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2001 : Internet, la substantifique toile : science en jeu et jeu de pouvoirs ? > TR 4 : Territoires et société en réseau : du local au mondial en passant par le régional >  Débat de la table ronde 4

Débat de la table ronde 4

Edouard Arzoumanian, Téthys
Françoise Roure-Arnail, Ministère de l'économie, des finances et de l'industrie
Antoinette Maguerès, consultante pour l’Union européenne
Olivier Zablocki, éditeur de réseaux
Jacques Berthelot, Président du syndicat mixte - Mégalis, conseiller régional
Jean Guisnel, Les nouveaux Gutenberg - Morlaix
Jean-Pierre Coudreuse, ingénieur et co-inventeur de l’ATM
Jean-Claude Guédon, Montréal
Pierre Appriou, Président de l'UBO
Marie-Thérèse Granger, retraitée
Michel Briand, adjoint au maire, Brest, chargé des nouvelles technologiques
Pascale Lemoigne, professeur de lettres modernes
Sébastien Canevet, membre du Forum Internet
Ahmed Djebbar, ancien ministre de l'Education nationale Algérie

Compte rendu :

Transcription :

20 octobre 2001 débat TR4


Débat



Complexité des territoires mis en réseau à l'échelle internationale

Edouard Arzoumanian :
Avant d’aborder les problèmes budgétaires, concrets, je voudrais dire que la notion de territoire, au plan international, est beaucoup plus complexe que la notion de territoire, au plan national. Un territoire, c’est une homogénéité de langues, de cultures, de pratiques, etc. Lorsque vous transposez cela à l’international, ça prend des dimensions colossales. Imaginez la différence qu’il peut y avoir entre le système d’enseignement marocain et celui du Liban, le système de diplomation des Tunisiens et des Egyptiens. Tout cela doit fonctionner en même temps, et la notion de territoire, est confrontée à des problèmes de moyens très hétérogènes, et même de volonté politique, etc. Lorsque j'ai évoqué tout à l’heure le partenariat de Thétys, vous avez dû remarquer certains absents du bassin méditerranéen, par exemple Israël. Si nous l’avions proposé, les autres universités se seraient retirées. Nous avons pris le parti de dire qu’Israël rentrera si elle le souhaite dans le partenariat lorsque la Palestine pourra y rentrer également. Constituer un territoire numérique, plaquer un territoire géographique sur un territoire de fonctionnement, n’est pas évident.

Harmoniser moyens et compétences pour constituer une communauté en ligne

Edouard Arzoumanian :
La pratique d’une université aussi disparate pose des problèmes de logistique, de financement ou bien de compétences. Thétys a été créée pour amener toutes les composantes, les partenaires, à former une sorte de communauté. Il faut alors une uniformité de moyens, de compétences qui nous conduit à former les formateurs par exemple. Ainsi avons-nous organisé un séminaire, l’année dernière, à Palma de Majorque : chaque responsables de projet des universités du pourtour méditerranéen est venu assister à des cycles de formation produits par des responsables de notre ministère de l’Enseignement supérieur. Nous avons fait appel aux meilleurs spécialistes de l’enseignement à distance qui ont mis leurs savoirs, leurs expériences à la disposition du partenariat. Il y avait là des gens de la direction de la technologie par exemple, des porteurs de projets nationaux, le GRECO, le CNED etc. Il s'agit d'avoir une certaine homogénéité dans notre approche des technologies qui nous permettent de coopérer. La mission d’organiser ensuite des “ séminaires locaux ”, a été confiée à chaque partenaire. Y sont de nouveau conviés ces spécialistes qui se déplacent sur chaque site et vont mettre en œuvre notre manière de fonctionner. Une charte de fonctionnement a pu être ainsi créée aussi bien sur le plan pédagogique que sur le plan scientifique. Si vous voulez, le territoire n’est pas quelque chose qui est prédéfini sur le plan international, c’est quelque chose que l’on construit, qui évolue.

Territoires et pertinence d'un fonctionnement en réseau

L’université des îles Baléares adhérera au projet Thétys au mois de janvier prochain. Pourquoi les îles Baléares ? Parce que c’est un groupe de trois îles (Majorque, Minorque et Ibiza), avec une seule université, à Majorque, reliée aux autres îles par fibres optiques. Les enseignants d’un site donné font cours, en temps réel, aux sites des deux autres îles. Les étudiants de Minorque posent une question, le professeur de Majorque répond… Cette constitution d’un ensemble de moyens mis à disposition sur des sites éclatés aux îles Baléares, c'est exactement ce que l'on veut réaliser sur le pourtour méditerranéen.

Il est certain que l’université Thétys, vu l’ampleur de l’action, a besoin de financements très lourds. Comparons Thétys et une université nationale. En France, une université est constituée de facultés ; Thétys, est une université constituée d’universités, avec un conseil d’administration, un conseil scientifique, un conseil pédagogique, des comités de pilotage pour les différentes actions. L’Université de la Méditerranée, qui était à l’origine de cette initiative, s’est vue confier la coordination de l’ensemble mais pour financer tout cela, on a besoin de budgets récurrents. Le Conseil régional, le Conseil général, la Ville de Marseille, l’État, le ministère de l’Éducation nationale, le fonds national d’aménagement du territoire apportent des financements pour notre coordination. Ces fonds sont destinés à organiser, à gérer nos activités de coordination, pas à financer les universités du Sud. Reste à savoir, compte tenu de nos disparités, comment vont fonctionner ces universités du Sud qui n’ont pas les mêmes moyens que les universités du Nord ? C'est là qu’interviennent les financements européens dans une stratégie financière complémentaire entre le Nord et le Sud. Nous faisons appel à des programmes comme Méda. Le programme Umédis va, par exemple, permettre d’installer des centres de ressources sur le pourtour méditerranéen, ce qui va profiter à ces pays du Sud.

