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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 2 : Quelle éthique pour les explorations dans les milieux extrêmes ? >  Débat de la table ronde 2

Débat de la table ronde 2

Jean-Paul Natali, Cité des Sciences et de l'Industrie
Gérard Jugie, IPEV
Jacques Arnould, CNES
Daniel Prieur, IUEM/UBO
Lucien Laubier, Institut Océanographique de Paris
Eric Lesueur, Vivendi Environnement
Alain Féssant, UBO
Max Jonin, UBO

Compte rendu :

Transcription :

21 novembre 2002 débat TR2


Débat





Jean-Paul Natali :
La question de l’éthique est maintenant bien posée dans ces différents contextes. On peut penser que les citoyens, dans ces domaines-là, apparaissent plutôt comme des spectateurs attentifs à ce qui est en train de se passer, et soucieux des implications et des retombées qui vont surgir de ce rapport avec les milieux extrêmes. Ils participent du même monde dans lequel d’autres explorent les limites et ce sont aussi pour eux des faits à considérer, ne serait-ce que dans les conséquences que ces démarches pourront présenter sur la vie quotidienne de chacun.

Géraldine Rix :
Je me pose une question, à savoir : Le chercheur de l’extrême qu’on peut appeler aventurier n’est-il pas du coup un anthropologue ? Ce sont aussi des questions d’intégration d’un milieu, d’implication et d’impact, que se sont posées des personnes qui allaient dans des sociétés inconnues au départ : question de l’impact négatif que l’expérience risquait de produire, et en même temps question de l’enrichissement mutuel que chacun pouvait retirer de l’expérience. Je me demandais en conséquence si l’on ne pouvait pas ramener quelques problématiques évoquées au niveau de l’éthique aujourd’hui à ces problèmes que se sont posés des anthropologues.

Gérard Jugie :
J’interviendrai d’une façon assez brutale. En milieu polaire, j’estime qu’il n’y a pas de chercheur de l’extrême, en clair il n’y a pas de recherche polaire, il y a de la recherche effectuée en milieu polaire. Cette notion est très importante, c’est-à-dire que c’est une notion qui intègre un géologue qui va faire une étude de géologie en milieu antarctique, de la même façon que sur une autre partie du globe, mais avec une logistique spécifique et un certain nombre de mesures de sécurité spécifiques. Ensuite, il est bien évident qu’il peut y avoir des recherches menées sur l’homme en milieu confiné. La France a très une forte tradition d’hivernage, c’est-à-dire de laisser par exemple une vingtaine de collègues pendant dix mois complètement isolés du monde, sur des sites où on ne peut pas aller les chercher. Il y a des personnes qui assurent la vie, la logistique de la station, plus d’autres personnes qui servent des programmes de recherche, qui font des mesures, des expérimentations et ce milieu lui-même est un milieu confiné qui établit des règles de vie, qui essaie de gérer les conflits inévitables et sur lesquels les collègues en psychologie et étiologie font des études. C’est une étude sur un milieu confiné mais ce n’est pas de la science polaire. Les agences spatiales essaient d’identifier actuellement, via les milieux polaires, les conditions de vie en milieu polaire, des conditions d’étude pour l’étude des vols longue durée et, peut-être, que certaines stations polaires seront utilisées pour étudier le comportement des hommes isolés pendant sept mois. Pour moi, il n’y a pas de science polaire ou de science extrême, il y a de la science qui est développée de façon particulière en milieux extrêmes.

Pour les milieux antarctiques, je crois que c’est Shackelton, l’aventurier anglais, avec la particularité des Anglais qui glorifient souvent les échecs et pour Shackelton, ce fut l’échec et, en revenant, il avait écrit : “ L’homme n’est pas bienvenu en Antarctique ”, et je pense que cela définit une forme de milieu extrême.

Brigitte Bornemann-Blanc :
Vous avez dit tout à l’heure, Gérard Jugie et Daniel Prieur, que vous aviez quasiment les mêmes soucis, les mêmes préoccupations en ce qui concernait l’environnement et la découverte de nouvelles formes de vie lors des recherches effectuées dans ces milieux extrêmes. Est-ce que des instances internationales actuellement se réunissent pour définir les conditions acceptables pour mener ces recherches et comment le grand public est-il informé de ces décisions potentielles ?

