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2000 : Vagues de pollution, impacts et prévention > Emission Radio Libre : La pollution des océans >  Emission Radio Libre :

Emission Radio Libre :

ANIMATRICE :
Marie-Odile Monchicourt, France Culture
Bruno Barnouin,Directeur de l'Environnement et de l'Aménagement du Littoral de l'IFREMER
Patricio Bernal, Océanographe, Secrétaire exécutif de la Commission Océanographique Intergouvernementale de l'UNESCO.
Michel Glémarec, Biologiste, professeur émérite à l'Université de Bretagne Occidentale
Yves Lancelot,Directeur de Recherche au CNRS, Centre d'Océanologie de Marseille
Paul Lannoye, Belgique, Député européen, Président du Groupe des Verts / ALE au Parlement européen
Christian Le Provost, Directeur de Recherche CNRS, Directeur du LEGOS (Laboratoires d'Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale à Toulouse)
Jean-François Minster, Président Directeur de l’IFREMER.

Compte rendu :

Autour des meilleurs spécialistes, Marie-Odile Monchicourt propose de faire le point sur les différentes pollutions dont souffrent actuellement les océans. Ces pollutions peuvent être dues aux rejets industriels, agricoles et urbains. Ainsi, pour ne donner qu'un exemple, 1750000 tonnes de phosphores ont été déversées dans les eaux de l'Atlantique du Nord-Est de l'Europe dont 895000 étaient dues à l'agriculture.
Ce type de pollution peut conduire à des proliférations de macro-algues que l'on connaît sur les côtes bretonnes sous le nom de marées vertes. Par ailleurs, l'augmentation du gaz carbonique dans l'atmosphère provenant de la combustion de l'énergie fossile mais aussi de la décomposition organique de la forêt tropicale a pour conséquence de réchauffer la planète.Ce réchauffement aura sans aucun doute des conséquences sur le devenir de nos océans.différentes recherches sont entreprises aujourd'hui dans le monde pour mesurer le plus précisément possible les types de pollution qui peuvent aujourd'hui affecter notre environnement marin afin de mieux comprendre les effets de ces pollutions sur le développement de la vie animale et végétale et aussi sur l'ensemble de notre climat.
La pollution des océans est aujourd'hui devenu un débat de société auquel France Culture se propose de participer en faisant le point sur nos connaissances et les recherches entreprises dans ce domaine.





Jean-François Minster, Président Directeur de l’IFREMER :
Imaginer que les chercheurs savent ;que ce savoir soit déconnecté de leur vie, de leur option politique, est une erreur. Ils émettent des avis mais dans un cadre de pensée qui est le leur.
Ce cadre de pensée a un sens politique,et je ne crois pas,particulièrement sur les questions d’environnement, que les scientifiques émettent une vérité. Ils émettent une vérité dans un cadre de pensée. Dans l’ensemble, ce cadre de pensée est celui de production dans la durée. Cependant, ce qui me frappe c’est qu’on a un grand nombre de décisions pour lesquelles l’expertise scientifique n’est pas prise en compte, ou n’est même pas demandée. Il y a un grand nombre de normes de l’environnement qui sont prises, et, très souvent, sur la base des capacités de détection et non en fonction de leur effet sur l’environnement. Reste qu’on a établi cette norme et qu’il faut après mettre en place tout le système de surveillance.
Ce qui me frappe également, c’est qu’un grand nombre de conventions internationales ont été passées dans le cadre de l’environnement.On parle souvent des Conventions autour de l’effet de serre ou de la biodiversité. Il faut savoir qu’à l’échelle européenne plus de 40 conventions internationales ont été signées au cours des dernières années. Or les outils permettant d’en regarder les conséquences, voire de surveiller les applications n’existent souvent pas.Au-delà de la décision politique,il faut mettre en place des outils de recherche pour savoir comment s’y prendre pour surveiller,des études d’impact,des règles établies et d’accompagnement de la décision.
Ces conventions sont pour beaucoup des contraintes légales, et il est frappant de voir qu’on ne sait pas accompagner ce discours politique.

Marie-Odile Monchicourt :
Est-ce qu’on pense à créer ces outils nécessaires ?