De l'accès à l'usage des réseaux

Françoise Roure-Arnail :
Je ne voudrais pas laisser penser que le Conseil général des technologies de l’information ne se préoccupe que de civilisations asiatiques et de perception du temps. Notre préoccupation est avant tout de faire l’évaluation, en terme de politique publique, des personnes qui ont réellement accès à l’Internet et des usages qu’elles en ont. Nous avons donc commandité un certain nombre d’études statistiques, auprès du CREDOC par exemple, qui travaille par échantillonnage. Les résultats en sont tout à fait intéressants. En fait, dans les médias, le discours dominant consiste à dire, de manière assez convenue, que l’accès vaut usage. Or si l'on a un tiers de la population qui accède à Internet, seulement 20 % de la population est, en réalité, internaute. Comment s’explique cet écart ? Un échantillon de 2 000 personnes, âgées de plus de 18 ans ont été interrogées sur ce qui lui paraissait “ le principal frein à l’utilisation d’Internet “ ; 38 % répondent que c’est trop cher à utiliser ; 18 % estiment que le matériel lui-même est trop coûteux. On voit que les raisons économiques dépassent de loin l’insuffisance d’ergonomie et/ou de formation. De plus 89 % des personnes interrogées ne s’est jamais “personnellement connecté à Internet dans un lieu public, bibliothèque, cybercafé, bureau de poste” , et 83% n’a pas de connexion sur son lieu de travail ou d’étude. Enfin 79% des gens ne pensent pas effectuer des achats par Internet dans les deux ans qui viennent. Cela laisse les politiques et les pouvoirs publics face à un abyme de perplexité.

Naufrage de l’hypothèse libérale pour le développement d’Internet

Nous avons procédé à une libéralisation des marchés en terme d’offre d’infrastructure, et cela de façon coordonnée au plan de l’Union européenne et dans le droit communautaire. Cette option libérale économique consistait à dire : au fond, rien de tel que la concurrence pour libérer l’imagination en matière de diversité de l’offre, d’une offre de qualité, de service à des prix extrêmement intéressants, puisque ce ne seront plus des prix de monopole. Cela était la grande option qui a conduit au démantèlement du sigle PTT, qui a conduit à la situation de concurrence dans le domaine de l’offre d’infrastructure de Télécoms, support de service. Aujourd'hui, on s’aperçoit que les services eux-mêmes ne sont guère plébiscités. Les leviers qui permettraient de tirer parti de cette offre sont connus au plan international et pour tous les pays de l’OCDE, cela peut se corroborer : ce sont le jeu ; le commerce électronique (actuellement bridé par la peur de l’insuffisante sécurité des paiements par voie électronique) ; le savoir. Le Japon investit énormément dans ce domaine aussi bien auprès des formateurs que des élèves. L’enclavement géographique est un autre levier extrêmement puissant. Aujourd'hui, cependant, cet écart entre une volonté de permettre l’accès à l’Internet à 100 % de la population et le peu de gens qui l’utilisent doit nous interpeller. Tout ce qui concerne le fait de passer de l’offre d’accès à une utilisation effective, ayant si possible une utilité sociale, relève des politiques publiques.

Antoinette Maguerès :
Votre sondage, concerne des gens de plus de 18 ans, or ma propre pratique d’Internet dans les lieux publics, montrent que ce sont surtout les jeunes qui jouent sur le réseau. A de 18 ans, ils se connectent pour trouver l’âme sœur ! Monsieur Berthelot, il y a une troisième Bretagne que vous avez oubliée, celle de la Diaspora. Ce serait à travailler, à exploiter.

Territoire, diaspora, réseaux

Olivier Zablocki :
Une anecdote sur cette idée de Diaspora. J’ai beaucoup travaillé avec des Corses, il y a 4 ou 5 ans. Je me revois, dans un village, tenant des propos très enthousiastes, et disant : “Finalement quelle chance pour vous que ce territoire numérique libre et à construire. Pour vous qui êtes très embêtés avec le territoire analogique et la relation que vous avez à lui, c’est formidable, il n’y aura pas tous les poids qui existent dans le territoire/territoire.” Je n’oserais plus parler comme cela maintenant.

