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2003 : Les mers , un océan de richesses ? > TR 1 : Les technologies au service de l'exploration scientifique des océans >  Avantages et contraintes d'une collaboration scientifique public/privé dans le cadre du projet Zaïango

Avantages et contraintes d'une collaboration scientifique public/privé dans le cadre du projet Zaïango

Bruno Savoye, Responsable du laboratoire Environnement Sédimentaire et chef du projet Zaïango à l'IFREMER

Biographie :

SAVOYE Bruno

Compte rendu :

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Transcription :

7 novembre 2003 TR1


Discours de Bruno Savoye



Le projet ZaïAngo est un projet qui a intéressé la marge, donc la zone qui est au large des côtes du Gabon, du Congo et de l’Angola. C’est une province pétrolière très riche et très prometteuse. C’est un projet qui était pluridisciplinaire d’entrée avec de la biologie et de la géologie et, à l’intérieur même de ces disciplines, plusieurs thématiques. Globalement, l’idée d’Ifremer était d’accompagner l’industrie pétrolière, en particulier à l’époque Elf-Aquitaine, dans cette course vers le pétrole profond, avec tous les enjeux industriels que l’on connaît derrière. Ce qui fait l’originalité de ce projet par rapport à d’autres actions qui ont été menées dans le monde, c’est que d’entrée, c’était un projet qui s’était donné les moyens d’aller chercher des données nouvelles. Il ne s’agissait pas de compiler des données existantes, mais d’aller chercher des données qui étaient adaptées à la résolution de problèmes industriels posés par notre partenaire. C’est un partenariat 50-50, c’est-à-dire que les coûts ont été partagés entre Ifremer et la société pétrolière. L’Ifremer a fait appel à des partenaires scientifiques extérieurs.

Globalement, dans ses grandes lignes, le projet ZaïAngo s’est intéressé à une zone qui était très peu connue jusqu’alors, zone relativement profonde (moyenne de 3 000 mètres pouvant aller jusqu’à 5 000 mètres). La zone que nous avons couverte pendant ZaïAngo était extrêmement vaste, puisqu’elle couvrait une superficie de 204 000 km2. Heureusement, nous avons profité de tous les efforts faits par les pionniers et par la génération qui a initié l’exploration des grands fonds sous-marins vers la fin des années 60, en utilisant des outils modernes, efforts qui ont été très largement évoqués ce matin par les conférenciers précédents. Sur cette zone qui représente presque la moitié de la France, on a aujourd’hui une connaissance assez fine avec une assez haute résolution. Comme c’est un énorme volume de données qu’il a fallu traiter en très peu de temps, puisqu’il y a derrière un industriel pressé, on a dû mettre en place toute une méthodologie adaptée et on a été obligé de se doter d’une force de travail importante. Par conséquent, le projet a été ouvert à des partenaires extérieurs, en particulier des partenaires universitaires et du monde académique et, évidemment, l’Ifremer a fait d’abord signe à ses partenaires habituels avec lesquels il avait des collaborations scientifiques.

Nous avions donc pour mission d’aller chercher des données originales et l’Ifremer ayant un savoir-faire à la mer important, nous avons profité de ce projet pour essayer de proposer la technologie la plus top niveau disponible à l’époque, y compris en essayant d’utiliser des outils qui étaient encore sur étagère au début du projet et qu’on a voulu mettre en œuvre pour la première fois lors de ZaïAngo.

C’est très clairement un projet scientifique avec de vraies attendues scientifiques, et un projet technique. Enfin, un des aspects spécifiques du projet, c’est que dans la mesure où il y avait un industriel et des enjeux industriels, il y avait un certain contrôle des données qui sortaient.