Jean-François Minster :
Ce n’est pas tant un problème d’argent qu’un problème d’orientation.Vu la complexité des problèmes, la mise en place du système de surveillance et d’étude d’impact est toujours beaucoup plus longue qu’on ne le croit sur le plan politique.

Paul Lannoye, Parlement Européen :
Il faut faire remarquer, c’est vrai, que toutes les conventions internationales en matière d’environnement sont de bonnes conventions pour la plupart. Mais il n’y a pas de mécanismes d’accompagnement qui permettent de sanctionner ceux qui ne les respectent pas. Il faut faire un parallèle avec une organisation qui est l’Organisation Mondiale du Commerce où le système de règlements des conflits est interne à l’organisation, et où un Etat membre peut attaquer un autre Etat membre. Les Etats-Unis ont attaqué les européens sur le commerce de la banane, ils ont gagné.A l’intérieur même de l’Organisation Mondiale du Commerce, on peut pénaliser un membre qui ne respecterait pas les règles. En matière d’environnement, on ne peut pas. C’est le politique qui encore une fois est sur la sellette.

Marie-Odile Monchicourt :
Vous nous disiez Yves Lancelot, que vous, scientifiques, avez besoin de nous faire comprendre, à nous, public, la véracité de la situation pour que nous puissions influer sur le politique.

Yves Lancelot, CNRS :
Je crois que c’est essentiel, le politique est en démocratie l’expression du public, c’est un ensemble. Comme il devient décideur au nom du public, il faut qu’il soit éduqué dans ce sens là.

Bruno Barnouin, IFREMER :
Je crois qu’il y a des cas qui ont démontré par le passé que quand les scientifiques étaient clairs, ça marche. Le tributylétain (TBT) est toxique pour la reproduction des coquillages à des concentrations infimes (nanogramme par litre).Vous mettez un sucre dans le coin d’un terrain de football, vous mettez tout ça au cube et ça vous donne la proportion. Le TBT est interdit aujourd’hui dans les peintures sous marines. C’est une décision qui a coûté très cher au monde industriel et au monde maritime, puisqu’il n’est pas substitué par des produits aussi efficaces.
Pourtant cette décision a été prise, et rapidement. Elle n’est pas complète puisqu’elle ne concerne que les navires inférieurs à 25 mètres. Pour les raisons que donnaient Monsieur Lannoye, pour s’appliquer à des navires plus grands il faudrait qu’elle soit valable au plan mondial.
Elle devrait l’être à partir de l’an 2003 si l’OMI fait bien son travail.Voilà un cas où les scientifiques ont fait leur boulot, et où les politiques ont pris leur responsabilité, probablement parce que le public avait une sensibilité particulière par rapport à une mise en péril d’une espèce à laquelle il est très attaché (l’huître).

Michel Glémarec, océanographe-biologiste :
Je me permets d’intervenir :“ le public ”, non, pas le grand public… Un lobby qui s‘appelait les ostréiculteurs, et on ne sauvait pas une espèce, on sauvait les ostréiculteurs. Je suis agréablement surpris de voir l’évolution des choses car les scientifiques n’ont pratiquement pas existé dans les années 1970-80.L’affaire des marées vertes,nous en avons clairement décortiqué le mécanisme dans les années 85-90 avec IFREMER, avec des hommes compétents. Déjà nous le savions dans les années 1975,dans les laboratoires,les coupables ont été clairement définis. Récemment, l’émission Thalassa a ouvert les yeux au grand public. On a entendu des gens, des agriculteurs et des scientifiques,qui ont clairement indiqué qui était responsable de ces marées vertes,c’est-à-dire l’azote en milieu rural. Pendant des années, on a dit phosphore donc population humaine,donc station d’épuration qui ne marche pas. Dans nos cercles un peu fermés d’universitaires, nous avions déjà dit,et l’avions prouvé dans les années 1970-75.De 1975 à 2000,cela fait 25 ans.La France a beaucoup de retard.
Mais étant donné la pression du public, je ne pense pas que nous puissions attendre 25 ans. Nous, les scientifiques, existons parce qu’il y a une demande de connaissances. Les gens ont beaucoup plus de temps aujourd’hui pour s’informer.Les seuls qui sont en retard ce sont les politiques.

