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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 5 : Vingt mille vies sous les mers, Valorisation et usage du vivant en milieu marin, application à la région Bretagne >  Débat de la table ronde 5

Débat de la table ronde 5

Jacques Berthelot, conseiller régional de Bretagne
Bernard Kloareg, Station biologique de Roscoff
Gérald Hussenot, CRPMEM
Christine Bodeau, INSA Toulouse
Yves Le Gal, Station de Biologie Marine Concarneau
Joël Quérellou, Ifremer
Michel Glémarec, UBO
Jean-Paul Alayse, Océanopolis
Gildas Borel, bureau d’études domaine maritime
Benjamin Duez, étudiant en Sciences de l’Environnement
François Brélivet, professeur de mathématiques

Compte rendu :

Transcription :

22 novembre 2002 débat TR5


Débat



Débat

Jacques Berthelot:
Ce dont nous devons débattre, c’est de l’évaluation et de la responsabilité des chercheurs comme des chefs d’entreprise. Peut-on tout valoriser et à quel prix ?

Quelle doit être et quelle peut être la posture éthique des uns et des autres vis-à-vis de l’exploitation des ressources vivantes de la mer ?

Bernard Kloareg:
Vous avez dû lire dans la presse que, sur la ressource en laminaires par exemple, nous avions un problème. La quantité de Laminaria digitata récoltée au début du siècle était aux alentours de 100 000 tonnes. Jusqu’au milieu des années 1990, elle était aux alentours de 70 000 tonnes, mais nous avons maintenant un problème, les débarquements dépassent rarement les 50 000 tonnes, malgré un effort de pêche constant ou même accru. De plus, ces 50 000 tonnes ne sont plus exclusivement du Laminaria digitata, dans la mesure où les champs de laminaires sont envahis de plus en plus par une autre algue Sacchoriza polyschides. Face à cette constatation, la responsabilité du scientifique est engagée en ce sens qu’on a deux attitudes : on peut considérer que ce n’est pas notre affaire ou on peut choisir au contraire d’essayer de discuter avec les personnes qui sont impliquées dans ces métiers (goémoniers, industriels), et il est clair que l’attitude que nous choisissons, à Roscoff, c’est d’essayer d’engager un dialogue avec eux, en disant : “ Attention, si vous continuez comme cela, non seulement votre métier proprement dit est en danger, mais, de plus, sur le long terme, dans la mesure où les champs ne se reconstitueraient pas, la ressource peut être perdue. ” En gros, nous avons modifié l’équilibre écologique de notre région sur des ressources très précieuses. Puisqu’on parle d’éthique et de droit de parole, je pense que nous avons été placés devant un dilemme : “ Est-ce qu’on intervient ou pas ? ” Nous avons choisi d’intervenir. Le point essentiel, c’est d’essayer de voir comment, ensemble, on peut réfléchir à des solutions qui soient durables pour faire en sorte que cette ressource soit gérée de manière satisfaisante, qu’elle soit transmise de génération en génération. Ce cas peut être étendu à d’autres ressources marines.

Jacques Berthelot:
En tant que Breton, en tant qu’élu, j’ai une question concernant la pêche. La Bretagne représente environ la moitié de la pêche française. Cette gestion de la ressource peut-elle justement avoir des conséquences dramatiques à terme sur ce pan de notre activité économique bretonne ?

Gérald Hussenot:
Il ne faut pas donner une image catastrophique de l’état de la ressource. Quand j’ai dit tout à l’heure que nous étions tous conscients de la nécessité d’assurer une gestion équilibrée, je n’ai pas dit qu’on était nécessairement d’accord sur la vision générale qui est insufflée, notamment par Bruxelles, d’un état catastrophique des ressources. Toutes les ressources ne sont pas en danger : la coquille Saint-Jacques, les crustacés par exemple, montrent qu’il n’y a pas de danger au sens général. Il y a, en effet, certains stocks qui sont réellement en danger. On a, en fait, deux types de stocks : ceux qui nécessitent une reconstitution et ceux qui se trouvent exploités en deçà des limites du biologiquement raisonnable. En ce qui concerne la Bretagne et les pays de la partie Ouest de l’Europe, les stocks réellement en danger ne sont pas si nombreux que cela. On peut parler du cabillaud, du merlu dans certains secteurs, de la sole, de la lotte, de l’églefin et du merlan, mais lorsqu’on fait l’inventaire de l’ensemble des espèces, on n’est pas pour autant dans une situation cataclysmique, telle que l’on veut bien nous la décrire. Pour ce qui concerne les algues, il est vrai que c’est un sujet très important et qui tient tout à fait à cœur le Comité régional. La première observation est qu’effectivement le champ d’algues de la mer Iroise peut souffrir d’une certaine difficulté de recrutement. En revanche, il y a d’autres champs qui ne sont pas exploités ou peu exploités, donc qui peuvent être mieux exploités. Ensuite, il y a également les contraintes du professionnel exploitant (goémonier), il est évident que c’est un métier très spécifique et que, progressivement, l’activité s’est réduite, mais pas la productivité, et les bateaux ont eu tendance à devenir de plus en plus gros. Il est exact que le métier n’est pas si facile à exercer. En ce qui concerne la ressource, compte tenu de cette stagnation de production de L.digitata, il y a une réflexion qui a été entamée sur une restauration du peuplement de la ressource, notamment dans la mer d’Iroise ; ceci pour vous dire qu’il n’y a pas de fermeture intellectuelle au processus. Maintenant, pour la mise en œuvre, c’est autre chose et on retombe alors sur les contraintes des individus et les contraintes d’exploitation de la ressource.

