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Le littoral vu par les jeunes
Les webtrotteurs des lycées Vauban et Kerichen sont allés à la rencontre des jeunes des écoles de Ouessant et du Conquet et leur ont posé une question simple : Pour toi, qu'est-ce que le littoral ?

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2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 3 : Penser ensemble le littoral de demain >  La coquille Saint-Jacques en rade de Brest

La coquille Saint-Jacques en rade de Brest

Frédéric Jean, Chercheur à Lemar-IUEM/UBO

Biographie :

JEAN Frédéric

Compte rendu :

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Transcription :

8 octobre 2005 TR3


Discours de Frédéric Jean

J’ai participé avec l’un de mes collègues, Yves-Marie Paulet, au colloque de l’ICSR (International Conference on Shellfish Restoration) au début de la semaine, et je vais essayer de vous présenter une petite synthèse de ce qui s’est dit pendant cette conférence, lors d’une session spéciale sur la rade de Brest. En fait, j’ai repris assez largement une présentation que nous avions élaborée, Yves-Marie Paulet et moi-même, pour ce colloque.
Je vais commencer par faire un petit peu d’histoire, pour ceux qui ne seraient pas au courant de ce qui s’est passé en rade de Brest, même si je ne vais pas refaire tout l’historique de pourquoi on pêche la coquille Saint-Jacques en rade de Brest, d’autres sachant le faire mieux que moi - lors du colloque, on a vu une présentation de Pierre Arzel qui était extraordinaire sur le sujet.
En termes de pêcherie, si on remonte dans les statistiques de production en rade de Brest, il s’avère qu’il y a plusieurs événements majeurs qui ont eu lieu. Avant les années 1950, il y a eu un âge d’or de la pêche à la coquille Saint-Jacques dans la rade de Brest, cette pêche se faisant alors avec des navires qui n’étaient pas spécialement adaptés à la pêche à la coquille Saint-Jacques. On pêchait et on draguait à la voile. Il y a eu un premier événement dans les années 1950, avec la motorisation et l’apparition de bateaux dédiés à ce travail. Cet événement est traduit sur ce graphique par une variabilité quand même assez importante - même à cette époque - des productions de la pêche. Cette modernisation des bateaux aboutira aux bateaux tels qu’on les voit à l’heure actuelle évoluer en rade pendant la saison. Il y a ensuite eu un événement majeur qui n’a rien à voir avec ça – ou qui a peu à voir avec ça en termes de surpêche – c’est l’hiver 1962-1963, lequel a été un hiver très froid ; après cet hiver, vous voyez sur ce graphique que les productions se sont complètement effondrées. Alors je vais essayer de vous montrer comment on peut faire un parallèle entre ce qui s’est passé en termes scientifiques et en termes de réflexion sur cette pêcherie, et ce que faisaient les pêcheurs et les producteurs pendant ce temps-là. Vous allez voir qu’il y a des points de convergence que l’on pourrait peut-être trouver.
Au début des années 1970 le CNEXO (Centre National pour l’Exploitation des Océans) et les pêcheurs ont engagé une première série de réflexions en vue d’améliorer et de rendre plus pérenne la pêcherie de la coquille sur toute la Bretagne - pas seulement en rade de Brest, mais aussi dans la baie de Saint-Brieuc. Parallèlement, dans des laboratoires universitaires avaient été développées des recherches plus fondamentales qui portaient sur la fécondation, le développement larvaire chez cette espèce et qui, en fait, reprenaient des travaux anglo-saxons qui avaient été élaborés sur des mollusques en général, en vue de maîtriser la fécondation et le développement larvaire. L’objectif a été à peu près atteint au milieu des années 1970.
Que savait-on de l’écologie de la coquille Saint-Jacques à l’époque ? On pensait qu’elle avait un comportement assez particulier, et c’est Yves-Marie Paulet qui a retrouvé une citation qui décrit quasiment les coquilles Saint-Jacques comme des animaux migrateurs, puisqu’elles étaient censées se déplacer en rade de Brest, passer d’un bassin à l’autre et se déplacer dans les grands fonds telles des nuées d’oiseaux. On n’avait, en réalité, aucune connaissance sur l’écologie, la distribution et l’abondance du naissain – soit des petites coquilles Saint-Jacques, celles qui, par la suite, peuvent devenir des coquilles Saint-Jacques pêchables et consommables. Par contre les stries annuelles, soit les stries de croissance qui sont des stries concentriques qu’on observe sur la coquille, avaient quand à elles été observées par les pêcheurs depuis très longtemps et elles étaient correctement connues et décrites, ce qui permettait d’avoir des structures démographiques - au moins de ce qui était pêché dans les différentes pêcheries de Bretagne et d’ailleurs.
