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2002 : Milieux Extrêmes d’un monde à l’autre, Terre, Mer et Espace > TR 4 : Les risques des invasions selon les espèces >  Débat de la table ronde 4

Débat de la table ronde 4

Eric Gall, Greenpeace
Michel Branchard, Spécialiste des OGM, ISAMOR, UBO
Jean-Yves Le Souef, CBNB
Alain Le Hérissé, Chercheur CNRS, géologue, UBO
Gérard Thouzeau, CNRS IUEM UBO
Jean-Paul Natali, Cité des Sciences et de l'Industrie
Jean-Paul Alayse, Océanopolis
Guy Le Fur, Confédération Paysanne
Michel Glémarec, UBO
Bernard Stequert, IRD

Compte rendu :

Transcription :

22 novembre 2002 Débat TR4


Débat



Débat

Éric Gall :
Je vous remercie pour tous ces exemples qui montrent à quel point on sous-estime souvent la complexité des écosystèmes et l’adaptabilité du vivant. Greenpeace s’est notamment préoccupé des OGM. Ma question concerne donc les plantes et les organismes transgéniques. Trois sociétés américaines ont mis sur le marché au Canada des colzas tolérants à l’herbicide et on s’est aperçu aujourd’hui qu’on trouve des colzas sauvages qui sont devenus une espèce invasive et qui sont résistants aux trois herbicides, parce qu’ils ont intégré très rapidement les gènes de résistance.

Les chercheurs américains ont mis en évidence par rapport aux poissons transgéniques, qu’on modifie génétiquement pour introduire un gène qui code pour une hormone de croissance, le risque que ces poissons, s’ils étaient disséminés dans l’environnement, feraient peser sur les populations naturelles de saumon.

Dernier exemple, plus grave : on a retrouvé au Mexique, centre d’origine et de diversité du maïs, du maïs transgénique sur les plateaux d’Oaxaka, alors que la culture de maïs transgénique est interdite au Mexique ; or, apparemment, ce maïs se serait trouvé là par le biais de l’aide alimentaire.

Ma question est : comment, vous, au sein de vos instituts de recherche, vous évaluez ces risques qui sont nouveaux et quelle la nature du dialogue avec vos collègues biologistes moléculaires qui, très souvent, n’ont pas cette connaissance en biologie des populations et ne sont pas à même d’évaluer correctement les risques de ces organismes ?

Michel Branchard :
Greenpeace a toujours des informations sensationnelles ; moi je suis scientifique et je travaille sur des faits scientifiques. Je ne dis pas que ce que vous dites est faux, mais j’attends des preuves matérielles, scientifiques pour en discuter.

Éric Gall :
Ce que je trouvais d’intéressant dans cette question, c’est qu’elle se posait à des personnes habituées à travailler sur des dynamiques de population et non à des personnes qui travaillent sur des conflits, et il est très intéressant de voir quels sont les risques éventuels.

Jean-Yves Le Souef :
Je n’ai aucune possibilité d’évaluer le risque OGM, n’ayant pas fait de recherches sur le sujet, mais je rappelle qu’il y a un principe de précaution à prendre. Par exemple, aux îles Juan Fernandez, il y a environ 70 ans, une ronce a été introduite pour faire une haie et celle-ci a envahi un quart de l’île de Massatiera, rendant la vie difficile aux gens qui sont confinés actuellement dans une vallée. Voici quelque chose qui aurait pu être évité. La personne responsable ne pouvait pas le prévoir, et je dois dire que je méfie des OGM car, s’ils présentaient un risque, on ne pourrait évidemment pas revenir en arrière.

Alain Le Hérissé :
Parlant de la crépidule ou autres, est-ce qu’on peut parler d’extrêmophile ? Nous avons là des espèces extrêmement tolérantes, opportunistes, nous avons également des cas au niveau fossile, et je pense qu’à l’heure actuelle, l’effet entropique bouleverse un peu les données des temps géologiques. Par exemple autour des sources chaudes, les dernières glaciations, il y a 400 millions d’années, on connaît des études de population qui montrent des espèces qui peuvent être très tolérantes et des assemblages qui peuvent être monospécifiques. Est-ce que vous considérez que les crépidules ou la gussie qui réagissent peut-être à une hyper-fertilisation, etc. sont des extrêmophiles ?

