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Recherche dans l'Océan Artique sibérien : carottage offshore du permafrost

Heidemarie Kassens, Docteur en géoscience marines, centre de recherche GEOMAR de Kiel (Allemagne)

Biographie :

KASSENS Heidemarie

Compte rendu :

Voir la vidéo de Heidemarie Kassens


Transcription :

7 novembre 2003 TR2


Discours de Heidemarie Kassens



Brigitte Bornemann-Blanc :

Heidemarie Kassens est docteur en géosciences marines au centre de recherche de GEOMAR, à Kiel. Elle dirige le laboratoire de recherche en Arctique, au Centre de géosciences marines de GEOMAR. Elle est également la représentante allemande du groupe de travail de géologie marine à l’International Arctic Sciences Comitee. Depuis 1999, elle est à la tête du laboratoire Autoschmid pour les sciences marines et polaires.

Heidemarie Kassens :
Aujourd’hui, je voudrais porter votre attention sur l’océan le moins exploré de la planète, l’océan Arctique. L’océan Arctique est couvert d’une très fine couche de glace d’une épaisseur d’environ 1,5 mètres. Par conséquent, celui-ci est très sensible aux changements climatiques. Depuis une dizaine d’années, la couche de glace qui recouvre l’océan Arctique inquiète grandement les scientifiques qui affirment que celle-ci ne cesse de se réduire.

Sur cette photo, vous pouvez voir une représentation de ce que sera l’océan Arctique en 2050, c’est-à-dire très bientôt. Vous constaterez que la quasi-totalité de la glace a disparu et que l’océan Arctique s’est transformé en un océan bleu. Certaines personnes, en particulier dans le monde de la pêche, pensent que cela n’est pas un mal car cet océan bleu devrait être très productif et l’on pourrait ainsi y trouver beaucoup de poissons. D’autres, comme les responsables de gros bateaux, trouveraient cela pratique en terme de navigation. Il n’y a qu’une seule voie aujourd’hui pour traverser l’océan Arctique. Cette route maritime se trouvant tout au nord constitue le chemin le plus court pour se rendre au Japon depuis l’Europe et si l’océan Arctique n’était plus qu’un océan bleu, la traversée n’en serait que plus facile.

Je crois cependant que la majorité des gens pense autrement car, jusqu’à présent, personne ne peut imaginer ce que de tels changements pourraient entraîner, y compris en Europe où nous vivons. Si la glace fond réellement, elle fondra le long du courant arctique dans la partie sud de l’océan Arctique et alors nous serons victimes de terribles changements. Sur la photo suivante, vous pouvez voir un exemple typique de changement d’environnement dans l’Arctique. La côte arctique est très variable, elle peut être stable ou alors très dynamique. Sur cette autre photo, prise en Sibérie, on aperçoit d’énormes blocs de glace qui ont commencé à fondre depuis environ deux ans.

A l’intérieur du permafrost de l’océan Arctique se trouvent de grandes poches de méthane ou d’hydrate de gaz. La disparition de ces poches de méthane et l’éventualité qu’elles se mêlent aux gaz à effet de serre et à l’atmosphère demeurent un phénomène encore inconnu mais qui pourrait être significatif en cas de changements climatiques. Pour information, ces blocs de glace mesurent 30 mètres de hauteur. Pour l’instant, nous n’avons qu’une vague idée des émissions de méthane dans l’océan Arctique sibérien ou l’océan Arctique en général. En revanche, nous savons qu’il y a un nombre important de lacs en Sibérie, des lacs qui pourraient être comparés à des champs de riz en Chine. Depuis 1991, nous essayons de comprendre le système environnemental de l’océan Arctique sibérien en faisant de nombreuses expéditions dans cette région. Vous devez vous demander pourquoi l’Allemagne et la Russie investissent autant d’argent pour cette région si retirée. En effet, il faut compter trois semaines de navigation depuis Kiel pour atteindre cette région. La mer de Laptev est la source principale d’eau douce pour l’océan Arctique. Elle est aussi la plus grande usine à glace. Deux ans seront nécessaires à cette glace pour se déplacer vers les mers nordiques et influencer ainsi le climat en Europe. Que savons-nous de l’environnement actuel de la mer de Laptev ? Tout d’abord, la superficie de celle-ci est comparable à celle de la mer Baltique. Par contre, la profondeur d’eau n’excède pas 30 mètres. Le sud de la mer de Laptev est couvert de glace qui fond facilement et qui présente des blocs mesurant de 2,5 à 3 mètres de hauteur. Il y a une aire de mer libre qui est très importante pour la navigation sur la route maritime du nord. Il y a de la glace qui se déplace à travers l’océan Arctique. La circulation atmosphérique, la couche de glace et les rivières sont les mécanismes principaux qui affectent l’environnement moderne et le processus de transport entre les côtes que bordent la mer de Laptev et l’océan Arctique. Il y a aussi l’exemple du delta de la Lena à partir duquel toutes les grandes rivières de Sibérie se jettent dans l’océan Arctique.

