus d’intérêt agricole et induit des inconvénients pour la biologie littorale.

Les grands estuaires, notamment celui de la Seine qui a été rigoureusement corseté, ont aussi beaucoup souffert, mais il faut bien admettre que les intérêts industriels ou portuaires nécessitent quelquefois de modifier la physionomie du littoral.
Après plus d’un millénaire de conquêtes, la question se pose de manière urgente : que faire aujourd’hui et faut-il continuer cette politique car plusieurs phénomènes se conjuguent : la montée du niveau de la mer évoquée par le professeur Lucien Laubier, président des entretiens « Science et Ethique », la répercussion de l’élévation du niveau de la mer attendue au XXIème siècle sur les terrains du Conservatoire du Littoral , analysée par Violaine Allais et Christine Clus-Auby à travers les enquêtes du Conservatoire du littoral.

Voici une image extraite d’une illustration publiée par Annie Cazenave, qui montre l’élévation du niveau moyen de la mer mesurée par le satellite Topex Poséidon.

image Science et Ethique

Nous savons que le niveau de la mer s’est élevé au cours des 120 dernières années. Cette élévation a été mesurée, sur nos côtes elle est d’une quinzaine de centimètres, et on s’aperçoit que cette montée du niveau de la mer s’accélère. Cependant on ignore quelquefois les traductions locales de cette élévation moyenne du niveau de la mer. Des simulations pour les travaux de la baie du Mont Saint-Michel ont été menées qui ont permis d’analyser que le niveau des pleines mers, dans cette baie ne serait que de 40 cm si le niveau moyen de la mer augmentait de 50 cm, ce qui prouve qu’il y a bien une géographie locale de l’élévation du niveau de la mer. Il est plutôt encourageant de savoir que la montée du niveau des pleines mers sera, à cet endroit-là, inférieure à la montée du niveau moyen. Mais à d’autres endroits comme les rives des estuaires, l’augmentation peut-être plus grande, selon la géométrie littorale et l’on sait avec une quasi certitude que cette élévation comporte des dangers face auxquels il faut s’interroger sur la politique à adopter. Faudra-t-il corseter tous les polders conquis, et les défendre coûte que coûte ?
Il semble bien que non si l’on regarde toutes les expériences de « dépoldérisation » menées en France.
On pourrait aussi parler du retour à la mer de certains polders, retour accepté dans la baie de Somme, notamment avec un polder privé, celui de Mollenel.
D’autres dépoldérisations ont été menées dans le bassin d’Arcachon, dans l’estuaire de la Gironde, et dans ces cas précis, la chance a été que le Conservatoire du littoral ait pu acquérir ces polders après qu’une tempête les ait envahis. Le Conservatoire du littoral a décidé de les laisser envahir par la mer et les avantages sont multiples avec notamment la reconstitution des prés salés lieux de productivité. Cela permet aussi, en cas d’élévation du niveau de la mer, la création d’une zone tampon sur laquelle l’agitation de la mer s’atténue, ce qui est utile aux digues situées à l’arrière. Car souvent, ces polders appartiennent à des séquences de polders : l’un est en bordure maritime tandis que d’autres, conquis antérieurement, sont en arrière.
Dans le polder de la Prée Mizottière sur la rive droite de la Sèvre Niortaise lors de la tempête du 27 décembre 1999, un bateau a rompu ses amarres, enfoncé la digue et le polder a été submergé.
Cette situation s’est reproduite à plusieurs reprises en Louisiane, lors de la dernière tempête de la Nouvelle-Orléans au cours de laquelle les bateaux libérés ont enfoncé tels des béliers les digues littorales. Et il est certain, que laisser le premier polder en l’état avec ce qui demeure de sa digue, créé une défense tout à fait efficace. L’actualité laisse donc à penser qu’il est possible de se défendre en rendant à la mer les polders littoraux.

image Science et Ethique

image Science et Ethique



La carte de l’Anse de l’Aiguillon, que j’ai publiée en 1968, comparée à celle que j’ai publiée en 2005 constitue un exemple démonstratif du changement de politique concernant la notion de frontière entre la terre et de la mer. Entre les deux, il y a une grande différence : sur la carte de 1965 (à gauche) il s’agissait encore de prendre des terres sur la mer et l’on voit le dernier polder dans la commune de Saint-Michel-en-l’Herm. L’idée était d’ailleurs d’en prendre d’autres dans l’Anse de l’Aiguillon mais un rapport très sévère de la Cour des Comptes montrant que c’était là une « vasière » dans laquelle s’engouffraient les crédits a sagement interrompu le processus.

