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2000 : Vagues de pollution, impacts et prévention > TR 2 : Maux et mots, la communication et la crise : La vague des citoyens >  Débat de la table ronde 2

Débat de la table ronde 2

Henri Girard, Président d’Eau et Rivières de Bretagne
Jean-Pierre Pagès, sociomètre à Agoramétrie.Association qui travaille sur les phénomènes de l’opinion
Jean-Luc Thélot, Officier de communication auprès de la Préfecture Maritime Atlantique à Brest
Hervé Hamon, Ecrivain et éditeur
Jean-Paul Natali, Cité des Sciences et de l’Industrie
Jean-Baptiste Henry, INRA, coordinateur du Syndicat Mixte de Protection et Conservation du Littoral Nord Ouest de la Bretagne

Compte rendu :

Transcription :


20 octobre 2000 Débat de la TR2


Débat :


Henri Girard :
Je voudrais m’adresser à Monsieur de Naurois car son intervention est partielle. Monsieur de Naurois est un homme honnête, je le connais depuis longtemps mais il n’a pas parlé du vrai problème qui est le problème de fond. S’il n’y avait pas eu de bateaux affrétés par Total Fina, il n’y aurait pas eu de marées noires. Il se trouve qu’on évacue peu à peu ses responsabilités. Il se trouve que par hasard, quelques années auparavant les pétroliers ont obtenu d’être, je ne sais comment, déchargé de certaines responsabilités financières en cas de pollutions. Par ailleurs,Total Fina a demandé à sponsoriser ce meeting aujourd’hui et les auteurs du meeting ont accepté cet argent. Cet argent ne doit pas sponsoriser, cet argent doit payer les gens qui sont victimes et il y en a beaucoup et ils ne sont pas remboursés par les assurances. Si bien que c’est le Premier Ministre qui s’est engagé à payer les sommes restantes. Nous sommes les fournisseurs de l’argent de l’Etat, nous payons des impôts.Total Fina se trouve dédouané de ses responsabilités financières. Dans d’autres pays ça ne se passe pas comme ça. On ne devrait pas admettre de l’argent qui est de l’argent pollué.

Jean-Pierre Pagès :
Je vais répondre de façon théorique. Vous pensez que la vérité sort de votre bouche, vous pensez que la vérité peut sortir d’un seul, qu’est-ce que c’est qu’une indépendance au niveau d’une commission ? Il n’y a pas de vérité. Aucun acteur ne dit la vérité.

Henri Girard :
Vous non plus !

Jean-Pierre Pagès :
Moi non plus. Lorsque je parle, je suis victime de mon rôle dans une institution. La vérité sort en principe d’une réunion de personnages qui sont représentatifs des acteurs qui sont partie prenante dans le drame. Il est tout à fait normal que Total Fina soit présent dans un débat contradictoire, pourquoi pas ? Puisqu’il y a beaucoup de financeurs pour les Entretiens, qu’il soit financeur pour les Entretiens Scientifiques !
Il y a eu deux commissions d’enquêtes parlementaires qui sont les deux seules instances qui ont vraiment essayé d’entendre tout le monde. Ce sont les deux seuls travaux d’enquêtes qui ont été conduits et leurs conclusions sont disponibles.Tout le monde, tout citoyen, tout membre d’association, toute victime peut avoir accès à ces travaux.
Souvenez-vous, il y a un chercheur du CNRS qui a pris la parole. Il a dit on aurait dû faire une chose, on aurait dû tirer l’Erika vers la côte et le cracher dans un endroit, comme ça on aurait vu où la pollution allait arriver, on aurait pu la contenir. Ce “ propos de bistrot ” avait un label d’expertise ! Il n’était pas question de tirer, on était dans la tempête, on l’aurait casser et ça veut dire qu’il y aurait eu 12 000 tonnes de pollution en plus. Ceci a été repris partout, c’est sorti dans Ouest France, c’est sorti dans Le Télégramme, ça a été repris dans Libération et a eu à un moment le label CNRS.

Jean-Luc Thélot :
Si à 14H30, le Préfet Maritime avait été prévenu, il est possible que la cellule de crise qu’il aurait mis en marche aurait pu conseiller au bateau de prendre une route différente, qui ne soit pas face au vent, pour protéger le navire et peut-être le sauver.