Paul Lannoye :
Je peux m’associer à cette critique sur le monde politique bien que j’en fasse partie.

Christian Le Provost :
Pour beaucoup de pollutions, les constantes de temps sont très longues. Il ne s’agit pas d’agir sur le moment, il faut avoir de la constance dans la protestation et être vigilant sur le long terme.Pour reprendre l’émission de Thalassa,il a été dit clairement que même si on arrête maintenant les pollutions,il faudrait attendre de nombreuses années pour que les sols soient lessivés des excès de nitrates qu’ils contiennent désormais. Prenons un autre exemple, celui des fréons. Là, il y a eu une prise de décision au niveau international pour stopper leur émission dans l’atmosphère. Mais l’on ne verra l’impact de cette décision sur le trou d’ozone que dans 40 ou 50 ans.

Marie-Odile Monchicourt :
Oui,parce qu’on a diminué les fréons, mais le trou d’ozone continue à augmenter. C’est décourageant.

Bruno Barnouin :
Alors que pour les nitrates,en ce qui concerne l’effet “ algue verte, ” les nappes phréatiques sont très longues à se renouveler. Si vous coupez le robinet de nitrates, l’année suivante vous n’avez plus d’algues vertes.

Michel Glémarec :
En ce qui concerne les marées vertes, si l’effet ne se manifeste que dans 30 ans, cela ne doit pas être un alibi pour ne rien faire. En effet, l’expérience montre qu’en milieu marin, la suppression d’une cause de perturbation permet une restauration acceptable à moyen terme, c’est-à-dire à 5 - 7 ans.

Marie-Odile Monchicourt :
Les politiques ont le sait, agissent à court terme.Il faut que vous,les scientifiques,soyez très convaincants.

Jean-François Minster :
Je voudrais contredire cette assertion souvent reprise que les politiques ne s’inscrivent que dans le court terme.Il y a un certain nombre de décisions qui sont prises, par exemple, sur la sécurité sociale, la construction de canaux en France etc...qui traduisent clairement une stratégie à long terme.

Marie-Odile Monchicourt :
Je voudrais poser la question du CO2 dans l’atmosphère. Le CO2 n’est pas une pollution, le gaz carbonique ne fait pas partie des polluants, il faut être clair là-dessus. Néanmoins, il y a trop de gaz carbonique. Puisque c’est un gaz à effet de serre, il provoque le réchauffement de la planète et ce réchauffement a, en effet, une influence directe sur le comportement physique des océans. On rentre là, Jean François Minster, en plein dans votre spécialité. Est-ce que vous pourrez nous décrire la situation par rapport à cette grande mécanique, Atmosphère - Océan ?

Jean-François Minster :
Je ne sais pas s’il y a trop de CO2 dans l’atmosphère : il y a eu des époques où il y avait bien plus de gaz carbonique.Ceci dit, le gaz carbonique augmente dans l’atmosphère. Il a un effet sur le climat, nous sommes en train de vivre dans une économie,une agriculture, une écologie adaptée au climat du XXème siècle et pas au climat du siècle futur. On sait aujourd’hui que l’élévation de température, de l’ordre de 0,6 degré depuis le début du siècle, est quelque chose d’exceptionnelle à l’échelle du millénaire, parce que les scientifiques ont été capables de remonter dans le passé à partir des enregistrements sur les anneaux de croissance des arbres. Ils ont été capables de démontrer que la température n’a pas évolué à l’échelle du millénaire, mais a augmenté assez brutalement à l’échelle de ce siècle.
D’autre part, que les simulations sur les changements climatiques, tenant en compte l’effet du gaz carbonique et l’effet des aérosols,ressemblent de plus en plus à ce que l’on observe dans l’atmosphère non seulement globalement mais également régionalement,en fonction des latitudes et que donc on a de plus en plus l’impression que nos calculs ressemblent aux observations. Aujourd’hui, on se préoccupe de plus en plus des conséquences d’un tel réchauffement climatique, qui ne sont pas seulement le réchauffement y compris le réchauffement régional,mais également d’autres conséquences : l’élévation du niveau de la mer qui continue d’être à 1,5 mm par an,les changements sur les précipitations,pour lesquelles on a l’impression que les zones sèches seront plus sèches,les zones humides comme le Nord de l’Europe seront plus humides,les fontes des calottes polaires,puisqu’on observe une régression de la calotte du Groenland etc.

