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1999 : de l’animal à l’homme > TR 6 : L'expérimentation animale >  Débat de la table ronde 6

Débat de la table ronde 6

Dalil Boubakeur, Recteur de l'Institut Musulman de Paris
Louis-Marie Houdebine, INRA
Philippe Vannier, AFSSA
André-Laurent Parodi, directeur honoraire de l'Ecole nationale vétérinaire de Maisons-Alfort
Jacques de Gerlache, Groupe Solvay
Elisabeth de Fontenay, philosophe

Compte rendu :

Transcription :


23 octobre 1999 débat TR6


Débat :



Docteur Dalil Boubakeur:
J’ai été très passionné par le commentaire de Mme de Fontenay, le porc, il faut rétablir les choses dans leur histoire, le porc n’est pas un interdit uniquement judaïque ou uniquement musulman mais c’est une longue tradition, et ce n’est pas depuis Plutarque, qu’il est mal vu en Europe, c’est déjà Hérodote qui avait indiqué cette anomalie, entre la consom-mation du porc très commune en Europe et son interdit qui remonte aux pharaons. Là je cite également un livre très intéressant de Claire Lalouette qui est professeur à la Sorbonne et qui a écrit “La sagesse Sémitique” qui explique les origines de ces religions. L’interdit du porc, c’est surtout pour des raisons d’impureté. Dans Historia, on m’a demandé de faire un historique des interdits animaux et j’ai fouillé naturellement mais c’est le seul élément, la parasitologie du porc, pensez-donc, elle n’a été découverte qu’au 19° siècle, le porc a été considéré comme impur, mais dans le rite de se présenter à Dieu, qu’on soit Égyptien, juif, chrétien, musulman, il ne faut pas être impur. Vous avez dit un élément très important, on est ce que l’on mange. Cette identification à ce que l’on mange, qui a été très forte chez les anthropophages ou les cannibales à propos de l’animal, beaucoup de traditions antiques, anthropologiques font que ce que l’on mange est ce que l’on est. Donc le porc pouvait être interdit pour ces raisons là. Il y aussi des raisons psychanalytiques, dans “Totem et tabou” de Freud, on a aussi dit que le porc a été tabou donc interdit. S’arrêtait à l’histoire gréco-latine est très insuffisante. En ce qui concerne la création, même dans la biologie, il n’y a pas une lignée continue entre les singes, les primates, l’homme ou les espèces animales. On ne peut pas aujourd’hui, s’arrêter à l’aspect factuel. Comme disait Spinoza, nous sommes tout dans l’un et l’un est dans tout. L’acte créateur est fondamental, il ne s’est pas fait d’une lignée continue par rapport aux autres mais par bonds.

Louis-Marie Houdebine:
En tant que trangéniseur, je voudrais répondre, à la question de Comité mais avant je voudrai tordre le cou une bonne fois pour toutes au mot humanisation des porcs, les biologistes sont responsables de la mauvaise utilisation de ce mot. On pense qu’on va tendre à rendre les organes de porc ressemblant à l’humain. Mais il n’en est pas du tout question, l’organe de porc, on lui demande de fonctionner en tant que tel, au mieux on va l’adapter à une fonction métabolique, mais pas plus. Ce qu’on attend de l’organe de porc, c’est qu’il résiste dans les conditions de la greffe, c’est tout.

Je vais vous en donner une démonstration très claire, je vous ai donné deux gènes, qui confèrent une certaine résistance, on aurait pu mettre des gènes non humains. Je travaille depuis trois ans sur un projet, on essaye de transférer, on l’a déjà fait d’ailleurs, un gène qu’on a retiré d’une tique de vache. Quelle idée de faire ça ? La tique est un parasite qui résiste chez la vache. Elle secrète des molécules qui ont un effet antirejet normal, naturel, on a certaines de ces molécules et on est en train de les reévaluer. Dans ce cas-là si un porc se retrouve avec ce gène, il n’est évidemment pas humanisé. Le mot humaniser, n’en parlons plus, c’est une adaptation du porc à ce que l’on veut. Je ne vois toujours pas très bien pourquoi il faut donner des comités spécifiques pour les animaux transgèniques. L’animal expérimental, c’est la souris qu’elle soit transgénique ou pas, là on peut admettre un certain degré de souffrance de l’animal pour toutes sortes de raisons, c’est qu’on est en train de faire de la recherche, donc on est dans l’inconnu. On ne peut donc pas prévoir le degré de souffrance qu’on va infliger, on le constate mais on ne l’avait pas prévu. C’est pour obtenir du savoir, c’est pas forcément pour faire de l’argent, ensuite le nombre d’animaux qu’on va utiliser est quand même relativement restreint. L’animal producteur de choses nobles, producteur d’organes, si le traitement que l’on fait, fait souffrir l’animal à un degré élevé, dans ce cas la balance va se poser entre le bénéfice pour l’homme et le degré de souffrance. Il s’agit quand même d’une chose noble, donc la barre va être probablement : on va admettre une tolérance pour que l’animal ne souffre pas trop. Troisième cas, c’est l’animal qui produit de la viande, du lait, là on a aucune tolérance possible. D’abord parce que ça concernerait des quantités énormes d’animaux, que la perturbation physiologique, qu’on a introduit, si elle produit une souffrance, on la connaît très bien, ça veut dire qu’on la produirait sciemment et en grand nombre. Tout ça pour améliorer le rendement n’est certes pas acceptable du tout. Si on respecte ces trois catégories, moi, je me retrouve très bien dans toutes les activités que j’ai. Faut-il faire des comités d’éthique pour la transgenèse des animaux, de laboratoire ou autre ? Cela a été proposé par l’Europe et on est en train de nous imposer en France, et dans les pays où ça ne se fait pas, ça va venir. Quand on examine la totalité de ce projet, c’est plutôt bien, j’ai participé pendant une semaine à un colloque organisé par l’Union Européenne. Les gens d’Europe du Nord ont beaucoup reproché aux français, c’est à dire aux pays latins, de ne pas avoir de Comité d’éthique. Je n’ai pas toujours été convaincu par ce qu’ils ont dit parce qu’ils ne sont jamais allés voir quelles étaient les pratiques dans les laboratoires. Je suis convaincu qu’en Italie ou en France où il n’y a pas ces Comités d’éthique officiels, on n’a pas une pratique vis à vis des animaux transgéniques qui soit différente. On ne s’amuse à faire des animaux transgéniques pour rien, ça coûte très cher. Par souci, j’ai quand même interrogé nos collègues allemands, nos collègues hollandais et britanniques. J’ai compris qu’il voulait des Comités d’éthique pour calmer l’opinion. Je l’accepterai à une condition, c’est que ça soit léger. Si on fait des Comités à n’en plus finir, on ne sera plus jamais dans les laboratoires, on passera tout notre temps à parler.

