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Discours de Jean-Claude Guédon : Echange équitable des savoirs scientifiques : l’exemple historique de la Société Royale de Londres

Docteur en histoire des Sciences, professeur en littérature comparée, Québec

Biographie :

GUEDON Jean-Claude

Compte rendu :

Transcription :

20 octobre 2001 TR5

Discours de Jean-Claude Guédon



Bien souvent un nouveau mode d’expression s’inscrit à l’intérieur d’un projet qui lui demeure constant. Je voudrais parler en fait de l’évolution des publications savantes, scientifiques depuis la Seconde guerre mondiale, parce que précisément ce champ permet de mettre en lumière un certain nombre de flux inégalitaires, ces conditions préalables de relations sociales, de relations économiques qui font que lorsque la technologie survient, le cadre demeure.
Les premières revues scientifiques au 17e siècle sont emblématiques. Elles fonctionnent sur la question de la préservation de la propriété intellectuelle de l’individu en science et non pas sur le principe d’une diffusion de nouvelles à la mode comme le faisait à Paris le Journal des savants. Le modèle des transactions philosophiques de la Société royale de Londres se répand en Europe, s’accroche et s’appuie d’abord sur des institutions du style Académie, Sénat ; il continue de se développer au XIXe siècle à travers des sociétés savantes. Jusqu’à la Seconde Guerre Mondiale, cette société savante publie son journal, pour se doter d’une bibliothèque, tout en échangeant un exemplaire de son journal avec une autre association. Un système de troc se met en place, on enrichit mutuellement la bibliothèque C’était une façon extrêmement efficace et peu onéreuse d’organiser l’échange scientifique. Tous les problèmes de validation et évaluation par les pairs étaient parfaitement en place dès cette époque. Il y a eu de petites incursions commerciales bénéfiques dans ce domaine car ces scientifiques n’étaient pas toujours objectifs, sensés ou raisonnables. Au XIXe siècle, deux problèmes touchaient la publication scientifique : les associations savantes prenaient souvent beaucoup de retard dans leur publication, voire refusaient de publier certains types de sujets. L’évaluation rétrospective en est curieuse. La phrénologie par exemple est difficile à publier au 19e et nous trouvons cela fort bien parce que l’étude des bosses sur les crânes n’a pas finalement suscité un intérêt très prolongé dans le monde scientifique, mais les statistiques aussi avaient du mal à se faire publier. Il y avait en effet un relent politique derrière l’analyse statistique appliquée aux phénomènes sociaux (les transformations urbaines de l’Angleterre dans une situation sociale peu reluisante, par exemple) et beaucoup d’associations savantes ne voulaient pas s’y aventurer.
Lorsque les commerciaux interviennent, assez marginalement d’ailleurs, ils compensent certains manques ou permettent au contraire certains débordements, sans grande conséquence. C’est surtout pour eux une activité de prestige qui permet aussi de maintenir des contacts avec des auteurs potentiels. On teste ainsi de bons auteurs en vue de créer des choses très lucratives comme des manuels ou des traités.


Parutions scientifiques et science de l’information au détour de la Seconde Guerre Mondiale

Après la Seconde guerre mondiale, c’est l’explosion fulgurante, en nombre et en taille, des universités. Les bibliothèques suivent, mais leur art change, en devenant une science de l’information. Un certain nombre de travaux de type statistique commencent à apparaître, tels que la loi de Bradford ou la loi de Lochcad).
La loi de Bradford dit : “ s’il vous faut cinq revues dans votre domaine pour obtenir la douzaine d’articles qui touchent vraiment ce qui vous intéresse et si vous découvrez que pour avoir le double de ces articles, il vous faut quinze articles, vous avez le nombre trois, comme multiplicateur entre le premier nombre de titres et le deuxième nombre de titres” . On sait que pour avoir encore une douzaine d’articles, il faudra multiplier les quinze par trois, vous aurez donc quarante-cinq titres. Il est facile d’imaginer qu’avec ce développement exponentiel il va bientôt falloir un nombre énorme de titres pour parvenir à trouver quelques articles. Or on sait bien qu’un chercheur ne suit que quelques revues.
La loi de Lochcad dit que si cent scientifiques publient un article, on divise cent par deux au carré, pour connaître le nombre de scientifiques qui publient deux articles ; ça fait vingt-cinq. Si l’on veut savoir combien en ont publié trois, on divise cent par trois au carré, et ainsi de suite.