Marie-Odile Monchicourt :
On a des échos qui sont assez alarmants.

Jean-François Minster :
Effectivement le Groenland aujourd’hui est en train de “ se dégonfler ”. Cela se traduit par des apports d’eau douce à l’océan.Cela contribue à l’élévation du niveau de la mer. Le littoral est un système qui est géré presque partout dans le monde. Il ne faut pas voir l’effet sur le littoral comme l’effet d’une baignoire qui déborde.
Il faut voir l’effet de l’élévation du niveau de la mer sur le littoral comme celui d’un système dynamique, qui évolue dans le temps et qui est déjà affecté par l’activité humaine. Par exemple, il est peu probable que la Hollande sera inondée.

Marie-Odile Monchicourt :
D’autres scientifiques disent que oui, la Hollande va être inondée.

Jean-François Minster :
Il suffit d’élever les digues d’un mètre.

Yves Lancelot :
Pendant toutes ces années, travaillant sur l’évolution du niveau de la mer, en région méditerranéenne en particulier, j’ai été souvent interrogé par les gens qui travaillent sur le port de Fos sur Mer.Ils se posaient la question de savoir s’il fallait relever les digues parce qu'ils avaient lu des articles, dont les miens, disant qu’il va y avoir une élévation d’entre 35 et 60 centimètres du niveau des mers. Les gens m’ont demandé de combien doit-on élever les digues ? De 70 cm ou de 1,10 m ? Je leur ai ait :“ Qu’est-ce que ça coûte ? ” La différence est de 20%,“ alors mettez 1,10 m ”.
“ Pour la Camargue,Vous avez dit,elle risque de disparaître ? ”. La Camargue en moyenne est à 1 mètre,si on augmente que de 35 ou 60 centimètres, on est tranquille. Non, on n’est pas tranquille du tout. Un delta c’est un système complètement dynamique,il suffira après qu’il y ait avec un niveau plus élevé quelques tempêtes d’hiver,comme celle qu’on a connu récemment pour que toutes les digues partent et un nouveau système stable se mette en place, et il sera durable pendant quelques siècles.Il n’y aura plus de Camargue,la mer sera en Arles, ça pourra être très joli d’ailleurs.

Paul Lannoye :
Je voudrais évoquer des régions qui sont plus vulnérables que les nôtres. Je pense par exemple, aux îles du Pacifique. Il y a là toute une série de petites îles qui sont déjà fortement menacées parce que le niveau de la mer est déjà très bas.Elles sont déjà perturbées. Aujourd’hui, on constate dans les faits que les ressources de pêche sont plus difficiles à valoriser,il y a déjà des problèmes très concrets qui se manifestent. Je trouve que c’est un indicateur qui doit nous faire réfléchir sur l’urgence à changer les choses. Il y a une conférence à La Haye, je crains très fort que là encore le politique ne butte. Les signaux sont plutôt pessimistes pour l’instant.

Jean-François Minster :
L’exemple est très bon car justement la partie émergée des îles sous forme rocheuse et leurs plages vont être affectées profondément, largement depuis Darwin, le système c’est l’évolution, et l’évolution n’est pas linéaire. Ou bien traduisent-elles un effet de pollution, ou encore une pathologie ? L’homme à son insu a importé un virus,une bactérie qui peut décimer une population de bivalves. Soit c’est la pollution. On a dépassé un seuil qu’on ne soupçonnait pas. Je crois que c’est important qu’on puisse répondre à ces questions parce que les mesures à prendre sont complètement différentes selon les hypothèses.Ce sont des questions sur lesquelles on travaille à l’IFREMER et qui sont difficiles parce qu’interdisciplinaires, il faut réunir beaucoup de spécialistes pour trancher.

Marie-Odile Monchicourt :
Je voudrais demander à Jean-Baptiste Henry de nous expliquer ce qu’est le syndicat mixte de protection et de conservation Nord Ouest de la Bretagne,on peut dire que là vous allez vous exprimer comme un citoyen.

