logo entretiens Energies de la mer bandeau entretiens Science et Ethique
M E N U

Année :



Veilles internationales
Informations du 28/03/2024

Energies de la mer
www.energiesdelamer.eu

energiesdelamer.eu vous souhaite un bon week-end de 15 août


2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 6 : Respect des traités : Comment réagir face au biopiratage ? >  Johannesburg et la société civile, trois mois après qu’en reste-t-il ?

Johannesburg et la société civile, trois mois après qu’en reste-t-il ?

Guy Le Fur, Agriculteur, représentant la Confédération paysanne au CES

Biographie :

LE FUR Guy

Compte rendu :

Transcription :

22 novembre 2002 TR6


Discours de de Guy Le Fur



J’ai eu la chance, en 1992, de participer à Rio au premier forum planétaire sur le développement durable et nous avons assisté, au travers des accords qui étaient intervenus entre les États, à la mise en place de la convention sur la biodiversité qui consiste à reconnaître la souveraineté des États sur leurs ressources génétiques. L’application de cette décision sur le terrain et les nombreuses évolutions technologiques depuis cette date ont démontré la limite de cette convention. Autant c’était beau au travers de la présentation qui était faite : “ Enfin, nous allons trouver un système qui évitera le piratage des molécules d’intérêt telles que nous les avions constatées. ” C’était également une occasion pour les pays du Sud - 60 % de la variabilité des ressources génétiques se retrouvent dans ces pays - de valoriser leurs richesses en biodiversité. Dans la foulée de cette convention, nous avons assisté à la deuxième convention qui est la convention climat, à Kyoto, qui n’a toujours pas été ratifiée ; nous espérons qu’elle le sera après le sommet de Johannesburg, il faut qu’il y ait 55 % des pays et 55 % du taux de pollution qui soient signataires, qui ratifient cet accord pour qu’il puisse s’appliquer. Jusqu’à présent, il manquait l’URSS, le Canada et la Chine qui s’étaient engagés à signer. Avec leur signature, il deviendra applicable, malgré la réticence absolue des États-Unis.

La troisième convention est la convention sur la bio-sécurité qui a été signée à Carthagène et qui permet à un pays de refuser des produits, sous réserve qu’ils puissent entraîner un certain nombre de conséquences au niveau de la santé et de l’environnement, c’est-à-dire l’inverse de ce qui se passait précédemment. Dans l’accord précédent, en effet, si un pays qui importait un produit n’arrivait pas à démontrer que celui-ci était nocif pour la santé, il était condamné. Maintenant, c’est le pays qui exporte qui doit démontrer que le produit exporté n’a pas de nocivité pour l’environnement et la santé. Pour l’instant, cette convention n’est pas ratifiée mais elle pourrait constituer un événement important. Globalement, au niveau international, les conventions se font par consensus, c’est-à-dire que personne n’est véritablement contre, il faut qu’il y ait des gens fondamentalement pour et c’est seulement après la signature qu’elle peut s’appliquer, lorsque les pays dans le cadre de leur législation nationale ratifient cette convention. Sur ces points-là, on pouvait considérer qu’il y avait des avancées, quoique la mise en place soit longue - pour preuve, la convention de Kyoto qui n’est toujours pas ratifiée.

Parallèlement, il y a eu l’accord de l’OMC en 1994, où, pour la première fois, l’agriculture était concernée. Nous, agriculteurs à Ploumoguer et dans le Finistère, nous sommes concernés par les négociations internationales parce que cela influe directement sur les conditions de production et sur la valorisation du produit que nous mettons sur le marché. Dans le cadre de cet accord, il y a un organe de règlement des différends qui permet à ceux qui ne sont pas satisfaits de l’application de cet accord commercial de pouvoir engager une procédure au niveau de cet organe, seule structure qui ait une structure juridique. Ce qui crée d’ailleurs une très grande distorsion entre ce qui est convention sur le droit du travail, sur l’environnement et sur tout ce qui est la biodiversité, comparé à la convention sur le commerce. Mais, dans le cadre de cet accord de l’OMC, il y a eu également un accord sur la protection intellectuelle avec le problème des brevets.

