2005 : Le littoral et les avancées scientifiques > TR 3 : Penser ensemble le littoral de demain >
Urbanisme : Boulevard du bord de mer. Exemples architecturauxUrbanisme : Boulevard du bord de mer. Exemples architecturaux
Jean-François Revert, Architecte urbaniste, Professeur à l’ Ecole d’architecture de Rennes
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REVERT Jean-FrançoisCompte rendu :
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Jean-François Revert
Transcription :
8 octobre 2005 TR3
Discours de Jean-François Revert
Sylvie Andreu : - Monsieur Revert, vous êtes architecte. Vous avez reçu le grand prix de l’urbanisme en 1990 et vous êtes un homme qui vit entre Saint-Malo et Rennes, entre Rennes et Paris et entre Paris et Nantes. Je vais vous demander de nous parler de notre environnement architectural et des villes, de l’architecture trop souvent oubliée sur nos côtes, de la valeur ajoutée de l’architecture dans nos maisons et dans notre cadre de vie…
Ma culture est urbaine et maritime. Mes activités sont centrées sur ces deux milieux. J’exerce la profession d’architecte-urbaniste et j’enseigne à l’Ecole d’architecture de Bretagne, à Rennes. Vous avez rappelé, tout à l’heure, que nous avons organisé, avec la Région Bretagne, des Journées-rencontre, avant l’été, sur ce thème du littoral. Ce questionnement, implicite dans de nombreux travaux d’atelier de projet, a pu être explicité et reformulé ; l’architecture et le littoral constituent aujourd’hui une problématique sur laquelle nous recentrerons nos activités. Les chercheurs que nous avons écoutés, lors de ces journées à Brest, enseignent, mènent des recherches, publient, et travaillent en relation avec des professionnels. Les architectes sont d’abord des hommes qui dessinent et construisent. Quand on parle de littoral, ils sont trop souvent assimilés aux bétonneurs. Nous nous préoccupons aujourd’hui de mettre en œuvre une démarche de recherche. Nos cursus ont été réadaptés à la réforme LIMADO (licence, master et doctorat). Ils nous rapprochent de l’université. Nous devons aujourd’hui imaginer ce que sera un doctorat d’architecture. Je crois donc que nous allons entamer des échanges de plus en plus fructueux - et notamment avec vous - pour développer le travail sur le littoral.
Je vais revenir maintenant sur le rapport que l’architecture entretient avec le littoral. Lorsqu’on parle d’architecture en Bretagne, la question est trop souvent ramenée à celle du style. L’architecture n’est pas un problème de style. La question que nous nous posons, aujourd’hui, est celle-ci : « aujourd’hui le littoral est un territoire rare, exceptionnel, et donc la question se pose de savoir comment y faire vivre ensemble des populations différentes, comment y répondre aux besoins des habitants, comment y développer une économie qui soit créatrice d’emplois valorisants, c’est-à-dire comment faire pour que ces lieux de vie puissent continuer à fonctionner dans une dynamique sociale ? ». Notre questionnement porte sur des questions urbaines et architecturales qui intéressent toutes les échelles du territoire.
Lorsqu’on évoque la question de la pression urbaine sur un territoire restreint, l’exemple hollandais est souvent cité. Dans ce pays voisin, les architectes dessinent et réalisent, mais aussi mènent des recherches et publient. Confronté à une forte demande de logements et une rareté des terrains disponibles, l’Etat hollandais, voilà une dizaine d’années, à interrogé les architectes en leur disant : « Nous n’avons plus de territoire mais nous avons un million de logements à construire dans un délais assez court. Messieurs les architectes, proposez-nous des solutions, expliquez-nous comment nous allons faire ». Cette demande d’une autorité étatique a généré une dynamique de publications, de créations et d’expérimentations. Les promoteurs ont contacté des jeunes architectes, ont expérimenté de nouveaux modèles, et je trouve que c’est l’un des grands exemples dans l’Europe d’aujourd’hui où, finalement, une question de territoire génère une démarche de création et de recherche. La Hollande est aujourd’hui le pays le plus créatif en matière architecturale, et ce, essentiellement à travers une question qui est une question de développement durable, de survie d’un pays.
