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2007 : Les énergies de la mer > TR4 : L’or bleu, quels enjeux financiers et environnementaux ? >  Quelles études à mettre en place pour la R&D pour minimiser les risques pour des investisseurs ?

Quelles études à mettre en place pour la R&D pour minimiser les risques pour des investisseurs ?

Jacques Ruer - Saipem

Compte rendu :

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Transcription :


19 octobre 2007 TR4


Discours de Jacques Ruer :



Brigitte Bornemann-Blanc :
Est-ce qu’un industriel peut faire le lien entre un groupe bancaire d’investissement et des laboratoires ?

Jacques Ruer : Vaste question. J’avoue que j’ai une petite présentation qui n’était pas rédigée dans ces termes donc on essaiera d’y répondre à la sortie en guise de conclusion.
Je vais vous parler de quelque chose qui a déjà été défloré dans toutes les interventions précédentes donc il y aura quelques redites mais cela est peut-être nécessaire.

Quelles études de R&D à mettre en place pour minimiser les risques pour les investisseurs ?
C’est le titre qu’on m’a demandé de développer. En fait, vu que nous sommes les industriels, j’ai plutôt conjugué en « quels sont les risques que voient les investisseurs avant d’investir en mer ? »
Il est vrai que Saipem est une société d’engineering et de réalisation de projets industriels surtout offshore et nous sommes là pour installer des installations industrielles pour produire du pétrole et du gaz notamment. Notre force, ces temps-ci, est dans les grands fonds. Nous avons une petite division R&D à laquelle j’appartiens et nous sommes identifiés pour cela. Beaucoup d’industriels ou de sociétés ont besoin d’avoir des réflexions sur la R&D de projets offshore et viennent nous voir. C’est donc à ce titre que nous sommes impliqués dans le développement de très nombreux projets d’énergies renouvelables marines.

Comment se pose le problème pour un investisseur et pour un banquier ?

Il faut, pour eux, être sûr de réaliser un projet mâture par exemple éolien offshore. Cette technologie n’est pas un fantasme, ce n’est pas de la petite finance, c’est déjà des gros projets et plusieurs centaines de millions d’euros développés par de grandes sociétés qui mobilisent beaucoup de monde. Prenons un exemple typique d’éolien offshore. Si on doit investir dans ce domaine-là, le banquier veut être sûr, le client aussi bien entendu, qu’il « va en avoir pour son argent » c’est-à-dire que l’argent va rentrer. La poule aux œufs d’or qui va pondre de l’argent c’est les machines et elles marchent avec le vent. La première question est y a-t-il du vent là où on se met ? avec quel pourcentage d’erreur sur la ressource éolienne ? Cela vous donne un projet qui gagne beaucoup d’argent ou qui perd de l’argent. Donc il y a un risque que voient nos investisseurs ou nos clients, c’est la connaissance de la ressource. Donc autant pour l’éolien offshore, ce problème commence à être conjugué mais je vous rappelle qu’on met un mât d’éolienne sur un champ potentiel une année avant de décider d’investir dans la construction du champ. Le même problème va se poser pour la ressource hydrolienne ou houlomotrice… Il faut connaître cette ressource, c’est la première chose qui est absolument indispensable.

Dans cet exposé, on va regarder surtout les ressources exploitables dans nos régions : le vent offshore, les vagues, les courants de marée.

J’en profite pour faire un petit aparté, j’ai un scoop. On ne va pas parler ici d’énergie thermique des mers (ETM) et pourtant nous avons décidé aussi de regarder l’ETM pour les besoins de nos clients pétroliers. En Afrique de l’Ouest, en effet, on développe maintenant des champs pétroliers dans 2000 mètres de fond, de plus en plus loin des côtes et de plus en plus loin des plateformes. On va avoir besoin à 20 km, 30 km, 100 km des plateformes de production d’énergie directement sur place. On aura donc deux solutions : soit produire de l’énergie sur la plateforme offshore et envoyer l’énergie par des câbles sous-marins sur 30 km, 50 km, 100 km soit, pourquoi pas, installer un petit flotteur avec l’ETM localement pour produire l’énergie dont on a besoin seulement à 2 ou 3 km de fond. Je ne dis pas qu’on va le faire mais c’est quelque chose qu’on a décidé de regarder maintenant de manière anticipée.

