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2006 : La biodiversité du littoral > TR1 : La biodiversité des habitats littoraux, histoire et évolution >  Changement climatique, modification des habitats et bio-indicateurs

Changement climatique, modification des habitats et bio-indicateurs

Jacques Grall, Biologiste marin, Observatoire du Domaine Côtier, IUEM-OSU-UBO.

Biographie :

GRALL Jacques

Compte rendu :

Voir la vidéo de Jacques Grall


Transcription :

13 octobre 2006 TR1


Discours de Jacques Grall


Laurent Chauvaud s’est exprimé sur la biodiversité fonctionnelle, sur laquelle j’ai également travaillé, et je vais insister sur les habitats et de leur biodiversité.

Ce dessin réalisé par Michel Salaün d’Océanopolis, remarquable naturaliste et dessinateur hors pair, qui vous montre la richesse que peut représenter un habitat particulier, ici un champ de blocs intertidal avec des ascidies, éponges, crustacés et échinodermes. C’est d’abord ça la biodiversité.

Quant aux habitats en Bretagne, nous avons de la chance d’en avoir beaucoup. La carte d’Iwan Le Berre, géographe de l’IUEM, vous montre la mosaïque d’habitats, tous les types d’habitats qui peuvent être représentés, qui vont des zones vaseuses dans le fond de l’estuaire jusqu’aux zones de cailloutis des fonds très durs de la mer d’Iroise. C’est un gradient d’habitats différents qui sont représentés ici dans l’Ouest de la Bretagne. En se plaçant sur la côte d’Aquitaine, c’est 2 ou 3 habitats qui seraient représentés puisqu’on a des côtes de sable fin qui sont relativement riches mais la diversité des habitats y est très faible.

Si on regarde la biodiversité en terme de nombre d’espèces en Bretagne, il faut considérer les différents habitats. Dans le cas des sables dunaires, ce sont des sables déplacés par les courants ou par la marée qui sont très mobiles. On a des plages de sable fin, que vous connaissez, et les vases. Ce sont tous des sédiments homométriques, une seule taille de grains de sable. La diversité, en nombre d’espèces, est relativement faible. Dans les sables dunaires, on a environ 15 espèces, sur les plages de sable fin environ 35 et dans la vase environ 100. Il faut ici comparer avec des habitats beaucoup plus complexes et hétérogènes, comme les champs de blocs intertidaux, des cailloux entassés les uns sur les autres, les herbiers et un banc de maërl. Ces habitats les plus complexes hébergent plus d’espèces que les habitats moins complexes et moins hétérogènes. Alors, est-ce qu’il faut plutôt s’intéresser à ces habitats complexes qu’aux habitats simples ? C’est la question que l’on peut se poser.

Si l’on s’intéresse à l’endémisme ou aux espèces qui ne sont représentées que dans un type d’habitats, on a pratiquement 100% des espèces, dans les sables dunaires, qui leur sont uniques. Elles ne vivent que là, sur les plages de sable fin. Il y a aussi un fort taux d’endémisme dans les vases. Par contre, dans les herbiers de zostères ou dans les bancs de maërl, il y a très peu d’espèces qui ne sont que là. Dans cette biodiversité, il y a un turnover d’espèces, et il ne faut donc pas simplement s’intéresser aux habitats complexes, effectivement très riches en espèces, mais aussi aux habitats qui ont une biodiversité intrinsèque avec peu d’espèces certes, mais très originales qu’il ne faut surtout pas oublier. Faut-il hiérarchiser les habitats en terme de nombre d’espèces ou pas ? Un banc de maërl grouille de vie et d’espèces. Il y a des éponges, des vers, des mollusques, … Dans un sable dunaire, rien n’est apparent. Est-ce qu’il faut hiérarchiser ces habitats ? En terme de fonctionnement, naturellement Michel Glémarec et moi-même nous sommes intéressés au banc de maërl – parce que, c’est ce que disait Laurent Chauvaud tout à l’heure, il y a quelque chose d’affectif, on voit que c’est riche, on est plutôt attiré par le nombre d’espèces, par les couleurs. On a réussi à montrer que les bancs de maërl pouvaient avoir un rôle important, en particulier dans les écosystèmes côtiers comme la Rade de Brest. Mais si on s’était intéressé aux sables dunaires, on ne sait pas ce qu’on aurait trouvé. Il faut peut-être faire attention à ce côté affectif et ne pas toujours aller dans cette direction.