Christine Bodeau:
C’est vrai qu’il y a des problèmes d’exploitation. Nous avons notamment un champ de laminaires remarquable et unique pour son exploitation dans le monde. Il est vrai qu’on se sent une très grande responsabilité. Mais j’aimerais élargir le débat et dire qu’il n’y a pas que la laminaire qui soit exploitée localement. Étant donnée la position de la Bretagne sur le globe, notamment son niveau de latitude, on y trouve encore toutes les grandes algues brunes qui poussent dans les eaux froides, qu’on va également retrouver dans l’hémisphère Sud et dans les pays producteurs concurrents qui exploitent leurs algues naturellement (Chili, Afrique du Sud, Europe du Nord), puis les algues rouges et les algues vertes qui présentent des débouchés intéressants. Les carraghénanes sont extraits d’algues rouges et il faut savoir que, localement, s’il existe une récolte par bateau, il y a également toute une tradition de récolte manuelle : au moment des grandes marées, il y a plus de 2 000 personnes qui ramassent le petit pioca qui est un mélange de deux algues (Chondrus crispus et Mastocarpus) absolument irremplaçables - et je le tiens de source sûre des chercheurs qui valorisent les carraghénanes dans les desserts laitiers, car il s’avère maintenant que 90 % des sources d’algues de la société qui exploite les carraghénanes en France viennent de l’étranger et 10 % de Bretagne. Ce mélange de Chondrus et de Mastocarpus est idéalement adapté aux desserts laitiers par la synergie qui existe entre les protéines du lait et le carraghénane de notre pioca breton, irremplaçable à l’heure actuelle. Je tiens à insister sur la spécificité des molécules qui sont effectivement extraites de ces algues, dans le domaine industriel et agricole, mais également dans le domaine de la pharmacie et de la médecine. J’ai lu récemment dans Courrier International qu’il y avait des purées d’une algue spécifique qui sont en train d’être testées dans certains tuyaux d’évacuation contaminés d’hôpitaux où il y a des problèmes de bactériologie, de germes résistants. L’algue, de par son côté primitif, est capable de faire beaucoup de choses, entre autres de se défendre contre des prédateurs et de synthétiser des molécules spécifiques, intéressantes, dont l’exploitation n’est peut-être pas immédiatement rentable, mais qu’on peut déjà étudier au niveau scientifique et pour lesquelles on peut envisager des applications futures, ce qui est très important au niveau de la recherche fondamentale. Beaucoup de molécules ont déjà été identifiées et font l’objet de nombreuses publications. C’est le rôle de la valorisation de la recherche : aller loin, établir des bibliographies, pousser les recherches et toutes leurs applications.

C’est vrai que la laminaire est très intéressante de par l’alginate qu’elle synthétise et qu’on consomme dans certaines crèmes, etc. Les algues apportent quelque chose d’irremplaçable et qu’on ne retrouve pas sur d’autres polymères modifiés, mais le domaine d’application est très vaste et c’est une énorme richesse. Il est vrai aussi que, si l’on trouve une molécule très intéressante dans une algue, on doit impérativement s’interroger sur la disponibilité, ne pas foncer et laisser la porte ouverte aux grands groupes pour qu’ils éradiquent l’espèce et on doit donc penser évidemment culture ou génome...

Yves Le Gal:
Le domaine des algues est relativement favorable dans la mesure où c’est un domaine local et qu’il est de la responsabilité des exploitants, des locaux, de le gérer. C’est un problème simple dans ce cas. Pour les poissons, c’est un peu plus compliqué, parce que de nombreuses pêches sont internationales (cabillaud, thon océanique, etc.). Les armements de Concarneau sont des armements internationaux et ils sont confrontés aux Japonais, Espagnols, Australiens, etc. Du fait de la raréfaction de ce qu’on peut pêcher sur le plateau continental habituellement exploité et des moyens techniques de plus en plus puissants mis en œuvre, certains bateaux en sont à pêcher à 1 200-1 500 mètres de fond. On découvre même dans ces pêches des espèces nouvelles. Mais, pour certaines, ce sont les données biologiques de base qui manquent. Ainsi les Sikis, qui sont un assemblage de plusieurs espèces de requins dont on ne connaît pas bien pas la biologie, sont exploités. Comment voulez-vous assurer la gestion si vous ne savez pas comment cela se passe ? Il y a réellement un problème de recherche, un problème de formation des exploitants, d’information et de communication entre les scientifiques, non seulement au niveau local, mais au niveau européen, voire mondial. Il est vrai de dire que la biodiversité marine est telle qu’il y a des ressources en molécules extraordinaires. 99,9999 % de la biomasse sur la planète et dans les mers sont les virus, les bactéries, les champignons, les protozoaires, les algues unicellulaires et tous ces organismes fabriquent des molécules différentes et potentiellement très intéressantes. Il y a des besoins en antibiotiques nouveaux, en médicaments anticancéreux, en substances d’intérêt industriel etc. Mais ce qui est vrai aussi, actuellement, c’est la tendance au regroupement des grands groupes pharmaceutiques, car seuls les géants sont en mesure de développer des médicaments, d’introduire des molécules nouvelles, au moment où ils le désirent. Ainsi, d’une part, on a des besoins en molécules nouvelles et, d’autre part, il y a en ce moment un freinage extraordinaire pour introduire des substances nouvelles, car, tant qu’il y a un doute sur leurs effets secondaires, on évite de prendre des risques Il faut bien faire une différence entre l’énorme potentiel de richesses en molécules des océans et la pratique de tous les jours concernant ce qui est réellement possible.

Public:
Peut-on faire quelque chose des algues des “ marées vertes ”, ce qui serait bien utile pour tout le monde ?