La ressource

Les Anglais ont étudié la ressource hydrolienne en période de vives-eaux autour des îles britanniques et ont fait des cartes très précises. Ils ont donc calculé quelle sera la ressource hydrolienne point par point sur toutes les eaux britanniques. Eux, ils savent déjà. Et tout est disponible sur internet, il suffit de taper « altas UK marine energy » et vous trouvez ces cartes. A l’inverse, les eaux françaises sont remarquablement vierges, il n’ y a pas eu d’études. Bien sûr, le premier risque que vont voir les investisseurs, la première question qu’ils vont se poser c’est : Existe-t-il de la ressource chez nous ? S’il y a de la ressource, on cherche à développer. J’inviterais peut-être l’administration à faire le même exercice en France que celui qui a été fait au Royaume-Uni pour connaître les ressources en vent, vagues, courants de marée…

Il y a aussi une grosse différence entre la ressource théorique et la ressource exploitable. Par exemple, une machine houlomotrice va répondre de manière très différente à différents spectres de houle selon que vous avez une houle courte ou longue. La même machine ne donnera pas, à la fin de l’année, la même quantité d’énergie.
Il faut aussi savoir comment ça marche. Ce n’est pas toujours simple. Je vais vous donner un exemple. Alain Clément a présenté, ce matin, une chambre d’eau oscillante où l’eau monte dans une chambre à air, chasse de l’air dans une turbine et redescend, aspire de l’air… Les Anglais ont construit, en Ecosse, une installation de ce genre avec une chambre bétonnée sur la côte dans laquelle l’eau rentre et sort pour turbiner de l’air. A leur grande surprise, la ressource est deux fois plus faible que celle qu’ils avaient imaginée. Pourquoi ? Parce que quand l’eau ressort de la chambre, elle gène la vague suivante qui doit rentrer dans la chambre. C’était complètement passé inaperçu. Donc, il peut y avoir une grande différente entre la ressource théorique et la ressource réelle exploitable. Il peut donc y avoir une grande différence entre la ressource théorique et la ressource réelle exploitable. Il faut connaître tout cela avant de savoir combien d’argent on va gagner ou perdre au bout de vingt ans.

Les installations seront-elles au large ou à la côte ?
La ressource varie avec la profondeur d’eau en particulier les ressources houlomotrices : elles sont beaucoup plus grandes au large que près des côtes. Dès que la profondeur d’eau diminue, les vagues s’atténuent et finissent par se fracasser. La ressource est donc plus faible quand on s’approche de la côte, ce qui incite à faire ces chaînes houlomotrices au large, pas seulement d’un point de vue visuel mais également d’un point de vue énergétique. Pour les éoliennes offshore, on va avoir beaucoup plus de vent en étant plus au large. Evidemment, cela va poser d’autres problèmes avec la longueur des câbles de raccordement et la profondeur d’eau. On pourrait parler d’éoliennes flottantes, on en a d’ailleurs parlé dans un article de Sciences et Avenir, mais c’est aussi une recherche qui est engagée dans certains pays et à laquelle nous commençons aussi à réfléchir.
La taille des projets doit être adaptée en fonction de la ressource et des conditions locales. Par exemple, dans une île du Pacifique, il n’y a peut-être pas besoin de fournir des machines de dizaines de Mégawatts, quelques centaines de kilowatts répartis judicieusement pour les différentes communautés autour d’une île peuvent peut-être tout à fait faire l’affaire. Dans ce cas, on voit apparaître le besoin d’une technologie complètement différente de celle dont on a entendu parler ce matin par exemple avec les gros systèmes de récupération d’énergie que l’on rencontre assez souvent.

