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Discours de Jean-Pierre PagèsDiscours de Jean-Pierre Pagès
sociomètre à Agoramétrie, association qui travaille sur les phénomènes de l’opinion
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le document chronologie et acteurs du naufrage de l'Erika
Transcription :
20 octobre 2000 TR2
Discours de Jean-Pierre Pagès :
Quand on parle du naufrage de l’Erika, on fait référence :
- à une catastrophe écologique et économique 400 km :de côtes polluées entre les Glénans au nord et l’Ile d’Yeu au sud...
- et à une affaire : il y a remise en cause de réglementations, de pratiques et de manières d’agir qui contribue, avec en plus les accusations, à déstabiliser tout un ensemble d’institutions et de pouvoirs.
Le naufrage de l’Erika a donc provoqué une crise majeure à rebondissement à laquelle chacun (Français et le monde entier) a pu assister à travers la presse, voire participer via les relais classiques et bien entendu Internet.
UNE ETUDE COMPARATIVE
En relation avec 3B Conseils, un travail a été effectué à Agoramétrie pour rendre compte de la crise de l’Erika et, au delà, réfléchir sur la prévention et la gestion publique de telles crises du fait de l’intrusion d’Internet. Plus précisément, il s’agissait de comparer le débat public autour de l’Erika quand on le découvre, d’une part, à travers la presse et, d’autre part en surfant sur le web.
Tout relais de communication nouveau modifie les conditions du jeu social. Compte tenu des potentialités et de l’importance grandissante d’Internet, on peut considérer que les modifications de ce jeu vont être majeures.
D’où les questions de plus en plus générales :
Comment utiliser l’outil Internet pour mieux associer les populations à la prévention des catastrophes et à la réparation des dégâts ? Comment faire en sorte que la délibération qui met directement aux prises “ acteurs ” et “ citoyens ” sur Internet, se révèle efficace ? Vers quelle forme de démocratie allons-nous?
EXAMEN RAPIDE DE LA PRESSE
Pour celui qui lit avec attention, loin du théâtre des opérations, la presse dans la durée (presse nationale écrite ici), l’affaire qui fait suite au naufrage de l’Erika apparaît comme un “ roman ”, une “ épopée ” dont la fin n’est pas encore écrite. De ce roman constitué des articles parus, mis bout à bout et expurgés des accusations et des fioritures journalistiques pour aller à l’essentiel. On peut extraire :
- une chronologie des faits médiatisés qui permet de bien appréhender les temps forts de l’affaire (voir la chronologie en annexe).
- une liste ordonnée des problèmes qui font débat depuis le naufrage : on s’efforce de relier ces problèmes entre eux (voir le graphique page 22).
- une liste des acteurs mis en scène dans les articles que l’on classe en catégories cohérentes (voir la liste en annexe).
Bien entendu, en croisant acteurs et problèmes, on voit sur quels thèmes les catégories d’acteurs s’expriment de façon privilégiée... Bref, pour le lecteur attentif, la presse permet
de faire le point sur l’affaire : Quels sont les problèmes posés ? Quelles sont les solutions préconisées par les différents acteurs ? Quels sont les arguments avancés pour
défendre ou critiquer ces solutions ?
Il faut reconnaître que dans le roman médiatique les citoyens sont très peu présents. Les bénévoles qui nettoient les plages sont bien mis en scène ; on a bien le droit à quelques
“ micro-trottoirs ” et au courrier des lecteurs, mais tout cela ne représente pas grand chose : la presse s’intéresse avant tout aux héros.
Malgré tout, si on fait certaines hypothèses, il possible de reconstituer ce que demandent les citoyens, c’est-à-dire ce qu’est la “ demande sociale ”.
En effet, dans une démocratie “ délibérative libérale ” le citoyen ordinaire, s’il intervient à travers le cérémonial du vote, apparaît aussi comme un gardien du jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs qui se sont institués. Il semble facile d’ailleurs de contrôler, sans devenir un spécialiste du problème, que le “ processus délibératif ” est “ équilibre ”, c’est à dire qu’il prend bien en compte toutes les “ parties prenantes ”. Si c’est bien le cas, on peut considérer que ce que produit la “ délibération ”, étant légitimé par le citoyen, équivaut à la demande sociale : c’est bien elle que l’on a résumé en problèmes à résoudre, en solutions envisageables et en arguments pour ou contre.
UN TOUR SUR INTERNET
Si la presse est diserte dans la durée sur l’affaire Erika, sur Internet, où l’on se retrouve d’un seul coup face à un cumul d’informations en provenance d’une foule de sources : c’est la folie !