Jean-Baptiste Henry, Syndicat Mixte de protection et de conservation du littoral Nord Ouest de la Bretagne :
Les hommes s’adaptent à l’évolution de leur milieu comme les petites bêtes. En l’occurrence, les populations bretonnes des côtes du littoral ont fait l’expérience d’un certain nombre de pollutions et notamment des marées noires.Elles faisaient en même temps un apprentissage, et c’est un peu la conclusion de notre apprentissage que la régénération du syndicat mixte, dont vous avez parlé. Le syndicat mixte regroupe 90 communes, 2 départements et il est associé aux professionnels de la région Nord de la Bretagne. Et son projet à l’heure actuelle à partir des expériences de l’Amoco, du Tanio, expériences de coopération internationale que nous avons développées,notamment avec l’Allemagne, nous avons donc l’intention de nous transformer en organisme de veille et de pression sur les problèmes de sécurité maritime. Mais il y a une mesure simple,c’est d’associer un nouveau partenaire aux débats à côté des états et à côté de l’industrie du transport maritime. Le partenaire, ce sont les riverains, les populations qui sont à la merci des pollutions. C’est en fait un apprentissage de politique, la politique se transforme y compris au niveau de base de chaque citoyen.

Marie-Odile Monchicourt :
Vous êtes en train de nous dire : voilà comment, moi, je fonctionne pour tenter d’influer sur la décision politique.

Jean-Baptiste Henry :
Régénérer le politique au niveau national dont on a parlé tout à l’heure,en faisant la critique de l’inertie des politiques.Je pense que lorsqu’on commence par les problèmes vécus par les citoyens, et qu’on essaye d’en tirer une leçon,on se dit :“ Il faut qu’on se dem.., il faut qu’on s’organise si on ne le fait pas,personne ne le fera. J’avais envie de rebondir sur ce que vient de dire le dernier intervenant,concernant les normes.L’application des normes et le problème qu’elle pose dans la mesure où elles ne sont pas appliquées, nous confronte au problème de l’alternative, et bien souvent aussi ces normes qui sont mises en place, le sont contre une partie de la population. Ça peut être des normes mises en place pour répondre à des besoins de lobbies qui ne répondent rien à terme,au développement durable qui peut y avoir derrière. D’où l’importance d’associer tous les acteurs. Pour le projet de Val Ouest, qui répond à des normes qui sont imposées aux agriculteurs,on a une réponse absurde, dangereuse. Une réponse qui montre bien qu’il aurait fallu qu’on consulte les acteurs et que soient proposées des solutions peut-être techniques, mais des solutions qui soient faites en amont,si on ne touche pas aux questions de fonds comme le mode de transport et les pavillons de complaisance avec des bateaux qui ne répondent pas aux normes.

Yves Lancelot :
Si les normes ne sont pas appliquées, c’est pour des raisons politiques et pour des raisons techniques.
Pour le CO2, on va peut-être arriver à limiter mais les pays les plus développés ont énormément de mal à le faire.Aller demander aux Chinois de ne plus brûler de charbon, et de brûler du pétrole c’est quand même mieux, et aller demander à tous les pays de ne produire que du gaz et de rouler avec du gaz… On n’arrive pas à le faire parce que c’est l’économie qui dirige totalement, ce qui est bien c’est que maintenant c’est mis sur la table.

Bruno Barnouin :
S’il y a une norme, c’est qu’il y a besoin d’une contrainte, et si on a besoin de donner une contrainte c’est qu’à priori tout le monde n’est pas d’accord.
L’application d’une norme représentera toujours une contrainte pour une partie minoritaire de la population, ce qu’il faut c’est que la démocratie s‘exerce et que cette partie ait eu son mot à dire. Les normes doivent rester attachées à la réalité de l’objectif qu’elles poursuivent. La norme sur les nitrates, c’est la potabilité d’eau de boisson.Or ici,on a parlé d’algues vertes, personne n’a l’air inquiet sur la potabilité d’eau de boisson.Je constate en fait qu’on essaie de faire porter à une norme qui n’est pas faite pour ça, la protection du milieu du littoral.Il y a un décalage,une confusion grave entre ce qui relève de la santé de l’homme et la protection de l’environnement.
Il y a des fois où cela va ensemble. Mais on a à donner des avis sur des cas limites, où plusieurs avis contradictoires étaient donnés parce que certains étaient basés sur un critère de santé et d’autres sur un critère d’environnement et là le politique a été amené à demander et à faire son choix.