La maîtrise des risques technologiques

Il faut d’abord regarder l’efficacité de la technologie de récupération. Pour cela on peut faire beaucoup, mais on peut aussi faire des essais en bassin et il faut les faire et après il faut aller en mer et découvrir ce qu’on n’a pas imaginé. Je ne vais pas reprendre cette histoire de pompe à eau qui diminuait la vague suivante, à vrai dire, ils ne l’ont vu que sur place. On a donc vraiment besoin d’installations pilotes et cela c’est un message qui ne sera jamais assez fort sachant que ces installations pilotes doivent être financées. Or j’ai un problème. Ma société fait un chiffre d’affaires de 9 milliards d’euros. C’est beaucoup, on est riche. Mais nous sommes cotés en bourse. Cela veut dire que nous avons des investisseurs anonymes qui regardent la rentabilité de la société, qui sont confiants dans la rentabilité de nos projets parce que nous faisons du pétrole et du gaz et que, en ce moment, plus le pétrole et le gaz montent, plus les chiffres d’affaires de la maison montent ainsi que les bénéfices. Cela donne accès à des ressources nouvelles qu’on aurait pas imaginé aller chercher. Ça veut dire que cela ne fait que reculer encore le pic du pétrole puisque plus le pétrole monte plus nous allons chercher le pétrole loin. Dans le temps, on allait à 1000 mètres de fond. Maintenant, je vous parle de 3000 mètres de fond, on commence à regarder ce que ça donnerait à 4000 mètres de fond sous la glace, sous l’Arctique. Cela est possible parce que le prix monte. Maintenant, à ces investisseurs-là, on leur dit qu’on va faire des essais dans la mer pour récupérer de l’énergie des vagues, courants… On va dépenser leur argent. Donc si on veut avancer dans ce domaine-là, pour résumer la situation d’une manière caricaturale, la seule méthode efficace que je connaisse c’est un peu la méthode anglaise qui consiste à faire payer des impôts aux sociétés qui gagnent de l’argent et à redistribuer cet argent sous forme d’aide au développement. C’est le seul moyen pour les financiers et les actionnaires de ne pas sentir la douleur de l’exercice. C’est un impôt en amont, et ensuite, ils touchent leurs dividendes. Ils ne voient donc pas qu’on redépense l’argent de la société à redévelopper de nouvelles choses. C’est peut-être triste, mais, sans vouloir être injurieux, les financiers sont tellement bêtes que c’est le seul moyen d’avancer.

Survivabilité en mer

Bien sûr, ça a déjà été dit aussi, il faut être certain que tous ces concepts vont tenir aux conditions extrêmes. En mer, nous sommes bien placés pour le savoir, c’est quelque chose d’absolument essentielle. Dans les années 1950 – 1960, quand on a commencé à installer les premières plateformes offshore en Mer du Nord, dans le Golfe du Mexique ou ailleurs, elles cassaient régulièrement. Il a fallu les renforcer, changer les cotes, changer les méthodes de calculs, les méthodes de fabrication pour qu’elles commencent à tenir. Mais, avec Katrina, vous avez vu ce qui est arrivé, les plateformes offshore dans le Golfe du Mexique ont quand même continué à casser. Donc, il faut tenir en mer. C’est vraiment un problème et la survivabilité est un des éléments à considérer pour la réalité de ces projets.

L’installation
D’emblée, quand on développe des concepts un peu neufs pour aller récupérer l’énergie en mer, il faut bien voir que du côté français, on a un gros problème : on a pas de moyen d’installation disponible, sauf peut-être quelques barges relativement légères. La plupart des barges sont en Hollande ou en Belgique, un peu au Royaume-Uni. C’est un gros problème. La disponibilité de ces barges est vraiment quelque chose d’important. Il faut bien voir que ces barges sont utilisées bien entendu pour les projets pétroliers à des prix que des développeurs d’énergies marines ne peuvent mobiliser. Ce qui veut dire que ces barges sont souvent trop chères pour être utilisables pour nos problèmes d’énergies renouvelables marines. Pour vous illustrer un peu la difficulté. Ce matin on a vu un projet d’hydrolienne en Irlande du Nord avec un poteau et deux rotors qui peuvent monter et descendre pour la maintenance. Nous avons une filiale en Angleterre, Offshore Design Engenering (ODE), qui fait des services de project management sur ce projet : SeaGen. Le protype SeaGen est sur le quai, planté, parce que la barge qui doit venir planter le pieu dans la mer pour pouvoir installer le prototype est indisponible. Ce projet est en Irlande du Nord et la barge est actuellement sur d’autres projets en Mer du Nord. Donc, ce projet est là, il attend simplement parce qu’il n’y a pas de moyens d’installation. C’est bien d’imaginer des systèmes fantastiques pour récupérer l’énergie des mers, mais pour le banquier, il veut savoir si on pourra les installer.