Bernard Kloareg:
Sur les algues vertes, des tentatives ont été faites par le CEVA (Centre d’études et valorisation des algues, à Pleubian, Côtes d’Armor). Je suis persuadé qu’on peut aller un peu plus loin, car le problème des valorisations qui ont été tentées jusqu’à présent est qu’elles sont à très faible valeur ajoutée et, en définitive, cela ne va jamais très loin, parce que le coût de la transformation est prohibitif. Il s’agit par exemple d’en faire du compost - il est clair que cela intéresse peu de gens. En revanche, il est tout à fait possible d’imaginer qu’on pourrait trouver un jour dans ces végétaux des molécules d’intérêt.

Le problème auquel chaque pays est confronté est le problème de son patrimoine en ressources génétiques, sachant qu’en ce qui nous concerne ce sont les espèces vivantes de nos côtes. Je pense que c’est là que, peut-être, les grands organismes de recherche, les universités, les pouvoirs publics, ont un rôle à jouer, parce que le développement de ces molécules dépasse souvent les possibilités d’une PME, mais ce qui est certain, c’est d’inventorier, d’analyser et de protéger, au sens protection industrielle, les ressources que nous avons en terme de biodiversité, et là réellement, ils ont un rôle à jouer sous forme par exemple de constitution de collections, etc. C’est le cas de Joël Quérellou qui a monté une “ souchothèque ”, collection de microorganismes et ce genre d’initiative fait que, le moment venu, les pays qui ont réalisé ce genre de travail restent propriétaires de ces ressources génétiques.

Christine Bodeau:
Les algues vertes prolifèrent parce qu’il y a un apport en nitrates et en phosphates, lié à tous les engrais lessivés par les eaux de pluie. Il est vrai qu’elles sont polluantes de par leur masse, mais elles consomment les nitrates et les phosphates qui repartent à la mer, et on peut les retrouver en haut du littoral. Il y a eu beaucoup d’essais avec de grandes idées de transformations biochimiques, et il faut savoir qu’il y a des choses toutes simples mises en œuvre par certains ostréiculteurs : l’application sur les poches d’huîtres de bigorneaux qui se nourrissent d’algues vertes. Cela fonctionnerait-il sur les grandes masses d’algues qu’on trouve dans les baies des Côtes d’Armor ?

Joël Quérellou:
Concernant les collections, la façon dont les choses peuvent être menées en terme de valorisation n’est pas simple. Les collègues d’Ifremer, de même que ceux de l’UBO et du CNRS, ont été confrontés à des difficultés en matière de valorisation. Par exemple, la connaissance des besoins des industriels, autrement dit l’information sur le type de molécule qu’il convient de rechercher, est considérée par les industriels eux-mêmes comme une information stratégique. Pour un établissement de recherche, décider ou admettre qu’il a la connaissance appropriée pour se lancer dans des travaux qui vont prendre plusieurs années pour rechercher une molécule, c’est souvent courir le risque de positionner des chercheurs, des techniciens pendant des années sur un travail qui va aboutir à une molécule qui possèdera 70-80 % des propriétés requises pour l’industrie, mais qui finalement ne sera valorisée que par une publication. Il est impératif de ne pas faire l’impasse sur une collaboration avec le secteur industriel. En effet, celui-ci connaît bien les besoins, parce que c’est lui qui est confronté aux problèmes de marché, qui est capable de faire la deuxième étape du travail, à savoir le développement. L’établissement de recherche a pour vocation de constituer la collection, de la pré-caractériser, d’obtenir éventuellement certaines informations sur des molécules (enzymes ou autres), sur ses propriétés premières mais, pour le développement de cette molécule et son industrialisation, les établissements de recherche n’ont généralement pas les capacités, pas plus que les moyens ni les compétences. Ce sont les industriels qui sont capables de le faire. Il n’y a pas le choix, une valorisation doit nécessairement associer dans un cadre contractuel bien défini, avec des répartitions des profits claires et équitables, la recherche publique ou la recherche privée d’une part et les grands groupes capables de faire du développement dans la plupart des autres cas. Par exemple, pendant la dernière décennie, l’Ifremer a criblé à plusieurs reprises sans succès la collection de microorganismes pour rechercher des lipases (enzymes dégradant les lipides), dont on sait qu’elles seraient utiles dans bon nombre d’industries, notamment l’industrie des détergents et l’industrie chimique. En revanche, un partenariat avec une entreprise de biotechnologie (Protéus) et qui a re-criblé avec ses outils la même collection pour des enzymes a permis de mettre en évidence la présence d’une lipase-estérase qui fait actuellement l’objet d’un développement.

Gildas Borel :
Nous sommes actuellement engagés sur l’évaluation de la recherche et de la valorisation. Comment peut-on évaluer la filière algue au niveau de la recherche fondamentale (les publications, les impacts nationaux et internationaux, l’emploi) ?

Jacques Berthelot:
Il y a là une double question, qui touche à la fois à la qualité de la recherche et de sa vivacité et à l’aspect économique.

Bernard Kloareg:
En terme de recherche fondamentale sur les macro-algues marines, nous sommes le laboratoire le plus important au monde, en nombre de chercheurs au moins. Au niveau mondial, il y a des gens très actifs qui travaillent sur les algues (Extrême-Orient, Chili, Norvège). En Bretagne, nous avons une concentration très forte de chercheurs, et notre région est très bien placée dans ce domaine. Nous avons choisi de nous associer à une entreprise pour essayer de valoriser ce potentiel intellectuel.

Jacques Berthelot:
Dans le sixième PCRD, il y a des réseaux d’excellence - ce qui va être le must de la structuration de l’espace européen de la recherche -, et il est vrai que l’une de nos plus grandes espérances dans cette filière, c’est que Génomer, le réseau de génomique marine, soit reconnu comme le leader en Europe. Au niveau de la Bretagne, on se bat pour cela.