Gérard Thouzeau :
La rade de Brest n’est pas un milieu que je qualifierais de milieu extrême. On peut éventuellement parler de capacité d’adaptation très élevée des espèces introduites. Les milieux marins sur lesquels nous travaillons ne deviendront extrêmes que lorsque l’eutrophisation aura atteint un degré tel qu’il y aura une anoxie généralisée (manque d’oxygène), que ce soit dans la colonne d’eau ou au niveau des fonds qui se traduira par une mortalité de quasiment l’ensemble des organismes.

Michel Branchard :
Je suis d’accord avec Monsieur Le Souef en ce qui concerne le principe de précaution. En ce qui concerne les OGM, tout dépend du gène qui est rentré. Effectivement, si l’on rentre un OGM de résistance à un herbicide, cela peut poser un problème en ce qui concerne la compétitivité dans le système. Si on rentre un gène qui permette de synthétiser une vitamine C par exemple, je ne pense pas qu’une mauvaise herbe soit particulièrement compétitive parce qu’elle aura ce gène. Je crois qu’on peut généraliser dans certains cas, mais pas dans tous - pas dans les OGM, en particulier. En effet tout dépend du gène rentré dans la plante, du type de plante, etc. Effectivement, dans un certain nombre de cas, il ne faut pas faire n’importe quoi et effectivement mettre en avant le principe de précaution. Je suis tout à fait d’accord que, pour un certain nombre de gènes, il faut être très prudent et regarder quelles sont les conséquences potentielles pour l’environnement avant de mettre au champ les plantes concernées.

Jean-Paul Natali :
Au travers de ces exemples, nous avons vu qu’il existe des problèmes importants de régulation découlant de ces espèces invasives. Dans les milieux maritimes, l’invasion est sans doute moins visible et nous tardons à en appréhender les conséquences. Celles-ci s’avèrent parfois très importantes, à la fois sur l’écologie et sur l’économie.

Jean-Paul Alayse :
Je voudrais revenir à l’exemple du lac Victoria. Il est vrai que les Cichlides ont disparu mais, paradoxalement, aujourd’hui, les Cichlides sont “ sauvés ” et conservés grâce à une population de gens qui sont les aquariophiles. L’association France Cichlides continue à préserver des souches de ce lac, les faire perdurer, à essayer de maintenir la diversité génétique. Ce sont des amateurs qui le font, et non des scientifiques.

Concernant l’importation de la tortue de Floride, il y a eu des arrêtés d’interdiction d’importation de cette tortue qui ont été pris par le ministère de l’Environnement, mais, sous la pression des marchands de granulés ou autres, cet arrêté a été abrogé. Il semblerait qu’aujourd’hui on revienne vers une interdiction d’importation. De toute manière, il ne faut pas se leurrer : quand les marchands animaliers n’ont pas d’espèces à vendre, ils cherchent des espèces de substitution (les térapènes ont remplacé les tortues d’Hermann). Ce sont donc des choses qu’il faut regarder de très près. Il y a des réglementations en France, les professions de l’animalerie sont de plus en plus encadrées, mais il faut savoir aussi que ce sont des professions à risque pour l’introduction d’espèces.

Gérard Thouzeau :
Je voulais faire une remarque sur l’intervention du représentant de Greenpeace en ce qui concerne le lien entre les biologistes qui travaillent en dynamique de population et les molécularistes, les généticiens. Dans cette relation, c’est essentiellement une démarche en aval. Le dynamicien des populations va faire appel au généticien pour essayer de comprendre pourquoi, dans le cas de la problématique des espèces introduites, une espèce a proliféré dans un écosystème donné. On va chercher des traits génétiques qui peuvent éventuellement expliquer ces mécanismes, donc c’est essentiellement une démarche en aval, une fois que la prolifération a eu lieu. Dans le cadre d’introduction volontaire d’espèces, je pense qu’on est passé à une démarche en amont où on va essayer avant tout de caractériser les traits de vie de l’animal qu’on cherche à introduire avant de procéder à cette introduction - ce qui est un peu mieux balisé maintenant.

