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2009 : L'Heure bleue : Changement climatique, énergies de la mer et biodiversité > Table Ronde 5 – Economie et financement des énergies renouvelables de la mer >  La bataille de l'énergie : géopolitique, structuration économique législative et fiscale du financement des énergies renouvelables de la mer

La bataille de l'énergie : géopolitique, structuration économique législative et fiscale du financement des énergies renouvelables de la mer

Jean-Michel Gauthier, Associé Directeur Deloitte, fondateur de la Chaire Energie & Finance HEC-Deloitte

Biographie :

GAUTHIER Jean-Michel

Compte rendu :

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Transcription :

16 octobre 2009 Table ronde 5


Discours de Jean-Michel Gauthier :

Je suis associé d’un grand cabinet mondial de conseil financier et de conseil en management pour les entreprises. Je conseille un grand nombre de sociétés, appartenant ou non au CAC 40, pour leurs évolutions financières et stratégiques en lien avec les problématiques énergétiques. Par ailleurs, je suis également je suis co-titulaire de la chaire d’économie de l’énergie « Energie et Finance » HEC- Deloitte. J’ai fait toute ma carrière dans le pétrole après avoir commencé dans la fonction publique.

A-t-on encore du pétrole pour 40 ans ?
Oui, c’est exactement le chiffre. Il y a 40 ans, on avait déjà pour 40 ans de réserves mais c’est normal. Les réserves changent au fil des années. Chaque année, on en découvre, on les diminue de la quote-part de production de l’année.
Mais on fait aussi des gains technologiques. La meilleure manière de découvrir plus de réserve avec un réservoir contraint est de faire monter le prix de marché.

J’ai accepté aujourd’hui de jouer le rôle du méchant, de celui qui empêche de dormir en rond. Avant de parler de l’économie des énergies de la mer, je voudrais donc faire un détour par l’histoire du temps présent qui est absolument désastreuse, j’en conviens.
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Ce graphe recense l’ensemble des usages des sources d’énergies primaires dans le monde, exprimé en millions de tonnes équivalent pétrole. C’est l’ensemble des consommations énergétiques au cours des 40 dernières années par grandes sources d’énergies primaires. En 1965, au milieu des « 30 glorieuses », on voit que ce que l’on appelle l’énergie en fait c’est uniquement de l’énergie fossile.
20 ans plus tard, après le 1er et le 2ème chocs pétroliers qui nous ont alertés sur les risques d’une dépendance pétrolière et les risques de la fluctuation des prix du pétrole, en 1982, on est encore à 90% d’énergies fossiles sur l’énergie totale.
Et si on se projette au-delà du 3ème choc pétrolier, celui de 2007-2008, on voit, après toutes ces années où on a dit que le pétrole c’était la dépendance à l’égard des pays de l’OPEP, que le ratio est de près de 90% d’énergies fossiles (c’est-à-dire pétrole, gaz + charbon). De ce graphe, je tire trois conclusions.
. Historiquement et jusqu’à aujourd’hui et encore pour très longtemps, le pétrole a été, est et sera la première des grandes énergies.
. Deuxièmement, ce qui est un phénomène intéressant, c’est que l’énergie qui a le taux de croissance le plus élevé ou pour qui les besoins croissent le plus rapidement, c’est le charbon. Le charbon, loin d’être une énergie obsolète, est l’énergie de l’avenir. Le 21ème siècle sera charbonnier, comme le 20ème siècle a été pétrolier ou le 18ème siècle celui du bois. Nous allons vers le charbon parce que c’est une énergie très abondante là où on en a besoin, très proche des grands marchés. Le charbon est donc l’énergie de demain. Notre histoire sera, comme je l’ai dit tout à l’heure, peut-être une désastreuse histoire de carbone.


Ce slide représente la modélisation du futur de notre consommation énergétique vue par la grande agence qui fait autorité en la matière, c’est-à-dire l’Agence Internationale de l’Energie, bras armé de l’OCDE pour conseiller les gouvernements sur leur politique énergétique, et dont le siège est à Paris. En 2030, malgré tous nos élans sur le besoin en énergie renouvelable et le besoin de se « décarboniser », rien n’aura été fait. Rien ne se sera passé, l’économie énergétique sera toujours la même, c’est-à-dire que le ratio d’énergies fossiles sur énergie totale sera toujours supérieur à 80%. J’y ai inclus la biomasse, dont je rappelle que, pour renouvelable qu’elle soit, elle est aussi une énergie fossile qui émet du carbone.
Dans 20 ans, la demande énergétique aura subi une augmentation très importante, une des plus importantes de l’histoire des deux derniers siècles, plus 50%. Les émissions de CO2 auront, elles aussi, augmenté de près de 50%, et le nucléaire et surtout les renouvelables qui nous occupent aujourd’hui, ne représenteront qu’une très faible contribution au mix énergétique mondial général.