Bernard Kloareg:
Je précise que tout ce qui est génomique, ce n’est pas que les algues, c’est en gros toutes les ressources vivantes marines. Il y a certainement un domaine dans lequel on a encore des efforts à faire, c’est la valorisation économique de ce potentiel. Des pays, comme l’Extrême-Orient, le Japon, sont largement devant nous. Par exemple, dans la thalassothérapie, on ne peut pas dire qu’on ait réellement fait quelque chose pour aller au-delà de simples recettes et, là, il y a certainement un potentiel extrêmement fort où l’alliance des chercheurs et des utilisateurs devrait être féconde.

Christine Bodeau:
Dans le domaine de la thalassothérapie, c’est surtout la teneur minérale des algues qui est très intéressante et revendiquée, puisque les algues concentrent tous les éléments et oligo-éléments présents dans l’eau de mer nécessaires à la vie. Cette matière minérale représente jusqu’à 40 % sur poids sec de l’algue.

Pour citer un exemple : un producteur de crustacés avait subi des pertes importantes liées à une mauvaise qualité de l’eau de ses aquariums. Nous avons alors introduit dans les filtres une algue calcaire, insoluble, qui contient également toute cette matière minérale essentielle à la vie et qui, par le flux d’eau, a distillé ses oligo-éléments dans l’eau de mer permettant ainsi la survie des crustacés et des mollusques.

Nous regrettons que nos clients de thalassothérapie ne participent pas à l’étude scientifique de l’apport minéral par bains chauds et applications d’algues ; ils voient en priorité le côté économique. En médecine, on sait maintenant que les oligo-éléments jouent un rôle important. Notre rôle est de dire qu’il y a autre chose que les sels minéraux. Nous travaillons sur des molécules intéressantes qui interviennent pour préserver l’hydratation de l’algue. L’algue sait aussi se protéger des rayons solaires, donc comment se protège-t-elle, quelles sont les molécules qui travaillent ? Ce sont des pistes intéressantes, par exemple pour la peau, d’autant que le Finistère est le plus touché par le cancer de la peau.

C’est vrai qu’il y a beaucoup de recherche fondamentale dans des instituts, à l’université, mais c’est vrai aussi qu’il y a de toutes petites entreprises qui font leur propre recherche. Je citerai le cas du Lithothamium : pour certains exploitants, les quotas vont diminuer. C’est une algue calcaire qui ne se renouvelle pas, puisque ce sont les squelettes de l’algue qui sont exploités. Il y a des champs énormes en Bretagne et on se doit, moralement, de sélectionner les applications de ces algues. Elle était utilisée comme maërl, amendement calcaire, de manière brute et par gros tonnage. On doit dire stop, préserver la ressource et conserver des applications tout à fait spécifiques. Effectivement, cette petite algue possède un pouvoir d’échange avec l’extérieur, une porosité qui fait qu’elle joue un rôle important comme filtre et, riche en carbonate de calcium, elle peut élever le pH de l’eau. Elle est utilisée par exemple dans le traitement des eaux potables, de même que dans le traitement des eaux usées comme apport minéral complètement naturel. Elle a tout, elle distille tout lentement, diffuse lentement dans le milieu. Par exemple, l’utilisation d’amendement calcaire sur les pelouses de bord d’aéroport est tout à fait appropriée, car ce maërl aide les flores bactériennes locales à digérer l’essence des avions et permet de reconstituer les pelouses. Ce sont des applications directes, on peut expliquer scientifiquement tout à fait ce qui se passe. Au niveau de la recherche, il y a besoin d’idées et il existe de petites entreprises qui valorisent ces idées-là en échanges et en simples discussions avec des gens qui sont allés beaucoup plus loin en biologie, en biochimie. En Bretagne, nous sommes bons, mais on pourrait encore mieux faire sur les échanges industrie-recherche.

Il y a également la notion de confidentialité, qui met en jeu tout le problème du lien de la recherche privée et de la recherche publique. Jusqu’où une entreprise privée va-t-elle confier la totalité de son projet à un laboratoire avec des risques de fuites et de valorisation de ce laboratoire afin d’avoir d’autres contrats avec d’autres personnes ? C’est un grand sujet qu’on n’a pas résolu. Il faut qu’on arrive à valoriser tout le savoir de la recherche et des institutions, de l’Université, de l’Ifremer, du CNRS, et que cela réussisse à basculer dans le privé.

Jacques Berthelot :
En réponse à votre question, nous recherchons l’excellence pour ce qui concerne la recherche, le premier rang mondial ; en revanche, il est vrai qu’on peut aller beaucoup plus loin dans le domaine de la valorisation.

Benjamin Duez:
On a beaucoup parlé d’échelles sur la gestion des stocks au niveau des entreprises, des régions et de l’Europe. Actuellement, l’Europe est en train de changer totalement sa politique de pêche avec une flotte différente, des techniques de pêche différentes. J’’aimerais connaître les interactions entre l’Ifremer, le Comité des Pêches, l’État et l’Europe. Qui sont dans les commissions pour développer les idées ? Qui finalement va avoir le pouvoir décisionnel sur les mesures qui vont être prises ? Enfin, on voit de plus en plus des pêches au large ; il y a un élément international qui se passe avec le Japon, l’Australie, les pays nordiques. Je voudrais savoir comment, au niveau mondial, sont gérés les stocks de poisson.

Gérald Hussenot:
Au final, c’est une décision essentiellement politique. Pour les espèces soumises à une gestion par le biais des TACs et des quotas, c’est le conseil des ministres de la Communauté qui décide. Pour remonter en amont, cette décision politique est appuyée par l’avis du Conseil scientifique et technique et économique de l’Europe qui apporte sa touche économico-sociale ou sur conseils des scientifiques qui déterminent l’état du stock.

