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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > TR 3 : Expertise et débat public: expériences récentes >  Discours de Michel Somville

Discours de Michel Somville

Docteur en Sciences, Centre d'Etudes et de Formations en Ecologie, Namur, Belgique

Biographie :

SOMVILLE Michel

Compte rendu :

Transcription :


23 octobre 1998 TR3


Discours de Michel Somville :



De l’expertise...
“Si la certitude est plus apaisante, le doute est plus noble”
Salâmah Mûssa (1887-1958)

A propos de l’expert, il convient d’indiquer qu’il est avant tout une personne qui ne sait pas.
Qui ne sait pas, dans le sens où ses connaissances sont limitées dans leur objet, dans l’espace et dans le temps. La parole experte n’est pertinente que dans un cadre strictement délimité.
Hors de ce cadre, l’expertise est sans valeur à moins qu’elle ne s’exprime en tant qu’intime conviction.
En tout état de cause, la certitude aussi experte soit-elle n’existe pas. Douter est certes plus difficile à assumer, il est néanmoins synonyme de vigilance critique.
Du débat public...
“D’un homme de science, le philosophe reçoit des témoignages, non des leçons.”
Constantin Noica (1909-1987)
Dans un premier temps, nous attendons de l’expert qu’il fixe sans concession, le lieu et l’objet de sa parole. Parole qui ne sera validée publiquement qu’à la lumière de ce qui est prouvé et reproductible dans un système parfaitement décrit.
Ensuite, notre attente sera le caractère pédagogique de la parole experte qui sans tomber dans le piège du simplisme doit permettre de s’approprier les enjeux du discours expert.
Le débat public est ainsi le lieu de la transmission du savoir et son objectif est la mise en perspective du contenu expert et du “qu’en faire dans la société ?”
A cet égard, le débat sur les OGM est particulièrement exemplaire de notre propos. En effet, ce débat recouvre une nébuleuse particulièrement dense où se rencontre une myriade d’enjeux plus ou moins explicites à caractère privé, public et politique ..
Des OGM...
Alors que l'industrie fait le forcing sur les plantes modifiées par génie génétique, l’INRA publiait cette année, un ouvrage relevant les incertitudes et appelant à la prudence.
En effet, à l’occasion de la première plante transgénique autorisée à être cultivée en France: un maïs (Novartis), Guy Paillotin, président de l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) déclarait: “Une grande prudence s'impose devant une innovation majeure aux impacts encore peu connus. (...) et l’ouvrage de l’INRA d’indiquer: qu’entre l'immobilisme et l'irresponsabilité, il existe une position raisonnable qui exige une évaluation rigoureuse des risques potentiels
Les risques sont-ils correctement évalués ?
Selon l'économiste de l'INRA Pierre-Benoît Joly, “le cadre réglementaire européen s'avère aujourd'hui largement inadapté. Il ne précise pas les notions de risques ni une méthodologie commune d'évaluation”. De plus, “le problème aigu qui risque de se poser est celui de l'indépendance des experts dans un domaine où la vigilance est de mise. Dans les biotechnologies végétales, les compétences scientifiques sont largement au mains des acteurs industriels et, parmi les chercheurs des organismes publics, rares sont ceux qui ne travaillent pas en partenariat avec l'industrie.”
La consommation des OGM présente-t-elle un danger pour la santé?
Selon le biochimiste René Scalla , “Cette question n'a pratiquement pas été explorée en dehors des laboratoires industriels et les conclusions des études restent la propriété des industriels et sont confidentielles. Ainsi, peut-on conclure qu’en l’état, l’information publique fait défaut dans l’ensemble de l’Union Européenne.
Ces plantes vont-elles permettre de réduire l'utilisation d'insecticides chimiques ?
En introduction du dossier de l’INRA, nous pouvons lire que “la résistance des plantes aux insectes peut favoriser le développement d'insectes résistants aux toxines synthétisées par les plantes transgéniques. On manque de données scientifiques pour répondre avec précision à cette question”.
La culture des OGM va-t-elle réduire l'épandage d'herbicides?
C'est un des arguments de vente des sociétés Novartis et Monsanto qui commercialisent des plantes transgéniques résistantes à un herbicide total. Cependant, nous sommes en droit de poser la question du désherbage des repousses issues de graines transgéniques qui nécessitera le développement (inexistant aujourd’hui) et l'utilisation d'autres herbicides (plus puissants que les herbicides totaux actuels) pour en faciliter le contrôle. Ces molécules participerait alors à l'augmentation de la quantité de matière active chimique répandue.
