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2004 : La pêche et les avancées scientifiques > Rencontre - Synthèse >  Présentation : Femmes, pêche et société

Présentation : Femmes, pêche et société

Françoise-Edmonde Morin, Journaliste & Présidente de l’association Femmes du Littoral Basse Normandie

Biographie :

MORIN Françoise-Edmonde

Compte rendu :

Trois ans après une première conférence à Turku, les femmes de la pêche sont reçues en janvier 2003 par la DG pêche à Bruxelles qui leur présente les résultats du rapport Mac Allister. Dans la Communauté européenne, les femmes représentent 22 % des emplois de la filière pêche : aquaculture, et commercialisation des produits de la mer et de la transformation. Soient environ 84000 femmes, cantonnées à des postes subalternes. Elles constituent près de 60 % de la main d’oeuvre dans l’industrie de la transformation et près de 30 % dans l’aquaculture. Dans le secteur de la capture, les femmes représentent 6 % des emplois. Le commissaire Frantz Fischler constate : « Les activités des femmes dans l’entreprise familiale et en tant que main-d’oeuvre d’appoint dans l’industrie ne sont généralement ni payées, ni reconnues... Or ces activités deviennent indispensables en périodes de crise car les femmes constituent alors le ciment des communautés et des familles. C’est la raison pour laquelle nous devons prendre en considération leur rôle dans les études et les décisions relatives au secteur. » A la suite de ce colloque, la Commission devait faire des propositions pour améliorer le statut des femmes. Seul amer dans cet océan d’oubli, la Directive européenne de 1986 demande aux états membres d’assurer une retraite et le remplacement en cas de maternité. C’est avec cette directive que la Loi pêche de 1997 s’est mise en conformité. Cette directive a le mérite de pointer la nécessité d’une modernisation des rapports sociaux à la pêche par l’ouverture de droits propres.

Dans l’ombre du marin pêcheur se tient sa femme. Comme Superman serrant dans ses bras Loïs Lane et tombant de concert en chute libre du haut d’un gratte-ciel, on pourrait à bon droit interroger aussi bien le pêcheur que l’état : ‘Vous me tenez d’accord mais vous, qui vous soutient ?’. En France, les femmes marins pêcheurs représentent seulement 2 % de leur profession et l’image de la filière pêche demeure essentiellement masculine mais elles ont les mêmes droits que les hommes. Les Affaires maritimes ont longtemps discriminé les femmes en refusant de les enrôler. En revanche, les femmes travaillant à terre à l’exploitation des unités de pêche artisanales –des bateaux de 6 à 24 mètres- font l’objet de discriminations qui restent impunies parce qu’elles sont masqués par le fait qu’elles s’exercent dans le cadre des relations conjugales. On estime que 2/3 des armements artisanaux s’appuient sur le travail des épouses, concubines et pacsées sans leur verser de salaire.

Les documents iconographiques du XIXème siècle et du XXème siècle jusqu’après la seconde guerre mondiale nous montrent les femmes à tous les stades de la production, à terre et en mer. Au début des années 40, les mareyeurs commencent à empiéter sérieusement sur leurs attributions traditionnelles et la visibilité du travail féminin est de moins en moins nette. Par la suite, les centres de gestion accentueront cette tendance en contrôlant au plus près la comptabilité des bateaux, allant jusqu’à la gestion de fait par la main mise sur les chéquiers. La crise de 1993 allait renverser la vapeur et les femmes revenir à la gestion des bateaux après une formation ad hoc.

