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1998 : Risques associés aux progrès technologiques > Débat enregistré par France Culture, émission spéciale "science" >  Discours de Michel Setbon : Risque et décision publique

Discours de Michel Setbon : Risque et décision publique

Chargé de recherche CNRS/GAPP

Biographie :

SETBON Michel

Compte rendu :

Transcription :


24 octobre 1998 Débat France Culture "Spécial Science"


Discours de Michel Setbon :


L’attention accordée aux risques sanitaires, tant de la part du public que des pouvoirs publics, témoigne d’un souci commun d’anticiper les évènements capables d’affecter la santé. En France, l’évolution est à la fois récente, brutale et difficile à maîtriser. Il aura fallu le choc du sida au début des années 80 et son cortège de contaminations iatrogènes pour que la fascination thérapeutique cède la place à l’inquiétude et qu’émerge dans tous les domaines une pressante demande sociale de protection contre tous les risques. Le changement est brutal, compte tenu de l’absence de structures pour être en mesure de concevoir, d’organiser et de mettre en œuvre les réponses face au risque : la France est un pays où la culture et les structures médicales sont fortes, alors que celles de la santé publique préventive y sont faibles. Enfin, ce soudain intérêt pour le risque est difficile à maîtriser du fait de la polysémie du terme, de son ubiquité et d’une confusion sur les objectifs que devraient viser les décisions publiques. Qu’entend-t-on par « risque », comment distinguer, parmi la multitude de risques possibles, ceux à prendre en considération, et quels sont les objectifs accessibles de l’intervention publique sur le risque ? Ces points demandent quelques éclaircissements.


Le risque entre réalité et abstraction


La principale source de confusion en matière de risque vient de sa nature abstraite. Dans son acceptation scientifique, le risque représente une probabilité d’occurrence d’un événement adverse assorti d’un certain nombre de caractéristiques sur les conditions de l’occurrence (facteurs et indicateurs de risque). Dans cette perspective, il n’y a risque qu’une fois objectivée ses conditions d’expression en liaison avec sa source : une intervention médicale iatrogène, un produit chimique cancérigène, un médicament tératogène, un aliment pathogène, etc. Le risque existe parce qu’il y a probabilité (quantifiée) associée à une source qui, à certaines conditions, affecte la santé de certains individus. L’approche objective ou scientifique du risque vise à l’identifier, à en estimer la magnitude et à en évaluer l’importance. Pour cela, il faut disposer de faits, à travers un certain nombre de cas constatés : la connaissance rétrospective permet de fonder l’action prospective. L’abstraction vient du fait que si l’analyse scientifique du risque est initiée à partir de faits réels, ce qu’elle prédit est indéfini : en disant que le risque d’être contaminé par telle infection virale lors de transfusion sanguine est de x % par an, il est dit en même temps que x % de transfusés seront effectivement contaminés, mais que ces personnes sont indéfinies, voire sont indéfinissables.

Pour le profane, le risque est synonyme de danger ou de menace plus ou moins abstraite. La représentation qu’il s’en fait et l’évaluation subjective conséquente varient selon le rôle qu’il tient dans la construction du risque qui peut être soit actif, soit passif. Dans le premier cas, le risque représente un futur indéfini qui ne prend de sens qu’inséré dans le vécu individuel et collectif : les risques d’accident automobile ou de montagne, de contamination lors de relations sexuelles, etc. qui restent indissociables des avantages attendus (plaisir, confort, valeur sociale, etc.). Dans le second cas, la perception profane du risque est encore plus abstraite, surtout quand elle a pour objet des sources invisibles, complexes ou hypothétiques (radiations ionisantes, O.G.M.) : l’évaluation profane du risque relève alors plus d’un jugement (moral ou politique) sur l’activité/produit suspecté, qu’à travers le rapport à soi, ou à partir de faits, souvent inexistants ou ténus. Cette distance entre l’évaluation scientifique et profane du risque est à l’origine de multiples controverses, en plus de celles propres au milieu scientifique est la principale source de confusion et de difficultés pour les pouvoirs publics : faut-il décider d’une action publique qu’une fois le risque objectivé scientifiquement, ou faut-il prendre en compte le sentiment de danger suscité à partir de l’émergence d’une hypothèse qui ne préjuge en rien de sa validité ou de l’absence de risque ?