Guy Le Fur :
Dans le cas de la crépidule qui se trouve en baie de Saint-Brieuc et sur les côtes anglaises, y a-t-il un réseau qui s’est constitué afin d’étudier les moyens d’y faire face et, au niveau européen, y a-t-il suffisamment de sensibilité pour évaluer les enjeux, tant économiques qu’environnementaux, de ce développement ?

Les trois intervenants ont développé les risques existants de transplantation de faune ou de flore d’un secteur à un autre, et j’aimerais savoir si, aujourd’hui, vous avez des moyens de sensibiliser le législateur en ce qui concerne les répercussions à long terme.

Gérard Thouzeau :
Le réseau au niveau français existe puisqu’on a actuellement, dans le cadre de différents programmes de recherche nationaux, des gens qui travaillent à ce problème de la crépidule à la fois sur la baie de Saint-Brieuc, la rade de Brest, le bassin de Marennes-Oléron et le bassin d’Arcachon et qui travaillent surtout sur les facteurs de prolifération de l’espèce qui sont différents, engageant des vitesses différentes de colonisation des milieux. Aujourd’hui on ne comprend pas tout. Par exemple, aujourd’hui, la crépidule a proliféré très rapidement dans le golfe normand-breton et si l’on regarde en termes de nourriture disponible dans la colonne d’eau, la quantité de celle-ci est très inférieure à celle qui est disponible en rade de Brest, donc le facteur trophique ne suffit pas pour expliquer la prolifération de l’espèce.

Au niveau européen, cela se fait à travers des programmes life. Pour la crépidule, ce n’est pas vraiment structuré, peut-être parce que sur la façade Manche-Atlantique on fait partie des pays les plus “ embêtés ” avec cette prolifération. Les gens impliqués, aujourd’hui, dans la communauté nationale, sur le problème de la crépidule, n’émargent pas à un programme européen dans ce cadre. Ce qui est problématique dans un pays ne l’est pas nécessairement ailleurs.

Jean-Paul Alayse :
Sur l’introduction d’espèces, il y a un certain nombre de contrôles effectués. Il y a la loi de la protection de la nature de 1976 et ses arrêtés. Le problème est qu’il faut qu’elle soit respectée et qu’il y ait des gens pour la faire respecter. On se trouve face au ministère de l’Environnement qui, souvent, n’a pas les moyens ni financiers ni humains de faire respecter cette réglementation. Aujourd’hui on a quasiment tout ce qui pourrait nous permettre d’éviter l’introduction d’espèces, d’éviter de les relâcher dans la nature, réglementairement, mais les moyens de contrôle ne sont pas nécessairement là.

Michel Glémarec :
On a parlé des problèmes de formation, d’éducation bien entendu, mais rien ne se fera sans une pression vers le monde de la législation, vers la réglementation. Or cette pression n’est pas encore suffisante.

J’ai trouvé un point important dans l’intervention de Greenpeace : il y a là des gens qui travaillent sur les fonctionnements des systèmes et effectivement le dialogue manque avec les biologistes (cellules, molécules à risque) qui ignorent un peu aujourd’hui, du fait de la structuration de la recherche, ce qui se passe vraiment dans le milieu naturel. Il est certain qu’un rapprochement très fort doit être effectué.

Tual Laouénan :
Qu’en est-il du partenariat avec les sciences humaines ?

Gérard Thouzeau :
Le partenariat avec les chercheurs qui travaillent en sciences humaines existe dans des programmes comme le programme national sur l’environnement côtier, le programme invasion biologique, les programmes du ministère d’aménagement du territoire et de l’environnement. Par exemple, dans le cas de la rade de Brest, on travaille avec une ethnologue qui est chargée à la fois d’étudier la perception qu’ont les usagers de l’invasion de la rade par la crépidule et de faire une évaluation des coûts de cette prolifération dans l’écosystème. Cet accrochage avec les sciences humaines est obligatoire quand on travaille en matière de gestion intégrée ou d’aménagement d’une zone côtière fortement impactée par les activités humaines. Cela se fait d’une manière quasi systématique dans les programmes nationaux français.

Bernard Stequert :
De la même façon, dans tous les programmes IRD qui sont conduits en Nouvelle-Calédonie, en Amérique Centrale, il y a pratiquement toujours un économiste associé au programme et un représentant des sciences humaines.





Mis à jour le 31 janvier 2008 à 16:00