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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 4 : Les risques des invasions selon les espèces >  Végétaux

Végétaux

Jean-Yves Le Souef, Conservateur du Conservatoire National Botanique de Brest

Biographie :

LE SOUEF Jean-Yves

Compte rendu :

Transcription :

22 novembre 2002 TR4


Discours de Jean-Yves Le Souef



Je suis le fondateur et le conservateur du Conservatoire botanique national de Brest, établissement consacré à la conservation et au sauvetage des plantes menacées dans le monde.

J’ai été frappé par l’exposé de Gérard Thouzeau parce que nous avons les mêmes problématiques dans le monde terrestre, en ce qui concerne les plantes. On voit les invasions de plantes ici, par exemple, à Brest, sur le port de commerce, spécialement sur le polder. On voit des herbes des pampas, des Cortadéria du Chili, des Buddleia d’Asie, des plantes de Nouvelle-Zélande. Le polder est composé principalement de plantes qui viennent des jardins voisins et qui ont trouvé là un terrain neuf, ce n’est pas là le plus dramatique, c’est le côté visible, mais nous avons des problèmes plus graves, en Bretagne, en Europe ou ailleurs dans le monde.

Les écosystèmes les plus menacés sont les écosystèmes les plus fragiles, ceux des îles océaniques qui avaient des ensembles de plantes et d’animaux peu agressifs. Ils n’avaient pas eu besoin de développer des défenses très importantes. Par exemple, beaucoup de plantes n’ont pas d’épines dans les îles, elles n’ont pas de composés qui leur permettent de repousser les prédateurs ou les herbivores, donc elles sont très vulnérables lors de l’arrivée d’herbivores. C’est dans les îles océaniques qu’on trouve les remplacements d’écosystèmes les plus importants. Pour prendre un exemple extrême, la flore de l’île de Sainte-Hélène est composée actuellement de 55 à 60 espèces de plantes à fleurs et fougères qui sont endémiques et on peut estimer par extrapolation qu’il y avait un peu près une centaine d’espèces : environ 40 sont éteintes et, au lieu des 100 espèces originelles, on a un peu près 700 à 800 espèces dans l’île. C’est certes une augmentation du nombre d’espèces, mais c’est une très grande perte pour la biodiversité, puisque les espèces éliminées étaient des espèces qui n’existaient qu’à Sainte-Hélène et qu’on ne retrouvera nulle part ailleurs, qui pourraient servir à différents usages et, en tous les cas, qui servent pour la compréhension des phénomènes d’évolution. Elles ont été remplacées par des plantes banales dont nous avons la réplication un peu partout dans le monde. Ce sont souvent les mêmes espèces qui envahissent d’autres zones. C’est l’équivalent d’un grand musée dont les 3 000-4 000 tableaux auraient été remplacés par 50 000-100 000 gribouillis, il y aurait un plus grand nombre d’objets, mais une grande perte dans la qualité.

Les écosystèmes continentaux sont beaucoup moins menacés. Il ne s’agit pas d’accuser toute implantation d’exotiques : on a dans les jardins entre 10 000 et 20 000 espèces qui sont principalement exotiques. En France, on considère qu’il y a à peu près 400 espèces exotiques qui fonctionnent toutes seules, qui se reproduisent toutes seules. Elles ont été examinées lors d’une enquête qui est en cours. Nous avons les premiers résultats et nous pouvons penser qu’il n’y a pas plus de 40 à 60 espèces de plantes à fleurs qui soient vraiment très ennuyeuses. Ce sont des plantes qui rentrent dans les écosystèmes et qui peuvent les modifier gravement. Là, je ne parle pas par exemple du Buddleia, plante exotique, que l’on voit un peu partout et qui a eu un moment de prolifération après guerre sur les ruines de Brest et dans des villes en phase de reconstruction ; mais il occupe maintenant une position très marginale. En revanche, on a l’herbe des pampas qui, pendant des décennies (60 à 80 ans), n’a posé aucun problème. L’espèce qui était dans les jardins était un clone stérile, on pouvait la multiplier par division de touffe et cela ne posait aucun problème. En revanche, l’introduction d’un ou plusieurs autres clones lui a donné un dynamisme et lui a permis de se reproduire par graines et elle se propage maintenant le long des routes et, dans le polder notamment, on en voit beaucoup. Néanmoins, ce n’est pas une invasion majeure, elle n’ira pas plus loin que la façade Atlantique et la région méditerranéenne. De plus, elle occupe des milieux marginaux, secondaires et ne rentre pas dans les écosystèmes naturels proprement dits. Mais on a d’autres cas de plantes, en Europe, qui sont extrêmement dangereuses. L’herbe des pampas peut être éliminée, il suffit d’arracher les touffes, mais ce n’est pas une plante annuelle qui va se reproduire en quelques mois. En revanche, il y a deux espèces de Polyconum qui sont extrêmement difficiles à éliminer. Pour l’instant, nous avons la chancedenous trouver en face de clones stériles, et elles ne se répandent pas dans l’écosystème. Si on apportait un autre clone qui rendrait fertile le clone, qui est déjà légèrement invasif, on se retrouverait alors non pas face à quelques foyers d’invasion, mais face à une invasion généralisée qui rentrerait dans les forêts et autres écosystèmes naturels. C’est un grand danger, et je ne sais pas comment on pourrait faire pour l’éviter. Dans ces cas, nous tirons la sonnette d’alarme, et il y a une législation à trouver pour ce type de plantes.

