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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 4 : Les risques des invasions selon les espèces >  Biologie marine

Biologie marine

Gérard Thouzeau, Biologiste marin, chargé de recherche au CNRS IUEM/UBO

Biographie :

THOUZEAU Gérard

Compte rendu :

Transcription :

22 novembre 2002 TR4


Discours de Gérard Thouzeau



Je suis chercheur au CNRS, dans l’enceinte de l’Institut universitaire européen de la mer (IUEM), et je vais faire une présentation qui, dans un premier temps, sera une présentation très générale sur les introductions d’espèces en milieu marin, focalisée sur la façade Manche-Atlantique ; dans un deuxième temps, on verra un cas très concret, la crépidule en rade de Brest et je vous présenterai des résultats qui sont ceux d’un groupe de chercheurs de l’IUEM. Ce sont des études pluridisciplinaires qui rassemblent une bonne quinzaine de chercheurs et d’enseignants-chercheurs de l’université et du CNRS.

Lorsqu’on parle d’introduction d’espèces dans le domaine marin, combien d’espèces cela représente-t-il ?

(Figure) On a l’ensemble, par décennie, des espèces introduites sur la façade Manche-Atlantique française et espagnole. Cela représente en tout 104 espèces avec des introductions qui sont essentiellement importantes à partir des années 1960, maximales dans les années 1970 et des introductions encore notables dans les années 1990, malgré la mise en place de textes, aussi bien au niveau français qu’européen, limitant ces introductions d’espèces exotiques. On a des introductions primaires, c’est-à-dire des espèces signalées pour la première fois sur la façade, et des introductions secondaires, qui résultent de foyers d’introduction ailleurs sur les côtes européennes, avec une importation secondaire sur la façade Manche-Atlantique française.

Essentiellement des invertébrés sont introduits sur cette façade, 68 espèces sur 104 et puis, secondairement, des macro-algues avec 21 espèces. Ce sont des espèces originaires du Pacifique en grande majorité (60 %) et de la côte Est des États-Unis (16 %), etc. Le taux d’invasion a augmenté fortement à partir des années 1960, en particulier en relation avec l’augmentation du trafic maritime et du développement de pratiques aquacoles. Cela se traduit par la zone ou les zones principales d’introduction entre les côtes normandes et le bassin d’Arcachon, notamment parce que ce sont des zones fortement développées en matière d’ostréiculture.

Parmi les mécanismes d’introduction, pour notre façade, on distingue des introductions volontaires résultant de la mise en culture d’espèces - que ce soit de macro-algues, de poisson, de mollusques, etc. - et des introductions accidentelles qui se font soit via les transferts d’huîtres (c’est-à-dire qu’on a des espèces qui vont être fixées sur les coquilles d’huîtres - c’est le cas de 25 espèces), soit via également les eaux de ballast et les salissures des coques de navire, donc par voie maritime (38 espèces) ; il y a aussi des parasites introduits avec des espèces cultivées, telles que les moules, les anguilles, les huîtres, ainsi que des espèces pour lesquelles on ne connaît pas les modes de prolifération. En l’occurrence, sur le recensement qui vient d’être effectué en 2002, on a onze espèces sur le mode d’introduction desquelles sur nos façades on ignore tout. Sur ces 104 espèces, il y en a 70 qui sont établies, c’est-à-dire qui sont installées, qui se reproduisent, donc qui sont pérennes et seulement 14 pour lesquelles l’implantation semble ne pas avoir réussi. Certaines espèces ont donc tendance à coloniser les milieux, et même à bien les coloniser pour certaines d’entre elles.

Concernant les macro-algues, la France fait partie, au niveau européen, des pays très fortement colonisés par les espèces introduites : 22 espèces de macro-algues en première signalisation au niveau des côtes françaises (Angleterre : 9 ; Italie : 6). Je vais illustrer mon propos par deux exemples : la sargasse (algue brune) et la gratupia doryphora (algue rouge). La sargasse est une algue originaire du Pacifique qui a été introduite en France, via les transferts d’huîtres avec deux foyers d’introduction : un premier en Manche orientale (fin des années 60) et un deuxième à l’étang de Thau (1980). La distribution s’étend maintenant de la Norvège aux côtes du Portugal et en mer Adriatique. Au début de l’introduction de l’espèce, il y a eu, en Angleterre et en France, des essais d’éradication, des essais mécaniques essentiellement qui ont tous été voués à l’échec. C’est une algue fortement implantée et proliférante sur la façade Manche-Atlantique. Gratupia est une algue rouge de très grande taille (la plus grande algue répertoriée : trois mètres de long). C’est une espèce qui, sur les côtes de Bretagne, présente deux foyers d’introduction : un foyer lié aux pratiques ostréicoles en région de Carantec, à l’île Calo, et un foyer, à côté de Lorient, où il n’a pas d’aquaculture mais, en revanche, une activité maritime très forte. On a donc affaire à une voie d’introduction via les bateaux, le fooling ou les eaux de ballast. C’est une algue également originaire du Japon qui était présente à l’étang de Thau dès 1982.