Jacques Berthelot :
Vous avez parfaitement raison. A l’époque où j’essayais de convaincre les élus bretons d’avoir des sites sur Internet, je leur avais montré un “site Finistère” fait par un habitant de Californie. Ils ont compris que des choses se passaient, mais n’ont pas réagi dans un esprit de solidarité ou de Diaspora. Ils se sont récriés : “ Comment ? ce site n’est pas réglementaire ! ”.
Sur le sondage du CREDOC, ces 89 % de gens qui n’ont jamais accédé à Internet dans un lieu public me posent une énorme question. Si cette enquête date de juin 2001, et que le mois suivant un CIAT décide de faire monter des points d’accès public dans tout le pays, c’est qu’ils n’ont pas lu cette étude. Cela rejoint nos préoccupations régionales car nous avons de 300 de ces cyber-bases qui fonctionnement depuis 3 ans. Est-ce que c’est le bon moyen pour transformer le citoyen en internaute ? En Bretagne, il n’y a pas un citoyen breton qui soit à plus de 20 km d’un point d’accès public Internet gratuit. Or le taux des foyers d’internautes reste faible, comme celui de la France. C’est peut-être en marge du débat, mais cela m’interroge.

Internet haut débit fixe ou mobile : des usages et cultures divergents

Françoise Roure-Arnail :
Ce sondage-là évoque Internet sur le fixe. Vous voulez amener l’Internet à la porte de chacun. Au Japon ou en Corée du Sud, l’Internet par terminal téléphonique mobile est une réalité. La problématique de l’accès à l’Internet change. Le désir d’être connecté à l’Internet peut être lié à celui d’avoir une connexion permanente pour lire en temps réel les messages reçus sur une messagerie électronique fixe. Le téléphone mobile devient extrêmement populaire, et doublé de l’Internet permanent, son régime tarifaire forfaitaire n’est pas dissuasif. En France, nous sommes encore centrés sur l’Internet haut débit fixe, alors qu’ailleurs on en est déjà à l’Internet haut débit, images animées couleur, mobile. Et ce n’est pas de la science-fiction, aujourd'hui.

Jean Guisnel :
Je crois que cela se rapporte à des univers culturels extrêmement différents, que l’univers et les pratiques culturels asiatiques sont très différents des nôtres. Pour ma part, ce que je vois du fonctionnement des univers occidentaux fait que l’on accepte la communication synchrone. On la demande pour les communications téléphoniques, vocales mais pas pour l’accès au réseau pour lequel au contraire on est ravi d’avoir une communication asynchrone. On en choisit le moment. Je crois qu’il faut faire attention. Ce que l’on a vu ces derniers mois sur l’UMTS est lié à cela. Les Français ne cherchent pas à avoir leur courrier électronique en permanence disponible, ni à être connectés tout le temps ; être joint par des personnes choisies et pour des événements choisis sur le téléphone mobile, oui. Mais être joints non-stop et sans filtre, je ne suis pas sûr.

Jean-Pierre Coudreuse :
Je travaille dans une entreprise japonaise, et c’est vrai qu’il y a un immense fossé culturel. L’Internet, au Japon, sur le mobile ce sont les jeux dans le train, les Japonais y passant trois heures tous les jours. J’ai 25 ans de télécoms derrière moi, je sais ce que l’on appelle l’offre de service : ce n’est pas une certaine volonté d’imposer des services aux utilisateurs. Je crois avoir développé une certaine humilité vis-à-vis des utilisateurs. Si l’on avait fait la même enquête sur le Minitel deux ans après ses débuts, je crois que l’on aurait eu les mêmes résultats. Il faut un temps beaucoup plus long que ce que l’on essaie d’impulser actuellement pour qu’une population de 60 millions d’habitants s’approprie un nouvel outil, d’une complexité telle que celle de l’Internet. Ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas l’offrir à tout le monde.

Jean-Claude Guédon :
J’ai été surpris par les chiffres cités ; cela me semble extrêmement faible par rapport au Canada. La seule raison que je puisse voir d’emblée, c’est la question tarifaire, comme une extension de ce que l’on appelle la loi de Medcaft. Selon Medcaft, la valeur d’un ordinateur est en gros une fonction du carré du nombre d’ordinateurs auquel cet ordinateur est connecté ; plus il y a d’ordinateurs dans le réseau, plus la valeur de chaque ordinateur dans le réseau est grande et ça augmente très vite. Les êtres humains, d’une certaine façon c’est pareil. Nous valons d’autant plus que nous avons d’autant plus de relations. Si l’on reste dans un niveau de relation relativement rare dans la société, la loi de Medcaft va nous dire qu’il n’y a pas tellement de valeur à obtenir de cette relation avec nos concitoyens… On va rentrer dans le réseau, mais on ne va trouver personne. Lorsque Bell Canada a monté une espèce de clone du Minitel à un standard d’affichage près (c’était du naplix, qui s’appelait Alex, pas de l’alpha mosaïque) il y avait des messageries mais si peu d’abonnés que la plupart du temps on se heurtait à un quidam ou deux. Cela devenait rapidement ennuyeux, alors qu’en France avec une douzaine de gens sur les messageries, c’était drôle. Des idées circulaient, ça ne ressassait pas trop.
J’ai l’impression que cette relation entre le tarif et le nombre de gens crée comme un effet de seuil, qui n’est pas encore atteint en France pour une raison que j’ai du mal à cerner. Mais le reste de l’Europe du Nord marche plutôt bien. La culture française aurait-elle un certain dédain de la technique, une trop grande prudence ?