A quand les énergies renouvelables ?
Pour voir les renouvelables arriver à grande échelle dans l’équilibre énergétique mondial, il faut se projeter sur des durées beaucoup plus longues. Ne déduisez pas de mes propos que je condamne les renouvelables. Ce que je dis c’est tout simplement que nous les aurons, y compris les énergies de la mer, mais pas maintenant. J’en voudrais pour preuve le graphique que j’ai extrait des quelques rares modèles existant dans le monde nous permettant d’avoir des vues sur l’énergie à très long terme.
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A ma connaissance, il n’y a que 2 modèles énergétiques qui ont été construits pour savoir de quoi demain sera fait. Il y a celui du gouvernement japonais et celui du bureau des statistiques allemand qui raisonnent sur des durées très longues jusqu’à 2100, 2150. Ce sont évidemment des horizons sur lesquels en terme financier, en terme de taux d’intérêt, de taux de change, on n’a évidemment aucune visibilité. Y aura-t-il encore le dollar en 2100 ? Y aura-t-il encore le Yen en 2100 ? On ne peut pas le savoir. Mais si on regarde ces deux sources, on voit que les renouvelables n’arrivent pas en masse, enfin à grande échelle, avant 2050-2060.

L’énergie une industrie de très long terme
Il faut garder en mémoire le fait que l’énergie est une industrie de très long terme. Il faut 10 ans pour construire une nouvelle centrale à charbon, il faut 12 ans pour construire une nouvelle centrale nucléaire. Pour construire une chaîne de gaz naturel liquéfié qui va produire du gaz au Qatar, le liquéfier et en livrer de grandes quantités au Japon, à Taiwan ou en Corée du Sud, il faut jusqu’à 20 ans. J’en voudrais pour preuve le grand projet Qatargas de production du gaz au Qatar à destination de l’Asie. Au tout début de ma carrière en 1988, on commençait à travailler sur ce projet de gaz qatari pour le Japon. Le premier gaz a été livré au Japon fin 2002 ! Ce qui veut dire qu’aujourd’hui, nous n’avons aucune visibilité au-delà de 2030. Et pour le moment, jusqu’à 2030, il n’y a pratiquement que des projets fossiles.
Il y a bien quelques projets renouvelables qui verront le jour. Mais qui va les faire émerger ?