A propos de la dispersion des plantes transgéniques ?
L'enjeu, c'est le devenir des plantes cultivées non transgéniques et de la flore sauvage apparentée et qui poussent à proximité des champs de plantes transgéniques. Ces dernières risquent-elles de leur “passer” leur nouveau gène? Selon L’INRA, “ dans le cas du colza, les risques de dissémination par le pollen et les graines existent. Le transfert dans les populations sauvages semble possible mais avec une faible fréquence”. Cette transmission est démontrée également dans le cas du maïs.
Le génie génétique va-t-il accélérer la création de variétés répondant aux besoins du tiers monde et répondre à la faim dans le monde ?
Par tradition, une nouvelle variété est le fruit de croisements conduits durant des dizaines d'années voire le résultat de milliers d’années d’apprentissage lié au savoir-faire des peuples qui connaissent l’écosystème dans lequel ils vivent. A côté de cela, le génie génétique court-circuite ce travail. Il permet non seulement d'introduire directement un nouveau gène dans une espèce mais d'élargir la palette des caractères “importés” puisque le nouveau gène peut être “ emprunté ” à n'importe quel organisme vivant. Cependant, il existe un obstacle fondamental juridique. En effet, les industriels protègent par brevet les gènes transférés et leurs variétés transgéniques. Cette démarche, souligne Gérard Doussinault , “risque de réduire les possibilités d'utilisation des variétés comme base pour de nouveaux progrès génétiques. Elle risque aussi de placer les firmes détentrices de ces brevets dans des situations d'avantages concurrentiels exacerbés. En utilisant une semence transgénique, l'agriculteur sera davantage l’esclave de l'agro-industrie”. De plus, afin de cadenasser les bénéfices des multinationales, celle-ci ont fait appel au génie génétique afin de conforter leur logique monopolistique. Nous en reparlerons plus loin (cfr. la logique Terminator)
En ce qui concerne l’enjeu de la faim dans le monde, nous ne pouvons que souligner que les problèmes actuels de malnutrition dans le monde ne proviennent pas d'une insuffisance de la production agricole globale, mais d'une part des guerres et d'autre part de la faiblesse des revenus d'une partie de la population. Ainsi, le problème de la faim dans le monde n’est pas un problème de production mais essentiellement un problème fondamentalement politique de redistribution des ressources disponibles.
De la logique terminator... (Brevet européen EP 775212 et US Patent n° 5,723,765)
L’homme est un super prédateur. Au cours des siècles, cette propriété “naturelle” s’est, avec l’avènement des technologies, amplifiée pour lui conférer aujourd’hui la double capacité de s’autodétruire brutalement (ce qu’il hésite de moins en moins à faire) et d’altérer progressivement et durablement les équilibres fragiles des écosystèmes (ce qu’il fait sans cesse). Cette dernière capacité se matérialise par une biodiversité toujours plus érodée.
L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) estimait les disparitions naturelles de plantes d’environ une espèce tous les 27 ans. En 1998, dans le monde tropical où la diversité biologique est la plus riche, 5 espèces disparaissent définitivement en moyenne, chaque jour.
Les atteintes au patrimoine mondial des plantes cultivées sont tout autant alarmantes. L’Organisation des Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) estime que, au cours de ces 50 dernières années, 75% de la diversité génétique de ces plantes est irrémédiablement perdue.
Ces tendances à l’appauvrissement de la diversité biologique nuisent à la sécurité alimentaire et sont le résultat de choix économiques délibérés. Sur 50.000 plantes comestibles, 150 à 200 sont effectivement utilisées. De surcroît, seulement trois d’entre elles, le riz, le blé et le maïs satisfont à 60% les besoins de l’être humains en calories et en protéines végétales.
Ces constats préoccupants nous confirment l’importance de garder intacte la diversité du patrimoine génétique de la planète. En tout état de cause, nous nous attendons donc à voir se développer des stratégies alimentaires qui corrigent ces atteintes à la biodiversité. Il n’en est rien !