Abordons un autre côté affectif, l’impact des marées noires sur la biodiversité. Sur les photos de Belle-Île après l’Erika, on voit le pétrole à la côte, c’est dramatique, on s’interroge « qu’est-ce qu’il va se passer ? la biodiversité va vraiment être « bousillée » par tout ça ». Au cours d’une étude réalisée avec la SEPNB de Vannes et un bureau d’études, on s’est intéressé à une vingtaine de stations dans le Morbihan, principalement sur les îles du Morbihan. On a fait des cartes des habitats, réalisé des échantillonnages, inventorié la macrofaune sur tout l’estran, sur toutes les îles et essayé de voir s’il y avait une différence entre les sites impactés, qui sont en rouge, et les sites non impactés, ici en jaune. Y avait-il une différence de biodiversité en terme de nombre d’espèces ? Ce que montre notre étude, c’est qu’à l’échelle du Morbihan, il n’y a pas eu d’impact de la marée noire sur la biodiversité. En examinant la courbe d’accumulation des espèces en fonction du nombre d’échantillons, ceux-ci sont environ 450, il n’y a pas de différences entre les deux types de milieux, impacté ou non. L’Erika n’a donc pas eu d’impact sur la biodiversité. Par contre, si on examine ce qui se passe au niveau des pollutions chroniques – on utilise ici un indice qui représente la diversité : à la fois le nombre d’espèces total identifiés sur les stations étudiées mais également le nombre d’espèces rares présentes et le nombre d’espèces qu’on pourrait appeler « patrimoniales ». Cet indice varie de 12 à 0 et il y a une différence entre les milieux insulaires vraiment séparés du continent et ceux du continent. A la sortie du Golfe du Morbihan, les indices sont beaucoup plus faibles et c’est une pollution chronique qui dégrade les écosystèmes littoraux plutôt que les pollutions accidentelles. Les écosystèmes côtiers sont sous l’influence d’agressions multiples, l’eutrophisation bien sûr aujourd’hui, mais il y a énormément d’autres types d’agression : la pêche, le climat, les espèces invasives – Laurent Chauvaud en a parlé tout à l’heure – les aménagements, l’aquaculture, la pollution chronique.
Des naturalistes venus en Rade de Brest au cours du XIXème siècle, ont identifié quelques espèces dont certaines étaient rares dans certains milieux. Avec la bibliographie, en retournant sur les mêmes sites, on retrouve toujours les mêmes espèces rares. Ce sont des mollusques, des tellines, des vers ou des crabes qui aujourd’hui, sont encore présents. Donc, la biodiversité est résiliente dans la mesure où les habitats sont toujours présents. L’exemple d’Atrina fragilis est assez caractéristique : je pense que la dernière fois qu’on l’a identifiée vivante en Rade de Brest, nous l’avons trouvée, Laurent et moi, empalée sur une drague de coquille Saint-Jacques. C’est la seule espèce de mollusques qui disparaît sous l’effet destructeur des dragues en Rade. Quand les habitats ont disparu, les espèces ont disparu. Le lien est donc extrêmement fort entre habitat et biodiversité. On peut parler également de la nucelle, disparue de l’écosystème Rade de Brest du fait du TBT (tributyl-etain) au cours des années 90, elle est en train de revenir aujourd’hui, mais sous une forme résistante au TBT.

Il y a aussi un risque majeur pour la biodiversité : la fragmentation de l’habitat. Lucien Laubier a parlé tout à l’heure des activités de l’Homme. Il y a les activités de loisirs,c’est l’exemple de quelqu’un qui pêche dans un herbier de zostères. D’autres activités modifient l’habitat, c’est l’exemple du passage d’une drague à coquille Saint-Jacques sur un banc de maërl. C’est le cas des espèces invasives comme la crépidule, introduite en Rade de Brest dans les années sa distribution n’a fait que progresser depuis. Tout cela fragmente les habitats et on sait que les habitats fragmentés sont beaucoup moins résistants aux perturbations que les habitats qui sont en continuité. Dans un habitat non fragmenté, après une perturbation, les espèces se réfugient dans des coins où elles ne seront pas trop atteintes et elles vont pouvoir recoloniser l’habitat dans son ensemble avant la prochaine perturbation. Dans le cas d’un habitat fragmenté, les perturbations ne laissent les espèces que dans certains endroits et à la perturbation suivante, elles auront complètement disparu de l’écosystème.

Je voudrais rebondir sur ce que disait Lucien Laubier tout à l’heure sur la zoologie aujourd’hui déconsidérée. Un biologiste anglais célèbre, Geoff Moore, qui fait un peu le même travail que nous, va dans le même sens. Quand il fait des conférences sur la biodiversité, il ne parle pas des espèces mais des chercheurs en disant qu’il y a une crise bien connue sur la biodiversité, c’est la disparition des espèces mais l’autre crise, c’est la disparition des gens qui savent l’étudier et la connaître.





Mis à jour le 18 janvier 2008 à 15:22