Frein d’accès à Internet : le rôle de l’opérateur historique

Jean Guisnel :
L’absence de connexion en France s’explique de manière cristalline par l’attitude de l’opérateur historique. Il n’y a pas d’autre explication. Lorsque son attitude changera notamment sur le plan tarifaire, la connectivité des Français se fera comme elle s’est fait sur toutes les techniques (télévision, radio, téléphone, …). Les Français ne sont une exception mondiale que pour l’Internet. Je constate qu’en 1996, le président de France Télécoms disait qu’il n’était pas question d’installer Internet en France et qu’il se battrait contre ça. Je constate que, dans les milieux que je fréquente, professionnellement, où j’enquête, le discours de France Télécoms, de ses idéologues patentés et des services de renseignement était le même : Internet est une machine américaine, nous l’interdirons en France. Voilà pour 1996. L’évolution a été extrêmement brutale, ils ont changé de fusil d’épaule très, très vite. On est sur une période très brève, les choses vont changer, mais pour l’instant les connexions sont encore très chères. Et puis on a toujours cette idée assez saisissante (quand on analyse les effets), martelée en permanence par un appareil de propagande, qui continue de dire aux Français : “on a le Minitel (pour un chiffre d’affaires nettement supérieur à celui d’Internet) !”

Une demande d’Internet dans le système d’enseignement

Jean Guisnel :
Je voudrais demander à Pierre Appriou de nous dire ce qu’il penserait d’un véritable accès massif à l’Internet. Comment les pédagogues, comment l’appareil d’instruction, notamment l’université, font en sorte que l’Internet soit ou non un outil d’usage quotidien pour les étudiants ?

Pierre Appriou :
Il y a une demande très forte des étudiants pour avoir l’accès Internet le plus aisé possible. Les universités, dont l’UBO, ont fait de gros efforts financiers pour équiper différentes salles et fournir une adresse électronique, importante pour les étudiants étrangers notamment. Il est bien évident que les universités doivent se donner les moyens de répondre le plus rapidement possible à ces demandes. Tous les ans, c’est en gros une centaine de postes supplémentaires qui sont installés. Il reste de gros problèmes, de place, de coût et (mais on n’en parle peut-être pas trop) de vol.

Désenclavement, éducation : la fonction crée l’organe au-delà du coût d’accès

Edouard Arzoumanian :
Le métier d’enseignant à l’université est en train de changer. Et si l’on n’y prend pas garde, toute une génération d’enseignants risque de rester sur le bord de la route n’ayant pas pris le train de l’Internet en marche. Certaines universités, ailleurs dans le monde, ont décuplé le nombre de leurs étudiants en créant des enseignements à distance. Si l’Université ne prend pas en compte cette révolution du métier d’enseignant, en France, on risque de se trouver en décalage avec le monde anglo-saxon. Moi, je ne pense pas que le problème économique soit fondamental pour le développement de l’Internet. Prenons un pays comme l’Inde. Dans le plus petit village, au fond du Rajasthan, vous avez des petites boutiques et au milieu des caractères indiens, on peut trouver la mention latine “Internet”. Ce pays a compris qu’Internet était la solution pour combattre les problèmes de distance, d’isolement. La fonction crée l’organe, et nous n’avons peut-être pas ce besoin, en France, les distances étant plus courtes, les moyens de communication plus faciles d’accès. Nous n’avons peut-être pas les mêmes besoins que les Indiens.

Apprendre Internet

Marie-Thérèse Granger :
Parlons humanisme : quel type de vie avec ce nouvel outil ? Si je peux gagner un peu de temps, d’accord, mais si je dois passer mon existence à consulter toutes les trois heures mon ordinateur, non. Qu’est-ce que l’université va pouvoir m’apporter en matière de formation ? Membres de l’université du temps libre, sans doute vais-je avoir quelque chose de plus sur des sujets très pointus, mais qui va m’aider à continuer à développer mon esprit d’analyse, mon esprit critique, mon esprit de synthèse ? Qu’est-ce qui va pouvoir me faire gagner du temps sur le temps ? Quel type de vie va-t-on me proposer au sein d’une société démocratique qui me réserve des créneaux indispensables de liberté ? C’est ça qui est très important. Les avantages de l’Internet, de quelle nature sont-ils ? On a parlé de l’école, de la formation ; moi, j’ai l’impression maintenant que pour nous engager, citoyen lambda, dans l’utilisation de cet outil, on nous dit : rencontrez des personnes qui savent, vous allez savoir vous débrouiller. On m’a dit : lisez des livres. J’ai découvert que cet outil, on ne me l’enseigne pas, je ne reçois pas de formation, donc je perds du temps. J’ai à découvrir tout moi-même.