Les sources qui sont reliées entre elles peuvent être classées en trois catégories si on simplifie :
- la presse nationale (Libération) ou régionale (Le Télégramme) que l’on retrouve sur Internet et qui classe les informations qu’elle diffuse en dossiers (le dossier Erika) ;
- les autres sources regroupant les acteurs “ institutionnels ” (gouvernement, entreprises, partis politiques, administrations, mairies, laboratoires de recherche, associations)
- enfin, et c’est bien là qu’il y a du nouveau, les “ espaces d’information et de discussion citoyennes ”
Ces espaces apparaissent sous des formes diverses qui toutes peuvent être considérées encore aujourd’hui comme “ expérimentales ” : il peut s’agir d’un lieu virtuel où l’on peut se rendre pour discuter, demander de l’information ou lancer un appel (forum) ; il peut s’agir de souscripteurs organisées autour d’une “ liste de diffusion ” qui vont recevoir dans leur boîte à lettre des contributions des uns et des autres (on peut parler ici, suivant en cela Radiophare et Olivier Zablocki, “ d’initiative coopérative d’information ”) ; à l’autre extrémité, il peut s’agir simplement d’un embryon d’organisation qui permet de discuter sans cérémonie comme on le fait au bistro à plusieurs (on parlera ici simplement de “ chat ”)...
Si Internet permet un accès à l’information beaucoup plus simple et plus rapide (et cela pose question), ce sont ces espaces d’information et de discussion citoyennes qui, en premier, introduisent une révolution dans le débat public et la décision publique....et, par contrecoup, dans le système politique.
Autour d’un problème des communautés de travailleurs ou de citoyens “ studieux ” d’un nouveau type (appelons cela des “ coordinations ”), qui peuvent bénéficier très rapidement, non seulement des informations officielles mais aussi de témoignages inédits de première main, peuvent se créer sans grande difficulté pour mieux comprendre un phénomène, approfondir des connaissances, proposer des solutions, voire agir ensemble et mobiliser nationalement et internationalement pour faire entendre leur voix et jouer un rôle très important au niveau des décisions politiques nationales et internationales.
Notre démocratie “ délibérative-libérale ” (grâce à la presse) devient irrésistiblement avec Internet “ délibérativelibertaire ”, (et internationaliste).
En effet, quand un problème est posé sur la place publique, le politique est aujourd’hui confronté directement à deux types de citoyens :
- Le citoyen “ ordinaire ” (la majorité), envisagé précédemment. Il n’a pas besoin de devenir un spécialiste, car son action se réduit au vote et au contrôle du bon fonctionnement du jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs (via le système “ publicitaire ”, tel qu’il est définit par le philosophe J. Habermas.
- le citoyen “ actif ”, il veut faire entendre sa voix directement dans le jeu social, soit parce qu’il est véritablement partie prenante (pensons aux citoyens touchés par la pollution, mais aussi aux infirmières et aux paysans), soit parce que le problème l’émeut et l’intéresse et qu’il se sent compétent et décidé pour mettre son grain de sel dans le processus de délibération publique qui précède aujourd’hui les grandes décisions politiques.
Nos élus, qui ont senti le danger, cherchent déjà depuis longtemps à les faire intervenir les citoyens actifs dans les processus décisionnels publics. On a déjà discuté à Brest, aux Entretiens Scientifiques, des expériences en matière de “ comités citoyens ” tentés dans différents pays (Suisse et Danemark) et même en France, en particulier sur les problèmes que posent les OGM.
Ces comités de citoyens qui ont à produire un point de vue argumenté n’émergent pas d’eux mêmes bien entendu ; ils sont constitués et formés en appliquant une certaine procédure, dont le rôle est “ en théorie ” d’assurer la qualité du travail produit en commun.
Ce schéma, avec Internet, se trouve aujourd’hui largement dépassé :
Des coordinations de “ trublions ”, qui disposent de moyens d’information et de capacités d’analyse qui peuvent se révéler aussi efficaces que ceux dont disposent les commissions parlementaires par exemple, et qui sont en plus porteuses des valeurs qui vont s’imposer demain, se sont introduites avec énergie dans les processus décisionnels publics.
Cela mérite d’en discuter : cet outil prodigieux qu’est Internet nous réserve-t-il le pire ou le meilleur ? Compte tenu de ces coordinations qui font des citoyens actifs des “ bêtes politiques ” quid du futur du système politique français tel qu’il est organisé aujourd’hui ?
Mis à jour le 28 janvier 2008 à 10:27