La maintenance
Il va aussi falloir faire la maintenance de ces machines. Tout ce qui est utilisé s’use. D’ailleurs, c’est quand on utilise le plus que ça s’use le plus, que ça casse le plus qu’il y a besoin d’intervention, de réparation. Malheureusement quand ça casse c’est qu’il y a eu du mauvais temps et qu’on ne peut pas aller réparer. C’est tellement vrai que pour des éoliennes offshore de grandes tailles, un des meilleurs moyens d’accès et le plus économique restera l’hélicoptère. Ça peut vous donner une idée de l’ampleur de ce problème d’accessibilité en toute sécurité et de maintenance.
On a parlé tout à l’heure de corrosion et de biofouling. Effectivement, c’est un gros problème. Dans les projets offshore pétrolier, c’est quelque chose qu’on connaît bien et peut-être on a peut-être moins besoin de gratter dans l’investissement que dans l’éolien offshore, mais les solution pour résoudre ces problèmes de corrosion existent. Faire appel à l’expérience des spécialistes de l’offshore, c’est peut-être une bonne chose. Le biofouling, ce n’est pas un petit problème. Alain Clément a montré tout à l’heure le Wave Dragon qui est un système ancré offshore. Un jour, le Wave Dragon s’est détaché et s’est retrouvé sur la plage parce que les attaches l’avaient largué parce qu’elles avaient été encroûtées de nombreuses algues, moules et autres. Cela changeait le comportement, les efforts sur ses câbles d’attache, la résistance de ses attaches et elles ont fini par lâcher. Ces problèmes de biofouling sont quelque chose à bien prendre en compte. Vous imaginez ce que donnera un rotor d’hydrolienne si jamais vous avez une couche de concrétion sur les pâles des rotors. Evidemment, ça va moins bien marcher à tel point d’ailleurs qu’on développe, chez nous, un système de protection contre ce biofouling pour éviter d’avoir à enlever ces concrétions.
Je ne peux pas en dire beaucoup plus l’instant, c’est en cours de brevet. Il ne faut que l’on ait besoin d’aller une fois par an visiter ces hydroliennes simplement pour un problème de coating, d’anti-fouling ou de réfection d’anti-fouling. Il faut donc quelque chose d’adapter à notre problème pour pouvoir éliminer ces concrétions.

Le câblage électrique

On sait câbler les éoliennes. On sait câbler les réseaux entre la France et l’Angleterre – je ne sais pas si vous savez, il y a un réseau qui traverse la mer entre Calais et Douvres – mais cela a un coût. Le gros problème pour tous les parcs marins d’éoliennes offshore, d’hydroliennes et autres, ce sera le prix, le coût d’investissement de ces câblages. Les câbles pour éoliennes sont des câbles fixes et ils sont déjà très chers. Quand on aura des SeaRev, des machines à vagues qui vont hocher avec la houle, on aura besoin de câbles dynamiques qui vont résister pendant 10 ou 20 ans aux oscillations de la houle avec 4 millions de vagues par an. Ces câbles devront être différents et à un prix acceptable. Il y a donc besoin d’un gros effort de recherche.

La sécurité des Hommes et des biens

J’aurais dû commencer par là déontologiquement. C’est le premier problème. La vie humaine n’a pas de prix et il y a des projets, notamment d’éoliennes offshore, qui ont déjà fait des accidents, heureusement pas mortels pour l’instant et ça ne doit pas arriver. Donc un des coûts de ces projets vient dans la préparation de ces projets ne serait-ce qu’en terme de procédures. Toutes les procédures doivent être étudiées et revisées de manière à être sûr que tout le monde sache, à chaque instant, ce qu’il doit faire et ce qu’il doit faire si ce qui est prévu de faire ne peut pas être fait comme on l’a prévu. Il y a là un détail de procédure extrêmement lourd et un entraînement du personnel qui fait qu’on ne peut pas prendre des intérimaires. Il faut du personnel extrêmement qualifié et extrêmement entraîné qui va travailler plusieurs mois à l’avance sur un projet qui pourra peut-être ne durer que quelques heures. Cela a un coût.

Le sol
Attention au sol. Ce n’est pas forcément un problème de R&D quoique… C’est un message à l’attention de tous les investisseurs ou développeurs de projet. On a vu trop de clients développer des projets sur la base de la distance à la côte, de la bathymétrie, du raccordement au réseau, d’acceptation des pêcheurs, de la navigation… avant de s’occuper du sol. Et certains de ces projets sont tombés à l’eau parce que le jour où ils sont allés voir le sol c’était par exemple de la vase et on ne pouvait absolument pas mettre une éolienne debout dans ce type de sol. Une fois qu’on est sous l’eau, la stabilité du sol est un gros problème qu’il faut prendre en compte dès l’origine du projet.