L’utilité sociale d’Internet

Françoise Roure-Arnail :
Ces questions sont tout à fait fondamentales. Quelle utilité sociale ce nouveau vecteur de communication peut-il apporter ? Quelle lumière cet outil apporte-t-il au citoyen pour sa propre croissance et son propre progrès dans la cité ? Cela revient à se demander : partager quel type d’information, entre qui et à quelle fin ?
Je voudrais apporter un éclairage. Dans l’Union européenne, 37 millions de personnes subissent un handicap d’une manière ou d’une autre. Or il y aune réelle utilité sociale d’un vecteur comme l’Internet, pour les sourds, les personnes à mobilité réduite ou les personnes très âgées ou dépendantes. C’est important pour qui veut conserver une curiosité intellectuelle, une ouverture sur le monde qui soit une ouverture relationnelle et non pas seulement une consommation de communication telle celle de la télévision. Les utilités sociales peuvent réellement exister. Un autre axe, dont on parle peu dans les médias, concerne l’Union européenne et sa politique publique. Comment faire une procédure, comment obtenir un passeport, comment remplir une déclaration de revenus, comment se renseigner sur ses droits ou ses obligations ? Face à l’adage : “ Nul n’est censé ignoré la loi ”, qui a vraiment ouvert un code procédure pénale ? À l’heure actuelle, nous avons quelques outils nouveaux, gratuits à partir d’accès public à l’Internet , et qui permettent au citoyen de développer ses connaissances et sa capacité d’interaction avec l’administration, qu’elle soit locale, régionale, nationale, voire internationale. Pour que les contenus aient une utilité sociale et se développent-il faut aussi que les associations et ceux qui ont une responsabilité dans l’architecture sociale des territoires puissent les développer ou les faire développer eux-mêmes, de façon à ce que ces outils de communication servent effectivement des fins qui paraissent d’utilité publique ou d’intérêt général.

Quelqu’un dans le public :
Il ne s’agit pas qu’Internet vienne envahir notre vie, mais qu’on puisse aller le questionner selon le besoin, pour telle information, etc.

Jean Guisnel :
Actuellement vous avez des fluides (électricité, gaz…) sur votre lieu de vie ; vous aurez un jour un autre branchement, concernant l’information dont vous ferez ce que vous voudrez. La quasi-totalité de l’offre informationnelle y sera présente. L’enjeu des années qui viennent sera que la machine qui vous servira à l’utiliser soit de plus en plus transparente, aussi simple d’utilisation que la télévision ou le téléphone. C’est vers cela qu’il faut aller pour que n’importe qui puisse l’utiliser.

Le “principe réseau”, coproduction et formation mutuelle

Olivier Zablocki :
Je suis toujours perplexe quand on se demande à quoi l’Internet sert. C’est tellement évident. Vouloir préjuger des usages alors sans les explorer, sans jamais mettre les mains dedans, c’est curieux. Notre société entretient un drôle de rapport avec les sciences et les techniques. En place des lieux d’accès à Internet (qui ne remplissent pas vraiment leur objectif), on aimerait bien avoir des micro-centres de cultures scientifique et technique autour de l’outil. Il y a toujours une manière de séparer le matériel, les tuyaux, les contenus. Or c’est vraiment tout un ensemble que socialement les uns et les autres, à différents titres, on est en train de coproduire. Au siècle dernier, à propos d’Internet, on disait : “ C’est la première utopie coopérative réussie ”. Il y a quand même une sorte de “principe réseau” là-dedans. Cest vrai que ça s’est construit et que ça continuera à se développer comme ça, spontanément. Chaque fois que l’on tente d’imaginer des usages qui ne contiennent pas le principe réseau de coopération, de co-construction, de co-évaluation, ça plante. Vous disiez : on va en faire en deux temps, on va diffuser de l’information et après mettre de l’interactivité. C’est vrai que, d’une certaine manière, l’État par exemple dans sa manière de diffuser de l’information, a fait de gros progrès ces dernières années. Il en a fait beaucoup moins dans l’interactivité ou dans la coopération, sur le principe réseau. L’Internet est par ailleurs un formidable espace de formation mutuelle, c’est ce qui le différencie profondément de tous les autres modes d’apprentissage. Sans doute ne faut-il pas aller y chercher autre chose que des espaces de formation mutuelle.

Quels usagers pour les infrastructures réseaux type Mégalis

Quelqu’un dans le public :
Je voudrais savoir pourquoi on ne peut pas raccorder des usagers “ commerciaux ” à ces réseaux de la recherche et aux infrastructures qu’on met en place pour eux

Jacques Berthelot :
Je ne sais peut-être pas à quoi sert Internet, mais je sais que si nos lycéens ne sortent pas avec un Bac et la capacité de naviguer sur Internet, ils seront moins bons que les autres. Il faut leur donner toute leur chance, d’où la nécessité d’un tel équipement. Sur le fond, s’il n’y a pas de contenu culturel au départ, ce n’est pas en sortant d’Internet que l’on en aura plus.
La recherche fonctionne en réseau de façon remarquable et devrait être l’exemple d’un fonctionnement global pour une société en réseau. Ces gens-là travaillent ensemble, cherchent ensemble, publient ensemble. Ils utilisent le réseau Mégalis d’une façon extrêmement importante. Ils demandent même le doublement, le triplement de leur débit.
Il y a d’autres communautés d’intérêt que la loi appelait jadis “ des groupements fermés d’utilisateurs ”. C’est terrible comme dénomination quand on parle d’Internet mais c’est un sigle. Nous avons été obligés de limiter Mégalis à des groupes fermés d’utilisateurs : santé, enseignement supérieur de la recherche, collectivités locales, tourisme, formation initiale et continue, culture, services communs. A côté de cela les entreprises ont un technopôle, et l’on me dit : “ Je voudrais que l’on ait un point d’accès au technopôle pour se servir du réseau ”. Aujourd'hui, la réponse est clairement : “ Nous n’avons pas le droit ”.