Comme vous la savez, je suis une géologue et je porte un grand intérêt à l’histoire de l’environnement d’un tel système. Voici un profil des fonds marins de la mer de Laptev établi grâce à un échosondeur. Vous apercevez tout d’abord de nombreuses taches blanches, parfois il y a une couche de glace, d’autre fois il n’y en a pas du tout et un peu plus loin vous retrouvez à nouveau des taches blanches. Selon nos sources, il n’y a rien d’autre de semblable à cela dans l’Arctique. Nous pensons que des gaz se trouvent à une distance très proche de la surface de la mer et que non loin de cela s’est formé du permafrost sous-marin. Ainsi, nous essayons de prélever des carottes à cet endroit afin d’étudier le permafrost en théorie présent. Malheureusement, depuis une dizaine d’années, nous ne réussissons pas à prélever de longues carottes car nous buttons contre quelque chose que nous n’arrivons pas à identifier. Auparavant, toute cette région devenue aujourd’hui une mer ou un petit océan, n’était que de la terre sèche. En 2000, nous avons eu la chance de faire des forages dans la mer de Laptev en collaboration avec une compagnie pétrolière russe. Voici ce que nous avons trouvé en utilisant un échosondeur. Sous une couche de sédiments datant de l’Holocène et d’une épaisseur de 10 mètres, nous avons aperçu quelque chose de transparent qui pourrait être du permafrost. A quoi ressemblait cette région il y a 8000 ans ? Le niveau de la mer était plus bas de 20 mètres et les endroits où nous avons effectué des forages se trouvaient très proches de la côte ou constituaient même une partie de cette côte. Après un voyage difficile de quatre semaines jusqu’à la mer de Laptev, nous avons réussi, malgré les vents forts, à forer jusqu’à une profondeur de 16 mètres en dessous des fonds marins. Selon notre système de datation, les parties inférieures de nos carottes sédimentaires remontent de 20 000 à 60 000 ans et sont réellement du permafrost. Nous avons également découvert des choses fantastiques comme par exemple des restes d’insectes qui certifient que cette partie de la planète était une terre et non une mer à cette époque. Notre équipe de paléontologues était absolument ravie de cette découverte car ces insectes semblaient encore vivants après 20 000 ans passés dans la glace. Sur cette photo, on peut voir des couches massives de glace ainsi que des inclusions de sédiments, le tout apparaissant à une profondeur de 42 à 50 mètres sous les fonds marins.

Ceci nous ramène au début de cet exposé : y a-t-il réellement quelque chose qui influence le permafrost ou non ? Il y a quelques années, nous avons fait des relevés de température des fonds marins et nous avons constaté qu’en 1999 il y avait eu une intrusion massive de masses d’eau provenant de l’Atlantique dans cette région, ce qui signifie qu’elle commençait déjà à se réchauffer. Au cours des deux prochaines années, nous voudrions étudier l’état de fonte du permafrost et vérifier si celui-ci reste stable ou non. Nous avons utilisé diverses méthodes afin de faire des forages efficaces dans l’Arctique. Tout d’abord, il faut faire preuve de flexibilité et utiliser du matériel adapté. Tout ceci demande beaucoup d’argent, de temps et de chance. Nous avons également besoin de plates-formes de recherche conséquentes. La Commission européenne polaire projette de construire un nouveau prototype de brise-glace utilisable dans l’océan Arctique central et qui permettrait de faire des forages et des observations du milieu.

Sur cette idée à 500 millions de dollars, je voudrais conclure en adressant quelques mots aux étudiants présents dans la salle. Si vous êtes intéressés par les sciences marines et polaires, vous êtes les bienvenus à Saint-Pétersbourg où nous avons ouvert l’année dernière un programme international en sciences marines et polaires appliquées. Vous pouvez venir, pendant l’été, passer un entretien et peut-être aurez-vous la chance de faire vos études à Saint-Pétersbourg.




Mis à jour le 29 janvier 2008 à 11:07