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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 3 : Éthique et droit, quelle compatibilité ?  >  Débat de la table ronde 3

Débat de la table ronde 3

Max Jonin, UBO
Alain Morash, TotalFinaElf
Armel Kerrest, CEDEM/UBO
Michel Glémarec, IUEM/UBO
Jean-Loup Chrétien, Astronaute
Eric Gall, Greenpeace
Guy Le Fur, Confédération paysanne

Compte rendu :

Transcription :

21 novembre 2002 Débat de la TR3



[b]Max Jonin :

Si j’ai bien compris, Monsieur Morash, vous disiez que les jeunes ingénieurs étaient mieux formés ou mieux préparés dans leur approche culturelle au problème d’environnement culturel et technique que vous ne l’étiez vous-même.

Alain Morash :
Les nouvelles générations sont beaucoup plus sensibilisées au problème de l’environnement que les générations précédentes, et cela se traduit dans la vie quotidienne au niveau de l’industrie de manière favorable. Au niveau de l’éducation et de l’enseignement en général, il y a un rôle clef que nous devons tous jouer afin que cela soit pris en compte et, à cette fin, on doit sensibiliser les gens et les préparer. Lorsque j’ai fait mes études, il est clair que cela ne faisait pas partie du paysage et globalement, lorsqu’on regarde les programmes d’enseignement actuellement, ce n’est pas encore très important. Les gens qui arriveront dans dix-vingt ans et qui auront à gérer en grande partie les problèmes que nous sommes en train d’évoquer les géreront bien, si on les prépare bien.

Max Jonin :
Dans les différents cursus d’enseignement, même avant le niveau universitaire, il y a de plus en plus de programmes qui obligent les enseignants à évoquer les différents problèmes d’environnement. À l’Université de Brest, il y a une maîtrise Science de l’environnement qui est un enseignement spécifique, avec une approche environnementale en transversalité, à travers toutes les disciplines. C’est une compétence en plus des autres.

Monsieur Morash, vous nous avez expliqué que la prise en compte de l’environnement était quelque chose d’important dans votre démarche d’entreprise et qu’au final il fallait qu’il y ait un intérêt économique. D’une façon générale, les problèmes d’environnement sont de mieux en mieux pris en compte, parce qu’il y a du droit, des normes,des contraintes sur l’entreprise et aussi parce qu’on amène, par un contexte général, l’entreprise à avoir une approche plus vertueuse vis-à-vis de ces questionsdansunestratégie “ doublement gagnante : qu’ils font un pas vers l’environnement, mais ils s’y retrouvent économiquement aussi. Cela étant, il y a des façons habiles de court-circuiter cette bonne démarche, c’est lorsqu’on sous-traite. Si on a des entreprises qui ont des grands moyens, qui assument leur responsabilité, comme vous nous l’avez montré, au niveau de la prospection, de la recherche et au niveau de l’exploitation, et si ensuite on ne maîtrise pas toute la chaîne jusqu’au bout, il y a là un maillon faible. D’ailleurs, actuellement, c’est ce maillon faible qui nous pose le plus souvent des problèmes.

Alain Morash :
Nous ne sommes plus dans des sociétés verticales où une compagnie, du début à la fin, contrôle la chaîne ; compte tenu de la complexité des différentes opérations, cette pile verticale n’existe pas. Mais il n’empêche qu’effectivement (c’est mon point de vue personnel) il est de la responsabilité des compagnies de veiller à ce que leurs actions industrielles d’un bout de la chaîne à l’autre soient faites correctement. Dans le cadre des actions que j’ai à mener, industrielles ou recherche, depuis un certain nombre d’années des contraintes me sont imposées par ma compagnie qui vont en général au-delà de ce qu’on doit faire légalement pour travailler dans des conditions correctes. Ceci étant dit, par rapport aux problèmes des transports, il n’en demeure pas moins qu’en France on accepte encore des bateaux en mauvais état dans les eaux territoriales. Aux États-Unis, après l’affaire de l’Exxon Valdez, les pétroliers qui n’avaient pas certaines caractéristiques n’avaient plus le droit d’approcher leurs côtes et depuis il n’y a plus eu de problème majeur de ce point de vue. Je pense qu’une compagnie comme la mienne ne doit pas affréter de tels bateaux et je pense que c’est pris en compte.