Premier exemple d’espèce introduite parmi la faune, un bigorneau perceur : c’est une espèce un peu plus grande que celle de la communauté indigène native de la côte Ouest du Pacifique qui, dans un premier temps, a envahi l’autre côté du Pacifique et qui est arrivée en France dans le bassin de Marennes-Oléron en 1995 - transfert probable encore une fois lié aux importations d’huîtres. C’est une espèce qui est très localisée pour le moment (Marennes-Oléron), on ne la trouve pas à l’île de Ré par exemple, et cela s’est traduit par des essais de lutte. C’est un bigorneau perceur, un prédateur de bivalves, qui entraîne des effets actuellement étudiés par le Crema-Loumo et l’université de Bordeaux I. Y-t-il un effet en terme de prédation sur les huîtres cultivées dans le bassin de Marennes-Oléron ? Y a-t-il aussi une compétition entre ces deux espèces de bigorneaux perceurs, dans la mesure où ils occupent la même niche écologique ? Des mesures ont été mises en place pour essayer de lutter contre la prolifération ou l’implantation de cette espèce et deux types de moyen ont été entrepris, essentiellement via la section régionale conchylicole, soit la destruction des œufs qui est une méthode assez brutale (brûleur propane), soit des campagnes de ramassage incitatives dans la zone de balancement des marées ou des pêches de l’animal via des casiers en utilisant de la chair d’huître comme appât.

Je vais aborder maintenant la crépidule. C’est une espèce originaire de la côte Est des États-Unis dont l’introduction est très ancienne, puisqu’elle a été signalée en baie de Liverpool dès 1872. Elle a été importée accidentellement avec l’huître américaine. Les premières signalisations sur le continent datent de 1911, en Belgique et, sur la côte française, dans le Calvados et en rade de Brest, en 1949, avec une propagation ultérieure vers la Manche orientale ou la Manche occidentale et le golfe de Gascogne. Aujourd’hui, c’est une espèce qui couvre globalement toute la façade Manche-Atlantique.

On a diverses hypothèses sur les mécanismes d’introduction : des premières introductions seraient liées à des importations sauvages de coquillages en provenance d’Angleterre ou de Hollande ; il y aurait surtout l’arrivée massive de ces coquillages fixés sur les coques des navires de débarquement pendant la Deuxième Guerre mondiale, arrivés sur les plages du Calvados et dans les ports de Cherbourg et de Brest ; il y aurait, dans un troisième temps, de nouvelles introductions de crépidules liées à l’aquaculture de l’huître, dans les années 1970.

Parmi les recherches actuelles, on cherche à retracer l’histoire de la colonisation de ces envahisseurs. Cela se fait à l’aide d’analyses en génétique, à la fois sur des populations d’origine de la côte Est des États-Unis et à la fois sur différentes populations européennes. On cherche à caractériser génétiquement ces différentes populations afin d’essayer de retracer l’histoire de la colonisation, de voir si plusieurs étapes de colonisation se sont enchaînées. Ce sont des résultats préliminaires : c’est pour l’instant relativement compliqué à montrer. Les principales conclusions obtenues par les chercheurs de la Station biologique de Roscoff, c’est que les populations d’origine sont très diversifiées génétiquement, les populations européennes également très diversifiées génétiquement, et tout est imbriqué, c’est-à-dire qu’on ne peut pas, par exemple, dire que telle population de la façade Atlantique provient de telle population de la côte nord-américaine.

En rade de Brest, la prolifération de la crépidule s’est faite progressivement. Cela correspond à une modification des équilibres au niveau de l’écosystème et, finalement, elle est devenue une espèce jouant un rôle majeur dans l’écosystème en rade de Brest - rôle majeur qui, bien évidemment, pose un problème ensuite lorsqu’on cherche, éventuellement, à regagner des milieux qui ont été colonisés par la crépidule.