Marie-Odile Monchicourt :
Merci de nous apporter, ce tripode scientifique - public - politique que vous évoquiez tout à l’heure.D’autre part la participation du public à la gestion des océans, c’est une chose qui peut paraître complètement étrange.L’idée est acquise si on se réfère au rapport de la Commission Internationale de 1998, signée par 120 pays, le tangible ne l’est pas encore. Que faisons-nous ? Les politiques ont du mal à agir. Il faut apprendre à travailler ensemble, c’est ça ?

Jean-François Minster :
Oui, il y a urgence, et le public a le droit de savoir. La planète n’appartient pas aux adultes d’aujourd’hui, et si la signature des enfants étaient exigés pour que soient ratifiés des traités,bon nombre d’actions destructrices n’auraient pas lieu. C’est à nous d’agir, je propose une action directe éducative,artistique et scientifique que les politiques peut-être se chargeront de faire véhiculer.

Patricio Bernal :
Les affaires des océans, de la mer, c’est un endroit très étroit, c’est moins transparent, et c’est difficile de savoir qui sont les sociétés responsables de la qualification du bateau.C’est important que l’engagement citoyen soit présent. Le rapport de la Commission Mondiale de l’Indépendance des Océans,qui a été présidée par Monsieur Mario Suares,ce rapport a été fait pour avoir une sorte d’observatoire citoyen sur les affaires de l’océan. Il faut agir pour engager les gens dans la participation d’un mouvement civile pour avoir un contrôle civile sur les affaires maritimes.

Jean-François Minster :
Le public aussi est acteur en matière de pollution, les sacs en plastique en Méditerranée, il y en a beaucoup, et ils sont principalement jetés par les plaisanciers. Il est un des pieds du tripode qui lui même doit devenir citoyen. Dans cette perspective, il insister sur l’importance du rôle des enfants à tous les âges, et le rôle d’éducation des organismes de recherche dans le domaine de la mer ; c’est un des axes d’actions que nous devons prendre à bras le corps beaucoup plus que nous l’avons fait. Quand nous faisons des journées portes ouvertes, nous sommes heureux quand il y a 30 classes dans la journée qui nous rendent visite. Plus de 2000 enfants hier. En tant que responsable d’organismes, j’estime que c’est une obligation.

Charles Pavot, Maire honoraire de Porspoder :
Les marées noires sont pour moi comme un accident d’avion, qui traumatise toute une population. On oublie qu’il y a 7000 morts par an en accident de voiture. Une marée noire traumatise et se guérit en un certain temps parce que tout le monde s’y met, parce que tout le monde s’y intéresse et parce que tout le monde se dévoue. J’ai vu 4 marées noires, je suis allé aider les amis sur le Torrey Canyon. Nous avons eu la nôtre chez nous, j’ai vu et ai travaillé pendant un an et demi pour le FIPOL, sur l’Amazzone, j’ai eu la chance d’aller en Alaska passer une semaine. J’ai vu les marées noires et leur conséquences à long ou moyen terme et la nouvelle est beaucoup plus grave à mon avis.
On s’est intéressé pendant une saison sur la commune aux dépôts d’ordures, toutes les saloperies qu’on peut retrouver le long d’une côte sur 7 kilomètres et nous avons fait l’inventaire des provenances. La grosse majorité était française alors que nous avons moins de bateaux que les autres. Cette pollution était à 80% due à la terre.Combien de bateaux foutent à la mer leur eau de vidanges. Il faut apprendre aux gens à être propres et à respecter la mer.
Je voudrais avoir l’avis du collège scientifique que nous avons devant nous, sur le fait que face à cette idée de la globalité des solutions, on a en face des modèles de développement locaux.Autour de ça, on s’aperçoit que les seuls qui aujourd’hui ont de véritables réponses d’innovation, principalement les pays riches, ce sont eux qui ont les outils de recherche. On s’aperçoit que finalement on a d’un côté des gens qui ont la possibilité de faire des choses nouvelles et peut-être plus adaptées aujourd’hui avec des critères d’impact sur l’environnement et de l’autre un certain nombre de solutions qui sont transférées sur les pays tiers et qui eux ont un fort besoin économique et qui ne s’embarrassent pas de ces préoccupations environnementales.
Alors peut-être par rapport aux débats qu’il y a eu sur le génome humain en disant finalement il serait peut-être bien de ne pas faire que tout soit commercial, est-ce qu’on ne peut pas imaginer qu’une solution scientifique, vienne permettre à un certain nombre d’industries, de disposer de
moyens, de procédés qui permettent de faire des choses plus propres, mêmes si on doit pour ça passer au delà d’un certain nombre d’impératifs économiques qui sont ceux de la compétitivité et de l’innovation. Est-ce que maintenant nos scientifiques peuvent nous aider à dépasser ce débat qui fait rage ?