Dans cet accord sur les végétaux ou animaux, les pays avaient le choix entre le système des brevets ou le système européen. Celui-ci est un certificat d’obtention végétale qui, dans sa version première en 1961, la rendait accessible à la recherche. Les chercheurs pouvaient la prendre pour l’améliorer, à l’inverse du brevet où il est absolument indispensable d’avoir l’accord de celui qui l’a déposé et, très souvent, son détenteur exige que les résultats lui soient donnés. L’autre aspect au niveau de l’obtention végétale, c’est que le paysan a le droit de ressemer ses graines. Si effectivement il n’a pas ce droit de ressemer ses graines, il y aura fatalement une concentration et une dépendance totale des agriculteurs vis-à-vis des obtenteurs et notamment de ceux qui déposent le brevet. Au niveau de l’accord de l’OMC, il était convenu que l’ensemble des pays devait choisir l’un ou l’autre des systèmes de protection, que ce soit le brevet, que ce soit le système européen ou un système intermédiaire, sui generis. Les pays en voie de développement avaient le choix de l’un ou l’autre système d’ici cinq ans. La majorité des pays du Sud (PPD) ont refusé de choisir entre l’un ou l’autre des systèmes. Les pays africains ont présenté un contre-projet : c’était la première fois que les pays africains étaient d’accord sur un projet qu’ils ont appelé une “ loi modèle type africaine ” - il prévoyait notamment qu’on tienne compte de l’origine des plantes et du savoir-faire ancestral, qui a permis de conserver cette biodiversité dans le cadre de la protection du vivant. C’est dans ce cadre-là qu’à Johannesburg j’ai soumis une initiative qui se proposait de créer une convention universelle sur le vivant et qui serait un compromis entre le système européen et le système africain, tenant compte de l’origine des plantes et du savoir-faire ancestral, tout en permettant l’accès à la recherche des découvertes et permettant aux paysans de ressemer leurs graines.

Le problème, au niveau de Johannesburg, c’est que, contrairement à Rio, il n’y avait pas d’objectif précis. Les États ne pouvaient pas se mettre d’accord sur un objectif à propos du développement durable. Au niveau du développement durable, il y a une définition qui me paraît assez bonne : c’est de répondre équitablement aux besoins du présent sans compromettre les possibilités de répondre aux besoins des générations à venir. Compte tenu des divergences entre les États, ceux-ci n’arrivaient pas à avoir un projet commun. Le seul compromis qu’ils avaient réussi à mettre en œuvre, à Monterrey, six mois avant Johannesburg, était à établir la priorité du libre-échange et à inciter les finances privées à investir dans les pays en développement. Les ONG ont réagi très durement. Les gouvernements ont voulu le camoufler en mettant comme objectif premier la lutte contre la pauvreté et prendre les deux autres éléments comme des moyens pour atteindre cet objectif, en oubliant de constater que la mise en place du Gatt depuis huit ans, qui préconisait le libre-échange, n’avait cessé de faire augmenter les disparités entre les gens.

Dans le cadre du sommet de Johannesburg, du 26 août au 4 septembre 2002, il y a eu deux invités-surprises. Premier objectif : lutte contre la pauvreté. Le premier invité-surprise a été le problème des subventions aux produits agricoles avec une accusation très claire de l’Europe, surtout par le groupe de CAIRNS (18 pays : Brésil, Argentine, Nouvelle-Zélande, Australie, les pays les plus libéraux) qui ont accusé notamment l’Europe. Si cet invité-surprise a été présenté, ce n’est pas un hasard : 3 milliards d’habitants vivent avec moins de deux dollars par jour, 850 millions ne peuvent pas se nourrir et, parmi ceux-ci, il y a 70 % de paysans qui, pour beaucoup, n’arrivent pas à produire suffisamment pour nourrir leur famille. Il est à noter que 50 % des actifs de la planète sont des paysans, ce qui peut expliquer le rôle que peut jouer l’agriculture dans le développement. Sur un milliard 350 millions d’exploitations, 50 millions sont motorisés, 300 000 millions font appel à la traction animale et, pour un milliard, c’est la force de labour de l’homme. En d’autres termes, cela signifie qu’il y a un écart de productivité de 1 à 1 000, et on peut difficilement imaginer que le libre-échange va régler le problème : les subventions des pays développés permettent d’exporter nos crises dans les pays en développement et entraînent automatiquement l’asphyxie des PVD. Deuxième invité-surprise : les OGM. En septembre, il y avait une famine extraordinaire en Afrique australe. Les Américains ont voulu donner une aide alimentaire à base de maïs génétiquement modifié et un certain nombre de pays ont refusé, ce qui a eu pour effet de créer une tension, avec la montée au créneau des Américains, mais également du directeur de la FAO (Organisation internationale chargée de régler le problème de la faim dans le monde) et du commissaire européen, monsieur Burns, chargé de la santé. Ces pays ont été traités d’assassins, parce qu’ils ne donnaient pas à leur population la possibilité de se nourrir, alors qu’ils avaient à leur disposition un don des États-Unis.

Tout au long des négociations, les États-Unis se sont battus bec et ongles pour éviter que le principe de précaution figure dans les traités. Les autres aspects de Johannesburg ont été l’eau et l’assainissement, les biens essentiels, l’énergie, la santé, l’éducation et on a pu constater par la même occasion que le développement durable commençait à s’inscrire dans l’ensemble des esprits.

Pour conclure, le développement durable doit se reposer sur quatre piliers : l’économique, le social, l’environnement, ainsi que la culture et l’éducation. Ensuite, il faut faire en sorte que tous les habitants de la Terre puissent avoir accès aux biens essentiels pour pouvoir assurer leur survie.







Mis à jour le 31 janvier 2008 à 17:32