Joël Quérellou:
Dans la chaîne d’élaboration qui conduit à la détermination des TACs et des quotas, il y a une première étape qui est une étape d’évaluation scientifique fondée sur les connaissances des instituts de recherche, Ifremer et les homologues dans les autres pays en Europe (Institut Espagnol d’Océanographie...). Ces évaluations sont débattues d’abord au niveau des scientifiques dans le cadre du Conseil International pour l’Exploitation de la Mer qui regroupe d’autres pays comme le Canada pour des stocks partagés. Une fois ces évaluations faites, il y a une pondération par des données politiques, économiques et sociales, et la décision est prise par les ministres de la Pêche et de l’Agriculture des différents pays. Ce sont donc bien les élus et les politiques qui prennent les décisions.

Au plan mondial, il y a des commissions internationales spécialisées par type de stock. Par exemple, pour le thon, les scientifiques procèdent de la même manière, c’est-à-dire qu’ils font des estimations croisées entre les différents instituts des différents pays qui exploitent ces stocks. Là aussi, sur la base des travaux de ces commissions internationales, il y a des négociations entre les grandes puissances de la pêche avec, en particulier, pour les eaux internationales, une direction des pêches extérieures de la Commission européenne qui négocie avec ses partenaires pour arriver à des accords politiques sur la répartition de ces ressources.

Gérald Hussenot:
Il est nécessaire que ce soit une décision politique. D’ailleurs, dans le cadre des propositions que fait la Commission de Bruxelles pour la politique commune des pêches, figure une disposition qui prévoit de déléguer du Conseil à la Commission la gestion des stocks pour lesquels un plan de gestion a été mis en place et, là, il y a une opposition formelle de l’ensemble de la profession, qui entend affirmer que les décisions doivent être politiques et doivent rester de la compétence du Conseil et non de la Commission.

Michel Glémarec:
Hier et ce matin, on a beaucoup parlé des problèmes des milieux extrêmes et des problèmes d’éthique qui se posaient dans le cadre de l’introduction volontaire ou accidentelle d’espèces exotiques. Il était intéressant de savoir dans les milieux profonds quels allaient être les développements à venir de toutes ces nouvelles molécules, à la fois dans les sources hydrothermales, mais aussi dans le domaine des poissons qu’a évoqué Yves Le Gall. Ces poissons, dont on n’a même pas eu le temps d’étudier la biologie avant qu’ils soient exploités, représentent des systèmes extrêmement fragiles. Avec les grandes algues on est donc allé chercher ce qu’on avait de mieux dans la région au niveau d’une exploitation raisonnée pour nous apporter un certain nombre de leçons. Je crois que nous sommes sortis des délires d’il y a vingt ans, où on nous avait prouvé qu’il n’y avait pas assez d’algues en Bretagne et qu’on allait donc introduire des espèces exotiques. Une personne a évoqué la quantité des algues vertes et on nous dit que, dans ce cas, la transformation est chère et qu’il n’y a pas de molécule intéressante. Il y a des problèmes de quantité. Ne risquons-nous pas de voir de plus en plus de petites firmes qui se lanceraient dans l’élevage particulier d’une espèce exotique qu’on essaierait de cantonner dans son coin parce qu’elle possède une molécule tout à fait particulière ? À ce moment-là, en Bretagne, nous risquons de tomber de plus en plus dans le grand problème de notre littoral breton : celui du conflit d’usages. J’ai déjà vu des caseyeurs se plaindre de certaines extensions d’élevage d’algoculture et on n’a pas pour l’instant abordé ce problème d’algoculture. Avez-vous besoin, les algologues, d’algoculture spécifique pour une molécule donnée qui vienne entraver l’activité traditionnelle de caseyeurs ou de fileyeurs ?

Jacques Berthelot:
La question a été un peu abordée par Bernard Kloareg. Il va pouvoir vous donner des indications et, en particulier, sur le fait qu’elles n’ont pas nécessairement les mêmes propriétés, les mêmes valeurs en terme de valorisation.

Bernard Kloareg:
Les deux tiers des ressources en algues, au niveau mondial, sont des ressources aquacoles. Toute l’Asie et une grande partie de l’Afrique cultivent les algues qui sont exploitées (6 millions de tonnes). L’Europe et l’Amérique du Nord en sont toujours à la pêche, là où les autres pays en sont à l’élevage. Cela nous interpelle, parce qu’il y a des secteurs entiers qui ont quasiment disparu. Par exemple, dans le cas des carraghénanes, il y a une trentaine d’années, 50 % étaient encore produites à partir de nos ressources et, aujourd’hui, ce n’est plus que 10 %. Malgré tout, on est obligé de se poser ici la question : “ Algoculture ou non algoculture ? ”. Pour l’instant, cela n’a pas tellement évolué parce que les molécules extraites des algues ont une valeur ajoutée, mais pas au point que l’algoculture, qui techniquement est faisable, devienne économiquement faisable. Maintenant, rien n’exclut d’imaginer que, pour des molécules à plus forte valeur ajoutée, la question de mettre au point des technologies d’algoculture se pose en des termes économiques qui, du point de vue de l’exploitation des algues, commencent à devenir rentables. Il est vrai qu’on entre ensuite dans d’autres problèmes qui sont les conflits possibles avec d’autres utilisateurs du milieu marin, et on n’a pas envie de baisser les bras tout de suite.

Michel Glémarec:
La qualité des eaux ! On va retomber sur les mêmes problèmes que l’aquaculture traditionnelle.