Jean-François Minster :
Une bonne partie des problèmes de pollution sont traités à l’échelle à laquelle les processus de dispersion se passent. C’est vrai qu’une bonne partie des pollutions se passe à des échelles relativement locales ou régionales, c’est le cas de la pollution sur le littoral.
Dans ces conditions le problème socio-économique à traiter devient un problème qui n’est pas global mais local. Il y a une science que l’on appelle l’économie de l’environnement dans laquelle les économistes essayent de qualifier l’environnement. On sait mesurer la valeur ajoutée d’une entreprise, avec un nouveau produit mais quand on affecte l’environnement il faut le “ mesurer ”, et donc introduire des nouveaux paramètres qui le décrive. Cette science est trop peu développée. C’est une erreur que de penser que les contraintes environnementales sont les ennemies de l’économie. Les pays qui sauront développer des procédés industriels notamment, faire du développement technologique en prenant en compte les contraintes environnementales seront les pays qui s’en sortiront le mieux. Le respect de l’environnement n’est pas l’ennemi de l’économie. Il y a une démarche dite “gagnant/gagnant” à développer.

Marie-Odile Monchicourt :
C’est récent.

Jean-François Minster :
Oui mais si vous discutez avec divers industriels, vous en trouverez qui intègrent la contrainte environnementale dans la conception de leurs procédés, de leurs produits ou de leurs usines. C’est ce genre de démarche qu’il faut appréhender, car c’est cette démarche qui gagnera.

Yves Lancelot :
A l’opposé, il y a encore dans l’industrie des pratiques locales souvent complètement inacceptables et c’est vrai qu’on devrait faire le ménage chez nous avant d’aller plus loin. C’est nouveau, et ça passe par l’éducation, maintenant c’est dans l’air. Les mouvements écologistes ont posé le problème et tout le monde a fini par en être conscient.

Bruno Barnouin :
Je vais être plus pessimiste :alors que ça s’arrange pour les populations aquatiques (rivières), en mer, ce sont surtout les contaminants persistants qui menacent les organismes.Les POPs (Permanent Organic Pollution), un mot très à la mode,qui ne sont pas toujours issus de processus industriels tels que les dioxines dues aux fumées d’usine d’incinération. Les BPS dépendent des choix des substances de base : par exemple, on a arrêté le DTT pour passer à d’autres substances. Je ne suis pas sûr que le fait de déséquilibre majeur vienne des processus industriels : les activités agricoles y ont aussi un rôle essentiel.

Patricio Bernal :
Le problème se pose d’un point de vue de l’économie,il faut établir un coût.La pêche,vous ne payez pas les coûts dans le processus d’extraction, il faut introduire les vrais coûts de la conservation par attribution des droits à ce qui participe à la pêche.Aucune possibilité de faire cette internalisation, si vous n’avez pas eu dans votre main une réglementation.Les possibilités d’avoir une démarche gagnant/gagnant.
L’économie ne prend pas en compte les limites. Il y a un cas dans l’élevage des saumons où on utilise de l’alimentation, 7 kilos de poissons marins pour faire un kilo de saumon.Vous savez que c’est un processus qui est dirigé par le marché. Le marché répond aux consommateurs.

