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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 1 : Éthique et centres de recherche - Responsabilité scientifique, sociale et environnementale >  Le Comité d’éthique et de précaution INRA/Ifremer

Le Comité d’éthique et de précaution INRA/Ifremer

François Le Verge, Directeur du centre Ifremer de Brest

Biographie :

LE VERGE François

Compte rendu :

Transcription :

21 novembre 2002 TR1


Discours de François Le Verge



Je vais faire la transition entre ce que vous ont dit Lucien Laubier et Jean Francheteau que je considère un peu comme les pionniers de l’océanographie moderne de la deuxième partie du XXe siècle et ce qui se fait actuellement, ce qui se prépare surtout pour le XXIe siècle en matière d’océanographie. Effectivement, il y a un peu plus de trente ans, j’ai connu Lucien Laubier et Jean Francheteau, dans les premières années du fameux Cob. Les choses ont beaucoup évolué depuis, mais, au niveau des découvertes, on est encore loin d’avoir exploré tous les fonds océaniques, seulement une très faible partie a été explorée et il y a encore beaucoup de travail à faire. Néanmoins, nous avons fait de grands progrès dans le domaine de la connaissance des mécanismes de base. Maintenant, il s’agit de consolider toutes ces informations et de peut-être arriver progressivement à ce que l’on appelle une océanographie opérationnelle. Le centre Ifremer de Brest a remplacé le Centre océanologique de Bretagne des années 70. C’est le centre de recherche pluridisciplinaire de la recherche océanologique française et même européenne dans la mesure où, par sa pluridisciplinarité, c’est certainement le centre qui a l’éventail le plus large d’activités sur le plan océanographique. On est entré dans une ère d’instrumentation massive de l’océan, c’est-à-dire que l’on met dans l’océan de plus en plus d’appareils de mesure, divers et variés, pour mesurer les différents paramètres physico-chimiques de la masse d’eau de l’océan, ce qui a trait aux différents flotteurs, mais aussi à d’autres appareils du même type qui permettent de mesurer surtout la température, la salinité, etc., tous les paramètres de base. Maintenant, on sème littéralement ces appareils dans l’océan en très grand nombre et ensuite, dans des centres comme le centre de Brest, on récupère les informations correspondantes des capteurs en temps réel, via satellites, en très grande quantité. Les données vont être préparées afin d’être injectées dans des modèles numériques de simulation des courants, qui vont permettre de faire de la prévision des courants d’une façon très fine, alors que précédemment, on avait une idée des mécanismes de base et on a appris à bien les comprendre à la fin du XXe siècle. Il s’agit de faire des prévisions très fines des courants, sachant que cela va avoir sans doute une influence très importante sur l’évolution du climat pour les prochaines décennies. Le centre de Brest est à fond dans ces applications, dans la mesure où on développe les capteurs de mesure, tous les systèmes de transmission d’information et tous les systèmes de traitement de ces données, afin de les préparer pour les faire entrer dans des modèles. Le mot pluridisciplinarité a tout son sens sur cet exemple.

Mais il n’y a pas que la masse d’eau de l’océan, il y a aussi le sous-sol de l’océan, et il faut aussi savoir qu’actuellement, ce qui accapare beaucoup les communautés scientifiques, c’est probablement tout ce qui est lié à l’exploitation du pétrole profond parce que, pour des pays comme le nôtre, c’est une nécessité d’avoir toujours une certaine indépendance au niveau de l’énergie. Ceci fait que l’on travaille beaucoup dans ce domaine et on se prépare à exploiter des puits de pétrole par moins 1 500 mètres de profondeur. Il faut donc être effectivement sûr que les appareils mis au fond pour récupérer ce pétrole ne seront pas abîmés ou dévastés par des avalanches sous-marines, par exemple. Il faut aussi voir si on ne touche pas trop à la vie sous-marine et si on ne risque pas, en cas d’accident grave, d’abîmer la faune ou la flore sous-marines dans ces endroits. Actuellement, il y a une autre zone sur laquelle s’exerce une très grande pression : la zone littorale. Nous constatons que nous sommes confrontés au problème des conflits d’usage au niveau du littoral, qui sont de plus en plus forts, entre les activités industrielles, agricoles, portuaires, cultures marines et le tourisme. Nous mettons en place beaucoup d’instruments de mesure pour surveiller un certain nombre de paramètres. Nous sommes entrés dans une phase d’instrumentation massive de l’océan sous toutes ses formes.

On continue également à surveiller les ressources vivantes de l’océan, qu’il s’agisse des ressources traditionnelles comme la pêche, l’aquaculture, ou la conchyliculture, etc., parce que là, on arrive à un certain nombre de limites, en particulier en ce qui concerne l’exploitation de certaines espèces que l’on pêche. Depuis les années 80-90, il y a certaines espèces qui se raréfient dans l’océan et qui posent de gros problèmes aux politiques, mais aussi aux scientifiques. Si l’on continue à maintenir une pression sur la pêche, il y aura des espèces qui risqueront de disparaître complètement, d’où les débats très importants que vous avez dû voir à travers la presse entre les scientifiques qui, d’un côté, disent : attention, ne continuez pas comme ça, et les pêcheurs de l’autre qui minimisent les choses.