Bernard Kloareg:
Bien sûr, sauf que nos algues ne relarguent pas d’azote. En terme de qualité des eaux, on est plutôt mieux placé que les autres parce qu’en pratique, les algues sont des producteurs primaires, susceptibles de pomper l’essentiel de l’azote et du phosphore qui sont rejetés dans le milieu marin, alors que, lorsqu’on fait un élevage de poissons, c’est 50 % d’azote rajouté qui repart dans le milieu, au point d’ailleurs qu’il y a une utilisation de l’algoculture à laquelle les gens commencent à penser, et qui est de faire des ensembles intégrés derrière les installations d’aquaculture animale pour récupérer les rejets. Pour notre part, mises à part quelques exceptions comme la Coopérative aquacole d’Ouessant, etc., la Bretagne n’a pas tellement réfléchi aux pistes possibles d’ouverture de ces techniques, pur la raison essentiellement que la plupart des utilisateurs d’algues considèrent que la matière première sera beaucoup trop chère et, à partir du moment où on trouve des molécules à valeur ajoutée bien supérieure à celle des colloïdes, la question se repose.

Christine Bodeau:
Une autre difficulté est la fréquence des tempêtes, notre climat.

Yves Le Gal:
Je pense que c’est un peu plus compliqué que cela. Les algues naturelles poussent, vivent au gré des saisons : leur qualité physiologique, biochimique, n’est pas la même en hiver, au printemps, en été et en automne. Si, effectivement, on veut produire autre chose que des colloïdes et aller vers des molécules plus ciblées (par exemple avec une action pharmacologique), il faut être sûr de la qualité de la matière première. C’est dans ce contexte que l’aquaculture d’algues est intéressante. La question n’est réellement pas de produire autant de biomasse en aquaculture qu’en mode naturel. Je ne pense pas qu’on puisse imaginer remplacer la production naturelle des champs de laminaires ou d’autres algues brunes par de l’aquaculture. Il s’agit ici d’un problème de constance dans la qualité en vue de la production d’une molécule donnée. Ce problème est, en fait, traité d’une autre manière, en particulier par les Japonais qui produisent des algues d’aquaculture, essentiellement des micro-algues, dont la culture est contrôlable dans des petits bassins ou même en fermenteurs. C’est un problème, non pas de ressource, mais de qualité et de spécificité des molécules produites : les micro-algues sont manipulables physiologiquement, ceci veut dire qu’on peut les stresser (couper la lumière, les alimenter avec un excès d’azote, et.) pour les contraindre, par exemple à produire des acides gras - (oméga) 3, ces oméga 3 qu’on trouve jusqu’à présent dans les huiles de poisson (huile de foie de morue...), et qui commencent maintenant à être produites spécifiquement par des algues (pour la petite histoire, pour améliorer leurs performances, les enfants Japonais sont nourris d’œufs produits par les poules nourries avec des micro-algues). On peut stresser physiologiquement les algues, mais on peut aussi les manipuler génétiquement et fabriquer des micro-algues OGM, mais il s’agit là d’un autre débat.

Pour en revenir aux algues vertes, on peut utiliser les ulves en échouage, mais il faut se rappeler, s’agissant d’algues, de poisson, de coquilles Saint-Jacques..., que, si la matière première est de mauvaise qualité, les produits finaux et transformés le seront également. On ne peut pas, avec des algues d’échouage en décomposition, sortir des produits à haute valeur ajoutée. En fait, le problème des algues vertes est un faux problème. Ce n’est pas un problème de recherche scientifique, c’est un problème politique, c’est un problème de police, de réglementation, parvenir à savoir quelles sont les sources qui produisent trop d’éléments nutritifs, qui font qu’il y a trop d’algues vertes, et tenter de les maîtriser. Et si, par bonheur, on trouvait dans ces algues vertes d’échouage une molécule miracle dont on lancerait l’exploitation, faudrait-il interdire aux agriculteurs d’épurer leurs eaux ? Allons jusqu’à l’absurde : en Bretagne, en Finistère, nous sommes dans une situation privilégiée puisque, pour dégrader les hydrocarbures liés aux marées noires, nous disposons des bactéries nécessaires, de l’oxygène et des substances nutritives (azote, phosphate) apportées gracieusement par les stations d’épuration. Doit-on conserver précieusement ces pollutions pour se débarrasser des autres ?

François Brélivet:
On a bien compris l’intérêt de lier la recherche au développement des PME... et le besoin de se protéger pour être rentable. On a aussi effleuré le problème des grandes sociétés, pharmaceutiques en particulier, qui ont parfois intérêt financièrement à geler la recherche, comme par exemple certains brevets américains qui gênent l’Institut Pasteur. Alors, quel est le rôle qui reste aux gouvernements et aux États pour maintenir, malgré tout, une recherche importante dans l’intérêt des populations ?

Joël Quérellou:
La recherche fondamentale ne doit pas être à la remorque de l’industrie, petite, moyenne ou grande. C’est l’inverse. La recherche fondamentale doit irriguer une recherche en aval. Ceci pose le problème des connexions : car le contribuable va payer une recherche globale, et comment peut-on donner à l’un plutôt qu’à l’autre, quel est le retour sur investissement du contribuable lorsqu’un produit est développé par une société lambda ? C’est une partie des interrogations.

Bernard Kloareg:
Dans les contrats que nous passons avec les entreprises, il est indiqué clairement que si cette entreprise in fine ne se développe pas, nous récupérons les droits, ce qui nous permet d’éviter ces problèmes de blocages. Ce à quoi qu’on s’efforce aujourd’hui, dans le domaine de la prise des brevets, c’est à plus veiller à ne rien publier sans qu’un brevet soit pris, s’il est possible de le prendre. Ces brevets sont ensuite licenciés aux gens qui le souhaitent. Quant au retour sur investissements de la société dans la recherche, outre l’approfondissement des connaissances, ce à quoi on essaie aujourd’hui de veiller, c’est : le travail qu’on fait peut-il servir à d’autres et, dans ces conditions, et peut-on aboutir à créer des emplois ? Quelques exemples montrent qu’à partir de la recherche on peut créer des emplois de développement.