Impulsion et avenir des infrastructures

Nous avons eu peut-être la prescience de ne pas fabriquer des réseaux nous-mêmes mais d’acheter des services. Que se passera-t-il à l’issue du marché, dans trois ans ? Le réseau existera et l’opérateur qui l’a construit aura la possibilité d’ouvrir à tous ces débits. Il se pourrait même vu qu’ils redimensionnent leurs tuyaux, qu’une offre privée soit faite alors même qu’ils répondent à leurs obligations vis-à-vis de nous. Notre démarche est à double détente : on sert à la fois un certain nombre de communautés d’intérêt, mais on pousse aussi l’opérateur à faire des investissements qui, de toute façon, resteront là et serviront tout le monde. On voit d’ailleurs bien la poussée considérable du déploiement de l’ADSL en Bretagne par rapport aux autres régions. C’est un effet indirect, de notre action, un effet induit mais néanmoins important. Et nous avons actuellement dix fois plus de possibilités de raccorder des foyers à l’Internet de foyers que nous n’avons de connectés.

Réseau et diffusion de la connaissance scientifique dans la société

Quelqu’un de la société Diacom :
Pour revenir sur la diffusion de la connaissance, les universités, les organismes scientifiques et le savoir qui s’y développe, je crois que l’outil Internet est le média qui permet d’avoir accès à cette connaissance. Je travaille avec l’université pour essayer d’adapter l’information scientifique à un public très élargi. C’est le problème auquel on se trouve confronté pour une diffusion de la connaissance scientifique. On a affaire à des étudiants, des scientifiques, des lecteurs socioprofessionnels concernés par une thématique, et notre difficulté est de trouver le cadre dans lequel on peut fonctionner. Les réseaux ont été développés dans une logique d’enseignement alors que la fonction de la recherche aujourd'hui et de la science est d’être de plus en plus impliquées dans les problématiques de la société, et qu’il y a un échange d’information. Les médias ont du mal à traiter l’information scientifique vu la complexité du traitement qu’elle demande, et l’exigence de temps que requiert son élaboration. Notre problème est de savoir comment harmoniser cette utilisation de l’Internet issue de l’enseignement, et la diffusion de cette connaissance dans une stratégie d’accès à l’Internet visant le maximum de personnes. On a ainsi cherché à développer cette production sur d’autres types de supports (DVD, Cd-Rom, …). Si le Minitel a pu être approprié, c’est parce qu’il était adapté aux gens. La diffusion du livre a été aussi étendue grâce à la photocopieuse. Notre environnement d’outils doit permettre au maximum de qui le veulent, d’accéder à cette information. Comment peut-on harmoniser les choses pour qu’il y ait une réelle connexion entre les outils de communication ?

Pierre Appriou :
Le travail par Internet se fait de manière extrêmement courante et dynamique dans le domaine de la recherche ; de nombreuses applications se font entre réseaux. Les universités souhaitent rapidement mettre en ligne un certain nombre de cours. Mais l’on se heurte à des problèmes au niveau des enseignants et de la comptabilité de leurs services statutaires. Un enseignant à l’université doit 192 heures de présence. Il répond qu’il lui faut 500 heures pour mettre son cours sur le réseau, qui va le payer ? C’est notre problème majeur. Le ministère étudie actuellement une nouvelle manière de comptabiliser le service enseignant.

Une culture Internet

Jean-Claude Guédon :
Jean-Pierre Coudreuse a bien établi la question économique et la question de la politique d’accès. Ce qu’a développé Olivier Zablocki et qui mérite d’être concrétisé, c’est ce qu’il appelait la vie en réseau. Quand je suis à Montréal, je suis connecté en permanence, j’utilise Internet comme j’utilise le papier. Internet est un élément de la vie. Ce que je veux dire par-là, c’est qu’il y a effectivement une culture Internet, une manière de se rapporter à Internet qui est de l’ordre de celle que l’on a établi avec le livre. Les officiels qui se demandent à quoi nous servirait l’Internet prennent le problème de l’investissement qu’il faut justifier à l’envers. Si les gens prennent l’habitude de l’Internet, ils vont s’inventer des usages, ils vont devenir des utilisateurs en réseau comme cela existe depuis longtemps en Europe du Nord. Il y a une vitalité chez les gens, laissez-les habiter cet espace. Il faut arriver à mettre les gens en situation de pouvoir s’exprimer, de vivre, de prendre position par rapport au monde. Le réseau Internet présente aussi ces possibilités existentielles.

Réseau, avancées et réticences du service public

Michel Briand :
Les élus, les responsables des collectivités locales, de l’administration et le service public en général ont une faiblesse de lecture sur ces questions-là. Je pense que l’accès est un préalable. Que des politiques publiques mettent des ordinateurs connectés à disposition des gens dans les écoles, dans les espaces publics, est vraiment un préalable. On l’a fait ici, localement, dans la ville et dans les communes rurales. Ceux qui ont en charge la politique publique doivent aussi avancer pour qu’on développe des usages au-delà de cet accès. Par exemple, à Brest, on essaie de développer ce que l’on appelle un portail d’accès au droit à l’emploi : la Mission locale, le Bureau d’information jeunesse viendront s’ils sont intéressés, mais aujourd'hui, par exemple, le centre d’information et d’orientation ne vient pas. Pourquoi ? Parce que le directeur départemental a dit : “ Je fais d’abord mon site avant de travailler en réseau avec ceux qui produisent de l’information locale ”. L’administration refuse de participer à un travail coopératif !
À la Communauté urbaine, il y toute une série de services qui ne sont pas persuadés de l’intérêt de mettre en ligne l’information. Si bien que sur les 200 fiches métiers qu’a développées Inforem, je n’ai pu en récupérer qu’une dizaine. Qu’un élu au Conseil régional ou un à la Ville de Brest s’occupe de cela ne suffit pas pour que les choses avancent. Il faut aussi que, dans chacun des services, les gens se posent la question de savoir s’ils n’ont pas aussi de l’information à fournir sur Internet. Comment utiliser cet outil pour rendre de meilleurs services, pour dialoguer avec les usagers ? Je crois qu’aujourd'hui, ce qui caractérise la situation en France c’est qu’il y a une faiblesse de lecture publique de l’accès Internet.


