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2003 : Les mers , un océan de richesses ? > TR 4 : Maîtrise de l’environnement >  L'océan peut-il réguler le climat de la planète Terre?

L'océan peut-il réguler le climat de la planète Terre?

Paul Tréguer, Professeur d'océanographie chimique, Directeur de l'IUEM/UBO

Biographie :

TREGUER Paul

Compte rendu :

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Transcription :

8 novembre 2003 TR4


Discours de Paul Tréguer



Je pense que je vais pouvoir faire le lien entre les deux interventions précédentes.
Je vais surtout me concentrer sur la séquestration du CO2 par l’océan. Si nous étions à bord d’un satellite, nous verrions ainsi notre planète bleue parce que nos yeux sont dotés de capteurs qui permettent de voir le visible. Mais si nous avions à la place de nos yeux des capteurs infrarouges (voir image), nous verrions la Terre comme un émetteur dans le rouge et dans l’infrarouge. Notre planète est une machine thermique. L’énergie dégagée par la Terre est compensée par l’énergie solaire, ce qui fait qu’en principe notre planète Terre a une température constante (15°) en moyenne annuelle, ce qui est fort agréable pour la vie actuelle.
(Schéma classique de l’effet de serre). L’énergie qui nous parvient (jaune) à la surface de la Terre vient du soleil, en compensation de l’énergie est renvoyée de la Terre vers l’espace (rouge). Une partie de l’énergie émise vers l’espace reste confinée dans notre atmosphère grâce aux gaz à forte capacité calorifique : ce sont les gaz responsables de l’effet de serre. Ce système (schéma) représente de façon simplifiée le système climatique et ses différents composants. Pour changer l’effet de serre et donc pour changer le climat, on peut procéder de différentes façons. On peut changer la composition de l’atmosphère, le cycle de l’eau, l’occupation du sol et on peut aussi jouer aussi sur l’océan, notamment à travers sa circulation et sa biogéochimie. Nous allons ici nous restreindre au rôle joué par l’océan sur le climat.
(Schéma). On peut reconstituer l’évolution de la teneur atmosphérique en dioxyde de carbone, en méthane et en protoxyde d’azote, gaz qui absorbent la chaleur, du Moyen-Age jusqu’à maintenant. Les choses sont stables jusqu’à 1850 (date traditionnellement admise comme début de l’ère industrielle). Mais ensuite, on observe une montée extrêmement rapide, exponentielle, de la teneur en CO2, du méthane et du N2O. Si on se réfère au schéma précédent (sur le système climatique), on est actuellement en train de modifier la composition de l’atmosphère, donc de modifier le climat.
Si l’on essaie de reconstituer la variation de la température moyenne de la surface de la Terre depuis 1850, on voit que depuis le début de l’ère industrielle à aujourd’hui, on observe une augmentation de l’ordre de 0,8° C, ce qui est significatif.
Différents paramètres jouent dans cette variation mais ici on se concentre sur le dioxyde de carbone. (Tableau fin du 20e siècle) : Si on considère les émissions de CO2 en milliards de tonnes de carbone par an, ce que nous rejetons dans l’atmosphère en brûlant du fioul, contribue à augmenter la teneur en CO2 dans l’atmosphère : l’ensemble de la planète rejette actuellement de l’ordre de 5 milliards de tonnes de carbone par an. En modifiant l’occupation du sol, notamment en déforestant, en brûlant le stock de bois, on rajoute environ 2 milliards de tonnes de carbone par an. Au total le flux total annuel de CO2 rejeté par l’homme dans l’atmosphère est d’environ 7 milliards de tonnes de carbone. Depuis plusieurs dizaines d’années, nous disposons d’un réseau de capteurs de CO2, répartis dans l’ensemble du monde et, surprise, les capteurs constatent une augmentation de seulement 3 milliards de tonnes de carbone par an. Il nous en manque donc 4 milliards. En fait, ils sont absorbés par la biosphère terrestre et par l’océan.
Pour que l’océan absorbe du CO2, il y a deux mécanismes : physique et biologique. Le mécanisme physique est extrêmement simple à comprendre. Quand l’eau est froide, dans les régions polaires par exemple, on dissout davantage de gaz ; quand l’eau est chaude, par exemple dans les régions équatoriales, au contraire on chasse le gaz vers l’atmosphère. En principe le bilan des flux de gaz est en équilibre entre les eaux chaudes et les eaux froides. Mais la biologie peut aussi intervenir. En effet, le phytoplancton (algues microscopiques), qui pousse à partir de l’énergie lumineuse (photosynthèse), est capable de transformer du CO2 dissous en carbone organique. Une grande partie de ce carbone organique, après passage à travers la chaîne alimentaire (le réseau trophique), est transformée et recyclée en CO2 dans la couche de surface, ce CO2 repart donc vers l’atmosphère. Seulement 20 % du flux photosynthétique de carbone réussit à échapper à la couche de surface pour aller dans l’océan profond. Là, les bactéries prennent le relais et transforment ce carbone organique en CO2 qui ne reviendra en surface qu’au bout de quelques centaines d’années. Une toute petite partie du flux de carbone organique va échapper au cycle océanique et pourra, en s’accumulant dans les sédiments marins pendant des millions d’années, quand les circonstances sont favorables, contribuer à la formation des hydrocarbures.
Ce qui se passe dans le compartiment de surface est à l’échelle de l’année ; ce qui se passe dans le compartiment profond est à l’échelle du millénaire. Donc si on réussit à faire passer du carbone du compartiment de surface vers le compartiment profond, on gagne 1 000 ans. À noter que le problème n’est pas résolu pour autant parce qu’au bout de 1 000 ans, le CO2 resurgira dans la couche de surface.
Nous avons actuellement une excellente idée de la répartition des zones puits (quand l’océan absorbe du CO2) ou au contraire des zones sources (quand l’océan rejette du CO2) de CO2 atmosphérique. C’est ce que montre ce schéma du à Taro Takahashi. Actuellement, au lieu d’avoir un équilibre entre les flux puits et les flux sources, comme c’était le cas avant la perturbation humaine, industrielle, l’océan est devenu un puits net de CO2 atmosphérique : au total, chaque année, l’océan pompe 2 milliards de tonnes de carbone (sous forme de CO2) à l’atmosphère.
Certains scientifiques et politiques se demandent s’ils ne peuvent pas aider l’océan à faire mieux qu’actuellement. On a parlé tout à l’heure d’injection de CO2 dans les gisements de pétrole et de gaz. C’est quelque chose qui est pris très au sérieux par un certain nombre de sociétés. Au niveau européen, existe le projet CASTOR, financé à 15 millions d’euros (11 pays), qui va étudier le stockage géologique de CO2 dans un gisement pétrolier, dans un aquifère salin et dans différents gisements de gaz épuisés.
De même, on peut aider l’océan à stocker davantage de CO2, notamment en permettant une plus grande absorption de CO2 grâce à la biologie mais aussi en injectant du CO2 éventuellement dans l’océan profond.

