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1997 : L’industrie nucléaire civile, les OGM > TR 5 : Ethique et risque >  Synthèse de la table ronde 5 : Evaluation du risque et principe de précaution

Synthèse de la table ronde 5 : Evaluation du risque et principe de précaution

Modérateur: Michel Branchard, ISAMOR (UBO)
Geneviève Decrop, sociologue, chercheur sur le risque collectif naturel et technologique, Lyon
Jean-Pierre Ecalard, directeur scientifique, Groupe EVEN
Lise Jouanin, directeur de recherche, INRA, Versailles
Véronique Labrot, juriste, maître de conférences, Faculté de droit et de sciences économiques (UBO)
Guy Le Fur, membre du Conseil économique et social, Confédération paysanne
Dominique Parent-Massin, maître de conférences, toxicologie ISAMOR (UBO)
Francis Quétier, directeur général adjoint du Centre National de Séquençage

Compte rendu :

Transcription :


18 octobre 1997 TR 5 : Ethique et risque


Synthèse :



En introduction à la table ronde, Michel Branchard constate que, dans l’esprit du public, il y a confusion entre les problèmes liés à la maladie de la "vache folle", ceux liés au clonage et ceux concernant les O.G.M. (Organismes Génétiquements Modifiés). Une nécessité s’impose : comprendre l’origine de cette confusion. Un dénominateur commun se repère facilement : celui de la peur. Le consommateur a peur pour sa santé, il a en mémoire les conséquences de la consommation de la viande bovine contaminée (vache folle) et les amalgame confusément avec les conséquences potentielles de la consommation d’O.G.M. Le tout est amplifié par la peur "ancestrale" de la manipulation du vivant (chercheur-sorcier) et de ce que cela peut impliquer.

Schématiquement, cette peur se présente sous deux aspects : un aspect irraisonné (similaire à celui rencontré par certaines personnes mises en présence d’une araignée inoffensive) et un aspect raisonné, lié à des motifs réels ou potentiels (il faut d’ailleurs dissocier cette opposition : "raisonné - irraisonné" de l’opposition : "rationnel - irrationnel", discutée par ailleurs).

S’il est facile à constater, l’aspect psychologique de la peur est difficile à analyser, et les remèdes à apporter ne sont pas évidents. L’apport de "bons" produits (ou de produits moins onéreux), donnant réellement un plus au consommateur, devrait constituer un de ces remèdes. Quant à l’aspect raisonné de la peur, il devrait disparaître si l’on est capable de démontrer que les raisons de cette peur sont inexistantes ou existantes, mais contrôlées, c’est-à- dire qu’elles correspondent à un risque très faible, voire négligeable.

A quoi correspond cette notion de risque ? C’est la caractérisation d’un danger auquel est associée la probabilité qu’il se concrétise. Soulignons au passage que la notion de risque nul relève de l’utopie et que, si l’on ne veut prendre aucun risque, il devient impossible de "faire quoi que ce soit" (le fait de descendre l’escalier pour venir assister à cette table ronde constitue un risque !). En particulier, la notion de progrès paraît relativement indissociable de la notion de "prise de risque". D’où la notion d’évaluation du risque, notion qui va être développée au cours de cette table ronde et qui est différente selon que le danger est réel ou potentiel. De là, nous arrivons logiquement à la notion d’acceptabilité du risque, notion relative mais capitale et qui est fonction de l’importance, pour une population, des buts poursuivis par les expérimentateurs, donc des intérêts qu’elle peut y trouver. D’une certaine façon, on peut en arriver à la question (simpliste ?) : à qui profite le risque ? Au producteur (sensu largo) ou au consommateur ?

Les précautions à prendre pour minimiser le risque seront également largement débattues, notamment à partie d’une notion assez nouvelle, celle du principe de précaution.