Depuis la fin des années 80, les compagnes des exploitants ont lentement mais sûrement attiré l’attention des professionnels des pêches maritimes et des cultures marines, des administrations et finalement des scientifiques. Elles demeurent invisibles parce qu’elles ne sont pour la plupart pas déclarées. Les statistiques par genre n’existent pour ainsi dire pas et c’est une demande que les femmes adressent aux scientifiques : qu’ils intègrent systématiquement le critère du genre à leur recherche . La modernisation des rapports sociaux dont ont bénéficié les autres femmes par le biais du salariat n’a pas concerné les femmes des pêcheurs. Elles ont été les dernières à obtenir un statut social, dit statut de conjoint collaborateur alors qu’il concerne les femmes à 99,99 %. Longtemps après les agricultrices, les artisanes, les commerçantes, la loi pêche de 1997 a donné un statut aux femmes aidant les entreprises de pêche. Ce statut leur permet de cotiser un pécule de retraite et de se faire remplacer au moment d’une maternité. Cette petite place sur la grille de l’ENIM en 3ème catégorie a occasionné une vraie bataille qui a été gagnée par les associations de femmes de pêcheurs. Les femmes ont aussi le droit de siéger dans les instances coopératives. Elles ont accès à la formation.

Le statut est néanmoins incomplet et ne prend pas en compte la réalité. Dans la majorité des cas, l’unité de pêche fonctionne en tandem. Le marin pêcheur assure la production en mer tandis que sa compagne assure la logistique à terre. Le statut devrait donc être obligatoire si la femme aide réellement l’exploitation. Il exclut les concubines et les pacsées (une femme sur trois dans certaines tranches d’âge). Il ne prévoit pas –faute de cotisation- le droit à indemnités pour accident du travail alors que les femmes transportent les équipages, vendent le poisson sur le quai ou ailleurs, fabriquent des filets, etc... toutes activités occasionnant des risques. Autre dysfonctionnement : les conjointes (femmes mariées) sont entrées dans les instances professionnelles parce que leur mari s’est désisté pour elles. C’est inacceptable. Les hommes qui l’ont fait mérite un coup de chapeau. Ils risquaient les quolibets de leurs camarades et ils ne peuvent plus défendre leur propre champ d’activité pour que leur femme défende le sien.

Depuis 1998, les femmes ont opéré un regroupement de leurs associations afin de devenir plus visibles aux yeux des pouvoirs publics et des professionnels. Pour entrer juridiquement et socialement dans l’économie des pêches, elles se sont fixé les objectifs suivants :

- l’amélioration du statut de conjointe collaboratrice
- la reconnaissance des compétences mises en oeuvre pour assurer la marche des bateaux
- la reconnaissance des femmes dans les instances professionnelles
- une formation adaptée à tous les niveaux d’entrée

En dehors de ces objectifs, les femmes limitent leur champ d’intervention à des domaines qui sont en lisière des préoccupations familiales : la sécurité à bord, les suites de décès par naufrage ou chutes à la mer, la santé des marins, l’accueil des marins migrants. Elles abordent pas ou peu le domaine de la production, conscientes que des conflits d’intérêts pourraient naître des différents métiers pratiqués par leurs maris. C’est sans doute la raison pour laquelle les femmes ne défendent pas ouvertement la protection de la ressource. Par ailleurs, les absences des maris rendent sensibles certains sujets. S’occuper de la ressource serait un peu empiéter sur le domaine d’excellence du compagnon, sa chasse gardée. Cela dit, la fédération des femmes a demandé à siéger dans les comités consultatifs régionaux.

Les différents intervenants du secteur ont perçu le rôle de vecteur d’information privilégié qui se constituait par le regroupement des femmes. C’est le sens de l’intervention très pédagogique faite à Bruxelles sur la nouvelle Politique commune des pêches par Fischler. C’est aussi la raison pour laquelle l’ENIM informe les femmes et envisage des actions communes sur la santé et la sécurité avec les associations. Des exemples montrent que les syndicats aussi bien que la Coopération maritime ont compris tout l’intérêt qu’ils pouvaient trouver à coopter des militantes de la fédération, ne serait-ce que pour l’alibi. La fédération s’en trouve un peu appauvrie et la question des rôles peut se poser avec acuité dans certaines circonstances. Qui représente qui et où ? Les femmes apprennent sur le tas les finesses des relations inter-professionnelles, administratives et politiques.

Le cadre conjugal semble objectivement le moins propice à l’émancipation des femmes. On a affaire à une exploitation pure et simple d’une femme par un travail non déclaré et non rémunéré.