Un des points importants qui explique la genèse d’un projet de ce type, c’est qu’on avait déjà collaboré avant avec Total qui connaissait un peu notre manière de travailler, notre savoir-faire à la mer et nos outils. Plus largement, l’industriel a pu obtenir des réponses à ces questions, parce qu’il y avait eu un investissement en amont et que pendant plus de 10-20 ans, le monde académique a pu mener des recherches fondamentales sur les marges. Il est important de remarquer que si ces compétences n’avaient pas été acquises et entretenues, si les outils d’exploration océanique grands fonds n’avaient pas été développés sans attendre qu’un industriel en ait besoin, l’industriel aurait été très dépourvu au moment où les questions se posaient. Et quand on voit la forte diminution des investissements en recherche en France aujourd’hui, on peut se poser la question de savoir : quel sera l’impact pour les industriels français, demain, de cet abandon de l’investissement public et privé dans la recherche amont ?

Un gros volume de données à traiter, un industriel pressé, des délais très courts, donc pour les équipes du projet une contrainte supplémentaire.

Ce projet a duré 5 ans. Il a démarré en 1998 et est en voie d’achèvement. C’est un projet qui était transversal, avec une vraie structure en projet, à l’Ifremer et une structure assez grosse. Un peu près 60 personnes en tant que chercheurs, techniciens de laboratoire ont participé à cette opération, avec un équivalent temps plein assez important pour un projet de recherche (10-15 personnes) et une très grosse implication de nombreux services d’Ifremer avec une synergie très importante. Il faut rendre hommage aux équipes techniques d’Ifremer et de Genavir. Sans leur collaboration, on n’aurait pas pu faire ce qu’on a fait d’un point de vue scientifique.

Ce projet fait aujourd’hui référence dans le milieu académique, en tout cas pour les disciplines qui ont participé à ce projet, en particulier pour l’étude des vallées et des avalanches sous-marines. Beaucoup de publications sont parues.

C’est un budget d’environ 80 millions de francs, inégalement réparti suivant les disciplines. Il faut y ajouter la partie biologie qui a été financée plus tardivement.

Au cours de ce projet, on a mis en œuvre l’ensemble de la panoplie de l’océanographie française depuis les sondeurs multifaisceaux, les carottiers, la sismique en allant jusqu’aux plongées avec le nouveau robot, ROV Victor 6 000 mètres et on a réalisé en moins de trois ans huit campagnes sur ce site et c’est exceptionnel. Dans le cadre d’un projet scientifique classique, on n’aurait jamais eu les moyens de faire cela aussi vite avec autant d’argent.

D’un point de vue international, il n’y a pas d’équivalent dans le monde. Quand on a commencé à présenter les résultats dans les congrès pétroliers, les compagnies pétrolières étaient assez surprises. Car même s’il existe des projets de ce type qui ont été menés dans le golfe du Mexique, ils n’ont jamais eu cette envergure, à la fois d’un point de vue de la superficie investiguée, de la pluridisciplinarité et de la recherche systématique de données originales. Ce qui fait les atouts de ZaïAngo, c’est aussi que la zone investiguée s’est révélée très intéressante d’un point de vue scientifique. On y a fait des découvertes majeures et on a pu fonctionner avec une dynamique plus forte par rapport à ce dont on avait l’habitude.

L’« Atalante » est un bateau de 85 mètres, sur lequel on embarque environ 25 scientifiques. Dans la première partie du projet, on a réalisé 60 jours de mer pour explorer une vaste zone pour laquelle il n’y avait pas de carte disponible des fonds marins. On a évité la zone dans laquelle il y avait des données déjà disponibles et ensuite nous avons fait un levé systématique avec un positionnement par satellite précis. La zone va de la côte jusqu’à 5 000 mètres de profondeur d’eau, donc dans les plaines abyssales.