En 1973, il y a eu un virage qui s’est concrétisé lors d’une visite dans la baie japonaise de Mutsu Bay par une délégation de représentants des pêcheurs et de scientifiques. En effet, il y avait été lancée une méthode d’aquaculture du pectinidé patinopecten yessoensis – qui est un mollusque bivalve de la même famille de le pecten maximus, soit la coquille Saint-Jacques que l’on connaît – et on y pratiquait un élevage sur filière qui donnait des résultats assez étonnants. Vous voyez sur ce graphique que l’évolution des productions de ce pectinidé, après introduction de l’élevage sur filière, présente une très nette augmentation de la production. A cette occasion, le constat a également été fait que, plus il y a de reproducteurs dans la baie de Mutsu Bay, plus il y a de jeunes recrues qui sont collectées sur des systèmes de collecteurs et, donc, plus on fixe de petites larves planctoniques de coquilles Saint-Jacques et plus on arrive à en fixer sur ces collecteurs pour ensuite, les prélever et les mettre sur les filières - ce qui expliquait donc, aussi, une augmentation de la production. Cette technique de captage a été transférée en Bretagne par les pêcheurs, avec l’appui des scientifiques du CNEXO et de l’IFREMER mais, malheureusement, ça a donné un résultat assez décevant en termes de recrutement, de captage dans les collecteurs japonais. On voit sur ce graphique que la reproduction - en tout cas le captage - est extrêmement variable d’une année à l’autre ; de plus, sur la durée, ça ne donnait pas un résultat très convaincant. Cependant, en profitant par exemple des bonnes années de captage - telle 1973 -, des scientifiques ont travaillé sur ce captage et ça leur a permis, par exemple, d’établir des courbes de croissance pour pecten maximus. Et, donc, à partir du moment où l’on arrive à établir des courbes de croissance, on peut éventuellement se projeter dans l’avenir et essayer d’avoir des scénarios de production de l’animal. D’autres part, à partir d’individus prélevés lors de ces captages, les scientifiques ont pu effectuer des semis sur des carroyages ; cela leur a fourni un élément décisif en termes de connaissance de l’écologie de la coquille Saint-Jacques puisque, grâce à ces semis, ils se sont rendu compte que, quand on revenait environ deux ans après, les coquilles Saint-Jacques n’avaient quasiment pas bougé. On est donc passé d’une conception d’un animal quasiment migrateur à un animal complètement sédentaire.
Par ailleurs, le recrutement dans les capteurs ne fonctionne pas en Bretagne, mais personne ne pense à se poser la question de savoir si ce n’est tout simplement pas dû au fait qu’il ne s’agit pas de la même espèce. En réalité on n’est pas du tout dans ces schémas-là. On est vraiment dans un schéma de production, et il émerge un questionnement scientifique à ce sujet - à savoir pourquoi le recrutement des juvéniles demeure si faible - et essayer de déterminer si cela vient d’un nouvel état d’équilibre de la population depuis l’hiver 1962-1963 et cet épisode de baisse drastique des productions. On se demande si c’est la conséquence d’un déficit en géniteurs dans la baie et si on ne pourrait pas revenir, en augmentant le nombre de géniteurs, à l’état d’équilibre antérieur à 1962-1963. Parallèlement, du côté des pêcheurs et des producteurs, il émerge une solution zootechnique qui est l’écloserie du Tinduff, grâce à la maîtrise de la fécondation et de l’élevage larvaire.