Hervé Hamon :
Je ne suis pas d’accord sur le fait que l’information n’ait pas été disponible. Début Janvier, j’écrivais dans Libération une libre opinion, où je mentionnais ceci : 14H08 le message de détresse est envoyé, 14H34 le message est annulé, confirmé en phonie à 14H55.
L’Erika prévient qu’il veut s’abriter à Donje, on a le détail des communications. On peut les avoir si on va les chercher. On est parti tout de suite dans l’émotion, et dans l’émotion qui est légitime, les faits passent complètement après. La Préfecture Maritime a commis une erreur, c’est qu’elle n’arrêtait pas de dire la vérité à une opinion qui avait besoin d’être rassurée : “ cette catastrophe on sait faire ”. Mais lorsque le bateau s’est cassé en deux, il fallait alerter les opinions, le capitaine devait alerter les pouvoirs publics, à partir du moment où le pétrole est à la mer, on ne sait pas faire. Je me rappelle que le Préfet Maritime a dit à ce moment-là, et je me suis dit, là il va se planter : “ on ne sait pas pomper du fuel lourd, je fais ce que je peux...” Mais c’est vrai ! “…je fais venir ce que je peux comme matériel d‘Allemagne et de Hollande, je ne suis pas sûr que ça va marcher. Il y eu deux ouragans entre temps. On évacue la nature là dedans, mais je m’en voudrais de ne pas avoir essayer ”.
C’est un discours honnête, qui prend les citoyens pour des gens matures, mais qui est catastrophique du point de vue de la communication. Parce que la communication, c’est de dire ce qu’a dit Jean-Claude Gayssot,“ d’ici l’été on aura amélioré les problèmes de la sécurité des navires et ils n’entreront pas n’importe comment dans les ports ”.Ce n’est pas un problème encore réglé, que je sache !

Jean-Paul Natali :
Il me semble que le débat que nous avons ici, c’est “ comment les citoyens peuvent intervenir dans ce genre de situations ? ”. On est en train de reformer ici un débat sur l’Erika, cela montre bien comment, même ici, chacun s’est construit une représentation et qu’elle n’est qu’un élément de cette vérité, si tant est qu’elle existe, et que c’est bien par des procédures et des protocoles de délibérations, où l’on ne parle pas seulement pour s’envoyer de vérités à la figure, mais où on travaille sur les contextes et les enjeux. Comment les citoyens, dans le sens où ils interviennent sur un phénomène, sur un problème qui les touche,comment peuvent-ils reconstruire une position qui n’est pas celle de trouver la vérité, mais faire qu’une société puisse avancer et résoudre les difficultés qu’elle rencontre ?