L’autre carte (à droite) d’une facture plus moderne, plus récente montre le polder de Mortagne-sur-Gironde envahi par la mer le 27 décembre 1999 lors la fameuse tempête. L’on voit bien le polder, le chenal de Gironde, à gauche, et puis la digue coupée à plusieurs endroits. Le préfet a fait édifier en hâte une digue de protection en arrière, et le polder acquis ensuite par le Conservatoire du littoral est aujourd’hui envahi à chaque pleine mer de vive-eau de la Gironde. L’on s’aperçoit alors qu’il y a des milliers de gobies dans tous les chenaux qui se sont creusés et j’ai pu constater sur place l’incroyable foisonnement de poissons. C’est donc bien un espace tout à fait favorable à la production de poissons avec des petites soles, des mulets, des anguilles etc.… et un net accroissement de la fréquentation par l’avifaune. Il n’y a d’ailleurs pas que des côtés enthousiasmants, car une centaine de sangliers se sont établis dans la roselière créant quelques problèmes et certains regrettent un peu, du moins les cultivateurs du coin, que les sangliers se déplacent vers la bordure charentaise.
Mais ces deux exemples montrent bien l’évolution et combien ces espaces sont tout à fait favorables à la vie, à la flore, à la faune.
Sur la carte de gauche j’ai indiqué « prendre » et sur celle de droite « rendre » les terres à la mer.
Sur cette carte (laissant de côté les Pays-Bas où les exemples existent aussi) j’ai choisi de représenter des exemples de dépoldérisation en France et en Grande-Bretagne. Sur les sites en France de Graveyron, de Mortagne-sur-Gironde, de Sébastopol dans l’île de Noirmoutier, il s’agit seulement d’une entrée volontaire d’eau salée, avec un but exclusivement écologique. Et puis il y a l’exemple de l’aber de Crozon qui a été réestuarisé par le Conservatoire du littoral dans les années 80. Il ne s’agit pas là d’une « dépoldérisation » au sens strict, puisque, l’aber n’était pas un polder, mais simplement un estuaire barré.

On peut citer aussi un autre polder situé dans la baie des Veys, le polder du Carmel qui appartient au Conservatoire du littoral et pour lequel ce dernier admet l’entrée d’eau salée. Autre exemple de dépoldérisation acceptée avec le polder de Mollenel en baie de Somme où c’est d’ailleurs un particulier qui a considéré que le coût de la reprise était excessif. Et aujourd’hui, l’évolution du paysage botanique de cet ancien polder satisfait tout le monde. En France, seules les dépoldérisations que suggèrent les tempêtes sont acceptées, contrairement à l’Angleterre et à l’Ecosse où cinq expériences de dépoldérisation volontaire ont été menées.
La première est celle de Tollesbury en 1995 suivie de plusieurs autres. A chaque fois des brèches ont été volontairement ouvertes pour permettre à l’eau salée de pénétrer dans le polder, essentiellement dans le dessein de défendre le littoral contre l’élévation du niveau de la mer. Cet exemple souligne la différence entre la politique britannique de nature volontariste qui prévoit des mesures préventives pour la défense du littoral et la politique française d’acceptation qui se contente de ne pas obstruer les brèches ouvertes par les tempêtes. C’est à dire que lorsque les tempêtes créent les conditions « favorables », cette politique est appliquée en France, mais l’initiative en revient à la mer et non à une réelle volonté politique.

Les polders ont fait l’objet de nombreuses études qui font apparaître un certain nombre de problèmes, parmi lesquels celui de la sécurité des personnes qui sont à l’arrière des digues dormantes — dormantes car elles ne sont plus, aujourd'hui, en contact avec la mer. Les digues dormantes doivent se réveiller quand on dépoldérise mais cette situation n'est pas sans danger car souvent elles n'ont pas été entretenues, du moins en France car aux Pays-Bas elles sont en général maintenues en bon état.
Un exemple de mauvais entretien, dans le marais breton il y a des digues dormantes, juste à l’arrière de la défense littorale, dont les pierres ont servi à construire des maisons ou à empierrer les chemins, quand ce n’est pas le passage du bétail qui crée des affaissements.
Aux Pays-Bas, des systèmes de protection ont été mis en place : madriers, sacs de sable, rainures qui permettent si besoin est d’obstruer rapidement les brèches qu'offriraient les voies de circulation, mais en France où ce type de prévention n’existe pas, il est grand temps d’y réfléchir.
Or la politique de dépoldérisation préventive rencontre une certaine hostilité de la part des riverains, tant est ancrée dans la mentalité collective depuis un millénaire, la conception quasi-militaire de lutte contre la mer (voir à ce sujet le livre Vaincre la mer publié en 1950) contre laquelle il est difficile d’aller. Il faut dire que même aux Pays-Bas, il a fallu vaincre l’hostilité des riverains, parfois avec l’aide de la gendarmerie et qu’en Angleterre à Preiston, les riverains ont d’abord été violemment contre avant qu’un retournement d’opinion n’ait lieu grâce à la création d’une réserve naturelle. Quatre ans plus tard, les réticences sont tombées et les riverains très favorables à la politique menée.

J’ai choisi de traiter ce thème pour attirer votre attention sur la nécessité d’anticiper les phénomènes naturels plutôt que de les subir, et de mener une réflexion à ce sujet pour définir une politique de prévention.






Mis à jour le 21 janvier 2008 à 14:53