En 1983, les pêcheurs et les scientifiques décidèrent ensemble de parier sur une relation stock-recrutement, autrement dit de faire le pari que ça devrait se passer comme à Mutsu Bay et que, plus on aurait de reproducteurs et plus on arriverait à avoir du naissain et du producteur. Ils fixèrent donc comme objectif de « booster » la population en rade de Brest à l’aide de 500 tonnes de géniteurs, afin de permettre une collecte significative de naissain. Pourquoi ce chiffre de 500 tonnes ? Je crois que c’est simplement par comparaison avec ce qui se passait à Mutsu Bay et ce qui se passait dans d’autres baies bretonnes. Les zones choisies dans la rade l’ont été sur des considérations purement techniques, parce qu’on s’appuyait sur d’anciennes concessions qui avaient été données aux pêcheurs pour qu’ils y pêchent d’autres mollusques que la coquille Saint-Jacques. Comment procédait-on ? D’abord par de l’importation de naissain collecté ailleurs, puis par la production dans l’écloserie. Les 500 tonnes ont été atteintes en 1986, mais la collecte de naissain est restée très faible et, parallèlement, il a été lancé à cette époque-là un programme national qui était le PNDR (Programme National sur le Déterminisme du Recrutement). L’idée dans ce programme était, pour des espèces marines, de comprendre comment l’environnement, d’une part, et l’abondance des géniteurs, d’autre part, pouvait influer sur la variabilité du recrutement des espèces que l’on voulait étudier. Pecten maximus était l’une des espèces-cibles de ce programme. Les premières conclusions du PNDR sont tombées à la fin des années 1980, et elles étaient que la variabilité environnementale joue un rôle majeur dans le recrutement de pecten maximus – et c’est vrai aussi pour d’autres espèces –, tant et si bien que Spyros Fifas a pu expliquer que les anomalies de température printanière expliquaient environ 80% de la variabilité interannuelle du recrutement de pecten maximus. Donc, ce qu’on voit, c’est que l’analyse scientifique et la pratique empirique mènent à peu près au même type de conclusions, à savoir que le rôle de l’environnement est tellement important qu’il est illusoire de penser qu’on arrivera à revenir à un équilibre comme celui d’avant 1962-1963 simplement en regonflant les stocks à hauteur de 500 tonnes - ou peut-être même avec un chiffre supérieur - sachant que, comme vous l’a expliqué James Cloern l’écosystème, lui, continue d’évoluer.
Vers la fin des années 1980 et le début des années 1990 on est passé d’une stratégie de repeuplement à une stratégie d’élevage extensif, en quelque sorte - ce qu’on appelle du « sea-ranching » dans le jargon du secteur. A ce moment-là, l’idée était de produire des larves de coquilles Saint-Jacques, de faire de l’élevage de post-larves et d’arriver à produire de petites coquilles Saint-Jacques, des juvéniles, qu’on allait re-semer dans le milieu, non pas pour regonfler le stock de géniteurs mais pour les pêcher deux, trois ou quatre ans plus tard, quand ils auraient atteint la taille commerciale. Et ça, ça a bien fonctionné puisque l’écloserie du Tinduff a très bien réussi à produire de la post-larve et du juvénile. On semait sur des zones qui étaient, tantôt des réserves – lesquelles étaient mises à l’écart pendant le temps de la croissance de l’animal, puis ouvertes à la pêche quand les animaux sur la zone avaient atteint une taille commerciale -, tantôt on effectuait des semis sur des bancs naturels qui étaient habituellement pêchés par les professionnels.
Alors où on est-on, à l’heure actuelle ? Quels sont les besoins que l’on peut avoir en connaissances scientifiques pour asseoir, pour pérenniser cette pêcherie ? En fait, je ne suis pas vraiment capable de répondre à cette question. Ce qu’on peut faire, c’est essayer de regarder en arrière comment les scientifiques ont observé la rade de Brest et la coquille Saint-Jacques dans cette en rade. Il y a une frontière, une sorte de limite temporelle autour de 1990. En effet, avant 1990, la coquille Saint-Jacques était absente des études en écologie sur la rade de Brest – et ce pour plusieurs raisons. Je pense, pour ma part, qu’il y a une raison qui est l’échantillonnage car, quand on échantillonne les fonds avec une benne qui fait 1/10ème de mètre carré, on a très peu de chances de tomber sur des coquilles Saint-Jacques, ce qui entraîne qu’on ne voit pas celle-ci quand on fait de l’écologie. Et puis, effectivement, ce n’est de toutes façons pas une espèce très abondante qui dominerait les peuplements en rade de Brest et qui serait perçu comme une espèce-clef dans le fonctionnement du système ; d’un point de vue purement écologique, ça reste une espèce mineure. Ce qu’on trouve en rade de Brest à cette époque-là, quand on parle de coquille Saint-Jacques, c’est des études de la pêcherie, de la production. Et, si on se retourne pour voir un peu ce qui se passait, on se rend compte que, non seulement