Pourquoi nous intéressons-nous à la Hollande ? Parce que la question que nous nous posons aujourd’hui lorsqu’on parle de littoral est : « L’espace où nous allons vivre est de plus en plus restreint et, par conséquent, comment l’utiliser au mieux ? » Voilà la question qui est posée. Vous avez rappelé que l’on observe dans le monde un déplacement des populations vers les littoraux. En Europe les pressions sont de plus en plus fortes. Habitant dans cette région de Saint-Malo, j’en vois tous les jours les effets sur les dysfonctionnements urbains et la mutation de l’économie touristique. Je ne parle pas des problèmes de circulation insoluble en période touristique - et cette période s’agrandit de plus en plus - ou des problèmes d’alimentation en eau de ces grandes communautés, mais aussi de ce transfert de populations. Dans la ville que je connais, entre deux recensements on constate que, globalement, en l’espace de dix ans, nous avons perdu 5 000 jeunes ménages et travailleurs et que nous avons par contre accueilli 5 000 retraités. C’est très bien que nous nous mélangions, mais le problème est que le flux est à sens unique, c’est-à-dire que les jeunes et les actifs locaux quittent de plus en plus la ville tandis que les retraités arrivent de plus en plus en provenance de toute l’Europe. C’est donc une vraie question. Ne parlons pas des professionnels de la mer qui doivent maintenant se réfugier loin dans les terres. Vous me direz que ces dynamiques urbaines ne sont pas nouvelles. Depuis l’avènement de la voiture les gens vont travailler à vingt, trente kilomètres, voire quelquefois quarante kilomètres et que, finalement, on a toujours eu ces relations très étroites entre une ville-centre et des zones d’influence. Cependant, aujourd’hui, on se rend compte que cet étalement urbain se fait au détriment des terres agricoles, et on peut dire aujourd’hui que les terres agricoles se définissent de plus en plus comme des réserves à l’urbanisation puisqu’on n’est vraiment plus capables de défendre leur vocation. Nous ne savons plus à quel moment la ville s’arrête par rapport à la nature, par rapport à la campagne. La campagne se définit maintenant comme une zone à urbaniser pour les années à venir.
Lors des Journées-rencontre organisées par l’Ecole d’architecture nous avions invité le Conservatoire du Littoral. Emmanuel Lopez, directeur, a signé un bel article paru dans « Le Moniteur » au cours de l’été. En rappelant que le Conservatoire du Littoral est là pour conserver, pour mettre en valeur le littoral, il disait : « Il faut densifier les villes côtières pour préserver le patrimoine naturel ». J’ai apprécié la modernité de ce propos qui affirme une interdépendance entre notre espace urbain et l’espace naturel. C’est une forte incitation à faire travailler ensemble architectes et universitaires. La question de l’architecture est complexe parce qu’il ne s’agit pas simplement d’imaginer des bâtiments, il faut réfléchir à de nouvelles organisations urbaines qui fassent que nous puissions vivre ensemble dans des espaces remarquables mais limités. La question est aujourd’hui : « Pourquoi les gens de revenus moyens et modestes ne peuvent plus y habiter ? » Ce n’est pas que le coût des bâtiments a augmenté car, que ce soit du béton pour des HLM ou du béton pour un immeuble de luxe, le prix de la construction est toujours le même. Globalement, le coût d’un immeuble est le même pour des gens riches ou des gens pauvres, la seule différence étant le foncier. La question du foncier est fondamentale. La Région met en place un établissement public qui aura pour vocation d’aider les collectivités locales à mener une politique foncière à long terme. Au-delà de cette mesure sur le long terme, la question est de savoir si, sur le même foncier, on ne pourrait pas faire deux, trois, quatre, cinq ou dix logements plutôt qu’un seul - c’est-à-dire essayer de diviser le prix du foncier pour qu’effectivement on puisse concevoir des logements adaptés aux revenus de ceux qui travaillent dans ces villes.