Première voie :
On a vu dans le schéma précédent que le phytoplancton pompait du CO2. Cependant la production photosynthétique de carbone n’est pas toujours aussi efficace qu’elle pourrait l’être parce qu’il peut manquer certains éléments chimiques qui deviennent limitants de la croissance des algues microscopiques. Il s’avère qu’une partie de l’océan mondial manque de fer. Le phytoplancton en a besoin pour pousser pour la synthèse des pigments chlorophylliens mais aussi pour la transformation de l’azote inorganique en azote organique. Tout l’océan n’est pas également riche en fer, aussi l’idée est-elle venue d’ajouter du fer dans l’océan là où il en manque. En quelque sorte, si on ajoute du fer dans l’océan, on compense le facteur limitant et on aide les algues microscopiques à pomper du CO2. Ceci a été réalisé lors de plusieurs expériences, à l’échelle d’une dizaine de km2, à la fois dans le Pacifique équatorial et dans l’océan Austral. Effectivement, ça marche. (Photos) Au Sud de l’Australie par exemple, quand on a fertilisé l’océan en fer, on voit apparaître par satellite une tache riche en chlorophylle, alors que dans la zone non fertilisée, l’océan est pauvre en chlorophylle. Donc en fertilisant, on fait pousser davantage de phytoplancton que l’océan n’en produit normalement. Au-dessus de la zone non fertilisée en fer, la teneur en CO2 atmosphérique est relativement élevée, alors que dans la zone fertilisée, on a pompé du CO2 atmosphérique et créé un puits de CO2. L’idée de fertiliser l’océan en fer revient à John Martin qui, en 1988, a publié un article célèbre dans le Times, en disant : « Donnez-moi un tanker de fer et je vous fais un nouvel âge glaciaire ». C'est-à-dire que si l’on remplit un tanker de fer et si on distribue ce fer sur l’océan Austral qui en manque, la teneur en CO2 va baisser dans l’atmosphère et donc on va modifier le bilan thermique dans le sens d’une diminution de la température et donc d’une évolution vers un âge glaciaire où l’atmosphère contenait moins de CO2 qu’actuellement. C’est une solution qui semble marcher à petite échelle mais pour que cette manipulation marche au niveau opérationnel, il faudrait tous les ans ajouter du fer dans l’océan. Le calcul économique n’a pas été fait et je pense qu’il est sans doute assez peu favorable et je ne parle pas ici des conséquences au niveau du réseau trophique mais j’imagine qu’il y aura des questions sur ce point.