Pour aborder un domaine aussi délicat, sept personnalités venues d’horizon divers et de formations différentes participent au débat : un sociologue, un juriste, un industriel, un agriculteur, membre de la Confédération Paysanne, un expert en toxicologie alimentaire et deux biologistes, spécialistes des O.G.M., particulièrement des plantes transgéniques, et de biologie moléculaire.

Michel Branchard a organisé le débat pour qu’il se déroule en trois temps destinés à faire largement participer le public : premièrement un rappel des aspects juridiques et sociologiques du risque, deuxièmement, les intérêts et craintes des O.G.M. pour les industriels et les agriculteurs, troisièmement les aspects scientifiques du risque lié à la production et à la consommation des O.G.M.

Pour Véronique Labrot, le principe de précaution est née avec la lutte contre une nouvelle forme de pollution. En droit est apparue une notion de dommages non décelables immédiatement, mais où l’absence de préjudice évident ne signifiait pas absence de risques. Le dommage est pensé à long terme, c’est-à-dire sur des périodes pouvant aller jusqu’à des milliers d’années.

Le but du principe de précaution est de rechercher un compromis entre l’environnement, l’économie et l’aspect social, ceci sans faire prévaloir l’un des aspects sur les autres, afin de rendre le développement écologiquement viable. La notion de précaution implique un dommage irréversible et grave. Il n’y a pas de règles quant à son application, c’est un principe de bon sens où il faut anticiper le risque. Le pollueur doit prouver qu’il n’y a aucun risque dans son activité. Sinon, il lui sera imposé un certain nombre de précautions pouvant aller jusqu’à renoncer à l’activité en question. Plus le risque est élevé et plus la prudence est de rigueur. Il existe cependant une série d’incertitudes autour de cette notion, et ne rien faire pour les dissiper risque d’amener la dilution du principe de précaution.

Pour Geneviève Decrop, la notion de risque, avant d’être un phénomène statistique est d’abord une menace perceptible à dimension humaine et sociale.

Dans de nombreux domaines, trop souvent, l’évaluation des risques est faite par la science, les autres sources de savoir n’étant pas écoutées. Comment agissent les experts ? Il y a plusieurs attitudes :

- la perspective d’un scénario-catastrophe et les responsabilités écrasantes qui en découlent, amènent l’inaction ;
- le risque pénal est très fort : s’il existe des doutes, l’expert s’abstient de les énoncer par peur que ses recommandations ne soient pas suivies, et que par la suite lui soit reproché son manque de poids dans la décision ;
- l’organisation est très fermée et le risque n’arrive pas à être évalué. C’est alors le public qui applique le principe de précaution en refusant d’adhérer aux propositions émises.

Seuls les expertises multiples, les débats publics peuvent résoudre ces difficultés. Mais il reste le problème du partage du savoir. Les débats n’arrivent pas à s’organiser par manque d’interlocuteurs. Evaluer les risques, les définir est aujourd’hui possible, il reste cependant difficile de poser les bonnes questions. Mais les débats ne font que commencer, tout reste à faire.

Dominique Parent-Massin envisage le risque de manière très différente. En sécurité alimentaire, la référence est le risque nul, sachant que celui-ci n’existe pas. L’évaluation du risque doit être confiée aux scientifiques et la gestion du risque aux politiques. Les experts doivent être indépendants. Il faut distinguer deux types de risques :

- celui lié à des molécules additionnées intentionnellement aux aliments ;
- celui lié aux toxines produites naturellement par les végétaux, les micro-organismes.

L’industriel doit évaluer les risques de son produit, grâce à l’expérimentation animale. La D.E.S. (dose sans effet) est définie comme étant la dose maximale sans effet sur l’animal le plus sensible. La D.J.A. (dose journalière admissible) pour l’homme est obtenue en divisant la D.E.S. par 100. La D.J.A. détermine donc la dose qui peut être consommée toute une vie sans faire courir de risque toxicologique à l’homme. Elle ne doit théoriquement jamais être atteinte lorsque les autorisations sont délivrées.