L’argent public de l’enseignement en ligne

Michel Briand :
Concernant la formation à distance, aujourd'hui, le gouvernement a lancé des appels à projets, mais il n’a jamais demandé que l’argent public qui va être utilisé dans l’appel à projets contribue à mettre en ligne de l’information ouverte à tous. Quand de l’argent public arrive sur des projets d’enseignement à distance, chacun fait ce qu’il veut. Si à l’UBO, on décide de mettre des courants libres, tant mieux, mais à côté de ça une autre université peut dire non, cette information ne sera accessible qu’à ceux qui payent, alors que c’est de l’argent public qui en aura servi le développement.
Aujourd'hui, notre ministre de l’Éducation nationale ou le ministre de tutelle des Grandes écoles n’ont pas spécifié que l’argent mis à disposition pour faire de la formation continue, doivent fournir des contenus publics au service de tout le monde. Cela n’a pas été dit.

Gratuité de l’information publique en ligne

Michel Briand :
C’une vraie question aujourd'hui, une clef de lecture de l’action publique. Doit-on rendre accessible au plus grand nombre l’information produite par Météo France, par exemple, doit-on la faire payer en cascade au contribuable citoyen ? Sur Brest, on a essayé de développer un observatoire social des quartiers, un atlas urbain des services. Les problèmes de rétention d’information des services subsistent. L’an dernier, trois organismes se sont mis d’accord : la mairie de Brest, le Conseil général et la CAF pour faire un guide des services “ petite enfance ”. Ce guide pouvait être distribué partout, faire en sorte que dans une Maison pour tous, on puisse se renseigner sur les services d’accueil de la petite enfance. Et bien non, les trois organismes ont préféré que l’information passe par chez eux. Parce qu’effectivement, aujourd'hui, généralement les travailleurs sociaux n’imaginent pas forcément qu’une information puisse être accessible ailleurs.

Réseaux d’informations publiques : les difficultés

Michel Briand :
L’information de proximité peut être donnée dans différents endroits. On peut travailler en réseau et trouver une information sur l’emploi, dans une bibliothèque ou sur Internet. À l’ANPE, il ne faut qu’il y ait simplement le site de l’accès l’Internet, mais qu’il y ait aussi l’accès aux autres sites de recherche d’emploi. Cette logique-là de mise en réseau n’existe pas vraiment et se trouve limitée par des questions de territoire. Lorsqu’on essaie de mettre en réseau l’information, on regarde les frontières et l’on s’aperçoit que l’Éducation nationale est découpée en sept ou huit circonscriptions sur Brest. Ces dernières n’ont rien à voir avec les circonscriptions de la Caisse d’allocations familiales, qui n’ont rien à voir avec les mairies de quartier de la Ville de Brest, qui n’ont rien à voir avec les découpages de l’ASSEDIC, etc. A travers la mise en commun potentielle de l’information, se pose la question des frontières, de la pertinence des territoires mais surtout de la volonté publique d’une politique globale de formation à distance, et d’information publique. Il n’y a aucun danger à mettre en ligne l’information publique.

Université en ligne : à quels coûts ?

Pascale Lemoigne :
Je voudrais poser une question aux présidents d’universités ici présents, sur la formation universitaire en ligne. J’ai consulté différents sites sur ce type de formation, notamment dans le domaine des sciences de l’information et je me suis retrouvée face à des tarifs qui m’ont fait halluciner. On dit constamment que le Web, l’Internet permettent de diffuser de l’information à coûts réduits. Je comprends qu’il y ait des dispositifs très complexes, qu’il faille des enseignants pour les mettre les cours en réseau, que cela coûte cher mais quand on se retrouve face à des tarifs de l’ordre de 10 000 F l’inscription pour un particulier, voire 19 000 F dans certains cas, et que l’on se retrouve en face d’une formation continue qui n’est proposée qu’à des gens salariés pour lesquels l’entreprise va payer, on se retrouve dans une logique d’exclusion. Là où l’université en ligne pourrait être quelque chose qui intéresserait les personnes handicapées, ou les gens en zone rurale… entre le coût de la connexion, et les droits payés à l’université, on va finalement se retrouver avec une nouvelle forme de fracture numérique, une énorme sélection par l’argent.