Le stockage de l’énergie

On a parlé aussi du stockage de l’énergie. Il est exact que, tant que, sur le réseau national, on n’injecte pas plus de 15% ou 20% d’électricité venant de ces sources intermittentes, le gestionnaire de réseau doit savoir s’en débrouiller. Maintenant, dans le futur, on aura des taux de pénétration beaucoup plus importants que cela. Donc, on aura besoin de stockage d’énergie massif. Il y a, en Europe par exemple, un projet qui consiste à comprimer de l’air et à envoyer l’air comprimé dans des nappes aquifères ou dans des cavernes souterraines pour stocker l’énergie sous forme d’air comprimé. Nous, nous développons un projet de stockage d’énergie innovant qui sera présenté à l’Institut franco-allemand Saint Louis, la semaine prochaine. Ce projet consiste à utiliser la chaleur à haute température pour stocker cette énergie. L’avantage du procédé que nous sommes en train de développer, c’est qu’on pourra stocker n’importe où sans avoir accès à une caverne, une montagne avec des barrages, ou des sites géologiquement particuliers. Ce procédé pourra être utilisé n’importe où y compris dans les banlieues des grandes villes. Des installations de ce genre sont capables de stocker des milliers, voire des centaines de milliers de mégawatt/h, à la limite plus c’est gros mieux ça marche, plus les pertes sont faibles. Il faut aussi développer ce domaine de recherche même si, évidemment, c’est moins urgent que ce dont j’ai parlé avant.

Il y a d’autres impacts qui peuvent influer la réalité économique d’un projet. Il faut tenir compte des autres usagers de la mer, ça a déjà été dit, je ne vais pas revenir dessus, mais cela peut influer sur le choix de la technologie. Si vous avez une installation en surface qui va gêner le libre passage des bateaux ou si au contraire, vous avez des installations sous marines sur lesquelles la navigation en surface peut se faire en toute innocence, ça ne doit pas avoir le même impact, ni les mêmes problèmes. Il se trouve qu’il y a beaucoup d’utilisateur en mer depuis les pêcheurs, les plaisanciers, la marine militaire ou les dragages de granulas en mer. Tout cela doit pourvoir continuer à vivre. Il faut pour cela connaître les impacts, les étudier et profiter des expériences qui sont faites ailleurs sinon les projets peuvent être retardés. Par exemple, la plateforme Fino 1, qui a été payée par le gouvernement fédéral allemand, est installée en Mer du Nord dans le seul but d’étudier le vent offshore, les courants, les vagues, les impacts sur les oiseaux et les mammifères marins. C’est pour ça que cette plateforme possède un mât de 70 mètres de haut avec des anémomètres tous les 10 mètres. Les Allemands continuent cette expérience en installant Fino 2 en Mer Baltique. Là aussi, quand il y a une volonté politique, il y a des investissements publics qui sont faits pour résoudre ces questions auxquelles nous devons apporter des réponses avant de développer ces énergies. Plutôt que de supputer ce que penseront les poissons d’un projet ou d’un autre, on va leur demander leur avis en installant des installations pilotes et en suivant ce qui se passe, comment les poissons réagissent. C’est la meilleure démonstration plutôt que d’essayer d’imaginer sur un bout de papier ce que vont donner les impacts de ces machines sur les poissons. Il faut aussi développer, comme cela a été dit tout à l’heure, la connaissance sur les récifs artificiels. Au Japon, des récifs artificiels, structure métallique qui ressemble à une mini Tour Eiffel qui fait 70 mètres de haut par exemple, équipent 20% du plateau continental. Elles sont destinées à favoriser la ressource halieutique et donc la pêche. C’est tellement vrai que, dans ce pays, ce sont les pêcheurs qui décident de ce qu’on peut faire et ne peut pas faire en mer, et non l’Etat. L’Etat demande aux pêcheurs ce qu’on peut faire en mer. Toujours est-il qu’il est exact qu’on peut profiter d’une synergie entre ces différentes structures en mer et les problèmes biologiques pour trouver un terrain d’entente et un développement harmonieux.