Dans le cas des O.G.M. (Organismes Génétiquements Modifiés), il y a une comparaison avec l’organisme naturel, dit de référence, trois cas se présentent alors :

- il y a équivalence à tout point de vue ;
- il y a équivalence de fait, sauf pour une molécule supplémentaire, présente en grande quantité : une évaluation toxicologique est envisagée ;
- il n’y a aucune équivalence : l’analyse se fait alors au cas par cas.

Actuellement, le public fait souvent un amalgame entre sain et naturel et rejette les O.G.M. qui n’appartiennent pas au biologique.

Pour Lise Jouanin les O.G.M. apportent un avantage au niveau des recherches fondamentales. Les techniques de transgénèse sont un plus pour tenter de rendre les plantes plus résistantes aux pathogènes, afin d’utiliser moins de pesticides. Actuellement, les études sur un quelconque risque toxique pour les abeilles n’ont rien donné. Mais, les plantes transgéniques doivent être étudiées au cas par cas, elles n’ont pas toutes les mêmes modes de fécondation.

A la question de la salle "pourquoi l’I.N.R.A. (Institut National de la Recherche Agronomique), qui a mis au point la lutte contre la pyrale du maïs par des insectes, ne sort-elle pas de ses tiroirs d’autres projets aussi écologiques plutôt que de se consacrer autant aux O.G.M. ?" Lise Jouanin répond qu’il n’y a qu’une minorité de chercheurs qui travaille sur les O.G.M. Il faudrait que le public soit mieux informé sur l’intérêt des O.G.M. pour l’agriculture. Le problème vient peut-être d’un manque de confiance dans la recherche (cf. vache folle).

Pour Jean-Pierre Ecalard, si une grande partie de la population (80%) est favorable à l’utilisation des O.G.M. dans les tests génétiques et la production de médicaments, la grande majorité est très réservée vis-à-vis de leur passage dans l’assiette. Les O.G.M. posent des questions d’éthique et notamment celle du risque pour la santé publique. Mais, l’O.G.M. a un grand potentiel au niveau de la sécurité alimentaire (stabilité de stockage, lutte contre les mycotoxines,...). La société ne peut donc pas nier les O.G.M. Il reste cependant un problème de perception du produit. Il faut donc garantir au consommateur une parfaite innocuité des O.G.M., même après plusieurs années d’ingestion.

Selon Guy Le Fur, pour ce qui concerne les O.G.M., il existe un certain nombre de risques potentiels : risques environnementaux de dissémination avec des conséquences sur la biodiversité, de toxicité pour les animaux et les plantes... Il faut donc que des mesures soient prises au niveau européen afin de définir un risque acceptable par tous, de garantir l’indépendance de l’expertise, l’étiquetage et la traçabilité des produits. Il doit également y avoir la mise en place d’un cadre juridique pour la recherche sur les O.G.M.

Il faut enfin penser que l’agriculture qui se dessine devra être une agriculture de paysage, rurale et écologique afin de répondre aux problèmes posés par l’agriculture intensive (pollution, baisse de qualité).

Enfin pour Francis Quétier, il existe des risques personnels et individuels tout à fait calculés et connus du public (risques liés au tabac, à l’alcool). Connaître les risques ne veut pas dire ne pas les prendre. Le problème actuel lié à l’expertise est une difficulté à dire "je ne sais pas" ou "je ne suis pas d’accord avec vous" par peur du regard, de la réprobation des autres membres de l’expertise. Il s’établit donc, un peu facilement, une règle du consensus. Un manque de confiance du consommateur envers l’expert s’installe progressivement. Pourtant, dans le cas des O.G.M., les risques et la façon de les éviter ont été pensés, réfléchis ; le principe de précaution est respecté, ceci n’a pas toujours été le cas, comme par exemple pour Tchernobyl.





Mis à jour le 14 février 2008 à 10:39