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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > Restitution de l'Atelier Repère "OGM" >  Discours de Jean-Paul Natali : Le débat public, la démocratie et la nécessité du consensus

Discours de Jean-Paul Natali : Le débat public, la démocratie et la nécessité du consensus

Biologiste, mission de recherche en Muséologie à la Cité des Sciences et de l'Industrie

Biographie :

NATALI Jean-Paul

Compte rendu :

Transcription :


23 octobre 1998 Atelier OGM


Discours de Jean-Paul Natali :


L’application des techniques issues des savoirs et des savoir-faire scientifiques dans le domaine de l’ingénierie génétique, à des fins de modification du génome des végétaux constituant la base de notre alimentation, provoque une situation typique, voire archétypale, de crise “ science/société ”. Elle fait ré-émerger une problématique liée aux contingences et aux limites de notre système démocratique. La démocratie, on le sait reste un système très imparfait. Mais ce système semble néanmoins le seul qui garantisse à la fois les droits du citoyen et le fonctionnement de l’état dans des conditions à peu près acceptables par tout le monde. Le développement industriel des biotechnologies végétales a ceci de particulier qu’il dévoile l’ensemble des incertitudes et des méconnaissances des institutions majeures de nos sociétés : celles de la recherche scientifique qui ne se fondent pas sur des vérités indubitables, mais sur des modélisations imparfaites résultant d’hypothèses générant plus de questionnements que de réponses ; celles des productions industrielles de masse, qui assurant progrès et profits génèrent cependant des modifications importantes de notre cadre de vie et peuvent, par manque de recul, instituer des situations hasardeuses et potentiellement dangereuses ; celles des équilibres économiques qui déplacent les situations d’indépendance ou d’autonomie de secteurs entiers de production, sans vraiment tenir compte des problèmes de société qui en résultent ; celles des cadres juridiques qui tentent de s’adapter à des configurations complexes entre milieux professionnels ainsi qu’entre législations nationales ; celles enfin des instances politiques qui se doivent de gérer au mieux ces situations complexes. Et le tout s’inscrivant dans des logiques culturelles diverses et évolutives, engendrant des angoisses écologiques parfois liées à de grandes peurs mythologiques, et remettant en question les fondements éthiques de nos actions.
La question essentielle repose donc sur notre capacité à résoudre démocratiquement l’écheveau des diverses logiques qui s’entrelacent à coups d’argumentaires spécifiques : les positions qui s’affrontent sont souvent tout autant fondées les unes que les autres selon leurs partis pris originels et les alternatives possibles comportent toutes nécessairement des sacrifices importants quant aux orientations qu’elles excluent. Autrement dit, la seule solution acceptable est celle du consensus dans lequel les uns et les autres auraient abandonné au préalable ce qui empêche une résolution commune. Mais comment obtenir ce consensus dans le type de situation inextricable que créent nos démocraties contemporaines ?
Dès 1987, le Danemark a mis en place, par l’intermédiaire d’une instance gouvernementale, le Danish Board of Technology, un protocole délibératif permettant à un certain nombre de citoyens profanes de s’informer auprès des experts d’un domaine donné afin de rédiger un texte collectif et consensuel sur les options importantes à retenir dans le cadre de décisions politiques. Idéologiquement, cela constitue une sorte d’arbitrage par un petit groupe de citoyens qui opèrent une synthèse sur l’ensemble des positions scientifiques, industrielles, économiques et juridiques en les “revisitant” à partir de leur optique d’usagers. Le document est élaboré, après de longues séances de formation, dans le cadre d’une conférence ouverte au public et lors de laquelle l’ensemble des personnes présentes peuvent s’exprimer. Il est ensuite transmis aux instances décisionnelles qui prennent en compte cette vox populi dans la mesure où, instruite par le Danish Board of Technology, elle présente les meilleures caractéristiques, sinon de représentativité, du moins de discussions réelles et documentées hors de toutes dérives militantes exacerbées. Ce modèle est à ce point séduisant qu’il a été tenté de l’importer dans d’autres états afin de bénéficier de ses effets. Mais il semble que ce type de protocole s’avère profondément lié à la culture danoise. En effet, les tentatives “ d’acclimatation ” de la Conférence de Consensus danoise dans d’autres pays n’ont pas généré les mêmes résultats que ceux intrinsèques à la démocratie danoise. On lira à cet égard l’article de Michel Perrot “ La dimension interculturelle des conférences de consensus ” publié dans les Cahiers de JERICOst “ Méthodes et conduites du débat public ” édités par l’Institut Universitaire de Technologie de Tours.
La Conférence de Citoyens “à la Française” qui s’est déroulée au mois de juin 1998 constitue un bon exemple des limites de ce type de protocole lorsqu’on essaie de l’appliquer à des procès démocratiques dissemblables. Le protocole français s’éloigne quelque peu du modèle originel et présente un grand nombre de différences fondamentales : différences dans la sélection du panel des profanes, différences dans le rôle du facilitateur, différences encore dans la tenue de la conférence publique, différences enfin dans le poids accordé au texte final. Le fait que quelques semaines plus tard, des décisions politiques soient allées à l’encontre de certaines des recommandations du panel des “citoyens” semble bien délimiter les incidences auxquelles ce dernier peut prétendre. Mais l’expérience semble tout de même positive à certains égards : l’idée même du débat public semble rassembler tous ceux qui désirent un “plus” démocratique en favorisant le travail cooperatif entre acteurs publics et privés de notre société ; dans ce type de protocole, la diffusion des savoirs scientifiques passe par des relations directes entre profanes et experts, ce qui fait que les textes de synthèse tiennent tout autant compte des logiques internes aux savoirs savants (les épistêmê) qu’à celles des pratiques et des usages communs (la doxa). Enfin, que ce soit au niveau des membres du panel, ou à celui des observateurs de cet événement, il semble bien qu’une motivation nouvelle se fasse sentir : nombre de citoyens semblent vouloir s’impliquer plus personnellement dans une participation plus grande aux procès démocratiques, au moins sur des terrains dans lequel l’appartenance à un parti ou à un groupe reste secondaire.
D’autres types de protocoles constituent également en compte l’ensemble des interactions entre technologie, société et individu ; puis, de répandre du mieux possible, l’information sur le développement de ces technologies. C’est ensuite de réinventer l’espace public ouvert aux débats constructifs en appui de la représentativité politique en place. C’est enfin sortir des seules logiques de pouvoir pour les moduler par des rationalités consensuelles. Cela semble le passage obligé pour une évolution démocratique qui éviterait d’abord de s’appuyer systématiquement sur des expertises provenant seulement des milieux intéressés et ensuite, de recourir à des choix politiques liés exclusivement à des positions idéologiques et/ou à des avantages opportunistes. Ce faisant, il semble bien que cette évolution démocratique doive nécessiter, de la part des citoyens qui la promeuvent, un travail d’appropriation des savoirs suffisant pour leur permettre de prendre part aux débats qui seuls peuvent garantir l’expression de chacun au sein de l’action de tous. Et cela repose, une nouvelle fois le problème des fondements éducatifs de notre société, pris dans leur acception large d’éducation et de culture. Cela nous semble remettre fortement au présent l’observation que Gaston Bachelard faisait déjà en 1938 dans son ouvrage La Formation de l'Esprit Scientifique : “il n'y a de science que par une École permanente. C'est cette école que la science doit fonder. Alors les intérêts sociaux seront définitivement inversés : la Société sera faite pour l'École et non pas l'École pour la Société.”





Mis à jour le 07 février 2008 à 15:13