Spot : Vue en trois dimensions de l’ensemble de la zone depuis le plateau continental (en rouge) entaillé par un énorme canyon, le canyon du Zaïre, qui se poursuit sur plus de 1 000 kilomètres et débouche ensuite sur une zone d’épandage, la zone des lobes distaux dans lesquels les avalanches sous-marines qui creusent ces vallées viennent déposer le matériel ultime. C’est un vrai résultat, on a maintenant une idée de comment fonctionne un système de cette taille-là qui est très comparable aux systèmes fossiles dans lesquels toutes les compagnies pétrolières qui ont travaillé en Angola et au Congo ont fait des découvertes importantes. Ces vallées sous-marines sont creusées par de véritables avalanches sous-marines qui vont prendre du matériel depuis l’embouchure de la rivière et le transporter et le disperser tout le long du système sur plus de 1 000 kilomètres de long jusqu’à 5 000 mètres de profondeur d’eau. C’est important parce que ces avalanches sous-marines transportent du sable et de l’argile et le mode de fonctionnement et de construction de ces vallées sous-marines permet de concentrer le sable à un endroit et de mettre l’argile ailleurs. Le sable est très important parce que c’est lui qui, après s’être accumulé et avoir été enfoui dans le sédiment, va devenir une véritable éponge dans laquelle le pétrole va se piéger. C’était un des enjeux important de ZaïAngo d’étudier ces vallées sous-marines, leur mode de fonctionnement, et la manière dont on met le sable d’un côté et l’argile de l’autre.

Exemple d’une carotte : quelques centimètres de sable empilés à plus de 5 000 mètres de profondeur dans lesquels on peut faire toutes les analyses de laboratoire, des techniques qui ont été développées bien avant ZaïAngo par l’Ifremer et par tous les universitaires qui travaillent sur ce problème et qui permettent de comprendre le processus physique des dépôts de ces sédiments.

Un autre résultat, bien évidemment, c’est que sur ces systèmes géants, on crée différents types d’objets sédimentaires et, actuellement, un des travaux qui est fait dans les compagnies, c’est d’étudier le potentiel pétrolier de ces différents objets et d’identifier ceux où il pourrait y avoir du pétrole et ceux où il n’y en aura jamais.

Un des autres résultats majeurs, c’est ce système qui fait à peu près 300 000 km2, et dans lequel on a identifié 80 anciens cours de la vallée sous-marine du Zaïre qui sont encore visibles sur les fonds marins actuels au nord et au sud. Cela s’est mis en place très rapidement, en moins de 800 000 ans et le système plus récent, au milieu, s’est mis en place dans le trou laissé par les systèmes nord et sud. C’est un système qui a moins de 200 000 ans et dans lequel aujourd’hui on a déjà compté 38 anciens cours. C’est donc un système très versatile, la vallée change souvent de position et ça pose des questions en terme de mise en place des corps sableux, de l’épaisseur de ceux-ci. Au-delà de l’intérêt fondamental, c’est bien évidemment d’un grand intérêt pour notre partenaire. Il faut savoir que toutes les vallées ne fonctionnent pas de la même façon. Or la vallée sous-marine de l’Amazone est actuellement utilisée comme modèle par l’ensemble de l’industrie pétrolière pour le développement des grands champs pétroliers à base de vallée méandriforme. Mais le système Amazone ne fonctionne pas et n’a pas strictement la même structure que le système Zaïre qui a une vallée très incisée par rapport au système Amazone et dans lequel le potentiel de préservation de sable est beaucoup moins important. C’est donc un résultat majeur pour les compagnies pétrolières et pour nous, en tant que scientifique, ça nous questionne. Toute l’équipe scientifique ZaïAngo va d’ailleurs réaliser en février 2004 une mission d’exploration sous-marine sur le système Amazone pour mieux comprendre pourquoi il est différent du système Zaïre.

Au cours du projet, nous avons réalisé avec un robot équipé de caméras, le ROV Victor, des coupes dans les flancs de la vallée du Zaïre qui ont permis de caler nos coupes du sous-sol, de faire des observations assez extraordinaires, comme ce tronc d’arbre fiché dans le flanc de la vallée à 3-4 mètres au-dessus du fond.

