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1999 : de l’animal à l’homme > TR 7 : L'embryon, héros inconnu du débat bioéthique >  Discours de Dominique Mehl

Discours de Dominique Mehl

Sociologue au Centre d'Etude des Mouvements Sociaux (CNRS-EHESS), collaboration au Monde des Débats

Biographie :

MEHL Dominique

Compte rendu :

Transcription :


23 octobre 1999 TR7


Discours de Dominique Mehl :


Comme on n’a pas beaucoup de temps, je vais aller droit à une question, qui est d’essayer d’éclairer pourquoi la recherche sur l’embryon est interdite en France. Elle est totalement interdite. Même le diagnostic pré-implantatoire a été admis au terme d’un débat houleux et sanglant entre le sénat et le parlement et il a été finalement voté dans des questions de contrôle très strict et il a fallu attendre deux ans et demi, pour que les décrets d’application soient apparus, il n’y a pas encore de centre agréé pour pratiquer le diagnostic pré-implantatoire. Pourquoi la recherche sur l’embryon est interdite en France ? Je crois qu’il faut le resituer dans un contexte où on regarde quelles sont les courants de pensée sur l’embryon, parce que l’embryon, ce n’est pas seulement un matériel biologique, dont les biologistes diraient : j’aimerais bien faire ceci, j’aimerais bien faire cela, telle recherche serait intéressante, telle autre recherche ne serait pas intéressante mais l’embryon est investi par la pensée religieuse et la pensée philosophique. C’est de la rencontre entre ces différents courants de pensée que vont naître un certain nombre de conclusions pratiques. En ce qui concerne l’embryon, je pourrais dire : il y a trois conceptions philosophiquement claires de l’embryon, il y a une conception qui n’a guère de faveurs en France, qui a pignon sur rue notamment en Angleterre, qui est une conception qui est fondée sur une vision biologique de l’embryon qui vise à déterminer des stades de développement et des stades en deçà desquels l’embryon est considéré comme un matériau biologique au même titre qu’un autre matériel, c’est la position défendue par la loi britannique, par la loi Edwards, le “père” de Louise Brown, et qui ont fixé jusqu’au 14° jour de développement embryonnaire le droit pour les scientifiques, de faire ce qu’ils veulent. sous contrôle de comités de savants, de comités d’éthique dans les hôpitaux. Mais la recherche est libre, la destruction des embryons est licite jusqu’au 14° jour, j’ai fait une interview d’Edwards, qui a été publiée d’ailleurs dans un numéro du Monde des Débats, consacré à l’embryon, où il disait lui-même, que cette limite est parfaitement arbitraire. Qu’on aurait pu dire 7 jours, qu’on aurait pu dire 20 jours, avant que l’enfant ne commence à connaître son développement, que cette limite est fixée en fonction d’un autre objectif, l’objectif étant le désir, le besoin, la volonté, la nécessité pour la connaissance et pour la thérapeutique de pouvoir expérimenter sur l’embryon, ça n’a pas l’air philosophique du tout. C’est en fait relié à ce qu’on appelle assez couramment la philosophie utilitariste, c’est à dire un courant de philosophie très fort, inspiré de Hume en Angleterre et qui considère la prise en compte de cette position philosophique à partir de la volonté humaine sur la question posée. Le deuxième courant très clair, philosophiquement que l’on peut appeler, que j’ai appelé dans mon livre le courant vitaliste, s’interroge sur la question de savoir à quel moment la personne vient à l’humain, et qui considère que la personne vient à l’humain dès la rencontre des gamètes et dès le début de la fusion entre les gamètes et dès le début de la mise en route du processus qui peu à peu va aller de l’embryon jusqu’au foetus puis jusqu’à l’enfant. Ce courant vitaliste qui fera apparaître l’âme humaine à des périodes un peu diverses du développement, a pour base première et fondamentale que la personne est présente dans l’embryon dès sa conception. Le flambeau de cette position est évidemment l’Église catholique, je dis bien l’Église catholique parce que ça a provoqué pas mal de remous au sein des croyants catholiques. Vous pouvez lire les encycliques officielles “Donum Vitae” sur la question où vous verrez la définition, assez brutale et assez stricte de cette conception vitaliste de l’embryon. La troisième conception, que j’ai appelée la conception relationnelle considère que l’embryon n’a pas de statuts particuliers tant qu’il n’est pas inscrit dans un projet de “devenir enfant”, c’est à dire que l’embryon tant qu’il n’est pas pris en charge, pour devenir un enfant par un projet parental et comme l’a dit France Quéré qui était une représentante des protestants au Comité d’éthique, n’est qu’un grumeau de cellules. A titre de grumeau de cellules, il est licite donc avant son implantation, puisque l’implantation, c’est le signe que cet embryon va devenir, va avoir un devenir