En ce qui concerne le mari ou le compagnon, on peut facilement constater qu’étant privilégié, il n’a aucun intérêt à sortir du statu quo. Il confond et ça l’arrange le lit et l’entreprise. Mais qu’un divorce survienne et il gardera son outil de travail tandis que sa femme n’aura aucun droit à prétendre à une compensation pour son travail. Elle n’aura pas droit non plus à des indemnités de chômage.

En ce qui concerne l’état, c’est une affaire de gros sous. Il ne se mêle pas de donner un caractère obligatoire au statut des femmes de pêcheurs parce que d’autres femmes pourraient réclamer leur alignement sur le statut le mieux disant : il s’agirait alors de millions de femmes, exploitantes agricoles, commerçantes, artisanes et le coût serait très élevé. En effet, ce qui est réclamé est un statut prenant en considération le fait que ce sont les femmes aidant aux exploitations les plus pauvres qui ont le plus besoin de droits propres pour leur couverture maladie, accident, retraite. Il faudrait donc créer un fond de solidarité similaire à la CMU pour ne pas trop peser sur des trésoreries peu fournies. Les armements les plus solides pourraient être encouragés à salarier les conjointes. On a vu que des bateaux qui ne rémunéraient pas la comptabilité faite par les conjointes ne voyaient pas d’inconvénient à régler 1 500 à 2000 € à un comptable extérieur... Le financement est important mais l’état des mentalités l’est encore davantage.

L’étude menée par l’AFLbn en Basse Normandie tend à montrer que les femmes considèrent globalement le revenu familial. Elles ne dissocient pas le couple de l’entreprise. C’est pourquoi elles acceptent de n’être pas déclarées ni même rémunérées. Elles mènent une stratégie qui vise à faire durer l’entreprise de pêche. Beaucoup d’entre elles sont salariées parce que les revenus du bateau sont actuellement insuffisants pour entretenir une famille. Leur salaire sert à alléger la trésorerie du bateau pour sortir de la mauvaise passe.

C’est dans cette même perspective que notre association défend la diversification parce que c’est selon nous une façon de faire évoluer les relations sociales. Il s’agit de faire du bateau un repère, un symbole et un pivot autour duquel s’articule plusieurs sources de revenus. Dans cette approche, la capture n’est plus l’unique horizon économique. La diversification peut se faire en mer : navette, outil d’investigation scientifique, veille environnementale, etc. C’est alors au marin pêcheur d’examiner de près le plan d’eau pour trouver des sources de revenus qui allègeront la ponction sur la ressource et insèreront le pêcheur dans une perspective nouvelle. Les scientifiques ont leur rôle à jouer dans cette nouvelle donne par la prise en considération des entreprises de pêche comme partenaires avec lesquelles on doit signer des conventions sur le long cours et qu’on doit informer à l’égal des autres partenaires.

La diversification peut se faire à terre. C’est alors à la femme de s’interroger sur son projet de vie et la reconnaissance que peut lui apporter une nouvelle activité. Commercialisation, petite transformation, petite restauration, table d’hôtes, gîtes : les initiatives sont déjà nombreuses. D’autres projets sont en préparation mais l’état n’a pas mis d’outils dans la boîte de la diversification prévue par la Loi pêche.

Quels que soient les projets et les rêves des couples engagés dans l’exploitation des bateaux de pêche, la diversification représente une alternative qui donne aux gens de mer la possibilité de garder leur identité, de protéger le milieu marin, de conserver un niveau de vie convenable, de donner un statut et une reconnaissance aux femmes. C’est une alternative de développement dans un contexte de contraction. En période de mutation rapide, elle conserve le potentiel d’une flottille côtière, des savoir-faire et de la culture qui s’y rattachent. La diversification n’est pas la panacée mais elle concerne ceux qui restent attachés à l’activité de pêche parce qu’elle est socialement utile et personnellement valorisante.





Mis à jour le 23 janvier 2008 à 15:49