Gérard Jugie :
Je peux répondre de façon partielle, mais surtout pas partiale. Je vais prendre le cas du forage glaciaire de Vostok qui est sous la responsabilité de trois pays : la Russie, les Américains de la NSF et les Français. Nous avons une responsabilité tripartite sur le site et sur la collecte des échantillons et la protection du site. Ce travail est fait par les trois nations mais il est rapporté, tous les ans, devant l’ensemble des autres nations, parties du traité sur l’Antarctique. Il y a en quelque sorte une forme de sécurité en chaîne qui n’est pas absolue, mais qui fait à la fois référence à un aspect purement technique et à la fois à un aspect purement international. À titre d’exemple, pour les glaces de Vostok qui sont préservées, conservées au froid, dans des conditions de protection, elles sont réservées jusqu’à ce que nos collègues biologistes, en particulier des équipes comme celle de Daniel Prieur, puissent y avoir accès mais je suis le curateur du système, je détiens la clef du frigo dans lequel sont enfermées ces glaces jusqu’à ce que les équipes de scientifiques des trois pays mais également avec la bénédiction de l’ensemble des nations parties du traité de l’Antarctique, prouvent à l’ensemble des nations que la façon dont nous distribuerons la glace sera la meilleure façon par rapport à l’état des connaissances actuelles.

Jacques Arnould :
Il existe un certain nombre de règlements internationaux qui préconisent des conditions très particulières que doivent absolument respecter tous les engins qui partent en orbite terrestre, mais surtout en dehors des orbites terrestres. Il s’agit d’éviter de contaminer la Terre, Mars ou une autre planète si ces engins viennent à s’y poser ou à s’y écraser. Ces codes, ces règlements existent et sont améliorés, complétés périodiquement, puisque les objets des explorations ne sont pas les mêmes. Bien entendu, les conséquences d’une contamination d’Europe, (un satellite de Jupiter couvert de glace sous laquelle existent probablement des océans), seraient bien plus dramatiques que celles d’une contamination de Mars où l’eau est nettement moins importante, en tout cas en surface. Pour évaluer ces risques, des comités de protection planétaire aux États-Unis (sous l’égide de la NASA) ou en France (sous l’égide du CNES) existent ; l’Agence spatiale européenne est en train de faire de même. Ces comités réunissent des experts de différentes disciplines (biologie, géochimie, chimie, physique...), pour essayer d’envisager tous les cas possibles. Pour le retour des échantillons martiens sur Terre, la solution finale n’est pas arrêtée ; l’enjeu est de ne pas contaminer la Terre ! Si les échantillons reviennent, ils reviendront de Mars dans une espèce de petit container, peut-être deux de la taille d’un ballon de handball qui seront récupérés en orbite martienne par un engin qui reviendra sur une orbite terrestre et plusieurs solutions sont alors possibles : soit une récupération par la station internationale, soit un atterrissage sur Terre. Les échantillons seront ensuite confinés dans des laboratoires type P4 comme le laboratoire de Merieux, à Lyon, qui évite toute entrée contaminante, mais surtout toute sortie vers l’extérieur. Le problème est d’étudier techniquement quelques grammes de ce matériel martien : comment faire entrer dans un laboratoire de taille réduite les spectromètres de masse et les autres appareils dont les géochimistes auront besoin pour faire leurs travaux ? Ce problème technique n’est pas encore réglé. Un jour ou l’autre, si les échantillons doivent revenir, quelqu’un devra donner l’autorisation et on peut très bien supposer que le président des États-Unis ou de la France refuse parce que toutes les règles de sécurité de protection de la planète Terre ne sont pas réglées.

Public :
Je voulais souligner qu’en matière d’éthique, en ce qui concerne le retour de matériaux de Mars, il ne faut oublier qu’on a ramené quelque chose comme quatre cents kilos de roches lunaires ; on doit donc avoir dans ce domaine une certaine expérience. Les cosmonautes qui se sont posés sur la Lune ont aussi ramené vraisemblablement des microorganismes avec eux. Peut-on savoir quelque chose sur cette expérience ?

Daniel Prieur :
La grande différence, c’est que sur la Lune, à ma connaissance, lorsque les expéditions ont été organisées, on n’avait pas l’idée de rechercher des traces de vie parce qu’il n’y avait pas, semble-t-il, de vie possible sur la Lune - elle s’est formée de la création d’un morceau de la Terre avec un objet extraterrestre de très grande taille qui a bombardé notre planète il y a plusieurs millions d’années. Des précautions ont donc été prises, mais certainement pas aussi draconiennes que celles qui seront prises si des échantillons de Mars reviennent. Il y a en effet des indices qui laissent penser que les conditions de Mars étant identiques il y a trois milliards et demi d’années à celles qui existaient sur Terre lorsque la vie est apparue.