La crépidule est arrivée en 1949 en rade de Brest ; les premiers recensements datent de 1979, elle est essentiellement localisée dans le bassin Sud de la rade. On a une estimation quantitative de sa biomasse en 1995 : un peu moins de 20 000 tonnes en poids frais. C’est un animal qui produit beaucoup de matières organiques via ses excréments (bio-dépôts), ce qui correspond à 850 000 tonnes par an produit par l’animal ; en poids sec, c’est de l’ordre de 11 000 tonnes de matières organiques. C’est une cartographie qui a été réalisée en 1995. Si l’on regarde ce qui se passe en l’an 2000, ce sont des données brutes, et l’on voit clairement que l’animal est en phase de prolifération : la biomasse a augmenté.

Le premier impact de cette prolifération est une modification de la nature sédimentaire des fonds. Cette matière organique, produite en très grande quantité, se traduit par un envasement des fonds, c’est-à-dire sur des zones très petites de la rade de Brest, avec un gradient de densité de l’animal, et on va avoir un envasement qui va augmenter de 70 % si l’on raisonne en pourcentage de matières organiques. De la même façon, un piégeage de cette matière organique au niveau du sédiment, les pigments, les phéopigments, ce sont donc des produits de dégradation des cellules phytoplanctoniques produites dans la colonne d’eau ; ces phéopigments sont donc multipliés par un facteur 9 sur ces zones à forte densité de crépidules par rapport à celles qui ne sont pas colonisées.

Le deuxième impact est une modification sur les peuplements qui touchent les différents stades de développement des organismes, ce qu’on appelle les post-larves, c’est-à-dire des animaux tout petits qui font quelques centaines de microns, des juvéniles et des adultes. En ce qui concerne l’installation des espèces de la faune benthique sur les fonds de la rade de Brest, les stades post-larvaires, le premier type de résultats obtenus, en 1994-1995, où on a eu de la chance d’avoir une année normale, sans bloom toxique (1994), et une année avec des blooms toxiques (1995), on s’aperçoit que les espèces réagissent à ces blooms toxiques au moment de la reproduction de trois manières différentes. Il y a des espèces sensibles à ces blooms toxiques, c’est-à-dire qu’il n’y a aucun recrutement dans les collecteurs artificiels lors de ces blooms comparativement à une année normale. Il y a des espèces qui sont indifférentes : autant d’individus dans une année normale que dans une année à bloom toxique. Puis, il y a des espèces qui semblent profiter de la place laissée libre sur les supports par les espèces sensibles. La crépidule, apparemment - c’est une hypothèse que l’on essaie de valider actuellement - fait partie des espèces indifférentes. La coquille Saint-Jacques, le pétoncle blanc, le pétoncle noir font partie des espèces sensibles, 100 % de mortalité larvaire ou post-larvaire pendant les blooms toxiques en rade de Brest.

En ce qui concerne l’impact de la crépidule au niveau des peuplements dans leur globalité, ce n’est pas simple, c’est-à-dire que, dans un premier temps, on a un effet positif de l’implantation de la crépidule sur les fonds, de par la présence de micro-habitats liés aux chaînes de crépidules qui vont constituer soit des supports pour des espèces qui vont venir se fixer sur elles, soit des abris par rapport aux courants. Au niveau des chiffres (schéma) - on a des valeurs de densité de crépidules au m2 - on voit que, dans un premier temps, le nombre total d’espèces de la macro-faune va avoir tendance à augmenter, ainsi que la diversité spécifique, avec l’augmentation de la densité de crépidules ; puis il y a un moment où le système bascule et où on a une diminution de cette diversité spécifique, et, cette fois-ci, l’effet est négatif. Cela va conduire globalement à un peuplement, ce qu’on appelle “ un peuplement à crépidules ” (là où la crépidule est abondante, on a des espèces associées, un peuplement qui est relativement riche) et aussi, en revanche, à une banalisation des fonds, à une diminution à l’échelle de la rade de Brest de la biodiversité. On a estimé pendant la thèse de Laurent Chauvaud qu’à terme ce sont entre soixante-dix et quatre vingts espèces qui sont menacées de disparition, du fait de cette banalisation des fonds liée à l’envasement.