Jean-François Minster :
Les pollutions de fonds sont vraiment importantes, cela n’empêche que ces pollutions là, à travers des modes d’usages agricole,par exemple,ou à travers des procédés,filtrer des procédés d’usines,peuvent être combattus malgré tout. On sait développer des procédés industriels qui tiennent compte de cette dimension-là.L’objectif de la législation en principe, c’est de donner une égalité au moins entre tous les acteurs économiques.Il ne faut pas qu’il soit avantageux de polluer. Il faut qu’il soit rentable d’être propre. Les actionnaires doivent être pénalisés, le directeur général de Total, ne fait que représenter ses actionnaires, si on lui demande d’augmenter la part de rentabilité des capitaux, lui il le fait : promu meilleur acteur de l’année au point de vue économique.
Actuellement les produits pharmaceutiques sont mis sur le marché au terme d’une très longue expérimentation, et on voit au fil du temps, ce n’est pas suffisant. Est-ce que tout ce dont vous parlez,molécules…est-ce que vous pensez que cela se fait au terme d’une expérimentation suffisamment longue de plusieurs années comme les produits pharmaceutiques ?
Ne devrait-on pas calquer sur la manière établie pour les produits pharmaceutiques ? Et les grands laboratoires pharmaceutiques ne ferment pas pour autant !

Yves Lancelot :
Je crois que c’est vrai,la mer était considérée comme nous pardonnant toutes nos erreurs depuis la nuit des temps. Ce n’est que petit à petit que la mer qu’on considérait comme un milieu relativement inerte, est un milieu qui réagit. Il faut que ça rentre dans les esprits. On arrivera à faire de l’étude à long terme, mais qu’on a pas encore réalisée parce qu’on arrive pas à convaincre nos industriels d’arrêter les pollutions. Je connais bien la pollution de Péchiney, des boues rouges au large de Cassis qui passent devant mes fenêtres,on a n’a pas encore réussi à l’arrêter et ça fait un bon nombre d’années qu’on se bat, parce qu’il y a des emplois…qui sont considérables. On a un engagement ferme que ça va s’arrêter en 2015,mais c’est comme le CO2, on aura déjà fait le mal.

Bruno Barnouin :
Dommage qu’il n’y ait pas d’industriels à notre table.Il existe des protocoles de vérification de l’acceptabilité par le milieu de tous les produits chimiques mis sur le marché. Elles sont obligatoires, elles font l’objet de fiches.Le problème,c’est que ces procédures n’examinent que la toxicité létale et pas sur des espèces marines.Actuellement on essaye d’obtenir que ces procédures soient étendues aux effets chroniques.

Michel Glémarec :
Il va falloir gérer notre littoral, on est habitué à vivre dans une commune où on connaît le parking et la plage.Maintenant on va plus loin en mer, on va jusqu’à 15-20 mètres. Il va falloir que tous les acteurs, dans les cinq années à venir,se mettent à changer d’attitudes,et poser le problème à nos élus qui n’avaient pas l’habitude de voir ce type de législation. Il va falloir s’organiser en intercommunalité et est-ce que les gens sont prêts à travailler ensemble,tous les utilisateurs de la mer ?

Nicole Priol, Présidente de l'Association des Professeurs de Biologie et de Géologie (APBG) :
C’est une remarque, Monsieur Minster l’a à peine évoqué, Monsieur Lancelot a parlé de nos enfants et petits enfants, ils nous succéderont et nous demanderont éventuellement des comptes. On a oublié toute la partie " enseignement ", je suis représentante des enseignants des sciences naturelles.
Autrefois sciences naturelles aujourd’hui sciences de la vie et de la terre.Notre association s’est battue de façon longue et pénible pour que par exemple la section qui ait choisi " économie " fasse des sciences naturelles.Tous les jeunes qui vont faire des métiers économiques ou industriels n’ont pas de sciences naturelles. Combien d’enfants qui ne savent pas reconnaître un arbre ou un hérisson, qu’ils ne verront peut-être jamais dans nos métropoles, s’ils ne le voient pas en classe,ils ne le verront jamais.Qu’on puisse faire des travaux pratiques et interdisciplinaires.Qu’on commence par éduquer les enfants à l’environnement et pas seulement aux Mathématiques.






Mis à jour le 28 janvier 2008 à 18:30