Je vais maintenant recentrer mon propos sur l’architecture. Nous avons appuyé le travail que nous avons mené dans nos Journées-rencontre sur le rapport de la DATAR « Construire ensemble un développement équilibré du littoral ». Nous nous sommes demandé : « Mais à quel moment ce rapport parle-t-il d’architecture ? », puisqu’il s’agissait du littoral et de comment vivre ensemble. Dans ce rapport la question de l’architecture est posée ainsi : « Dans les villes touristiques, l’existence d’une architecture balnéaire et de villégiatures est un atout, et les plans locaux d’urbanisme doivent exploiter toutes les possibilités offertes par le règlement pour améliorer la qualité architecturale des constructions ». C’était un petit chapitre sur l’architecture qui nous a laissés un peu sur la faim et questionné. Cet énoncé nous a paru restrictif ; il évoquait l’histoire, la culture des villes. Or nombreuses sont les villes qui ont identifié et préservé les bâtiments qualifiés d’architecture balnéaire. L’inquiétude que nous avons aujourd’hui, en tant qu’architectes, c’est de dire que c’est très bien d’avoir préservé des bâtiments, à travers des procédures du type ZPPAU (Zones de Protection du Patrimoine Architectural et Urbain). Mais, en même temps, ces constructions doivent-elles devenir des modèles reproductibles ? Sachant que la demande est forte aujourd’hui, les investisseurs sont tentés de reproduire en les pastichant ces villas, images de « la Belle Epoque ». Qu’est que c’était que l’architecture balnéaire? Lors de la grande période romantique de la fin du XIXème siècle, on reconstruisait, sous forme kitch, les manoirs du Moyen-Age. Il faut bien voir que, ce que nous valorisons aujourd’hui, c’est une image mythique du Moyen-Age, et aujourd’hui, nos côtes fleurissent de ces visions réinterprétées au XXIème siècle. Un vrai débat est à mener sur cette question. S’il ne faut pas oublier l’existence de l’architecture balnéaire sous forme de petits châteaux, la Bretagne a été aussi le support d’expériences et d’opérations de très grande qualité. Quand on parle de Brest on pense à la ville reconstruite. Beaucoup d’expérimentations y on été réalisées, des architectes y ont pris des risques, des débats y ont eu lieu. Nous pensons qu’aujourd’hui nous entrons dans une période de questionnement que nous souhaiterions mener en lien avec l’université, avec les chercheurs et avec les collectivités locales. Dans ce sens nous préparons de nouvelles Journées-rencontre sur le thème Ville-Port, au mois de novembre 2006.
Je vais terminer sur trois ou quatre images, simplement pour illustrer mon propos.
Les architectes publient peu de recherches, ils n’ont pas encore l’habitude de ce type de travail. Daniel Le Couëdic est une exception à cette règle. Ses ouvrages sont une véritable référence sur l’histoire de l’architecture bretonne. Voici un document extrait de l’une de ses publications. C’est une villa qui était à Dinard. Aujourd’hui cette ville fait un vrai travail de communication sur son architecture balnéaire ; elle oublie cependant de dire que cette dernière était variée, c’est-à-dire qu’elle n’était pas seulement basée sur une interprétation du Moyen-Age mais que l’on avait aussi inventé de nouvelles formes en prise avec l’époque. Cet exemple de la villa Crystal, exceptionnelle de transparence et de légèreté, faisait référence au Crystal Palace de Londres. Cette architecture d’innovation a malheureusement disparue. On a souvent démoli les véritables témoins d’une architecture nouvelle, en phase avec son siècle.
