logo entretiens Energies de la mer bandeau entretiens Science et Ethique
M E N U

Année :



Veilles internationales
Informations du 29/03/2024

Energies de la mer
www.energiesdelamer.eu

energiesdelamer.eu vous souhaite un bon week-end de 15 août


B R È V E S


Le littoral vu par les jeunes
Les webtrotteurs des lycées Vauban et Kerichen sont allés à la rencontre des jeunes des écoles de Ouessant et du Conquet et leur ont posé une question simple : Pour toi, qu'est-ce que le littoral ?

Visionnez les réponses des jeunes :
- Ecole Sainte Anne à Ouessant
- Ecole Saint Joseph au Conquet



2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 2 : Un territoire sous pression  >  Témoin : Ce que fournit la modélisation

Témoin : Ce que fournit la modélisation

Alain Menesguen, Chercheur à l’IFREMER de Brest

Compte rendu :

Voir la vidéo de Alain Menesguen


Transcription :

7 octobre 2005 TR2


Discours de Alain Menesguen


Rachel Fléaux : - Je vais demander à Alain Ménesguen, de l’IFREMER, de nous parler des modèles d’interactions eau douce/eau de mer depuis le Moyen-Age.

Je commencerai par repréciser le titre de l’intervention parce que le Moyen-Age n’est pas du tout ma spécialité, je ne suis pas du tout historien, je suis océanographe-biologiste à l’IFREMER, mais ce mot qui, en fait, a dû frapper nos interlocuteurs du forum, parce que j’avais dit que nous étions à l’heure actuelle en train de simuler, grâce à des modèles mathématiques – mais tout à fait classiques – les situations dites « pristines » dont l’Europe a besoin pour évaluer un petit peu l’état des écosystèmes européens avant l’intervention massive de l’homme. Je parlais donc effectivement d’un travail qu’on avait fait, avec nos collègues du CNRS et de l’université Paris VI, et qui consistait à modéliser en particulier la baie de Seine quand elle ne recevait encore presque rien comme apport d’azote et de phosphore, c’est-à-dire quand la forêt couvrait une grande portion de son bassin versant ; j’avais alors parlé de Moyen-Age. C’est pour le moment un petit peu anecdotique ou, en tous cas, ce n’est qu’une des quelques applications de notre travail de modélisation.
Je vais donc dire juste quelques mots pour compléter l’exposé très brillant de Jacques Tisseau, qui nous montre la modélisation dans ses aspects actuellement les plus modernes, pour vous dire que même la modélisation numérique classique à base d’équations déterministes, peut être utile. Actuellement, on est bien sûr capable d’intégrer ces fameuses équations de la physique, mais aussi d’y coupler des équations qui, si elles ne sont probablement pas aussi exactes, retracent quand même bien le gros des flux de matière à travers les compartiments biologiques. On peut donc ainsi modéliser, par exemple, l’azote qui arrive d’une rivière sous forme nitrate et voir comment il va se transformer en plancton, comment il va être mangé par des animaux brouteurs, comment il va redonner de la matière détritique et ainsi de suite. Ceci a des applications très concrètes, parce que vous savez que le Nord de l’Europe en particulier, mais quand même aussi certains endroits des côtes de France, sont atteints par ce qu’on appelle l’eutrophisation – c’est-à-dire qu’il y a une trop grande richesse du milieu en sels nutritifs, entraînant trop de production d’algues et, par conséquent, des problèmes. Les modèles déterministes nous permettent donc, d’abord, de comprendre certains phénomènes bizarres tel que ces tristes phénomènes qui atteignent nos côtes bretonnes depuis plus de vingt ans et qui sont les marées vertes à ulve (Ulva armoricana). En fait, c’est un phénomène paradoxal car personne n’aurait pensé que des algues arrivent à se développer et à s’accumuler sur des plages ouvertes vers le large avec des vagues et, surtout, avec une marée qui est très intense. Il y a donc en fait là un paradoxe, que la modélisation nous a permis de comprendre il y a maintenant une quinzaine d’années, grâce à nos collègues physiciens qui avaient construit à ce moment-là une simulation redonnant très finement les courants de marée – toutes les minutes, si vous voulez ; ce modèle montrait en fait que, si on suit une particule entre une marée basse et la suivante, on constate qu’elle va avoir parcouru des distances très différentes selon l’endroit où on est. En particulier il y a des endroits où c’est un vrai fleuve