En ce qui concerne la coquille Saint-Jacques, on a un impact très net sur l’installation et la survie des jeunes individus d’un an, la densité des coquilles Saint-Jacques d’un an en fonction de la densité des crépidules : pour des types sédimentaires sur lesquels la coquille Saint-Jacques a l’habitude d’être recrutée, on s’aperçoit qu’en fonction de l’augmentation de la densité de crépidules, les jeunes coquilles Saint-Jacques ne peuvent plus s’implanter sur les fonds de la rade. Il y a un autre type d’impact lié à la phorésie des crépidules sur les coquilles Saint-Jacques. On va avoir non seulement l’animal qui colonise les fonds de la rade de la Brest, mais qui va venir se fixer soit sur la valve supérieure, soit également sur la valve inférieure de la coquille. Ces fixations de crépidule vont avoir un impact direct, à la fois sur la hauteur de la coquille, sur le poids de la coquille et sur la teneur en eau du muscle. C’est un impact négatif, c’est-à-dire que les individus crépidulés sont systématiquement, pour un âge donné, plus petits, et présentent un poids inférieur aux individus non-crépidulés.

Le dernier rôle joué par l’animal et, probablement, le plus important, est un rôle de filtre biologique dans le fonctionnement de l’écosystème. Au départ, les observations que nous avions étaient une diminution au cours du temps de l’importance des premières efflorescences de micro-algues dans la colonne d’eau, au printemps, et cette diminution a été mise en relation avec l’augmentation de la biomasse de la quantité de crépidules dans la rade de Brest. On a cherché à mettre en évidence une relation de cause à effet entre les deux. On est arrivé à une hypothèse de fonctionnement de l’écosystème qui est relativement complexe et, ce qu’il faut retenir globalement, c’est que plus la crépidule va s’alimenter au printemps, plus l’abondance de ses proies va être grande en été. Le principe de l’hypothèse de fonctionnement qui est émise sur le fonctionnement de l’écosystème, c’est que lorsque la crépidule s’alimente, elle va piéger, au niveau du sédiment, le squelette de micro-algues bien particulières qui sont des diatomées (micro-algues siliceuses) ; ce squelette siliceux va être dégradé par les bactéries au niveau du sédiment. Ensuite on va avoir du silicium, des silicates qui vont être relarguées dans la colonne d’eau et qui vont permettre à d’autres diatomées, d’autres micro-algues siliceuses, de se développer pendant la période estivale. Les années où la crépidule ne se nourrit pas normalement parce qu’il y a trop de nourriture dans la colonne d’eau, ce piégeage ne peut pas s’effectuer au niveau du sédiment et le squelette des diatomées est évacué en dehors de la rade de Brest par les courants. Ces années sont des années où on a observé des blooms toxiques en rade de Brest. On cherche actuellement à savoir s’il y a une relation de cause à effet entre les deux phénomènes. On essaie de le valider par des approches expérimentales, soit dans le milieu naturel ou soit en laboratoire par incubation de carotte. En gros, ce qu’on mesure, ce sont des flux de nutriments à l’interface aux sédiments ou à la surface de la carotte, on cherche à mesurer la quantité de silicate qui est relarguée par le sédiment, en fonction de la densité de crépidules présentes sur les fonds. On obtient des bilans saisonniers où l’on montre que les zones crépidulées, quelle que soit la saison, présentent systématiquement des flux de silicate relargué très supérieurs à ceux obtenus pour les zones non-crépidulées. Ce sont des expérimentations qui se font dans le bassin Sud de la rade de Brest, le long d’un gradient de densité de crépidules, qui est très limité géographiquement ; on passe en quelques centaines de mètres de zéro crépidule au m2 à 1 800-2 000 individus au m2. Non seulement, il y a une différence en terme de relarguage de nutriments liée au gradient de densité, mais elle est proportionnelle. On a une relation linéaire entre le flux de silicate relargué et la biomasse de crépidules, donc un impact direct, quantifiable de l’animal sur ce qui passe en terme de reminéralisation.

Le dernier impact, pour nous, plus récent dans nos approches de la prolifération de ce type d’organismes qui sont des organismes carbonatés, est l’impact sur les changements globaux en terme de source de carbone.

Je vais vous donner l’exemple d’une étude que nous avons réalisée en collaboration avec des chercheurs de l’UEJS, à San Francisco, sur la prolifération d’un bivalve, un clam exotique, le potamo corbula. C’est une espèce qui s’est développée très rapidement dans les années 1980 en baie de Francisco : on est passé de zéro individu au m2 au début 1986 à, un an plus tard, une prolifération atteignant 12 000 individus au m2. Comment cela se traduit-il en terme de bilan de carbone ? L’animal, lorsqu’il sécrète sa coquille, lorsqu’il y a un dépôt de carbonate de calcium à la surface de la coquille lorsqu’il grandit, va également produire dans le même temps du gaz carbonique sous forme gazeuse, émis dans le milieu naturel, et cette production de gaz carbonique liée à la calcification de la coquille est équivalente en gros à 25 grammes de carbone par m2 et par an. Le potamo corbula, tous les organismes, respirent dans le milieu naturel et la production de gaz carbonique liée à la respiration est de l’ordre de 38 grammes de carbone par m2 et par an. Cette production totale de CO2 dans le milieu correspond à la quantité de gaz carbonique produite chaque année par 51 000 véhicules standard américains. En fait, cette prolifération de ces espèces à squelette calcaire intervient non seulement dans le fonctionnement des écosystèmes à l’échelle locale, mais sur des changements globaux, tels que la problématique gaz carbonique à l’échelle mondiale.