Nous avons également mis en œuvre dans le cadre de ce projet un engin qui est tracté à 100 mètres au-dessus du fond, le SAR, équipé de capteurs géophysiques. L’avantage d’être près du fond, c’est que l’on a davantage de résolution. Présentation d’une image : c’est ce type d’image obtenue par ce sonar, il faut imaginer que c’est une sorte de photographie acoustique des fonds vue du dessus et on a ici la trace du fond de la vallée du Zaïre dans un méandre avec une très belle image des flancs externes et internes. Autre image : le fond vu du dessus (sur un couloir large de 1 500 m), pris à 5 000 mètres de profondeur au débouché de la vallée actuelle du Zaïre. Là nous sommes dans la plaine abyssale mais les fonds ne sont pas homogènes, il y a une répartition du sédiment qui est très hétérogène, du sable d’un côté, des gros blocs ailleurs, des grandes structures d’arrachement, donc, en fait, les avalanches sous-marines ont une force, alors que l’on est à plus de 1 000 kilomètres de la côte, qui est encore extrêmement importante et cela pose de nombreuses questions. Jusqu’alors, dans les modèles, on considérait qu’arrivé dans cette zone-là, on avait la mort des avalanches et donc on avait une dynamique très faible. Les observations réalisées lors de ZaïAngo remettent donc en question un certain nombre de modèles que l’on utilisait jusqu’à présent.

Alain Morash a parlé tout à l’heure de la recherche d’indices d’hydrocarbures au fond de l’eau, c’est-à-dire de zones où on pourrait deviner ce qu’il y a dans le sous-sol. Exemple d’une coupe du sous-sol à l’aplomb d’une zone de sortie de fluides : on considère que cette zone du point de vue de l’interprétation est une zone qui est à l’aplomb d’une cheminée qui met en contact des zones très profondes à plus de 700-800 mètres sous la surface avec le fond de la mer. Cette zone a été investiguée un peu plus dans le détail, on a développé toute une méthodologie adaptée à l’étude de ces zones de sorties de fluides (ROV, carottiers). On a essayé d’étudier le panache créé par les fluides qui diffusent dans la colonne d’eau et qui percolent à travers le fond de la mer, en utilisant la technologie qui avait été mise en œuvre à l’axe des dorsales pour étudier les zones hydrothermales. Pour faire cela, on a aussi bénéficié de progrès techniques telle la base ultracourte qui permet de positionner un engin au fond de manière beaucoup plus précise et qui nous a permis de faire une reconnaissance assez systématique de la zone. Dans cette zone, les biologistes, en particulier, ont découvert des oasis de vie très particulières qui fonctionnent de manière autonome grâce aux fluides qui percolent à travers le fond de la mer. Ils ont un intérêt pour les pétroliers puisqu’ils peuvent être un indice du type d’hydrocarbure qu’il y a dans le sous-sol et un intérêt bien évidemment pour les scientifiques parce qu’ils se créent autour de ce système une chimie et un système écologique assez particuliers.

Des projets du type de ZaïAngo, explorer l’océan profond, comprendre les processus sédimentaires dans l’océan profond, ça ne pourra pas permettre de résoudre tous les problèmes liés à l’exploitation du pétrole, car il y a tout un aspect dont on n’a pas parlé qui concerne les techniques de forage, de récupération, etc., mais en tout cas, ça aide et la conclusion de Total c’est que finalement avec l’argent qu’ils ont mis dans ZaïAngo, ils ont récupéré quelque chose en échange qui les aide. Dans le même temps, pour nous scientifiques, on voit que le progrès des connaissances, qui est vraiment notre moteur, peut s’accroître de manière importante grâce aux investissements de compagnies privées, dans la mesure où on peut à la fois développer de la science et à la fois répondre à des questions industrielles.

Que ce soit les équipes ZaïAngo, universitaires et Ifremer, nous avons beaucoup apprécié la dynamique de ce projet grâce à l’investissement d’un industriel.




Mis à jour le 29 janvier 2008 à 10:22