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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 2 : Quelle éthique pour les explorations dans les milieux extrêmes ? >  Station Concordia en Antarctique et le programme du forage glaciaire

Station Concordia en Antarctique et le programme du forage glaciaire

Gérard Jugie, Directeur de l'IPEV

Biographie :

JUGIE Gérard

Compte rendu :

Transcription :

21 novembre 2002 TR2


Discours de Gérard Jugie



J’ai pensé qu’il était judicieux de présenter un exemple pratique pouvant illustrer les problèmes d’éthique qui se posaient, de même que les problèmes de déontologie, au cours de la mise en œuvre d’un grand programme.

(Cliché de synthèse) Voici une reconstitution d’images satellites qui montre dans sa globalité le continent antarctique d’une supeficie de plusieurs dizaines de milliers de km2. Ce continent est recouvert en moyenne d’une couche de 2 000 mètres de glace, pouvant aller jusqu’à plus de 4 000 mètres. C’est la plus grande réserve d’eau du monde (30 millions de kilomètres cubes d’eau douce). Le continent antarctique est à l’heure actuelle recouvert par 98 % de glace, donc il est très difficile de trouver des pierres.

Le sujet qui nous intéresse est une découverte sous cette calotte de glace, entre la calotte de glace et le socle rocheux, qui sont des lacs. Le continent antarctique faisait partie du gangrena et un de ces morceaux, qui est devenu ensuite la plaque Est et la plaque Ouest, est venu se ficher au pôle Sud géographique et, petit à petit, a accumulé le froid et les glaces. Je suis très sensible à la présence d’un de nos collègues russes, Monsieur Sokolov, puisque c’est sur le site de la station russe, dite de Vostok, qu’a eu lieu un des forages glaciaires les plus importants, destiné à repérer, récupérer des glaces qui sont très anciennes (les plus anciennes du monde), il y a 4-5 ans. Depuis, nous-mêmes, au Dôme C, nous sommes descendus jusqu’à une profondeur de forage de moins 2 800 mètres et nous pensons avoir obtenu des glaces qui font moins de 530 000 ans. On récupère ces glaces, on les analyse par un phénomène très simple : la neige devient névé, puis devient glace et en passant de l’état de neige à l’état de glace, elle emprisonne la formation du solide, emprisonne des bulles d’air qui correspondent à l’atmosphère qui régnait, il y a plusieurs milliers d’années et, en faisant fondre la glace, on récupère ces petites bulles d’air et on reconstitue les climats du passé. C’était un des objectifs des travaux à la station russe de Vostok, travaux qui ont été effectués par une organisation tripartite : Russes, Américains et Français. C’est un des endroits les plus froids de la planète (moins 90° pendant l’hiver ; moins 50° l’été), d’où des conditions de logistique et d’insécurité relativement sévères.

Sous cette glace, au cours du forage, par un faisceau d’observations tout à fait différentes, à la fois par des images satellites et des images radars obtenues par avion (couverture radar destinée à mieux connaître l’état des couches de glace), on a découvert (les collègues italiens en particulier) une aberration dans ces enregistrements : en effet, l’image radar ne donnait plus de couches comme on voit dans les sédiments, mais donnait une image complètement plate. En fait, sous cette couche de glace très importante (plus de 3 700 mètres), il existe un lac qui a une superficie à peu près égale à celle du lac Ontario qui est situé entre le socle et la couche de glace, donc des eaux fossiles, qui datent, nous pensons, d’au moins un à deux millions d’années. Ce lac était à l’origine et a été recouvert ensuite par la glaciation.

(Photo) Le schéma du glacier où on voit le glacier qui a évolué au cours du temps et, petit à petit, a recouvert le lac comme il recouvre quand il forme la banquise autour du continent et il a encapsulé le lac, c’est-à-dire qu’il y a de l’eau fossile qui a plusieurs millions d’années qui a été absolument isolée du monde extérieur. À partir de 3 538 mètres, les analyses des glaces qui étaient remontées à la station de Vostok ne correspondaient plus du tout avec une continuité avec ce qui était obtenu. Les scientifiques ont pensé que c’était de la glace d’évaporation, puis de recristallisation du lac et le grand débat actuel, qui débouche sur un problème d’éthique, est de savoir jusqu’où on doit aller dans le forage et surtout jusqu’où on ne doit pas aller. On a laissé un bouchon de l’ordre de 150 mètres d’épaisseur entre le trou de forage et l’eau du lac, de façon à conserver une sécurité et la question, maintenant, se pose de savoir comment poursuivre, par quels moyens technologiques sûrs, pour suivre le forage dans le lac à deux fins : être sûr de récupérer l’eau du lac dans des conditions de sécurité, c’est-à-dire d’obtenir des échantillons sans polluer le lac ou, inversement, une fois que le lac sera perforé qu’il n’ait pas des organismes fossiles vivants qui remontent du lac à la surface avec un scénario catastrophe, avec des espèces vivantes inconnues qui pourraient polluer ou même avoir des conséquences désastreuses sur la vie sur le globe.

Je pose plutôt des problèmes que je n’apporte des solutions, mais c’est pour montrer que la combinaison à la fois des thématiques : les objectifs sont guidés par des thématiques scientifiques mais qui sont sous-tendus par des questions purement technologiques et par des questions de logistique et que pour arriver à des conclusions scientifiques, ce trépied est indispensable et l’équilibre dans ce trépied est parfois extrêmement dangereux. Il y a des limites qu’il ne faut peut-être pas franchir pour que l’homme reste raisonnable.

(Photos) - Une carotte de glace est un barreau usiné de glace de 10 centimètres de diamètre qui est remonté petit à petit à la surface par des carottiers.






Mis à jour le 30 janvier 2008 à 17:13