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2004 : La pêche et les avancées scientifiques > Rencontre - Synthèse >  Présentation : Image et perception des produits d’origine aquatique

Présentation : Image et perception des produits d’origine aquatique

Sophie Girard, Cadre de recherche maritime, service d’économie maritime, IFREMER

Biographie :

GIRARD Sophie

Compte rendu :

Philippe Paquotte*
*OFIMER, 76 rue de Reuilly, 75012, Paris, France – philippe.paquotte@ofimer.fr



1. Image et attributs des produits d’origine aquatique

La consommation de produits animaux aquatiques en France augmente à un rythme de près de 3% par an depuis dix ans. Cette croissance s’effectue en partie au détriment de la consommation de produits animaux terrestres car nous sommes en France, comme dans la plupart des pays développés, en situation de saturation de protéines d’origine animale.
L’image des produits aquatiques est certainement un des facteurs de la croissance de leur consommation.
En effet, toutes les études qualitatives menées au cours des dernières années sur la perception des produits aquatiques mettent en évidence une image positive mais contrastée. Deux traits dominants se dégagent : la force de la symbolique marine et le bénéfice santé qui résulte de la consommation de produits aquatiques. En particulier, les deux études spécifiques réalisées à la demande de l’OFIMER en 1997 et 2001 ont montré la richesse des évocations positives qui associent le poisson à son élément d’origine, la mer, symbole d’une nature bienfaitrice, d’une force primordiale et purificatrice. Pour tous, c’est un fait acquis et valorisé que le poisson est bon pour la santé, qu’il apporte des bienfaits à la fois nutritionnels et psychologiques. Le poisson est perçu comme un aliment sain et équilibré, plus moderne que la viande.
Mais très vite, des freins à la consommation sont mentionnés dans les groupes de discussion. Pour la majorité des personnes interrogées, la question des arêtes est évoquée en premier lieu, en particulier quand il s’agit de la consommation des enfants. Puis viennent les difficultés de conservation et de préparation. Contrepartie de l’image de fraîcheur associée à la symbolique marine, surgissent les doutes sur la dégradation du produit loin de son univers d’origine, sur les possibilités de le conserver à domicile. Face à ces interrogations, une réponse unanime : consommer le poisson frais le jour même de l’achat ! Viennent alors la répulsion à vider et préparer le poisson, les inquiétudes sur le temps de cuisson, sur le desséchement de la chair ou pire, la crainte de ne pas l’avoir assez cuite. Et les odeurs ! Tout cela concourt à éliminer le poisson lors de repas formels, où la réputation du cuisinier ou de la cuisinière est en jeu.
Entre 1997 et 2001, on observe très peu de changements dans l’image des produits aquatiques d’après les résultats de ces deux études qualitatives sur le poisson frais (Tab. 1) :

Tableau 1 : Comparaison des attributs positifs et négatifs donnés au poisson frais dans deux études d’image (études 3G de 1997 et Protéis de 2001 pour OFIMER)
image Science et Ethique


La présence d’un goût trop prononcé a une connotation négative en 1997, tandis que la variété des formes, des couleurs et des goûts des différentes espèces apparaît comme un point positif en 2001. De même, les consommateurs reprochent en 1997, mais pas en 2001, au poisson sa légèreté et son manque de valeur nutritive, en ce sens qu’il ne procurerait pas facilement une impression de satiété.
Enfin, les produits aquatiques sont perçus comme étant chers, en particulier plus chers que la viande. Cette perception semble s’être atténuée entre 1997 et 2001, ce qui correspond en effet à une période où le prix de la viande a augmenté plus vite que celui du poisson, en conséquence des graves crises sanitaires que ces filières ont traversé.
L’image des produits aquatiques est marquée par la coexistence de ces deux pôles antagonistes, d’un côté la symbolique marine, la proximité de la nature et les bienfaits santé qui en découlent, et de l’autre côté l’incertitude sur la fraîcheur, les inconvénients dus aux arêtes et les difficultés culinaires. Cette situation paradoxale peut expliquer l’engouement vers certains produits aquatiques transformés comme le surimi, en réponse aux freins à la consommation de poisson frais, ou au contraire et en même temps, le retard par rapport à la viande dans le développement du frais pré-emballé en libre service, par attachement aux valeurs symboliques traditionnelles. En optant pour la facilité de conservation et de consommation, le consommateur s’éloigne de l’univers symbolique marin. Un équilibre est donc à trouver entre ces deux pôles, sans doute sous forme d’un mode de consommation dual alternant, en fonctions des situations, produits frais entiers achetés sur un étal « à l’ancienne » et produits transformés achetés en libre service. Dans la pratique, l’augmentation de la consommation de produits aquatiques profite essentiellement à ce nouveau segment qui est celui des produits transformés vendus réfrigérés ou produits traiteurs, alliant praticité, DLC rassurante et apparence d’authenticité, car vendus au rayon frais et non « dénaturés » dans l’esprit des consommateurs comme le sont les conserves ou les surgelés.