Par ailleurs, une autre caractéristique importante de l’évolution actuelle d’un centre de recherche comme le nôtre, c’est qu’il y a 30-40 ans, on faisait souvent la distinction entre recherche fondamentale et recherche appliquée, et plus ça va, plus on constate que les deux sont très intimement liées, qu’il est difficile de les séparer. Il est clair que l’acquisition des connaissances de base reste une priorité pour un organisme national public comme le nôtre, mais il n’empêche qu’en permanence, à chaque coin de canyon ou de fonds sous-marin, nous pouvons trouver des découvertes assez fantastiques qui nous amènent quelquefois dans un autre monde, même sur le plan économique.

On rentre vraiment dans ce que l’on appelle l’exploitation, au sens noble, j’espère, de la mer.

Un organisme de recherche comme le nôtre est confronté à des problèmes d’éthique comme tous les organismes de recherche, actuellement. Lorsqu’on aborde ces problèmes-là dans les organismes de recherche, il faut d’abord séparer ce que l’on appelle l’éthique d’un côté et la déontologie de l’autre. L’éthique correspond aux liens entre la recherche et la société, alors que la déontologie représente plus les devoirs des chercheurs vis-à-vis de la société, vis-à-vis d’eux-mêmes et vis-à-vis de leurs collègues. Je peux également ajouter le mot précaution, c’est-à-dire ce que l’on appelle en particulier les politiques de précaution, que l’on se doit désormais de mener lorsqu’on traite des problèmes de recherche.

Depuis de nombreuses années, en particulier dans le domaine de la recherche médicale, des comités d’éthique existent. En revanche, au plus haut niveau de l’État, depuis quelques années seulement, on a commencé à se soucier de ce genre de choses, et en particulier, en 1998, lorsqu’un comité interministériel de la recherche scientifique et technique, présidé par Claude Allegre, a incité fortement les organismes à se lancer dans une démarche d’éthique. Un certain nombre d’organismes qui n’avaient pas encore beaucoup réfléchi aux problèmes d’éthique ont commencé à y réfléchir sérieusement. Dans les expériences menées dans ce domaine, on oscille souvent entre la notion de comité d’éthique à mettre en place dans les organismes, c’est-à-dire une démarche top down, où on demande à l’organisme de mettre en place un comité d’éthique avec un certain nombre de sages, etc., et une démarche bottom up, c’est-à-dire où on demande au contraire aux équipes de s’investir dans ces réflexions et de faire monter leurs problèmes vers ce comité d’éthique. Dans les différents organismes, il y a eu ces démarches simultanément ; par exemple, l’Assistance publique des hôpitaux de Paris avait déjà lancé des démarches éthiques dès les années 80 et finalement, vers les années 95, ils sont passés plutôt à la création d’un espace éthique, c’est-à-dire à une mise en place des réflexions à tous les niveaux sur ces problèmes d’éthique. Le CNRS publie des cahiers Les Comets, dans lesquels il publie des documents très intéressants sur l’éthique dans le domaine de la recherche. D’autres organismes n’ont créé que des comités de déontologie, comme l’INRIA (recherche technologique).

Présentons un exemple : le Comepra de l’Inra. Les chercheurs ont été beaucoup secoués depuis 10-15 ans dans le domaine des farines animales, dans la crise de la vache folle, etc. Il y a eu par conséquent beaucoup de réflexions, et des comités d’éthique se sont mis en place et ont produit des documents très intéressants qui peuvent être considérés comme des références du moment.

L’Ifremer avait le choix entre créer son propre comité d’éthique et la possibilité de se rapprocher de l’Inra - et c’est ce qui a été fait. En 2001, on a créé un comité d’éthique et de précaution, le même que celui de l’Inra, auquel on a ajouté deux spécialistes du milieu marin : l’un est le président du Comité national des pêches et élevage marin (M. Parès) et l’autre est un scientifique (Jean-Paul Troadec). Il faut noter le fait que les personnes du comité appartiennent à de nombreuses disciplines, y compris la philosophie. Le suivi de ce comité est assuré par la direction scientifique de l’Ifremer.

Pourquoi comité d’éthique et de précaution ? Parce que, tout simplement, certaines recherches débouchent automatiquement sur des précautions à prendre au niveau de la mise en application de ces recherches. On a constaté qu’il y avait un déphasage important entre le rythme de l’innovation technique qui est toujours poussée par l’économie et par la recherche privée et le rythme d’obtention des savoirs qui sont nécessaires pour évaluer l’impact de ces innovations sur la société et sur l’environnement et, si l’on n’y prête pas attention, on risque d’avoir un décalage ou un déphasage de plus en plus important entre les deux. En d’autres termes, si on veut faire en sorte que l’on ne prenne pas trop de risques dans les décennies et les années qui viennent, il faut faire en sorte que l’on développe également des programmes de recherche pour évaluer l’impact de ces innovations sur la société et ce sera certainement de plus en plus le rôle des établissements publics de recherche, ainsi que des institutions académiques, alors que les programmes de recherche eux-mêmes, les programmes d’innovation, seront toujours partagés entre le public et le privé. Par exemple, pour les problèmes de pêche, nous sommes tout à fait dans une démarche de politique de précaution. Dans le domaine de la santé, de l’agriculture, ce sont des choses qui sont maintenant monnaie courante.






Mis à jour le 30 janvier 2008 à 15:45