Le prix du pétrole détermine le développement du nucléaire et des énergies renouvelables.
Il en va des renouvelables comme du nucléaire.
Les deux filières technologiques doivent leur essor et leur condition de développement au pétrole. C’est parce que le pétrole est cher et devient rare qu’il génère une rente, laquelle est captée par des technologies plus performantes ou moins émettrices de carbone. Le développement du parc nucléaire français a été possible grâce à la captation de la rente pétrole. Exactement la même chose va se produire pour les renouvelables. J’en voudrais pour preuve le classement par coût de production des sources pétrolières dans lesquelles nous puisons. Aujourd’hui, la demande est de 85 millions barils/jour. Les 50 premiers millions ont un coût d’extraction de 20 ou 30$ le baril, les 20 millions suivant coûtent 50 $ le baril, et d’autres encore à 60 $ le baril et le dernier million de barils/jour, c’est-à-dire celui qui fixe le prix puisqu’on est dans la logique de fixation du prix du marché sur le coût marginal de la dernière unité fournie, est à 70-80 $ le baril. Ce sont des huiles lourdes de la province d’Alberta au Canada ou du Delta de l’Orénoque au Venezuela qui ressemblent plus à du charbon qu’à du pétrole et nécessitent un traitement extrêmement important. L’âge du pétrole bon marché est définitivement révolu. Nous sommes maintenant sur un scénario d’énergies fossiles nécessairement chères, à l’exception du charbon qui ne suit pas cette logique. Le pétrole sera donc durablement cher en raison de la logique de coût et non de la logique de prix. C’est la logique de coût qui fait, que quand le prix du pétrole monte, les renouvelables deviennent économiques.
L’autre mauvaise nouvelle pour les pétroliers qui va accélérer l’émergence des renouvelables c’est ce qui était jusqu’à présent la théorie du « Peak oil » et qui est maintenant la réalité du « Peak oil ». Cette théorie, inventée par un scientifique américain dans les années 50, disait que autour des années 70, on n’aurait plus de pétrole. On est en 2010 et il y en a encore beaucoup. Je dirais qu’il restera toujours du pétrole en quantités considérables mais nous le laisserons en terre parce qu’il sera trop cher et trop difficile à exploiter. Si l’on regarde les profils des champs qui sont actuellement en production, on voit qu’en 2008-2009, nous avons amorcé la descente c’est-à-dire que nous avons peut-être passé le « Peak oil ». L’ensemble des champs en production dans le monde - il y en a 70 000 dont les 5 premiers couvrent à peu près 25% de la demande mondiale - a aujourd’hui amorcé son déclin. Il nous faut donc trouver d’autres sources de pétrole ou en mettre d’autres en exploitation. Ça ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de pétrole, mais ça veut dire que nous sommes maintenant dans une logique où nous allons avoir besoin de productions nouvelles dans des quantités très importantes. Pour satisfaire la demande pétrolière de 2030, il nous faudrait avoir trouvé et mis en service six fois la production de l’Arabie Saoudite, ce qui n’existe pas aujourd’hui. Cela veut dire que l’économie pétrolière est condamnée à une limite. Cela veut dire aussi qu’il y a un potentiel énorme pour l’après-pétrole et ça explique pourquoi aujourd’hui, tous les pétroliers communiquent sur l’après-pétrole et veulent se mettre sur les économies de l’après-pétrole. C’est pourquoi Total investit par exemple justement dans les énergies de la mer parce qu’il faut trouver un souffle de croissance pour le moment où, en vertu de la théorie des rendements décroissants, il faudra investir de plus en plus pour trouver de moins en moins de pétrole.
Un mot sur l’électricité. Il ne faut pas confondre énergie et électricité. Pour ce qui est de la production électrique, il y a une très forte croissance des renouvelables puisqu’elles arrivent à égalité avec le gaz en 2030. Elles s’imposent comme la deuxième ou troisième source d’énergie ex-aequo pour la génération électrique. Cependant, comme je l’ai dit, l’avenir sera charbonnier, c’est le charbon qui reste la source préférée pour produire des kW/h. Donc la technologie du charbon propre sera l’enjeu climatique. Si on me demande s’il faut investir dans le renouvelable ou dans le charbon propre, je suis désolé de dire que la priorité c’est investir dans la technologie du charbon propre. L’autre nécessité c’est, effectivement, de développer les énergies renouvelables à grande échelle mais cela ne se fera pas tant que nous n’aurons pas accompli des gains de productivité tout à fait substantiels.
Quelles sont les énergies renouvelables qui vont apparaître dans les 20 ans ? Pas celles que l’on attend. Il y aura bien sûr un peu de biomasse, mais c’est surtout l’éolien onshore qui va être développé à concurrence de 700 GW, ce qui est à peu près équivalent à toute la capacité de production chinoise aujourd’hui. Cela correspond environ à 700 000 mâts rien qu’en éolien dans le monde entier. C’est beaucoup ! Ce sera aussi le photovoltaïque pour lequel on parle de 500 GW dans le monde, ce qui serait l’équivalent de 5 fois le parc de production de la France. On parle maintenant, d’ici 2030, du développement des renouvelables à très grande échelle.
Pour les énergies de la mer « tide and wave » ,c’est-à-dire l’énergie de la marée et de la houle, j’ai consulté de nouveau la base de l’Agence Internationale de l’Energie pour ne pas me tromper dans les chiffres. Elle indique 14 TW/h en 2030 pour l’énergie issue de la marée et de la houle. C’est évidemment extrêmement faible. Ceci veut dire que cette technologie n’est pas encore mûre. Elle va le devenir à mesure que l’on accomplit des gains de productivité sur les renouvelables. Aujourd’hui, si vous regardez l’évolution prévue des coûts de production d’énergie renouvelable pour chacune, vous voyez que :
- les coûts de production hydroélectrique vont rester les mêmes jusqu’en 2030,
- pour la géothermie, les coûts vont baisser un peu mais pas beaucoup,
- pour l’éolien onshore, les coûts vont également baisser un peu mais c’est assez négligeable,
- pour l’éolien offshore, il n’y aura aucun gain de productivité, ce qui veut dire que la technologie est mature, qu’elle ne progressera pas.
Si je devais conseiller un investisseur, je dirais de ne pas investir dans l’éolien offshore, il n’y a rien à en attendre car les coûts vont rester les mêmes.
En revanche, et c’est ce que je dis à mes clients, il faut se concentrer sur la technologie du solaire et du photovoltaïque parce qu’il y a de considérables économies à générer, de la valeur à créer puisque le coût devrait tomber.
Voici maintenant les capacités de génération électrique, exprimées en GW de puissance installée, des futures centrales électriques renouvelables qui devront être installées, si l’on veut réduire les émissions de CO2 afin de maintenir le niveau de concentration dans l’atmosphère à 550 parties par million. C’est le scénario par lequel, selon les experts du climat, la température du globe n’augmente que de 3°C en 2100. On voit que, pour que la température du globe augmente raisonnablement, il faut développer toute cette énergie renouvelable. La houle et la marée ne représentent que 2 GW, pour mémoire 1GW c’est une tranche nucléaire. On prévoit donc que dans le monde ne seront développés que 2 GW soit 2 tranches nucléaires grâce à la marée et à la houle. Cela ne concerne que la zone OCDE, absolument pas les autres pays qui sont fortement émetteurs de carbone comme l’Inde, la Chine ou la Russie. Sur la période 2021-2030 on a quelques tranches en plus, mais on reste sur des technologies qui ne seront pas encore mûres.