il y avait deux communautés scientifiques complètement déconnectées, entre ceux qui s’occupaient de la pêche, de la production, des pêcheries et de l’halieutique, et ceux qui s’occupaient de l’écologie mais que, de plus, les connexions entre les deux étaient faibles, voire quasi nulles. Après1990, avec le PNDR - ce fameux programme sur le recrutement, sur la variabilité du recrutement -, il y a eu des études en biologie des populations qui avaient commencé un petit peu avant 1990 mais qui se concrétisèrent alors par des résultats tangibles. Par ailleurs sont apparus des engins qui permirent d’échantillonner la coquille Saint-Jacques sur des dragues quantitatives, ce qui signifie que ça ne permettait pas seulement de la pêcher, ça permettait également de savoir combien il y en avait au mètre carré. C’était déjà un gros progrès, parce que ce n’est pas forcément évident de savoir combien il y a de coquilles Saint-Jacques au mètre carré, quand on drague avec des dragues normales. Il y a donc eu le PNDR et puis il y a eu, en rade de Brest, cette période particulière des études préliminaires au contrat de baie. Un recensement m’a montré qu’il y a plus de dix thèses qui ont été financées à cette époque-là, dont au moins cinq qui traitent de la coquille Saint-Jacques - voire qui sont centrées sur la coquille Saint-Jacques. Ces études ont donc entraîné une production scientifique non nulle et, finalement, quand on analyse un peu celle-ci, on se rend compte qu’elle permet de très bien répondre aux questions qui étaient posées dans les années 1980 – il aura donc fallu quand même une période de quinze à vingt ans pour répondre à des questions en écologie qui datent de cette époque-là, mais on ne fait pas de l’écologie en une semaine. On a maintenant une meilleure connaissance du milieu physique c’est-à-dire que, par exemple, on peut mieux estimer les temps de résidence de l’eau dans la rade de Brest, ce qui permet entre autres d’améliorer la qualité des semis.
Il y a-t-il une convergence des deux approches ? Je vais citer l’exemple de la nutrition. Si on regarde l’approche zootechnique, on s’est rendu compte que pecten maximus ne pouvait pas être maintenu en culture suspendue. Il y a eu des essais sur filières, qui n’ont pas fonctionné. Par contre, le conditionnement des géniteurs est nettement amélioré quand on met du sédiment dans les bacs. Même en présence de phytoplancton, seuls les géniteurs qui ont des réserves sont efficaces pour produire des larves et des post-larves. A côté de ça, en écophysiologie, on s’est rendu compte qu’il y avait une corrélation négative entre la croissance du pecten et la présence de blooms phytoplanctoniques dans l’eau, et des indices géochimiques montrent que les coquilles Saint-Jacques ne mangent sûrement pas de phytoplancton, contrairement à tout ce qu’on a cru depuis le début - et contrairement à tout ce qu’on enseigne partout. Les signatures pigmentaires tendent à montrer exactement la même chose. On se rend donc compte que, dans les deux approches, il va sans doutes falloir réviser nos conceptions sur la nutrition des coquilles Saint-Jacques, parce ce que celle-ci mange certainement tout autre chose que du phytoplancton ; elle mange du micro-phyto-benthos, autrement dit des algues microscopiques qui poussent à la surface du sédiment, et c’est peut-être pour ça que, dans les bacs, les géniteurs sont plus efficaces en présence de sable.
On ne peut pas tout faire en même temps en science, et en écologie c’est particulièrement vrai car il faut du temps et on ne dispose pas de laboratoire en conditions contrôlées. Yves-Marie Paulet avait inventé cette fontaine aux questions qui est assez parlante. On y voit que les problématiques évoluent au cours des années, et on peut se demander quelles questions on va nous poser dans l’avenir, et on peut faire des paris. Je crois qu’il faut faire confiance aux scientifiques aussi, de temps en temps ; c’est ce qui a été fait, je crois, dans le contrat de baie. On met un comité scientifique en place et c’est lui qui va dire si c’est une chose est bien ou non. Finalement, on voit maintenant que ça porte ses fruits et je vous ai donné quelques exemples montrant que, quand on nous fait confiance, on peut aboutir à des résultats. Je pense que c’est vraiment important que vous arriviez à nous faire confiance.





Mis à jour le 22 janvier 2008 à 11:34