L’examen attentif du comportement des multinationales céréalières nous enseignent que leurs stratégies économiques et technologiques visent à réduire d’une part l’offre qualitative des semences alimentaires et d’autre part, l’autonomie séculaire des cultivateurs.
La stratégie du double verrou...
Une des propriétés qui singularise le vivant consiste en sa capacité de se reproduire. Chaque plante produit du pollen qui par fécondation, produira des semences qui de germination en germination, perpétuera l’espèce tout en lui permettant de s’adapter génétiquement à son environnement local. Cette propriété est connue et utilisée depuis 12 000 ans par le cultivateur qui ainsi, sélectionne durablement le produit de ses récoltes et lui garantit à la fois des semences adaptées et une relative sécurité alimentaire. Aujourd’hui, plus d’1,4 milliards de personnes du Sud dépendent de la capacité des petits cultivateurs à gérer et sélectionner leurs ressources primaires de semences.
A l’opposé de cette démarche d’un développement durable, nos sociétés modernes ont sécrété, au nom du progrès, deux attitudes étrangères aux caractéristiques propres du vivant. La première confisque le vivant en déclarant celui-ci brevetable. Les semences ainsi “protégées” ne peuvent plus être utilisées par le cultivateur à moins qu’il ne contribue financièrement -année après année- au monopole économique de la société céréalière qui a caractérisé scientifiquement la plante à cultiver. C’est le premier verrou...
Ensuite, rappelons-nous que tout vivant est capable de se reproduire en toute liberté. Nul brevet ne peut -à moins de contrôler la production céréalière de chaque cultivateur- empêcher la sélection et le développement local des semences. Les sociétés agro-alimentaires ne pouvaient accepter longtemps de voir échapper “par nature”, ce monopole brevetaire garant de leur pouvoir. C’est ainsi que le génie génétique fut mis à contribution pour greffer aux variétés de plantes alimentaires, des propriétés génétiques autodestructrices. C’est le second verrou...
La technologie Terminator...
L’objectif recherché consiste à fournir dès l’an 2000, aux marchés mondiaux mais particulièrement ceux du Sud, des semences dont la réutilisation sera impossible à effectuer par le cultivateur. En effet, un gène toxique inséré dans le génome des plantes tue toute embryogenèse secondaire. C’est la technologie Terminator.
Cette technique est brevetée depuis le 3 mars 1998, elle est applicable à l’ensemble des espèces cultivées et couvre l’ensemble des pays de l’Union Européenne (N°. EP 775212), les pays de l’Est, le Japon, la Chine, le Canada, l’Australie, les USA,.... et une majorité d’Etats du tiers monde.
Sur un plan strictement biologique, la culture de plantes Terminator conduira à la pollinisation d’espèces proches fertiles, cultivées ou sauvages qui acquerront à terme, le gène toxique et conduira à la stérilisation progressive d’espèces adaptées, à l’appauvrissement de la biodiversité céréalière et à des baisses régulières de rendements agricoles. En un certain sens, les caractéristiques de cette technologie s’apparentent à une bombe à neutron agricole qui tue exclusivement le potentiel vivant fertile.
A moyen terme, l’espace de liberté des agriculteurs à cultiver et croiser les semences qu’ils estiment appropriées s’en trouvera réduit à néant. Dès lors, le monopole d’une ou plusieurs compagnies de semences s’imposera quasi “naturellement” à l’ensemble de la production céréalière mondiale. La sécurité alimentaire mondiale sera alors à la merci d’objectifs politiques exclusivement économiques et financiers.
Particulièrement, les cultures de blé et de riz sont les productions céréalières les plus importantes au monde et constituent la nourriture de base de près de 75% des populations des pays pauvres. Avec l’émergence d’une nouvelle technologie brevetée et capable de contrôler notamment la production et la reproduction végétale des deux céréales les plus cultivées au monde, il ne fait aucun doute que la fragile autonomie agricole des pays du Sud sera balayée progressivement au profit d’un monopole multinational irréversible.
Dans l’hypothèse d’une utilisation à grande échelle de ce contrôle biotechnologique, le pouvoir des multinationales agro-alimentaires sera sans précédent pour contrôler la production alimentaire mondiale. Il s’agit là d’un pouvoir d’autant plus absolu et dangereux qu’il est maîtrisé par une seule société privée. Depuis mai 1998, la société Monsanto a racheté la société détentrice du brevet Terminator. Elle doit encore, à l’heure où nous écrivons cet article, obtenir l’accord de l’armée américaine pour obtenir l’intégralité du monopole de cette technologie.