Dans la rade de Brest, maintenant, que fait-on ? Est-on capable de trouver une solution de gestion de l’invasion de la crépidule qui réponde aux attentes des professionnels, des pêcheurs qui souhaitent pouvoir continuer à exploiter la coquille Saint-Jacques, tout en conservant ce rôle de filtre biologique, moteur dans le fonctionnement de l’écosystème ? C’est une expérimentation en vraie grandeur qui va être réalisée l’année prochaine : elle consiste, dans un premier temps, à fermer cent hectares à la pêche, dans une zone qui n’est pas encore trop impactée par la crépidule et qui est une zone de semis des juvéniles de coquilles Saint-Jacques produits à l’écloserie du Tinduff. Sur cette zone, 3 000 tonnes de crépidules seront draguées par les pêcheurs, et il y aura un suivi scientifique qui consistera à étudier par quoi ces dragages vont se traduire en termes de recolonisation des fonds, non seulement par la crépidule, mais aussi par les autres espèces associées, en termes de remise en suspension du sédiment dans la colonne d’eau, en termes de modification de la nature sédimentaire des fonds, en termes de modification des flux à l’interface aux sédiments... Les crépidules draguées sur cette zone de Roscanvel seront stockées temporairement le long de la digue Sud du port de Brest, avant que le navire de la Secma de Pontrieux ne vienne les récupérer, de manière à ce que les crépidules soient traitées ensuite et transformées en amendement calcaire notamment. Cette opération de nettoyage des fonds s’accompagne d’un semis de juvéniles de coquilles Saint-Jacques, à hauteur de trois millions d’individus, de trois centimètres, c’est-à-dire environ trois individus au m2. Cela coûte relativement cher : 145 000 euros par an pour extraire 3 000 tonnes de crépidules. L’ensemble des opérations de dragage et du repeuplement en coquilles Saint-Jacques associé, c’est 3,6 millions d’euros pour les cinq années du programme. Cela suppose des montages financiers relativement complexes - des demandes sont en cours au niveau des collectivités territoriales. C’est une opération qui doit démarrer au printemps 2003.

Les introductions d’espèces dans le milieu marin représentent un problème à l’échelle planétaire. Je vous ai parlé de la façade Manche-Atlantique, j’aurais pu vous parler de la baie de San Francisco où il y a deux cents espèces introduites et une espèce nouvelle, aujourd’hui, toutes les douze semaines, de même que j’aurais pu vous parler de l’Afrique du Sud, de l’Australie. Ce qu’on appelle une pollution biologique, au sens de la Commission océanographique internationale de l’Unesco, ce sont des effets sur le long terme, contrairement aux pollutions de type accidentel, comme les pollutions par les hydrocarbures ; un impact sur la richesse patrimoniale difficile à estimer, dans la mesure où on manque très souvent d’états de référence, c’est-à-dire de données sur la composition originelle des peuplements ; des moyens de lutte qui sont rudimentaires, voire inexistants, sans retour en arrière possible - c’est-à-dire qu’il n’existe pas dans la littérature de cas d’espèces introduites qui ont proliférées et qu’on a pu, dans un second temps, éradiquer ; un impact sur les changements globaux et un coût socio-économique qui peut être considérable. Il y a une commission du congrès des États-Unis, en 1993, qui a fait le calcul depuis le début du siècle : des introductions d’espèces, à la fois dans les milieux d’eaux douces et marins, ont coûté au gouvernement 97 milliards de dollars dans la période du début du siècle à 1992.

Jim Cloern, biologiste américain, représentatif de la problématique et de ce qui nous pose problème dans l’étude de ces invasions biologiques, dit : “ Les conséquences écologiques complexes de ces contaminations biologiques ne peuvent être mises en évidence qu’à travers des programmes consistants, pluridisciplinaires, entrepris avant et après les introductions de ces nouvelles espèces. ” Le problème, c’est qu’on a très peu d’états de références avant les proliférations.









Mis à jour le 31 janvier 2008 à 15:48