Répondre aux risques : lesquels, quand et comment ?


A l’évidence, les risques possibles liés aux activités ou aux produits sont multiples, impossibles à dénombrer et fonction du niveau de développement d’une société donnée qui à la fois les crée et invente les moyens pour les réduire. Sauf à retourner à un état de nature, par ailleurs non exempt de risque, nous sommes condamnés à vivre avec sa présence qui pousse à l’adoption d’une double stratégie : réduire la probabilité de certains risques identifiés et anticiper l’apparition de risques possibles.

La première stratégie concerne les risques liés aux produits/activités présents sur le marché, rendus apparents par l’existence d’évènements adverses et dont l’évaluation indique dans quelle mesure l’action visant à y répondre est compatible avec le maintien des bénéfices qu’ils apportent : un médicament peut avoir des effets pathogènes, mais seuls leur importance (probabilité et magnitude) déterminerait son interdiction ou sa restriction de prescription, surtout s’il n’est pas substituable. Bref, le modèle de réponse à ce type de risque repose sur une analyse objective risques/bénéfices qui implique l’existence d’un seuil de déclenchement de l’action correctrice. C’est le cas de la plupart des produits et activités de santé, mais aussi de nombreux autres dont les bénéfices sont économiques, sociaux ou stratégiques. Le modèle utilisé est celui de la prévention, fondé sur l’évaluation des faits à partir desquels l’action peut être envisagée en vue de réduire le risque, et ce de façon la plus précise et la plus efficiente possible.

La seconde stratégie s’adresse aux produits/activités innovants, au moment où ils vont être introduits sur le marché. L’anticipation des risques devient de plus en plus la règle, surtout quand il s’agit de produits/activités à risque : médicaments, aliments industriels, thérapies cellulaire et génique, substances chimiques utilisées pour des besoins domestiques ou professionnels, etc. Il s’agit là d’une régulation a priori fondée sur une évaluation ex ante qui vise, et permet en théorie, d’écarter les risques connus, ce qui n’en fait pas pour autant des produits/activités sans risque. Cette capacité à assurer la sécurité par l’anticipation est fonction du niveau de connaissance disponible que devront traduire au plus près des protocoles standardisés et exhaustifs. Leur existence est un gage, tant d’efficacité face au risque, que de justice au regard du principe d’égalité de traitement pour les demandeurs d’autorisation de mise sur le marché.

Mais ces deux stratégies rationnelles sont prises en défaut lorsque émergent des controverses à propos de risques, qu’ils soient nouveaux et hypothétiques (O.G.M., E.S.B., xénogreffes, etc.), ou possibles mais non détectables au moyen des outils et connaissances disponibles (faibles doses de radiations ou de polluants, substances suspectées toxiques et à effets retardés, radon, etc.). Certains sont présents sur le marché et attachés à des intérêts assortis de bénéfices divers, alors que d’autres sont l’objet de demandes d’autorisation de mise sur le marché : la question de leur retrait ou de leur autorisation peut-elle être résolue en l’absence de preuve qu’il existe un risque et qu’il soit suffisamment important ? L’apparition du principe de précaution cherchait explicitement à trancher cette délicate question au profit d’une attitude systématique de prudence. Mais son application se heurte à une double difficulté : celle de sa prétention universelle, alors que son utilisation ne peut être que sélective selon les cas, et que de plus elle se trouve contestée à l’extérieur du cadre national (cas de l’E.S.B. et des O.G.M.) ; celle aussi qu’entraîne toute décision visant à répondre à un risque non établi sur des faits précis, à savoir à se condamner à interdire l’activité/produit, faute d’être en mesure d’agir sur le risque. A la différence du modèle préventif en mesure d’agir sur les facteurs de risque identifiés, le modèle de la précaution qui considère comme valide une hypothèse de risque, ne laisse guère d’autre choix que de tarir la source du risque. En plus de son coût prohibitif, même dans le cas où l’hypothèse s’avèrerait fondée, ce modèle de réaction face au risque conduit à rendre inutile le développement de recherches en vue d’en avoir une connaissance plus précise. Ce qui peut s’entendre comme une forme renouvelée de discrédit du modèle préventif de santé publique.





Mis à jour le 26 février 2008 à 15:02