Jacques Arnould :
Effectivement, la situation est différente. J’ajouterai que, malgré les procédures de décontamination et de mise en quarantaine pour les hommes et les objets non inanimés, la Lune a déjà été contaminée ! Lors de la mission Apollo 12, les astronautes américains ont pu se rendre, à l’aide de leur jeep lunaire, auprès d’une sonde américaine arrivée quelques mois auparavant. Ils ont procédé à des prélèvements et ont constaté la présence de microorganismes, certes enkystés et non développés. Mais il y avait bien eu une contamination de la Lune par des éléments organiques terrestres, heureusement sans dissémination de ces organismes. Conclusion : il faut être prudent avant de dire qu’il n’y a aucun risque. Aujourd’hui, une question analogue se pose à propos de la sonde Galiléo qui arrive en fin de mission : que devons-nous en faire ? On peut soit la laisser partir dans l’espace profond, soit essayer de la faire “ atterrir ” sur une planète du système solaire ou un des satellites d’une planète du système solaire, parce que les derniers moments d’une telle sonde sont toujours très intéressants. Mais le risque de faire des dégâts n’est pas nul ! Le risque zéro, vous le savez bien, n’existe pas.

Daniel Prieur :
Pour la Lune au départ, on a posé au départ des règles très strictes. En particulier, le congrès américain a voté une loi sur la quarantaine qui permettait, lorsqu’un astronaute rentrait de la Lune, de le mettre en quarantaine, de même que toutes les personnes qu’il avait éventuellement rencontrées afin d’arriver à bloquer toute dispersion de produits polluants venant de la Lune, en particulier biologiques. On s’est aperçu par la suite que la Lune était stérile et on a donc été moins regardant sur ce point. Pour Mars, la situation est complètement différente et, sur le plan juridique, des règles ont été posées.

Lucien Laubier :
Qu’entendez-vous par le concept d’environnement ?

Eric Lesueur :
L’environnement est l’ensemble des conditions dans lesquelles la vie et, en particulier la vie de l’homme, se développent.

Gérard Jugie :
Je saurai répondre en disant quelles sont les précautions qu’il faut prendre à chaque fois pour essayer de protéger un système mais le système est tellement complexe. Ce qui me frappe toujours, c’est quand on rompt l’hivernage, c’est-à-dire que quand on a le premier bateau de relève qui retrouve les personnes qui sont restées enfermées plusieurs mois, il y a rupture de ce qu’on peut appeler environnement et lors de cette rupture, il y a une crainte énorme en général des gens qui ont hiverné par rapport à la population qui arrive. Il y a une crainte et non seulement cette crainte est fondée mais généralement le milieu qui arrive amène des rhumes, des angines, ce qui prouve qu’il y a eu une certaine forme de barrière environnementale et que cette barrière est rompue et cela arrive à chaque fois.

Lucien Laubier :
Je viens d’être impliqué dans une affaire qui intéresse la recherche française, l’évaluation du travail effectué par un programme du CNRS intitulé “ Environnement, vie, société ”, et nous nous rendons bien compte de la polysémie contenue dans le terme ‘environnement’. Pour la majorité, l’environnement, ce sont deux ensembles : les conditions physico-chimiques dans lesquelles nous vivons, l’homme et la société humaine, et surtout les interactions réciproques qui existent entre ces deux domaines. En ce sens, les milieux extrêmes dont nous avons parlé, nous les avons regardés du point de vue de Saturne, comme quelque chose qu’on étudie, mais au fond la façon dont on vit à l’intérieur de ces milieux extrêmes n’est pas en soi un problème que nous nous posons pour la raison simple qu’elle est généralement du ressort du court terme. C’est la raison pour laquelle je pensais que vous auriez peut-être plus approché, Monsieur Lesueur, cette relation entre le milieu physico-chimique et la société humaine et leurs interrelations, parce que vous êtes plus proche du milieu dans lequel nous vivons tous les jours.

Éric Lesueur :
Dans la conception de l’environnement qui est la mienne - l’ensemble des conditions qui permettent à l’homme, et pas seulement à l’homme, de vivre et de se développer -, j’inclus naturellement tous les paramètres de société et par là, naturellement, les paramètres d’interaction des hommes entre eux et de l’homme avec les autres êtres vivants et les autres phénomènes physico-chimiques qui l’entourent. Vous citez les milieux extrêmes comme un élément du futur, mais je crois qu’il ne faut non plus oublier qu’il existe aujourd’hui quelques milliards d’habitants à la surface de la Terre, qu’ils sont principalement concernés dans leur vie quotidienne par des conditions environnementales qui ont tendance à se dégrader et que pour eux l’avenir de l’humanité n’est pas garanti aujourd’hui.

Alain Féssant :
De temps en temps, des cailloux martiens arrivent sur la Terre, envoyés par des ricochets de météorites. Est-il possible d’avoir une idée des matériaux qui existeraient sur Mars ?