Pierre Appriou :
Je crois qu’il y a deux choses là-dedans : même en présenciel, il peut y avoir des coûts extrêmement différents. Si vous avez un diplôme qui est habilité et financé par le ministère, le coût sera le coût normal de l’inscription à l’université. Si maintenant, vous avez un diplôme d’université non financé par le ministère et qui doit être financé par l’université elle-même, vous en aurez le coût réel, c'est-à-dire que l’enseignant est payé en heures complémentaires. Et si vous n’avez qu’une vingtaine d’étudiants qui suivent ce diplôme d’université, le coût pourra effectivement atteindre 15 000 F, 20 000 F (tarif pouvant être dégressif si le nombre d’étudiants croît). C’est la même chose en présenciel comme au niveau du campus virtuel.

Pascale Lemoigne :
Si je comprends bien, c’est finalement la responsabilité de l’État, dans un service public d’enseignement à distance par Internet, qui est interrogée ici. Il faut alors interpeller les politiques et l’État.

Pierre Appriou :
C’est une façon de voir les choses. Ceci étant, c’est vrai que la politique des universités est telle que, l’habilitation qui permet de mettre en place un diplôme en ligne est un processus relativement lourd qui prend environ 15 mois. Il n’en faut que 2 pour un diplôme traditionnel.

Contenus pédagogiques innovants financés sur fonds publics : l’exemple du Japon et des Etats-Unis

Françoise Roure-Arnail
D’un point de vue réglementaire, les informations générées sur fonds public devraient être mises en ligne publiquement et gratuitement. Si vous êtes sur un lieu d’accès public et gratuit, le site legifrance.fr vous donne gratuitement accès, à l’ensemble de la législation française. C’est un principe de fond. Prenons un exemple scientifique et universitaire d’accès au savoir. Au Japon, dans le cadre du programme d’action e-japan, le ministère de l’Enseignement et de la recherche a décidé de financer publiquement des expériences émergeant du corps enseignant ou d’un partenariat entre le corps enseignant et les producteurs de service, afin de produire des contenus d’enseignement innovants. Ce sont des contenus pédagogiques qui peuvent utiliser les NTIC. Ils manient du texte, de l’image animée en couleur, du son. Cela représente 300 à 400 projets par an. Ces produits pédagogiques seront la propriété exclusive de la bibliothèque numérique nationale japonaise pendant une période de 3 ou 4 ans. Il y a donc là une appropriation publique des contenus financés sur fonds publics de façon à ce qu’ils soient utilisables à volonté par téléchargement par l’ensemble de la communauté enseignante. Il y a donc une vocation de transfert de savoir au Japon. Cela ne résout certes pas le problème de Trade mark, à moyen et long terme, ni de propriété intellectuelle à l’instant T. Faudrait-il effectivement que ces produits financés publiquement soient ad vitam æternam des produits génériques non couverts par un Trade mark ?
Les meilleures universités américaines, diplômantes en enseignement à distance, mettent de plus en plus souvent en ligne des cours couverts par le Trade Mark. Ce sont des produits d’appel. Est-ce une évolution souhaitable ou pas ? Et finalement qu’achète-t-on avec les fonds publics dans un enseignement présenciel ? L’enseignant a-t-il la possibilité de discuter ou de donner un cours plusieurs fois par an ? Achètera-t-on demain quelque chose de relationnel, dans cet enseignement ? Là l’Internet est un vecteur neutre et la question est celle de l’arbitrage économique et politique.

Jacques Berthelot :
On voit effectivement se constituer des privilèges et je suis pour que l’on rende gratuit l’Internet pour tous et à haut débit en Bretagne.



Propriété intellectuelle contre service public

Sébastien Canevet :
Il y a quelque chose que l’on oublie qui est le service public. Que pensez-vous par exemple du renouvellement de la concession du Journal officiel à AOR Télématique début 1998 alors que Matignon avait été alerté par certaines personnes, moi en autres, fin 1997 ? Nous avions prévenu “si vous renouvelez cette concession AOR Télématique pour dix ans, on va la mise à disposition du Journal officiel sur les sites Web publics va poser problème, ce qui est actuellement le cas. Et dénoncer la concession, aurait coûté cher au contribuable. D’autre part vous parlez de copyright qui n’est pas une notion française. Les données du Journal officiel ne sont pas soumises au droit d’auteur, ce sont, dès leur rédaction, des données du domaine public.

Françoise Roure-Arnail :
Les produits d’enseignement sont des produits intellectuels, protégés par le copyright. Cela étant, il y a d’autres produits issus du consulting par exemple qui sont aussi des produits de connaissance. L’analyse juridique d’un cabinet d’avocats, par exemple, est soumise au Trade mark.

Ahmed Djebbar :
Je suis universitaire, enseignant en mathématiques, chercheur en histoire des sciences, spécialisé dans les mathématiques du Moyen-Age, et j’ai travaillé sur tout cet espace méditerranéen fantastique dans le domaine des sciences et de la culture depuis le 5e siècle avant J.-C. jusqu’au relais de la Renaissance en Europe. Dans ma vie citoyenne, j’ai toujours été à cheval entre les deux rives de la Méditerranée. J’ai pratiqué la gestion de la science en tant que responsable, ministre de l’Éducation nationale mais aussi de l’enseignement supérieur et de la Recherche, et je peux témoigner de la difficulté des échanges scientifiques entre les individus et les groupes, de l’autre côté de la Méditerranée. Il n’y a pas seulement les méchants loups de ce côté-ci, il y en a beaucoup de l’autre, dans les pays du Tiers-monde. Les responsabilités sont partagées.







Mis à jour le 04 février 2008 à 15:55