Philippe Vannier:
Je remercie le panel de citoyens pour la qualité de réflexions qui a été faite. Je voudrais relever une erreur, Madame de Fontenay a dit Maison Alfort inspecte Maison Alfort sur l’expérimentation animale. Je regrette, c’est une erreur, à moins de remettre en cause le fonctionnement même des corps de l’État. L’inspection sur l’expérimentation animale, est faite par un corps de fonctionnaires complètement indépendant de la recherche, et qui a pour mission d’inspecter et de voir si la réglementation est respectée. Je voudrai ajouter que le porc est un animal tout à fait sympathique, quand on le mange, son goût est très bon, et enfin ça fait une vingtaine d’années, que je côtoie les porcs, il n’y a pas eu de transferts négatifs.

André-Laurent Parodi:
Je tiens à remercier Madame de Fontenay pour ce qu’elle a dit et revenir sur ses remarques parfois un peu incisives. Détruire des centaines de moustiques m’autoriserait à détruire des centaines de chiens ou de chevaux. Il y a une évolution de la perception que nous avons de l’animal et par boutade je suis allé à l’extrême, qui ici, aurait pu imaginer, il y a 20 ans, parler de l’angoisse ou du mal être d’un veau ou d’un porcelet ? Personne. Aujourd’hui, c’est intégré complètement dans les pratiques de l’élevage. Il y a une évolution de la perception, du monde animal, je suis très admiratif de votre hiérarchie animale, car moi qui vis avec des animaux depuis des décennies, je serai beaucoup plus prudent. J’aurai du mal à hiérarchiser l’animal en terme de souffrances. Nos certitudes sont celles d’aujourd’hui et probablement elles ne sont pas celles de demain.

Jacques de Gerlache:
Dans l’échange qu’il y a eu, il y a eu beaucoup de malentendus, dans la manière dont nous nous sommes exprimés, en quelques mots ici et dans la manière dont ça a été perçu. Mon propos n’est pas de mettre l’émotion à un endroit où il n’est pas. L’émotion, c’est proche de la culture et pour moi la culture c’est le propre de l’homme. Dans le processus d’éducation au débat il est important qu’on ne mélange pas, les aspects qui soient plus factuels, plus analytiques, plus subjectifs, et après les aspects de décisions politiques, et puis d’émotion, je pense que le problème auquel on est souvent confronté, de la manipulation par l’émotion des aspects qui sont plus factuels. C’est ce surcroît d’émotions, à un moment donné où elle ne va pas aider le citoyen à y voir clair. Ce sont des méthodes extrêmement importantes, pour moi un expert c’est celui qui connaît humblement la limite de sa connaissance. Nous devons reconnaître en tant que citoyen que nous n’avons pas les outils nécessaires pour réfléchir aux questions qui ne sont pas celles de notre vie de tous les jours.

C’est à propos de la remarque d’Élisabeth de Fontenay, qui disait parler d’affect, elle trouvait donc sublime la continuité de la vie que permettait la xénogreffe, elle aurait bien aimé pouvoir bénéficier de tels progrès, elle mettait ça en opposition à l’allogreffe comme ça, on pourrait laisser les morts tranquilles. Une interrogation, les morts en eux-mêmes, ils sont très tranquilles, ce sont les vivants qui ne le sont pas, en tous cas certains, l’argument qu’elle donnait, ça offensait le symbolique : Est-ce qu’en disant cela vous ne faîtes pas du symbolique un absolu alors que c’est quelque chose d’éminemment culturel ?

Elisabeth de Fontenay:
Vous avez raison, le symbolique dans sa diversité est quelque chose qui fonctionne comme une transcendance. Ce qui vise à détruire le symbolique, je vous avoue que je vais même défendre non pas la chasse, mais mettre un bémol à la critique de la chasse, la tauromachie que je déteste évidemment, mais détruire des pratiques symboliques humaines c’est faire du mauvais travail. Je profite pour dire j’ai été très sensible au début du rapport à leur relativisme. Qu’est-ce qu’un jugement de valeur qui ne serait qu’historiciste ? Il ne faut pas renoncer à l’universalité de l’éthique, dans l’espace et dans le temps.





Mis à jour le 06 février 2008 à 14:33