Joël Quérellou:
En termes de stratégie globale - stratégie globale à laquelle on assiste aujourd’hui dans le domaine de la pharmacologie -, il est vrai que le domaine auquel on s’adresse est celui de la valorisation des substances ou des ressources naturelles de la mer par un certain nombre de secteurs industriels. Aujourd’hui, il existe assez peu de grands groupes pharmaceutiques qui ont maintenu un département “ ressources naturelles ” dont la vocation est de continuer à cribler les ressources quelles qu’elles soient. On ne peut pas dire qu’il y ait une compétition extrêmement farouche dans ce domaine ; en revanche, du côté de la synthèse, il y a une compétition beaucoup plus active. Ceci étant, le problème de la propriété des ressources naturelles qui sont aujourd’hui valorisées par un certain nombre d’entreprises n’en est pas pour autant négligeable. Concernant l’exploration des ressources du Nicaragua, du Brésil et autres par un certain nombre d’entreprises américaines, ceci a toujours cours. Nous avons été nous-mêmes contactés par une des ces entreprises américaines qui souhaitait voir dans quelles conditions on mettait “ à leur disposition ” les collections de micro-organismes constitués avec l’argent du contribuable, et nous n’avons pas conclu. On ne peut pas ignorer les stratégies de ces entreprises qui consistent à cribler au maximum, à avoir toujours en réserve un certain nombre de molécules pour faire face à la concurrence. Aujourd’hui, ils ont clairement un certain nombre de molécules qui sont déjà disponibles et qu’ils mettront sur le marché uniquement lorsque la rentabilité des produits qu’ils ont déjà sur le marché sera menacée.

En tant qu’institut de recherche, pour les ressources que nous gérons et qui ont été constituées avec les fonds publics, nous faisons en sorte qu’il y ait systématiquement, lorsqu’on passe un contrat avec un industriel, une clause permettant de récupérer les droits, si l’exploitation n’a pas lieu. De plus, nous essayons de privilégier dans toute la mesure du possible, ne serait-ce que pour des raisons liées à la création d’emplois, des interactions avec des PME et la création d’entreprises. Avec ce dispositif, nous tentons de faire en sorte que cela aboutisse dans les meilleures conditions mais on ne peut pas garantir pour autant que les entreprises pharmaceutiques ne bloquent pas.

Jean-Paul Alayse:
Le maërl est utilisé depuis 25 ans en aquariologie de manière traditionnelle comme système de filtration, à la fois comme support bactérien pour les bactéries du cycle de l’azote, mais aussi comme rôle tampon pour le maintien des équilibres carbonatés dans les bassins.

D’un côté, on veut faire apparaître les algues comme des produits très sains, pleins de bonnes choses pompées dans le milieu naturel et, de l’autre côté, on nous montre une algue épuratrice du milieu, pompe à nitrates, à phosphates, qui va effectivement prendre tout ce qui passe à sa portée. Je pense que, là, il y a une image qui n’est pas facile à concilier (nature, pompe). Comment faites-vous ? Christine Bodeau : Parmi les champignons, il y en a des bons et des mauvais, et - il faut être réaliste - il y a une multitude d’espèces dans les algues et même des micro-algues qui synthétisent des produits totalement toxiques et parfois nos abers sont fermés de temps en temps à la consommation (ostréiculture, conchyliculture). Je pense que c’est pareil dans tout le monde vivant : il y a des animaux consommables, d’autres venimeux et, là, c’est la grande richesse de la nature. Il faut effectivement éviter l’amalgame auprès des personnes qui ne sont pas spécialiste.

Public :
Il y a un gros travail d’explication à faire.

Christine Bodeau:
Nous avons beaucoup de questions quand nous sommes sur le terrain. On se doit d’expliquer.

Brigitte Bornemann-Blanc :
Ma question est liée à l’actualité politique et à la liaison région/Construction européenne. D’une part, le gouvernement français dirigé par M.Jean-Pierre Raffarin, ancien président du Conseil régional Poitou-Charentes, propose d’accélérer la décentralisation et, d’autre part, le 6e Plan-Cadre Recherche de la Commission européenne (PCRD) demande une meilleure articulation entre les différents pays européens. Quel rôle tient par exemple le Conseil régional de Bretagne ? Est-ce que les procédures de financements vont être modifiées ?

Jacques Berthelot:
Vous n’avez certainement pas vu dans la presse, ni de ma part ni de la part de mes collègues, conseillers régionaux, de demande de décentralisation de la compétence recherche. Je crois qu’il s’agit de simple bon sens : au moment où la recherche est européenne au minimum et mondiale de toutes façons, on ne va demander qu’elle devienne cantonale, municipale ou régionale. Ce serait une absurdité. Ce que nous demandons simplement, c’est, une fois qu’on s’est mis d’accord sur un programme autour d’une table entre l’État, les chercheurs, la Région, d’autres collectivités locales éventuellement, qu’on nous confie la maîtrise d’ouvrage de la réalisation. On s’aperçoit que la mise en place des crédits par tout le monde est extrêmement longue et qu’un projet dans le domaine de la recherche qui était tout à fait cohérent l’année N n’a plus aucun sens l’année N + 3, parce que cela va très vite. C’est donc dans les modalités que nous demanderions des aménagements, beaucoup plus que sur le contenu lui-même. J’ajoute que nous n’aurions pas les compétences pour le faire, que cela nécessiterait un nombre d’embauches considérable et qu’après tout, cahin-caha, ça ne marche pas si mal que cela, la recherche en Bretagne ! On se situe tout de même au quatrième rang de la recherche en France, en exceptant la région Ile-de-France et en comptant les régions touchées par l’héliotropisme. Nous avons en plus la chance d’avoir ici des groupes de compétences pratiquement uniques en France (futur domaine européen de la génomique marine, domaine des télécommunications). Nous allons plutôt essayer de consolider, de progresser dans un système qui marche, beaucoup plus que de le révolutionner.