Deuxième voie évoquée par les géo-ingénieurs : « Pourquoi ne pas récupérer le CO2 à la sortie des usines thermiques ? », c'est-à-dire là où la production de CO2 est concentrée. On peut effectivement récupérer le CO2, le séparer des autres gaz et on peut éventuellement le comprimer sous forme liquide. On peut ainsi imaginer (schéma) des plates-formes offshores qui le distribuent aux navires qui vont le convoyer jusqu’au fond des océans. On peut aussi alimenter le fond des océans par un pipeline. Cela a été tenté, non pas en vraie grandeur, mais à l’échelle du bécher par des collègues californiens, par Peter Brewer et son équipe. Dans un bécher (schéma), on voit du CO2 liquide qui, en dessous de quelques milliers de mètres, forme des hydrates. La densité du CO2 liquide et de ses hydrates est plus dense que celle de l’eau de mer quand on passe à une profondeur supérieure à 3 000 mètres, la densité de l’hydrate est également supérieure à celle de l’eau de mer, donc en principe les hydrates du CO2 peuvent s’accumuler dans le réservoir profond de l’océan. C’est donc une voie pour stocker du CO2 au fond de l’océan.
Imaginons cet océan qui reçoit du CO2 comme actuellement « par-dessus », c'est-à-dire par la voie atmosphérique, et imaginons qu’en voie alternative, on récupère l’ensemble de ce CO2 émis vers l’atmosphère au niveau mondial et qu’on l’injecte dans l’océan profond. Que se passerait-il alors au niveau de la composition de l’océan, notamment sur la variation du pH ? Le pH est un facteur extrêmement important pour l’environnement marin, pour les organismes vivants.
Simulation de Ken Calvera (LLNL, USA) : schéma alternatif. Au lieu de laisser l’océan capter 7 milliards de tonnes de carbone sous forme de CO2 « par le haut », on les injecte dans l’océan profond (3 km de profondeur). Que se passe-il quant à la variation du pH de l’océan en surface au bout de 110 ans ? Dans le prolongement du scénario actuel (captage du CO2 atmosphérique par la surface), on observe une diminution du pH (de 0,4 unités au maximum). Au contraire, si ce flux de CO2 est injecté par le fond, il ne se passe rien en surface mais on commence par modifier le pH au fond mais faiblement. Rappel : la dynamique de l’océan en surface, c’est l’année ; la dynamique de l’océan au fond, c’est 1 000 ans. 200 ans plus tard, si on continue à rejeter du CO2 dans l’atmosphère à la hauteur de 7 milliards de tonnes de carbone par an, le modèle de Ken Caldeira prévoit une diminution du pH de l’océan de surface de 0,6 unités pH. Si on procède par injection profonde au-delà de 3 000 mètres, on commence à avoir des variations sensibles du pH. Si on poursuit l’opération pendant 500 ans, les variations du pH sont très significatives tant en surface (- 0,8 unité) soit au fond (1 unité). A cette échelle de temps, ce qui se passe dans l’océan profond commence à impacter la surface. Si on continue ce scénario pendant 1 000 ans, la perturbation du pH est sensible dans toutes les couches d’eau et dans toutes les régions de l’océan.
Je ne suis pas en train de montrer qu’il faut suivre telle ou telle voie. Le but des scientifiques est de comprendre les mécanismes. Ce type d’étude est très financé par le Department of Energy des USA, qui adopte donc une politique moins conservative que celle du gouvernement allemand. Nos collègues américains sont confrontés à un problème d’éthique : faut-il ou non s’engager dans ce genre d’étude ? Le débat est extrêmement vif, parfois même brutal entre eux. Certains disent que s’ils acceptent ce type de financement, ils accréditent l’idée qu’il faut effectivement manipuler l’océan au lieu de réduire les rejets de CO2 dans l’atmosphère. Au contraire certains pensent que, quel que soit le problème éthique, il faut comprendre les mécanismes qui contrôlent l’absorption de CO2 par l’océan pour être capable de bâtir des modèles et proposer des outils de gestion au service des décideurs.






Mis à jour le 30 janvier 2008 à 11:29