Armel Kerrest :
C’est sûr que votre position n’est pas facile. Bien sûr, il serait sans doute souhaitable que la compagnie totalFinaElf exerce le contrôle, mais si la concurrence est violente et si d’autres ne le font pas, elle se retrouvera devant une difficulté. C’est au droit, à la loi, de dire quelles sont les règles. C’est vrai que les États-Unis ont pris des mesures, mais au niveau communautaire, on attend ! Ce n’est pas la compagnie Total qui peut régler le problème, hélas ! C’est du ressort de l’État. Le travail des compagnies, c’est de fournir du pétrole, d’aller le chercher, de le faire dans des conditions économiques correctes, mais il faut qu’elles le fassent dans un cadre juridique sérieux, et non dans un cadre juridique où il suffit de payer 2 000 dollars pour avoir un pavillon grâce auquel on peut éviter l’application de la loi française. Vous savez bien que ce sont les pavillons qui déterminent la loi applicable.

Michel Glémarec :
En ce qui concerne l’ensemble de la mer du Nord, on a mis d’excellents outils de surveillance écologique. Ce n’est pas tellement le pétrole qui pollue, ce sont les boues de forage avec les taux de baryte, de béryllium avec lesquels on a montré les impacts. Il s’agit aussi de savoir économiquement ce qui est acceptable au niveau des ressources halieutiques. Est-ce qu’on peut espérer qu’il y ait le même effort dans les régions africaines moins contrôlées par les États riverains ?

Brigitte Bornemann-Blanc :
Ou au contraire, est-ce qu’il n’y a pas une réglementation suffisamment exigeante qui, à la limite, vous empêcherait peut-être de faire ces types de recherche ?

Alain Morash :
Il y a effectivement des zones telles que celles des pays occidentaux les plus développés où les contraintes environnementales ont pour effet que les compagnies travaillent de plus en plus proprement. Tout nous pousse à aller dans cette direction. J’ai passé un certain nombre d’années dans des pays situés en Afrique de l’Ouest, où les contraintes législatives sont beaucoup moins tendues et où les compagnies travaillent de manière beaucoup lâche. On l’a en Europe avec les Charbonnages de France, avec les raffineries, avec un certain nombre d’industries chimiques. Je peux vous donner l’exemple de grands phénomènes qui font que les choses changent. D’ici quelques années, il n’y aura plus aucune compagnie qui aura le droit de torcher, ce qui aura une incidence à l’échelle de la planète. Cela représente des investissements colossaux et toutes les compagnies pétrolières, dans leur programme de développement de gisement, prennent en compte le traitement de ce gaz : le réinjecter dans le sous-sol ou le liquéfier dans des usines de liquéfaction. En termes d’énergie, il faut trouver des solutions qui soient économiques, industrielles, sûres pour ne plus torcher. C’est une loi, toutes les compagnies devront le faire, et il faut effectivement qu’au niveau international, progressivement, ces contraintes soient appliquées.

Michel Glémarec :
Tout est long, ainsi pour prouver, sur le plan halieutique, qu’il y a eu un impact. On retrouve toujours dans la littérature ce fameux terme Time consuming utilisé par les sociétés pétrolières qui sont obligées de payer les suivis écologiques. Les choses ont évolué heureusement et il faut que cela continue à avancer, avec les juristes, bien entendu et plus rapidement.

Alain Morash :
À Brest, on est actuellement depuis quatre-cinq ans en train de faire un point zéro sur l’environnement de la faune et de la flore des grands fonds. Cela a plusieurs buts, dont celui de voir ce à quoi ressemble le fait de tester les pollutions réduites de manière à voir quel est leur impact et comment les gérer. C’est un vrai sujet au niveau du deep offshore, mais nous n’avons pourtant pas commencé à produire, et cela fait cinq ans qu’on se prépare à éventuellement gérer et analyser ce type de situation. Dans les industries, tout cela est de plus en plus pris en compte et traité en amont.