Il faudrait aussi développer d’autres recherches comme la maîtrise des problèmes juridiques. Le droit en mer commence enfin, dans ce pays, à être révisé depuis Colbert à cause de ce problème de développement sur le plateau continental.
Il faudrait aussi améliorer, comme je l’ai dit tout à l’heure, l’éducation, les problèmes culturels. Ce sont les plus longs à changer. « Homme libre, toujours tu chériras la mer ». Cette phrase ne veut-elle pas dire consciemment ou inconsciemment, dans l’esprit de chacun, qu’il ne faut rien mettre en mer ? On en est plus là. On est plus au temps de Charles Baudelaire, on en est plus à l’ère Néolithique où la mer va être connue, maîtrisé et cultivée. La liberté continuera à exister dans la mesure où chacun pourra y trouver son compte.

Je vous remercie de votre attention.


Brigitte Bornemann-Blanc : Est-ce que et comment pouvez-vous être l’intermédiaire entre un laboratoire de recherche de PME-PMI et les investisseurs ? Est-ce que c’est vous qui faites la prise de risques ? Et si vous la faites, comment la faites-vous ?

Jacques Ruer :
La prise de risque, nous la prenons à notre niveau. Nous sommes une petite structure de recherche et développement, bien sûr nous faisons partie d’une grosse société. Les sociétés qui viennent nous voir sont, soit des compagnies pétrolières qui désirent développer des projets offshore, soit des développeurs de technologies comme Hydrohélix pour le projet Sabella ou comme l’Ecole Centrale de Nantes pour le projet SeaRev.

Nous ne sommes pas encore impliqués dans les projets de biomasse, si ce n’est que notre maison mère s’en occupe. Notre prise de risque est d’investir à notre niveau des heures pour chercher. C’est une volonté d’accepter. Maintenant, le jour où il va falloir développer des prototypes en mer, comme je l’ai dit, nos investisseurs ne l’admettraient pas, nos actionnaires non plus. Donc, il faut que l’argent vienne d’ailleurs, ne serait-ce que pour une raison très importante. Si l’argent ne vient pas en grande partie ou en partie notable du public et de l’administration, en gros du gouvernement, cela veut dire que cette énergie n’est pas souhaitée. Donc, ce n’est pas la peine de se fatiguer parce que derrière, il n’y a pas de marché. La situation, d’ailleurs, a changé complètement depuis quelques mois puisqu’un tarif de rachat a été émis. Ça veut dire que l’administration non seulement soutient la démarche de faire de la recherche, mais acceptera de voir des projets se développer et le désirera.
Ça change tout. Vous voyez que la prise de risques n’est pas uniquement pour nous mais elle est pour tout le monde. Et, à partir du moment où le marché existe sur le papier, il s’agit bien d’un problème juridique et organisationnel, on trouve des gens pour investir. A la limite, l’argent n’est pas un problème à partir du moment où l’on sait démontrer par un long processus de développement que les projets seront rentables. Donc, la prise de risques est progressive et on fait partie de cette chaîne de développement, mais ce n’est pas nous qui prenons tous les risques.

BBB : C’est un sujet que l’on abordera demain dans le thème de la gouvernance, puisque ce problème existe en France, mais est-ce qu’il existe également en Europe ? Apparemment beaucoup moins. Donc, est-ce que ça vient aussi d’un choix énergétique que l’on a fait au départ qui est plutôt sur l’énergie nucléaire et pas véritablement sur une production d’énergies renouvelables ?

Jacques Ruer :
En fait, c’est la question essentielle, mais je ne prétends pas y avoir de réponse. J’ai récemment eu des contacts avec des personnes du Ministère de l’Ecologie du Développement et de l’Aménagement Durables qui nous ont signalé qu’au niveau européen, on parle d’un projet de loi qui consisterait à sécuriser 20% de l’énergie primaire sous forme d’énergies renouvelables. Donc, si c’est une loi qui passe, il y aura, quoi qu’il arrive, 20% d’énergies renouvelables et 80% d’autres énergies, on peut parler de charbon propre, de nucléaire, de gaz… Mais ça n’empêchera pas qu’il y ait 20% d’énergies renouvelables. Ce serait une issue heureuse qui couperait court au débat qui consiste à dire qu’en France, on a du nucléaire donc on ne fait pas de renouvelable. Si on élargit le débat au niveau européen, on a du nucléaire, mais on veut quand même des énergies renouvelables. Il y a là une décision politique qui peut appartenir au peuple européen.





Mis à jour le 06 mars 2008 à 12:01