d’enfant, avant l’implantation tant qu’il est dans les éprouvettes, cet embryon peut être donné à la science, aux scientifiques, à la recherche. C’est une troisième conception dont René Frydman a été en France un des défenseurs les plus clairs et les plus explicites. En réalité la position “officielle” de la France ne se situe dans aucun de ces trois courants. Quand je dis la position “officielle”, c’est un peu ironique, parce que la loi de 94 a refusé de définir dans le texte de loi l’embryon, donc de ne lui donner ni une définition biologique, ni une définition philosophique etc. Mais de simplement légiférer sur qu’est-ce qu’on peut lui faire, comment on peut le regarder, comment on peut le manipuler, sans le définir préalablement. La tradition française ou disons l’opinion française considérée comme légitime et celle émise par le Comité d’éthique, qui au terme de débats passionnants, nombreux et très longs a forgé cette notion de personne humaine potentielle, dont on peut dire que c’est une notion qui relève plus du compromis entre diverses positions fondamentales, que d’une définition fondamentale elle-même puisqu’elle met face à face l’idée que la personne humaine est là tout de suite mais qu’en même temps elle n’est pas là tout de suite puisqu’elle sera là que plus tard et qu’elle n’est donc que potentielle. C’est une définition relativement commode dans le rapport de forces entre les différents courants de pensée français parce que si on lit la façon dont les scientifiques ou les religieux ou les politiques s’emparent de cette définition selon qu’ils sont plutôt du côté de la laïcité, de la personne définie de façon Kantienne, ils mettront l’accent sur la potentialité et ils laisseront quelques ouvertures à la recherche scientifique, sur ce qui n’est quand même pas vraiment réel et qui n’est que potentiel où selon qu’on se range plutôt dans le courant vitaliste on insistera davantage ce qui est le cas de Monsieur Mattei qui est l’auteur des lois de 1994, l’artisan du compromis de 1994, sur la dimension personne humaine, le potentiel étant secondaire, et les conséquences étant que sur une personne humaine même si elle est potentielle, on n’est pas en droit de faire n’importe quoi en termes de recherches et d’expérimentations. Je voudrais dire que ces divergences ne sont évidemment absolument pas des divergences purement formelles, purement intellectuelles, purement qui volent et qui soient sans conséquences, on en a évoqué quelques unes, la première conséquence, c’est la légitimité de la recherche en tant que telle. Selon qu’on est affilié, ou qu’on est croyant, ou qu’on se reconnaît dans un courant de pensée plutôt que dans un autre. C’est la recherche elle-même qui est licite, ou illicite. La question de la création de l’embryon pour la recherche, qui trouve assez peu d’adeptes en France trouve une position des défenseurs dans le camp de la pensée de l’embryon dans une vision relationnelle, puisque l’embryon tant qu’il n’est pas destiné à un projet parental est un matériau biologique sur lequel des recherches sous contrôle peuvent être induites donc pourquoi pas, quand il y a une possibilité de stimulation ovarienne et d’avoir plus d’embryons que ceux qui conviennent au projet parental, pourquoi pas, en produire aussi pour la recherche. Je voudrais dire aussi, parce que je trouve ça très intéressant et c’est un non-dit de tous les débats parlementaires, de tous les débats sur l’embryon que ça a des conséquences sur la conception de l’avortement. Conséquences on le sait bien pour l’Église catholique, puisque l’avortement est interdit, conséquences pour la pensée laïque, puisque selon le lieu de cette pensée, où on se situe on n’a pas le même regard sur l’avortement. Je dirai que dans la conception qui se retrouve autour de la personne humaine potentielle, l’avortement continue à être regardé comme au moment de la loi Veil comme un moindre mal, c’est à dire que c’est la santé, c’est l’embryon qui disparaît au profit de sauver la santé de la mère ce qui a été tout l’argumentaire de la loi Veil. C’est encore l’argumentaire d’un certain nombre de personnes laïques qui défendent la loi sur l’avortement. Dans la conception relationnelle, l’avortement est un droit de la femme, et il n’est pas à être confronté avec la nature et les potentialités de l’embryon, bon je n’ai pas inventé cette divergence puisque dans le même dossier du Monde des débats consacré à l’embryon, j’étais très heureuse d’abord d’avoir fait parler les gens de l’avortement puisque c’est un peu ce qui freine la reprise des débats sur l’embryon, et deuxièmement d’avoir fait émettre par Axel Kahn et René Frydman deux positions qui tout en défendant la loi sur l’avortement ne défendent absolument pas la même conception de la place de l’avortement dans les consciences et par rapport au statut de l’embryon.




Mis à jour le 06 février 2008 à 14:39