Il y a des plantes extrêmement dangereuses pour certains écosystèmes, comme par exemple le mimosa, Acacia dealbata de Tasmanie. Ce mimosa provoque des catastrophes dans les Maures, l’Estérel parce qu’il est très proliférant et, lors des saisons sèches, il devient inflammable, ce qui donne des incendies très intenses. En Bretagne, en revanche, il ne pose pas problème, tout dépend du milieu.

Au niveau de la biodiversité, en Bretagne, les principales invasions se produisent sur les côtes et en milieu aquatique (eau douce). On connaît la Ludwigia qu’on appelle aussi Jussieua. C’est une plante américaine en pleine période d’expansion qui envahit les marais, les rivières à cours lent, et on peut la voir dans l’Aber-Ildut par exemple, depuis Saint-Renan jusqu’au contact avec l’eau saumâtre. Nous avons là un très gros problème, car l’espèce constitue des peuplements monospécifiques qui éliminent les autres plantes et sont impossibles à éradiquer. En Brière, on se trouve devant un problème économique extrêmement important. Actuellement, on opère des dragages afin que les canaux de Brière puissent rester navigables, mais cela coûte très cher car il faut recommencer sans arrêt.

La perte en biodiversité est évidente. La Ludwigia est complètement intolérante aux autres plantes et elle forme des peuplements pratiquement mono-spécifiques. On peut observer cela ici, mais également dans le sud des Landes où elle entre en compétition avec une autre introduite, le Myriophylle du Brésil et un arbuste d’origine américaine. C’est un paysage complètement artificiel, avec la portion congrue laissée aux plantes et aux animaux indigènes qui ne peuvent pas vivre sur ces espèces introduites ou vivre d’une manière très marginale.

Ces plantes viennent de climats similaires : Amérique du Nord, Californie, Est des États-Unis, Japon, Chili et n’ont pratiquement pas de prédateurs. C’est pour cette raison qu’elles ne connaissent aucune limite d’implantation et de développement. Mais on a exactement la même chose en Amérique du Nord où une plante comme la Lythrum salicaria, la salicaire qui, ici, est une plante habituelle des cours d’eau, occupe sa place et a ses propres prédateurs, pose un problème majeur avec un remplacement énorme de flore spontanée et des extinctions de plantes indigènes. On a aussi la même choses aux îles Juan Fernandez où plusieurs dizaines d’espèces sont menacées, dont environ quinze sont éteintes. Même chose pour Tahiti en ce qui concerne un Miconia, arbuste introduit qui a envahi toutes les pentes raides de la zone moyenne humide et qui pose également des problèmes en Nouvelle-Calédonie, en Australie...

Nos plantes viennent de milieu tempéré. Les invasives de Tahiti viennent de milieux tropicaux similaires.

Il y aurait deux solutions. D’abord, à titre préventif, le législateur devrait interdire l’introduction de plantes qui sont réputées dangereuses, puisque nous les connaissons. Par exemple, on connaît des invasions au Chili de plantes nord-américaines. Si des plantes sont invasives à l’île de Chiloé et dans la région de Valdivia, par exemple, régions similaires à celle de la Bretagne, elles sont potentiellement invasives ici. Ensuite, il y a l’éradication qui pose de très gros problèmes. Une des solutions serait d’introduire - mais cela peut poser de très gros problèmes - un parasite très spécifique qui soit en mesure de reconstituer un micro-écosystème. Par exemple, l’ajonc d’Europe : pourquoi n’est-il pas gênant ici, alors qu’il est très gênant à Sainte-Hélène, en Nouvelle-Zélande, à Madère, aux Canaries, etc. ? C’est parce qu’ici il est limité par ses parasites et prédateurs. D’une manière générale, le danger vient de la perte de biodiversité et de l’extinction définitive d’espèces endémiques. Le scientifique le déplore pour des raisons évidentes, mais le simple voyageur peut déplorer, par exemple, en arrivant à Santiago du Chili, de se retrouver dans un milieu qui ressemble beaucoup à ce qu’il peut trouver à Madrid ou à Toulon. C’est également une perte culturelle et un nivellement par le bas.






Mis à jour le 31 janvier 2008 à 15:50