2. Le cas particulier des produits d’élevage

Pour mieux comprendre l’image des produits aquatiques d’élevage auprès des consommateurs, une analyse des principales études qualitatives sur ce sujet a été réalisée (Girard et Paquotte, 2003). Le premier point mis en évidence par cette analyse est la perception de plus en plus forte de l’origine pêche ou élevage, suite aux événements médiatiques tels que la crise de la vache folle (1996 et 2000) ou la crise de la dioxine dans le poulet (1999) qui ont braqué les projecteurs sur l’élevage animal en général et la pisciculture en particulier. En 2002, cette perception s’est encore accrue après la mise en place du règlement européen 2065/2001 sur l’étiquetage. Cependant, la perception de l’origine élevage reste inférieure à la part de marché réelle des produits d’élevage pour la truite, le saumon, le bar et la daurade (Tab. 2). Au contraire, en particulier depuis la crise médiatique autour du saumon d’élevage de janvier 2004, 34% des consommateurs pensent qu’un poisson blanc comme le cabillaud peut être d’élevage, à cause de toutes les informations contradictoires véhiculées dans la presse au sujet de l’aquaculture.

Tableau 2 : Evolution de la perception par les consommateurs de l’origine pêche ou élevage
image Science et Ethique

Une disponibilité régulière et un prix constant tout au long de l’année apparaissent comme les deux points les plus positifs en faveur du poisson d’élevage, ainsi que le fait d’être moins cher que le poisson sauvage, ce qui le rend accessible à plus de ménages et en particulier aux familles. En revanche, la fraîcheur qui pourrait être un argument en mettre en avant pour le poisson d’élevage n’est pas un facteur discriminant car du point de vue du consommateur, le poisson de pêche présent sur les étals est frais puisqu’il est tout juste sorti de l’océan. Toutes les études qualitatives soulignent que les consommateurs ont conscience des risques de surpêche et d’épuisement des stocks marins, et que l’élevage pourrait apporter une solution à ce problème. Cependant, en France, cette notion n’apparaît jamais en spontané et se trouve encore loin d’être une motivation pour acheter du poisson d’élevage, alors qu’elle est fortement ancrée dans l’esprit des consommateurs des pays du nord de l’Europe.
La valeur symbolique attachée aux produits aquatiques d’élevage est beaucoup plus faible, car le concept d’élevage est totalement dissocié de la nature sauvage ou de la pleine mer dans l’esprit des consommateurs. Mais alors qu’au Royaume-Uni, cette absence de valeur symbolique est remplacée par une grande confiance envers des techniques d’élevage maîtrisées et rassurantes (GIRA, 2001), cela provoque un réel déficit d’image pour l’aquaculture en France, où la méfiance vis-à-vis de la notion d’élevage reste forte. Le manque de goût est également cité comme un point négatif du poisson d’élevage. Mais le point crucial reste que le poisson d’élevage est considéré par 25% des français (IOD 1999) comme potentiellement mauvais pour la santé, à cause des ingrédients dont il a été nourri et du stress qu’il a subi au cours de sa vie en captivité, alors que le bénéfice santé est la raison première pour laquelle les français consomment du poisson ! C’est pourquoi l’indice de confiance est beaucoup plus élevé pour les poissons blancs comme le cabillaud ou les poissons bleus comme le maquereau, majoritairement perçus comme sauvages, que pour le saumon, le bar et surtout la truite, perçus comme produits d’élevage (IOD, 2003).


3. Une bonne image facilement écornée par les crises médiatiques, mais pas remise en cause fondamentalement

Le baromètre d’image des produits aquatiques mis en place depuis 2001 par l’OFIMER auprès d’un échantillon renouvelé de 550 personnes montre bien la sensibilité de l’indice de confiance des consommateurs envers les produits alimentaires, et en particulier d’élevage, en cas de crise médiatique. En période normale, l’amplitude de variation de l’indicateur confiance est très faible, mais le saumon, les huîtres et la volaille ont enregistré en 2003/2004 des variations un peu plus importantes, suite à la marée noire du Prestige pour l’huître, à la grippe aviaire pour la volaille et à la polémique lancée par la revue Science pour le saumon. Il faut noter cependant que ces variations ont été bien moins importantes que celle enregistrée par la viande de boeuf en 2000/2001.