Les prémices de la gestion de l’information


Un mouvement de gestion de l’information se met aussi en place, après la Seconde Guerre Mondiale. Le fameux article de Vannevar Bush, “ As we may think ”, paru en 1948 dans Atlantic Monthly, décrit une machine fondée sur le microfilm. Elle permettait en fait de créer l’équivalent mécanique d’un hypertexte. C’est dans cet esprit que vont d’ailleurs se développer les recherches de Ted Nelson qui mèneront à l’hypertexte. Un nouvel outil bibliographique fondé sur le retraçage des citations entre articles, se développe en parallèle, du côté des bibliothèques. C’est le projet de Garfield, la genèse d’un outil que tous les scientifiques connaissent fort bien : le Genetics citation index. Garfield s’est heurté à un problème pratique, pour le constituer à partir des milliers de revues, des millions de citations. Il s’est doté de la méthode suivante : prendre toutes les spécialités scientifiques majeures, les revues majeures et constituer une première collection d’articles, en s’appuyant sur la loi de Bradfort. Il va ainsi télescoper un stock unique de revues. Cela représente une entité artificielle et synthétique des revues essentielles, qui n’a aucun sens en elle-même, les revues regroupées n’ayant de sens que par rapport à leurs spécialités.
Quoique qu’il en soit, on se retrouve avec un premier panier de 1 500, 1 600 revues essentielles pour constituer le Genetics citation index.


Heurs et malheurs des revues scientifiques en bibliothèques

Avec la poussée des bibliothèques et la croissance des universités après guerre, ces revues sélectionnées par Garfield, deviennent tout à coup des incontournables, ce qui veut dire qu’on vient de découvrir un marché inélastique. On pourra monter leur prix autant que l’on veut sans affecter la demande, le besoin étant là. Dès lors l’attention des grands éditeurs s’est éveillée. Tout cela constitue la première contre-révolution de l’édition scientifique moderne, avant l’ère d’Internet et la numérisation. Les commerciaux investissent dans ces revues de sociétés savantes dont le prix flambe rapidement. La barrière économique ainsi créée amène les bibliothèques à restreindre leurs abonnements. Les éditeurs augmentent encore leurs prix pour couvrir les coûts de production. A la fin, seules les bibliothèques des institutions les plus riches peuvent encore acheter ces revues. Un premier système de recherche d’excellence se transforme ainsi en un système complètement élitiste balayant l’ensemble des pays pauvres et des institutions les moins riches des pays riches. Ces revues très citées et très convoitées le seront aussi des auteurs scientifiques. Tout cela crée une magnifique pompe à dollars.

Archives scientifiques ouvertes à l’ère du numérique

Arrive Internet. Le problème des éditeurs est de reconstruire leur plan d’affaires à l’intérieur de ce nouveau contexte numérique. La traduction s’est faite d’une manière radicale sur le réseau. On a arrêté la vente des abonnements papier. On peut désormais accéder à une banque (payante) de données d’articles de référence, que l’on appelle une licence de site. Les bibliothécaires (défenseurs classiques de l’espace public) paniquent et forment des consortiums pour négocier en groupe des licences de site et tenter de rétablir une sorte d’équité dans la distribution de l’information à l’intérieur d’un pays. Les archives ouvertes scientifiques en sont un autre exemple. Avec le numérique, le moment de la circulation de l’information s’est dissocié du moment de la validation. Les articles des revues servaient davantage à évaluer des carrières, des individus, des revues ou des institutions qu’à la circulation effective des données scientifiques. Dans de nombreux projets, les chercheurs déposaient des textes en ligne avant imprimerie. Dès 1991, par exemple, les physiciens ont réussi à imposer aux éditeurs le maintien de leurs articles dans les bases numériques, même après leur publication dans une revue classique.
Le mouvement des archives ouvertes s’amplifie actuellement. La question se pose également de céder ou non ses droits d’auteur à un éditeur de revue destinée aux bibliothèques publiques, lorsque ces recherches et ces articles sont issus d’un financement public.





Mis à jour le 04 février 2008 à 16:07