Daniel Prieur :
Il y a effectivement des météorites qui bombardent la Terre, comme les autres objets du système solaire, de manière continue et régulière. Il en existe toutefois un moins grand nombre maintenant que par le passé. Il y a deux-trois ans, une équipe américaine a étudié une météorite sur laquelle les chercheurs ont décelé un certain nombre d’indices pouvant correspondre à une vie passée martienne. Ces indices sont en gros des morphologies, des formes observées en microscopie électronique qui ressembleraient à certaines formes de bactéries actuelles, des petites formes filamenteuses, des petites chaînettes et, autour de ces morphologies fossilisées, un certain nombre d’indications en terme de matière organique pouvant correspondre à de la matière organique fabriquée par le vivant - ce qui était une bonne nouvelle. Mais par la suite, on s’est aperçu que les morphologies observées étaient trop petites pour qu’on puisse caser tout ce que la plus petite des cellules actuelles vivant sur Terre doit avoir dans son intérieur pour fonctionner, d’où une impossibilité en terme d’espace et, d’autre part, la météorite analysée ne venait pas de tomber immédiatement dans un laboratoire ultra-propre, récoltée par les mains ultra-propres et désinfectées d’un microbiologiste, mais elle traînait quelque part dans l’Antarctique depuis un certain nombre de milliers d’années et avait pu être, comme tout objet sur Terre, contaminée par la matière organique. Les premiers observateurs ont observé et rapporté plutôt des artefacts de fausses données que des données réelles. En théorie, s’il y a de la vie actuelle ou passée sur Mars, rien n’empêche qu’un fragment contenant des traces de cette vie arrive un jour sur terre, mais encore faudrait-il le détecter et être capable de le séparer. Il y a eu aussi des travaux sur une météorite non martienne, analysée dans le désert d’Afrique du Nord (tunisien ou marocain) que l’on appelle la météorite de Tataouine, sur laquelle on a trouvé un certain nombre de microorganismes qu’on a réussi à cultiver. Les gens qui ont fait ces travaux se sont aperçu que cette météorite avait été ultérieurement colonisée par des petits microorganismes qui vivent dans le désert ou qui, plutôt, sont dans le désert en conditions de dormance ou de survie, mais peuvent venir adhérer à une surface minérale quelconque et se développer ensuite, lorsqu’on les met dans des conditions plus favorables - dans un laboratoire.

Max Jonin :
Aux XVIIe et XVIIIe siècles et même à une époque beaucoup plus proche de nous, quand il y avait des voyages de découverte, les naturalistes rapportaient de ces voyages de fabuleuses collections. Ils ne se posaient pas la question de savoir qui pouvait en profiter, c’est-à-dire que, si les Français allaient chercher de nouvelles plantes ou de nouveaux animaux quelque part et si on pouvait les exploiter à des fins commerciales plus tard, on le faisait de manière tout à fait naturelle dans le pays qui avait financé l’expédition. Aujourd’hui, je pense qu’on doit se poser la question de savoir qui va profiter des éventuelles retombées de ces découvertes. Quand on ramène des choses de l’espace - seules évidemment les Nations les plus avancées peuvent le faire -, la question se pose du patrimoine de l’humanité. Même chose pour les océans, et lorsqu’on travaille sur du matériel hydrothermal, il y a des retombées économiques qui peuvent être extrêmement importantes. Je pense que, dans tous ces cas-là, un problème d’éthique se pose qui souvent n’est pas posé, celui de savoir qui va tirer le profit, et si l’on peut breveter ce matériel d’un patrimoine de l’humanité se trouvant soit sur notre planète, dans des milieux extrêmes, soit dans notre univers.

Daniel Prieur :
Je ne pense pas qu’il y ait de règlement concernant la propriété, mais, pour ce qui est de l’étude du matériel de l’espace, il est prévu qu’il y ait un appel d’offres international lancé par les nations qui ont financé et réussi l’exploit technologique pour distribuer ensuite ce matériel à des équipes. En ce qui concerne les organismes terrestres actuels, notamment les microorganismes, il y a des conflits. Une des règles est que l’organisme lui-même n’est pas breveté. On peut le protéger, le mettre dans une collection, c’est-à-dire faire en sorte qu’il ne soit pas distribué à tout un chacun sans garantie contractuelle. En revanche, ce qu’on peut breveter et ce qu’on doit faire, c’est breveter une application éventuelle de cet organisme. Pour reprendre le thème de la PCR, le Thermus aquaticus n’a pas été breveté par Brooke. En revanche, les gens qui ont développé la technologie à partir d’une enzyme de cet organisme ont breveté l’ensemble du procédé qui est extraordinairement rentable en terme financier





Mis à jour le 30 janvier 2008 à 17:33