Michel Glémarec :
Je suis ravi de l’évolution qui se fait, parfois je trouve que cela ne va pas assez vite. L’avenir montrera que les erreurs faites, il y a cinquante ans, avec les premiers forages en mer du Nord, ont pu avoir des conséquences au niveau de l’écotoxicologie sur des stocks de poisson. Il y a ainsi un impact économique au niveau de l’halieutique.

Alain Morash :
Cela se fait aussi en Afrique, et personne ne nous y oblige. Clairement on anticipe, et nos compétiteurs font de même.

Brigitte Bornemann-Blanc :
Cela veut-il dire que la Communauté européenne qui a un certain nombre d’exigences, notamment pour la pêche, n’a pas encore réussi à se mettre d’accord ou s’agit-il d’un problème de convention internationale lié au monde du transport maritime ?

Armel Kerrest :
Suite à l’affaire de l’Erika et des protestations françaises très violentes en ce qui concerne le contrôle des navires, on avait prévu de contrôler 25 % des navires qui étaient dans nos ports, et cela depuis 1980, par un mémorandum d’accord entre les autorités du port qui a été transformé par une directive communautaire. La France est l’État qui contrôle le moins ces activités. On en est arrivé au point où la commission des communautés est en train de poursuivre devant la cour de justice des communautés européennes la France et l’Irlande parce qu’elles ne respectent pas la directive communautaire. La France contrôle en fait 9,6 % au lieu des 25 %. L’Irlande contrôle, elle, 22 %. Fort heureusement, on va recruter cent personnes, mais ça va prendre des années !

Jean-Loup Chrétien :
En aéronautique, il est pratiquement impossible sur la planète qu’un avion en mauvais état puisse très longtemps fréquenter divers aéroports : il sera très vite repéré. Comment se fait-il qu’on ne puisse pas arriver à faire la même chose dans le domaine maritime, alors que le nombre de bateaux est nettement inférieur à celui des avions ?

Armel Kerrest :
Effectivement, l’exemple de l’aéronautique est tout à fait intéressant, car il démontre que si on en a la volonté, il est possible de limiter les accidents. Quand la FAA a mis sur une liste noire telle ou telle compagnie aérienne, elle a fait faillite immédiatement. Du point de vue juridique, on peut faire exactement la même chose en mer. (Question : pourquoi ne peut-on pas ?). Cela coûte évidemment, et pour des raisons politiques, parce que si vous le faites, vous bloquez les ports français et ils iront d’ailleurs, d’où l’intérêt du protocole de Paris où on essaie de mettre en place des règles communes - mais encore faut-il qu’elles soient appliquées.

Éric Gall :
Effectivement il ne faut pas être dupe de toutes les belles déclarations d’intention. Comme l’a dit un philosophe allemand, Ulrich Beck :“ Faire des comités d’éthique, ça équivaut à mettre des freins de bicyclette sur un avion supersonique. ” Le droit est au carrefour de l’éthique et du rapport de forces. On connaît aujourd’hui le rôle d’Esso dans le fait que les États-Unis cherchent à torpiller le protocole de Kyoto contre les changements climatiques, par exemple. L’enjeu, c’est de faire en sorte que cette éthique dont on parle beaucoup, dont tout le monde s’accorde à dire qu’il est nécessaire de la faire respecter, on parvienne effectivement à la faire entrer en droit. J’ai envie de dire aux scientifiques, aux juristes, à tous ceux qui sont là aujourd’hui qu’il est aussi de leur responsabilité de parler publiquement de ces problèmes et de prendre position sur ces problèmes. Nous, les ONG, nous essayons de le faire, mais, de toute évidence, cela ne suffit pas à créer ces rapports de forces qui sont nécessaires à l’élaboration du droit.

Alain Morash :
Je suis tout à fait d’accord. Il faut continuer à faire fonctionner notre société civile, avec le niveau technologique et les standards qui évoluent de plus en plus, proprement, correctement. Le cours de l’histoire et de l’entreprise va dans le bon sens.