Nous nous impliquons de façon franche et massive dans l’aide aux laboratoires, aux institutions, afin qu’elles entrent de plain-pied dans le 6e programme-cadre de recherche et de développement européen. Nous menons de nombreuses actions. Par exemple, les PRIR, qui était initialement des programmes de recherche d’intérêt régional, ont pris un E dans l’affaire, PRIRE pour européen, c’est-à-dire que nous donnerons des primes à chaque fois qu’il y aura des coopérations entre laboratoires européens. Nous venons également de recruter deux ingénieurs (université de Brest et université de Rennes 1) dans le but de favoriser le montage de dossiers européens. Car nous sommes persuadés que la restructuration de l’espace de la recherche européen qui est prévue dans les documents, c’est quelque chose de tout à fait sérieux : on sait en effet qu’il s’agit purement et simplement de prendre acte et d’essayer de contrer la suprématie que sont en train de prendre les Etats-Unis ; on voit donc que c’est une affaire sérieuse, qui va être durable, aussi bien dans la structuration que dans la pérennité. Il ne faut absolument pas manquer ce train-là. Même notre Génopole, qui vient d’être labellisée en début d’année, on la replace dans la perspective européenne. De toutes façons, nous continuerons de nous battre pour garder notre place. Je pense que si l’on n’avait pas la recherche en Bretagne on serait infiniment moins bien placé sur la carte française et européenne.

Joël Quérellou:
Le budget de la recherche médicale aux États-Unis, soutenue par le gouvernement américain, est égal à la somme de la totalité de la recherche publique en France, ce qui veut bien dire que si l’on veut être compétitif, c’est au niveau européen : on n’a pas le choix. La compétition se déroule aujourd’hui dans un cadre international.

Brigitte Bornemann-Blanc:
Hier, Christine Bodeau et Jean-Loup Chrétien parlaient d’une réunion hebdomadaire où les chercheurs de la NASA présentaient l’état d’avancement de leur projet, sorte d’évaluation et de coordination hebdomadaire.

Christine Bodeau:
Nous parlions effectivement de la différence de culture. On ne peut pas dire que tout soit bien chez les Américains, mais n’empêche qu’ils ont une culture de la remise en cause permanente qu’on n’a pas du tout. Pour le chercheur français, publier est de bon ton, même si au bout de 10 ans, cette publication peut très bien n’avoir servi à rien ; elle a été reconnue par ses pairs, et la valorisation n’est pas le but ultime de la recherche, alors qu’aux États-Unis, elle l’est.

J’ai eu de la chance de vivre au Québec (il y a vingt-cinq ans) et j’ai connu cette culture pendant plusieurs années. À mon retour, j’ai été très perturbée par la manière dont on fonctionnait ici. On n’a pas de comptes à rendre, c’est-à-dire qu’on a consommé de l’argent, mais derrière, personne ne vient vous juger sur la valorisation !

Je ne généraliserai pas toutefois, car il y a effectivement de belles exceptions.

Bernard Kloareg:
Je pense réellement que les mentalités ont évolué. De plus en plus de chercheurs se posent des questions, réfléchissent à leur rôle dans la société, et je crois que beaucoup d’entre nous savons très bien que nous sommes là pour faire de la recherche, pour développer les connaissances, mais nous sommes là aussi pour jouer un rôle dans notre société. La question du lien entre la recherche et le développement économique, aujourd’hui, tout le monde se la pose et l’idée qu’on puisse être un chercheur isolé dans un temple, je pense que c’est révolu. C’était vrai, je le reconnais, il y a vingt-cinq ou trente ans, au CNRS, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Jacques Berthelot:
Bien entendu, j’ai parlé tout à l’heure de nos politiques de recherche à la Région. Nous avons aussi des politiques d’innovation, de transfert de technologies et des politiques d’entreprises, et l’une des premières choses que j’ai faites quand j’ai accédé à la présidence du CCRDT a été d’essayer de trouver des programmes qui soient à la frontière des deux problématiques, c’est-à-dire à la limite de l’entreprise et des laboratoires de recherche, afin de tenter de supprimer les frontières. Nous avons toutes sortes de dispositifs qui permettent d’aider à la fois les entreprises qui innovent et les laboratoires fondamentaux qui se rapprochent des entreprises, mais, in fine, on s’aperçoit qu’on peut bien mettre en place tous les dispositifs qu’on veut, ce qui compte, ce sont les hommes et les femmes qui vont les faire marcher et il faut reconnaître qu’il faut qu’un chercheur ait un tempérament d’entrepreneur, des qualités personnelles, et cela tous les programmes du monde ne peuvent pas l’inventer. Je crois que cela ne marche pas si mal en Bretagne, parce qu’on a des hommes et des femmes de qualité qui ont l’habitude d’entreprendre, de partir, de se tourner vers l’extérieur et qui ont un horizon assez large. Je pense que, dans le fond, c’est au niveau de la détection des talents qu’il faudrait justement aider, c’est plus le comportement et la façon d’être des gens, en dehors de leurs qualités de chercheur, qu’il faudrait encourager.





Mis à jour le 31 janvier 2008 à 16:42