et, douze heures vingt-cinq minutes plus tard, votre particule sera loin. On dit alors qu’il y « a une forte dérive résiduelle». Par contre il y a d’autres endroits où, au contraire, elle va tourner sur elle-même, revenir au point de départ et être bloquée. Ce sont en fait les endroits-pièges de notre côte de Bretagne qui expliquent qu’on peut avoir du piégeage même dans un environnement très ouvert sur le large. Les modèles servent donc d’abord à comprendre des choses un petit peu étranges. Et puis après, quand on a compris, l’idée est bien sûr de s’en servir pour simuler, soit des scénarios futurs de contrôle - peut-être partiels de la situation -, soit même de faire des choses qu’on ne verra jamais – par exemple, la situation telle qu’elle était au Moyen-Age. Ce qui intéresse les décideurs, évidemment, est plutôt de faire quelque chose contre la situation actuelle - par exemple, de combien faudrait-il réduire les apports de nutriments par les rivières pour revenir à une situation « acceptable » ? Ceci est très facile avec un modèle : on diminue les apports dans les rivières, on simule à nouveau la situation et on voit bien quel est le taux de réduction qu’il conviendrait d’appliquer pour avoir une situation acceptable. Il s’agit là du degré zéro de l’utilisation pratique des modèles, mais on peut faire beaucoup mieux. En effet, on peut faire des choses que, à la limite, on ne pourrait pas faire de façon vraiment concrète sur le terrain - par exemple, essayer de tracer et de calculer l’importance de plusieurs sources d’un même nutriment, tel le nitrate, dans un phénomène ayant lieu à un endroit précis. Ainsi, pour la ville de Brest, il y a le problème de la gêne causée par les marées vertes sur la plage du Moulin Blanc, et la question nous a été posée de savoir où il fallait agir en premier et sur quelle rivière il fallait faire des efforts afin de diminuer ces marées vertes. Il n’existe pas de moyen de marquer l’azote qui vient de l’Elorn ou de l’Aulne, mais on a pu montrer grâce aux modèles que l’Elorn est responsable à 50% de cette marée verte, que finalement 20% viennent aussi de l’ancienne station d’épuration de Brest et que le reste se répartit entre différentes origines. On n’aurait pas pu montrer cela autrement, et c’est un exemple de plus de ce que peut fournir la modélisation, c’est à dire l’évaluation d’une chose qui n’est pas mesurable directement sur le terrain.
De même, il y avait plus ou moins un contentieux entre la Belgique et la France au sujet de cette eutrophisation. En effet, les Belges, les Hollandais et, en fait tous les gens de la mer du Nord, nous accusent de déverser nos poubelles dans la Seine, ce qui entraîne que celles-ci se retrouvent en mer du Nord. En fait, dans l’absolu, ils ont raison parce que, tôt ou tard, ce qui est introduit en Manche au Havre va passer en Mer du Nord. Cependant, le problème est quand même de savoir quelle est la réelle importance de ces apports dans ce qui est observé le long des côtes hollandaises, le long des côtes belges et même le long des côtes allemandes. A ce propos, j’étais la semaine dernière à Hambourg, à un atelier de travail entre les pays de l’Europe du Nord au sujet de ce qu’on a appelé : « Les responsabilités trans-frontières ». J’ai alors montré que l’azote qui sort pendant toute l’année de la Seine créait des problèmes en baie de Seine, bien sûr, et qu’il en créait aussi un petit peu plus loin que le Pas-de-Calais, mais qu’en fait les courants et la force de dilution sont tels qu’ils ne contribuent à créer des problèmes que devant la côte belge et encore, plus au large que directement contre la côte. Mes collègues belges étaient d’accord parce qu’ils étaient arrivés à la même conclusion par un modèle différent mais un peu du même genre que le nôtre. En fait, les principaux problèmes le long de la côte belge ne sont pas liés massivement aux apports massifs venant de la Seine, laquelle va plus au large, ils sont liés d’abord à l’Escaut et au Rhin qui longent la côte à cet endroit-là. Et, ça, c’est quelque chose qui est très récent comme apport de connaissances. Ce résultat date d’un an ou deux et c’est un travail qui est en cours. C’est un résultat qu’on ne pouvait pas avoir sans faire appel à la modélisation.