Éric Gall :
Combien de marées noires devra-t-on encore supporter avant que ces problèmes ne soient réellement pris en compte concrètement par le droit et qu’il y ait un contrôle ?

Alain Morash :
Cela va bien au-delà du périmètre d’une entreprise, la solution n’est pas là. Je pense qu’un certain nombre de compagnies n’affréteront plus de bateaux pourris, mais d’autres problèmes vont apparaître parce que les standards vont évoluer.

Armel Kerrest :
Il est bien clair qu’on est dans un système de rapports de force qui encadrent les discussions, mais ce qu’il ne faut pas oublier, afin de ne pas avoir une vision trop pessimiste, c’est que les rapports de force ne concernent pas seulement les compagnies, les opinions publiques ont aussi un très grand poids. Après la catastrophe de l’Exxon Valdez, les Américains ont mis en place des règles draconiennes, avec pour résultat de réduire le risque d’avoir des accidents. L’intérêt des associations internationales, type Greenpeace, est de stimuler la prise de conscience internationale de la nécessité d’aller dans tel ou tel sens, cela fait partie des rapports de force.

Alain Morash :
L’océanographie américaine est une organisation bien rodée, très puissante, relativement bien fédérée à l’échelle des États-Unis. Elle avait organisé une réunion de leurs équipes, à Paris, et on m’a demandé d’intervenir en tant que représentant d’une industrie pétrolière relativement à à l’océanographie. Ce qui m’a surtout marqué, c’est qu’il avait deux priorités : l’une était l’enseignement, la formation, la sensibilisation ; l’autre était la recherche-développement sur les problèmes d’environnement.

Jean-Loup Chrétien :
Il est vrai qu’il y a de quoi critiquer les États-Unis dans bien des domaines. Dans ce domaine très particulier toutefois, ils investissent pour la protection de l’environnement, mais également dans la recherche des produits de substitution. On pense d’ailleurs qu’ils sont très prêts de l’annonce de la mise au point d’un produit de substitution pour le pétrole. C’est aussi pour cette raison qu’ils ont cette position un peu curieuse vis-à-vis des conséquences du pétrole.

Guy Le Fur :
D’une part, suite à l’Erika, il y a eu énormément de débats, de rapports, un engagement théorique de l’État français à mettre en place au niveau européen un certain nombre d’éléments de droit afin que ce phénomène ne se reproduise plus. Nous avions souhaité, dans le cadre de l’ensemble du contrôle effectif de l’application de ce droit, qu’il puisse y avoir une association regroupant des politiques, des élus territoriaux et des représentants de la société civile riverains. Chaque année, 300 000 bateaux passent au large d’Ouessant, d’où des risques importants au niveau des plages bretonnes, la façade Atlantique et Manche ; or, pour l’instant, on n’a jamais voulu prendre en compte le fait des riverains, alors qu’aux États-Unis cela a été fait et que les riverains ont pratiquement imposé un certain nombre de règles que la France n’a pas souhaité appliquer au niveau européen, pensant que les bateaux ne s’arrêteraient pas en France.

De plus, je suis surpris des chiffres donnés par Monsieur Kerrest concernant les contrôles. Normalement, il y a effectivement cent contrôleurs qui devaient être dégagés au niveau français, et nous sommes les derniers à appliquer le principe. C’est totalement anormal, et il faut mettre en place les conditions pour éviter que cela ne recommence.

Aujourd’hui les États-Unis auront beaucoup de difficultés à retrouver une virginité en ce qui concerne la pollution, puisqu’on sait que ce sont eux qui empêchent l’application de la convention de Kyoto et qu’ils sont responsables pour 40 % de la pollution de l’air au niveau de la planète. Il est plus que temps qu’ils fassent un effort et je ne pense pas qu’ils aillent dans la voie de produits de substitution au pétrole : s’ils font la guerre en Irak, c’est pour le pétrole.

Le problème de la convention climat de Kyoto est fondamental, et il est plus que temps qu’on puisse la mettre en place. Or les États-Unis nous bloquent.






Mis à jour le 31 janvier 2008 à 10:27