L’avènement de technologies biocides est une déclaration de guerre à la connaissance, l’autonomie et la biodiversité du vivant. Au nom de la modernité et du progrès, il conduit à un développement humain insoutenable où les citoyens ne pèsent plus.
Des récents événements qui bousculent l’Europe à propos des OGM ...
A la lecture des lignes qui suivent, il nous faut constater que tant le monde que l’Europe est
au coeur d’une instabilité permanente quant à l’innocuité de l’utilisation des OGM.
Le 7 mai 1998 à Bratislava, la Convention sur la diversité biologique (COP IV) réinsiste sur l’adoption indispensable du principe de précaution avant d’utiliser des technologies génétiques comme celles qui conduisent à l’autodestruction des processus de germination.
Le 24 septembre 1998, l’assemblée paritaire ACP - Union Européenne réaffirme les principes de la Convention sur la diversité biologique (principe de précaution, droits nationaux souverains sur les ressources génétiques locales,...) et exige la révision en 1999, de l’article 27,3(b) du TRIPs Agreement afin d’exclure des droits à la propriété intellectuelle (IPR), le vivant et les connaissances associées.
Le 23 octobre 1998, le Centre International de recherche sur le blé et le maïs (CIMMYT - Mexico), et l’Institut International des Ressources Génétiques des Plantes (IPGRI - Rome) condamnent la technologie Terminator gène et refusent son utilisation.
Le 30 octobre 1998, le Groupe International Consultatif de Recherches Agricoles (CGIAR-Banque Mondiale Washington), s’oppose officiellement et clairement contre l’utilisation du système génétique qui empêche la germination des semences. Les raisons sont : les risques potentiels de dissémination pollinique, les possibilités de vente ou d’échange de semences non viables, l’importance économique pour les cultivateurs des pays en voie de développement de pouvoir sélectionner et croiser les semences pour une agriculture soutenable et l’impact potentiel négatif sur la diversité biologique.
Au niveau plus spécifiquement européen, rappelons l’opposition de l’Autriche et du Luxembourg à l’introduction du maïs-Novartis. (Art.16, 90/220). Par ailleurs, la France décide d’un moratoire de 2 ans sur le colza-AgrEvo-PGS génétiquement modifié et approuve la commercialisation de deux maïs-Monsanto !
En date du 2 octobre 1998, le Gouvernement Grec interdit l’importation et la commercialisation du colza-AgrEvo et du maïs-Pionneer génétiquement modifiés.
Si le 7 octobre 1998, la Commission européenne juge illégal le moratoire de la France sur les colzas transgéniques, par contre, le Comité scientifique de la même Commission interdit pour la première fois le 8 octobre 98, l’ouverture au marché d’une plante transgénique (la pomme de terre-Avebe-résistante à l’amicacin).
De plus, en date du 13 octobre 1998, la Commission de l’Environnement (à l’unanimité moins une voix) au nom du Parlement Européen, propose un moratoire sur toutes les nouvelles applications pour la mise sur le marché de produits génétiquement modifiés et demande à la Commission Européenne de renoncer à l’action légale contre l’Autriche et le Luxembourg qui interdisent la vente et l’utilisation du maïs OGM Novartis.
Le 16 octobre 1998, le Gouvernement Hollandais intente une action au niveau de la Cour Européenne de Justice contre la directive européenne «brevet du vivant».
Le 21 octobre 1998, le Ministre de l’Environnement, M. Meacher, annonce un moratoire de 3 ans à l’initiative des industriels sur les plantes transgéniques résistantes aux insectes.
Enfin, le 29 octobre 1998 le Ministre Danois de l’Environnement, Svend Auken, propose au parlement de suivre l’exemple de l’Angleterre en reportant d’un an la commercialisation des OGM et un moratoire de 3 ans sur les plantes transgéniques résistantes aux insectes ou aux herbicides.
A ce jour, l’incertitude politique est la règle. Elle est le signe que les certitudes des experts n’ont nullement convaincus. Le débat public amorcé par la conférence de citoyens en France (juin 1998) est le pas précurseur d’une revendication sociale fondamentale.
En cette fin de siècle, les citoyens ne souhaitent plus être considérés comme partie négligeable d’un processus de société.
C’est là une leçon de rigueur et de probité que l’Unesco doit écouter avec sollicitude.






Mis à jour le 07 février 2008 à 15:57