Jean-Baptiste Henry :
A propos de la réaction des citoyens aux marées noires :
on part du constat que les citoyens réagissent aux marées noires sous forme notamment de manifestations, et de mobilisation dans le cadre du travail volontaire (nettoyage) ou de dons. Cette capacité réactive est à comparer à celle, bien plus discrète, qui accompagne d’autres types de catastrophes, par exemple une catastrophe “ naturelle ” comme la tempête concomitante au naufrage de l’Erika, une catastrophe “ chronique ”, comme la pollution des eaux littorales par l’économie agro-alimentaire et urbaine, ou une autre catastrophe “ technologique ”, comme celle de Tchernobyl...
Trois variables explicatives immédiates s’offrent à l’esprit.
Tout d’abord, la visibilité : une marée noire ne peut se cacher, d’autant plus qu’elle s’étale sur un territoire important, alors que d’autres pollutions qu’on n’appréhende pas directement par les sens, et qui réclament l’intervention de spécialistes pour les mesures, sont invisibles et peuvent être cachées ou niées (cf. Tchernobyl ou des pollutions chimiques)... Mais alors, les marées vertes, bien sensibles à la vue et à l’odorat, pourquoi ne font-elles pas réagir ?
Une autre variable, c’est l’origine, ou la cause de la catastrophe.
Si marées noires et marées vertes sont issues de l’activité humaine et non des aléas de la nature, les premières ont pour origine un système économique externe à la région, alors que les secondes sont la conséquence des transformations de l’économie propre à la région. Enfin, les effets, les dommages. Mais les dommages économiques de la marée noire de l’Erika paraissent bien inférieurs à ceux occasionnés par la tempête de Décembre 1999. Quant aux dommages écologiques, ils semblent moins important que ceux dus à la pollution chronique, et moins durable que ceux consécutifs à la catastrophe de Tchernobyl...
Mon hypothèse interprétative est qu’une marée noire est ressentie comme une sorte d’attentat symbolique, et ce sur trois plans :
- attentat à l’instinct de vie, à travers le symbole de l’Océan, matrice originelle, sauvage,devenu porteur de mort, sous une chape noire funèbre
- attentat à l’instinct moral, à travers l’agression perpétrée par les puissants (les trusts pétroliers) contre une nature innocente et contre des “ indigènes ” sans défense
- attentat à l’instinct social, à travers la faillite, les carences de l’institution chargée de prévenir et de protéger de la prédation, je veux parler de l’Etat et de ses multiples bras “ armés ”.
Synthétiquement, une marée noire est donc une atteinte à des valeurs, en même temps qu’à des biens, une atteinte aux raisons de vivre en même temps qu’aux moyens de vivre. Les réactions aux marées noires sont ainsi profondément politiques. Ces moments d’émotion populaire, dans leur brièveté intense, sont à mon avis révélateurs d’un déficit démocratique et d’une crise de l’Etat, au sein de notre société ; en même temps qu’ils peuvent réactiver le processus démocratique à travers l’engagement citoyen, qui n’est pas l’engagement partisan, le mode officiel de l’action politique.
Le déficit démocratique est une constante de la gestion du domaine maritime et littoral où règne, malgré les conventions et règlements, l’ultra-libéralisme, à l’abri de deux principes alibi hérités de l’ère féodale et monarchique : “ le capitaine seul maître à bord ”,“ le droit de passage libre et inoffensif ”...Alors que l’évolution des structures du transport maritime, et celle du trafic (quantités et dangerosité), ont profondément modifié le rapport de ce monde maritime
aux territoires qu’il côtoie ; et alors que les rapports des populations avec les espaces littoraux (résidence, tourisme et développement économique) ont eux-mêmes été bouleversés. Il y a bien eu un timide début d’ “ aménagement du territoire ” maritime de la Manche après la catastrophe de l’Amoco Cadiz, c’est-à-dire l’établissement de “ rails ”, d’un système de surveillance du trafic, et l’affectation d’un “ Saint Bernard ” à demeure à l’entrée de cette voie de trafic intense. Mais depuis ?
Le déficit démocratique c’est aussi l’absence d’un débat public sur les enjeux d’une politique maritime et littorale.
Quand a-t-on discuté, au Parlement par exemple, de la coexistence et de la hiérarchie entre l’enjeu militaire, l’enjeu commercial, l’enjeu énergétique, l’enjeu diplomatique et l’enjeu des populations et activités littorales ? La mer et le littoral restent ainsi un “ domaine réservé ”, que les décentralisations ont d’ailleurs ignoré. Malheureusement, en cas de malheur, le “ Tout Etat ” “ n’assure pas ” ! comme le démontrent, après chaque accident, les rapports des commissions d’enquête. Il s’ensuit une crise de crédibilité des autorités, de toute autorité, qui laisse les victimes à la merci du déferlement d’informations venant des médias, des politiciens, des administrations, des avocats et des experts.
L’Etat protecteur produit en fait de l’insécurité... Cette incapacité de l’Etat à assumer ses devoirs vis à vis du littoral breton pourrait avoir pour conséquence le développement de revendications autonomistes ou indépendantistes... Elle pourrait aussi conduire au désarroi, au scepticisme et à une apathie désabusée et désespérée... Ce n’est pas le cas jusqu’à présent, malgré huit marées noires sur le littoral breton depuis 1967 ! Raison de plus pour porter attention aux réactions populaires et à leur messages, que personnellement je résumerais ainsi :“ nous attendons de l’Etat qu’il agisse plus et mieux pour nous, mais surtout qu’il agisse avec nous ”.
J’aimerais parler, ici, pour conclure, de l’expérience des riverains du littoral nord de la Bretagne, à la suite des catastrophes de l’Amoco Cadiz (1978) et du Tanio (1980).
Regroupés au sein du “ Syndicat Mixte de protection et de conservation du littoral nord ouest de la Bretagne ”, 90 communes, 2 départements (Côtes d’Armor - Finistère), professionnels de la pêche, de l’ostréiculture, du tourisme, et associations de protection de la nature, ont pu mener ensemble un combat juridique de portée mondiale et faire ainsi la preuve de leur capacité à gérer de façon responsable, et à long terme les conséquences de l’insécurité maritime. Ce Syndicat Mixte, fort de sa représentativité et de sa légitimité citoyenne, entend désormais être un partenaire actif aux côtés de l’Etat et de l’industrie maritime, à la définition et au contrôle d’une politique renforcée de sécurité du transport maritime.“ Il réclame d’être présent, avec d’autres organisations de riverains dans le monde, dans les lieux et les institutions où se discute et se prépare l’avenir du littoral et de ses habitants ”.





Mis à jour le 28 janvier 2008 à 10:36