Il y a aussi ce problème, dont j’ai déjà parlé, qui est : « Qu’est-ce que c’est qu’un état naturel, pour un écosystème littoral ? » En fait, si on remonte suffisamment loin dans le passé, il n’y a aucun document qui nous donne vraiment un état complet de cet écosystème. Néanmoins, si personne ne pourra jamais savoir quel était cet état naturel, les modèles, au moins, peuvent nous aider à y réfléchir. Je pense donc que la modélisation est un outil moderne, qui prend de l’ampleur parce que les calculateurs sont de plus en plus puissants, et grâce auquel on peut arriver à faire des simulations de plus en plus précises dans l’espace mais aussi sur des durées de temps de plus en plus longues. Les modèles vont nous permettre de comprendre la dynamique multi échelles spatiale et temporelle des écosystèmes. On peut ainsi imaginer une Manche où il n’y aurait rien au départ. On y mettrait de l’eau qui bougerait selon la marée et selon le vent, on y mettrait des particules sédimentaires, on y mettrait des nutriments classiques – nitrate, phosphate, silicate… - et on y mettrait des éléments biologiques tels qu’un peu de plancton, un peu d’animaux benthiques… Tous ces éléments seraient ajoutés « en vrac » et uniformément répartis, après quoi on lancerait une simulation de - par exemple - plusieurs siècles. Le problème, c’est que c’est un modèle très compliqué et, donc, que l’on est obligé de faire des choses très réductionnistes pour commencer à travailler. Cependant, je suis convaincu que, dans un système qui est très forcé par le climat et par le courant, on arrivera à simuler une répartition géographique et temporelle réaliste dans l’année, dans le cycle saisonnier, des principaux maillons ; on le fait déjà pour les choses les plus simples. En ce qui concerne les courants, on a la certitude que, si on modélise une Manche complètement immobile et que l’on lance la simulation afin de voir quelle sera la marée, le système se met en route de façon très correcte ; par ailleurs, si on veut voir quelle sera la circulation à long terme, là il faut simuler peut-être deux ans. En effet, d’un point de vue physique, en deux ans les courants se sont bien établis dans le modèle. Actuellement on est en train de travailler sur les sédiments, en partant d’un fond dur sans sédiments, que l’on couvre par modélisation avec de la vase, du sable et des cailloux. C’est une étude qui est en cours, et qui est d’ailleurs l’objet d’une thèse. En ce qui concerne les aspects biologiques, on procède déjà comme ça pour le plancton. La colonne d’eau réagit vite- donc elle s’équilibre assez bien -, et on est en train de commencer à modéliser l’implantation des animaux du fond qui, eux, vivent dix ans à vingt ans et mettent donc du temps à s’établir.
Tous ces résultats sont des apports de la modélisation qui nous permettent de comprendre - et donc aussi d’étudier - ce que fera un jour, par exemple, le réchauffement climatique. C’est très facile pour nous d’augmenter le flux thermique atmosphérique et de voir si, vraiment, on observe des changements. Mais je suis entièrement d’accord aussi avec Jacques Tisseau quand il dit que, les modèles étant faits par nous, ils sont donc forcément très réductionnistes ; au début, surtout, quand on commence à modéliser quelque chose de nouveau, ils sont souvent faux et il faut alors toujours les comparer au réel. Depuis une dizaine d’années - un peu plus en ce qui concerne la modélisation de la température – on a des outils modernes qui nous aident beaucoup à comprendre les écosystèmes marins et qui sont les nouveaux capteurs, ceux qui sont portés par des satellites et qui nous donnent la température de l’eau, sa transparence et sa teneur en phytoplancton tous les jours – enfin, les jours où il fait beau. On développe aussi de plus en plus d’outils qui seront placés en mer où ils seront autonomes – des bouées, des instruments autonomes ; ils mesureront à haute fréquence un grand nombre de paramètres et, surtout, ils les mesureront quand la mer sera mauvaise, à une période où les bateaux, en général, ne sortent pas – enfin les bateaux océanographiques – et où l’on manque donc de données. L’intérêt de ces capteurs modernes est qu’il y a certains phénomènes qui ne se passent que pendant une ou deux journées par an, quand il y a vraiment une très grosse tempête et, ils vont donc nous donner des informations que l’on avait pas jusqu’à présent et qui nous permettrons de mieux affiner nos modèles.





Mis à jour le 22 janvier 2008 à 10:08