L’étude comparée de l’impact de deux crises médiatiques, celle liée au naufrage du Prestige fin 2002 et celle liée à la polémique sur le saumon d’élevage après la parution début 2004 d’un article dans la revue Science, montre bien la plus grande fragilité de l’image des produits d’élevage. Après le naufrage du Prestige, le baromètre d’image de l’OFIMER a mis en évidence une inquiétude face à la consommation de produits de la pêche partagée par le tiers de la population, mais cette inquiétude ne s’est traduite ni par une baisse de l’indice de confiance, ni par une baisse des achats de produits de la mer, sauf temporairement pour les huîtres. En revanche, en janvier 2004, après la parution de l’article dans Science, le baromètre a montré une augmentation significative du degré de confiance envers les poissons blancs et une baisse significative du degré de confiance envers le saumon, qui est descendu au niveau de celui de la truite, poisson à l’égard duquel les ménages français manifestent le moins de confiance. Le tiers des personnes ayant eu connaissance de la polémique, soit 22% de l’échantillon total, ont déclaré avoir diminué leur consommation de saumon et un cinquième, soit 12% de l’échantillon, ont déclaré également consommer moins de poisson d’élevage en général. Cette méfiance s’est traduite dans les faits par une baisse des achats de saumon frais par les ménages de près de 40% dans les deux semaines qui ont suivi. En revanche, l’impact a été très faible en restauration hors domicile, où il est évalué à moins de 5%, principalement dans les restaurants d’entreprise et peu dans les restaurants commerciaux. Six mois après cette crise médiatique, l’indice de confiance vis-à-vis du saumon reste faible et les achats de saumon frais sont encore à 10% en dessous de leur niveau habituel. Il est intéressant de noter que cette crise a affecté tout particulièrement les achats de saumon entier, mais absolument pas les achats de filet de saumon pré-emballé qui au contraire se sont développés comme pour les autres espèces de poissons.


4. Les études d’image : un outil pour orienter la communication


Les études d’image et perception sont à interpréter en tenant compte d’un biais intrinsèque, qui est le décalage entre le discours et la pratique. Ainsi, alors que le discours dominant qui ressort de l’étude d’image du poisson frais de 1997 est l’attachement au poisson sauvage d’origine française, le produit dont la part de marché a le plus augmenté cette année là est le saumon d’élevage norvégien. L’étude menée par le CREDOC (2002) sur les pratiques alimentaires des français montre que dans le contexte actuel de profusion d’informations, d’anxiété des consommateurs et de mise en avant d’un discours public préoccupé de santé alimentaire, les consommateurs construisent leurs comportements alimentaires et ajustent leurs pratiques non seulement par rapport au discours général, mais aussi par rapport à leurs envies, à leurs traditions et également en fonction de leurs contraintes de mode de vie, médicales ou financières.
Toute action de communication sur les produits aquatiques va se trouver immergée dans ce faisceau d’éléments parfois convergents, parfois contradictoires, et par conséquent va être perçue de manière individualisée. C’est pourquoi la connaissance des normes, des opinions, des attitudes et des valeurs symboliques que peut apporter les études d’image est nécessaire pour bâtir toute démarche de communication. C’est ainsi que les campagnes de promotion du poisson frais menées par l’OFIMER ont été progressivement réorientées après la mise en évidence que les actions initiales, trop axées sur le raffinement, l’exception ou la légèreté, rendaient le poisson encore moins familier, plus inaccessible alors qu’il convenait de l’incarner, de le dédramatiser pour le faire rentrer dans la consommation quotidienne. De même, l’étude sur la perception du saumon d’élevage réalisée par Via-Aqua pour Roche (2003) a permis d’identifier ce que les consommateurs souhaitaient vraiment savoir et ce qu’ils préféraient ne pas entendre sur l’alimentation du saumon d’élevage, point focal des inquiétudes vis-à-vis de l’aquaculture, en particulier depuis la dernière crise ESB qui a jeté le discrédit sur toutes les formes d’élevage.
C’est pourquoi il faut être prudent dans ce nouvel axe fort de la communication en faveur des produits aquatiques qui est l’axe nutrition/santé. Cette orientation doit s’appuyer d’une part sur des données objectives sur la composition nutritionnelle des produits aquatiques, ce qui fait l’objet d’un programme de recherche en cours impliquant de nombreux partenaires professionnels et scientifiques autour de l’AFSSA, et d’autre part sur la connaissance des attentes réelles des consommateurs face à un discours santé qui peut très vite devenir abscons, ennuyeux et contre-productif.






Mis à jour le 23 janvier 2008 à 16:08