Cela dit, il va il y avoir un besoin d’investissement massif pour produire ces énergies renouvelables. L’économie de l’ensemble des énergies renouvelables représente des besoins de financement et d’investissement du même ordre que le charbon propre et le nucléaire de 3ème génération. Donc c’est très capitalistique. Cependant on voit que sur le court, le moyen et même le long terme, les marchés financiers iront vers les renouvelables. Les renouvelables vont attirer à eux une grande partie de la liquidité des marchés de capitaux. D’où ma conclusion : est-ce qu’on va vraiment le faire ? Est-ce que ça va se produire ?
Je voudrais pour conclure attirer votre attention sur le mécanisme pervers de la crise financière, de la crise économique et de la récession sur l’économie et le financement des renouvelables. Le secteur qui est le plus affecté par la crise, c’est celui dont on parle aujourd’hui. C’est le secteur des renouvelables, c’est l’investissement dans une génération de capacité électrique non-émettrice de carbone. Les nouvelles capacités renouvelables se trouvent prises en tenaille dans une logique particulièrement perverse. Voilà ce qui se passe en gros : la crise financière qui a eu lieu en 2008 - effondrement des transactions interbancaires, tarissement du crédit - débouche sur une récession. L’effet de la récession dans le domaine de l’énergie, comme dans tous les autres domaines, est d’appauvrir les consommateurs et donc de réduire leurs besoins, de baisser la demande. Donc on consomme moins de pétrole, moins de gaz, on va moins en vacances, il y a une baisse de la demande énergétique. C’est une bonne nouvelle ! C’est le cercle vertueux de la crise ! On consomme moins d’énergies fossiles puisqu’on l’a vu tout à l’heure elles représentent 90% des énergies totales. Si notre demande énergétique baisse, on va réduire notre dépendance énergétique vis-à-vis des pays de l’OPEP et du Moyen-Orient. Tout cela est une bonne nouvelle. L’impact environnemental sera également meilleur puisqu’on consommera moins d’énergies fossiles, donc nous émettrons moins de CO2. Oui, mais ce point n’est pas certain parce que la crise financière resserre le crédit, il n’y a plus de dette, ou peu de dette, pour financer de nouveaux projets ou s’il y a de la dette, elle est chère. Le coût du capital monte, donc la rentabilité des projets baisse et la rentabilité des projets renouvelables est directement affectée. D’autre part, qui dit baisse de la demande énergétique dit baisse du prix de l’énergie. On l’a vu, le prix du baril de pétrole atteignait 150 $ en juillet 2008 et était à 32 $ en décembre 2008. Le prix des énergies s’effondre, et le coût du capital monte. Cela veut dire - on l’a observé sur tous les marchés de l’énergie, pas seulement mais principalement renouvelable - que tous les projets sont arrêtés, reportés, annulés. L’effet de la crise sur la demande énergétique est de faire baisser les prix, baisser les émissions de carbone à court terme, mais de rassembler toutes les conditions qui feront que, à court et moyen terme, nous avons tout préparé pour subir le plus gros choc pétrolier, gazier, électrique tout confondu de notre histoire parce que nous n’aurons pas demain les capacités de production d’énergie qui seront nécessaires quand la demande reviendra.





Mis à jour le 17 décembre 2009 à 11:49