Daniel Le Couëdic, Villa Crystal, Photographie tirée de Fermin, H., Dinard, regard sur le passé, 1984, p. 84
Le deuxième document montre un bâtiment assez emblématique à Trébeurden. C’est un bâtiment dessiné par Roger Le Flanchec. C’était un architecte qui était passionné par Le Corbusier. Il a dessiné et construit ce bâtiment qu’aujourd’hui plus personne ne pourrait faire. Cet immeuble est, je pense, une œuvre majeure. C’est une réponse polémique aux questions de la densité en bord de la mer. Cette réalisation est un bon sujet de travail. Tous les gens que j’ai pu rencontrer à ce sujet m’ont dit : « Vivement qu’on démolisse ce bâtiment qui gâche notre paysage ». Je voudrais leur répondre : « Laissons faire ces recherches, permettons ces expérimentations ; Elles sont moins dégradantes que ces pastiches immobiliers qui voudraient laisser croire que seule la référence à la Bretagne de Bécassine et des chapeaux ronds mérite quelque intérêt.
Daniel Le Couëdic, « 1918-1945 BRETAGNE – Modernité et Régionalisme », éditeur Pierre Mardaga 1986
L’image suivante concerne un projet en cours dans une célèbre commune balnéaire. C’est la réalité, c’est ce qui se fait aujourd’hui. La Ville est très fière de cette architecture de tourelles, d’échauguettes, de mâchicoulis et de vérandas. C’est un très grand succès ; le conseil municipal unanime et les représentants de l’Etat, garants de la qualité architecturale, applaudissent. Ces immeubles sont destinés essentiellement à une riche clientèle de retraités en désir d’image du bord de mer de «La Belle Epoque ». Les familles et les jeunes qui travaillent sur place trouveront leur bonheur, dans la campagne éloignée, dans les lotissements de maisons néo-bretonnes.
Je vais terminer par deux images représentant les travaux réalisés par nos étudiants sur la question de la ville dense, de la ville de mixité sociale. Dans une intervention précédente, un conférencier nous a parlé de San Francisco. Nos étudiants ont centrés leur travail sur un comparatif entre Saint-Malo et San Francisco. La question que nous leur avions posée était : « Comment peut-on faire pour qu’une ville comme Saint-Malo, qui est un cas d’école, puisse répondre à une forte croissance tout en gardant ses qualités de mixité sociale » ? Le travail s’est construit sur cette notion de rareté et de préservation du littoral. La question est devenue rapidement celle de la densification de la ville : « Pourquoi ces grandes villes du littoral, nos villes, s’effarouchent devant la ville verticale? ». On observe que les pays anglo-saxons n’hésitent pas à construire en hauteur, et je ne parle pas des villes chinoises qui poussent comme des champignons sur le littoral. Le travail s’était donc centré sur une étude comparative du littoral, entre Saint-Malo et San Francisco. Cette dernière image, un peu polémique, illustre le fait que toutes ces villes de très forte densité, comme San Francisco ou New-York ont toujours laissé une zone de respiration entre la ville et la mer. On ne densifie sur le trait de côte. C’est sur une zone d’échanges qui est vraiment une zone patrimoniale. Par contre, la densification et son architecture verticale se sont localisées sur les arrières de ces grandes villes. Ce sont des images de communication, uniquement, mais qui sont aussi des pistes de travail pour nos étudiants.
« Projet Urbain », Ecole d’Architecture de Bretagne
La densité urbaine sur le littoral, illustrée par ces images, est un thème de travail que nous souhaitons développer et enrichir avec nos étudiants. Il s’insère dans une problématique plus générale qui est celle du développement durable.
Ces deux journées de rencontre ont montré une complémentarité de nos réflexions sur cette thématique. J’espère, qu’à l’occasion de la mise en œuvre de la réforme LIMADO, des liens plus étroits vont se tisser entre notre école et l’université.
Mis à jour le 22 janvier 2008 à 11:46